Évaluation de l'information sur Internet

Le défi de la formation

Alexandre Serres

Savoir identifier et évaluer l’information trouvée sur Internet présente des difficultés théoriques et méthodologiques spécifiques et fait appel à des compétences encore plus nombreuses que la maîtrise de l’univers documentaire traditionnel. Il est urgent de proposer aux étudiants une formation globale, à la fois théorique et technique, associant enseignants et bibliothécaires, fondement d’une nouvelle « culture informationnelle ».

Knowing how to identify and evaluate information found on the Internet presents specific theoretical and methodological difficulties and calls for even more competences than for the mastery of those in the traditional information area. Extensive information literacy training is urgently required for students, both theoretical and technical, in association with academic staff and libra-rians, to create a new “information culture”.

Die Identifizierung und Beurteilung von Information im Internet bringt spezifische theoretische und methodische Schwierigkeiten mit sich und erfordert noch mehr Vorkenntnisse als der Zugang zu „traditionellen“ Informationsquellen. Es ist äusserst wichtig Studenten eine globale Ausbildung anzubieten die sowohl technisch als auch theoretisch ist, Lehrer und Bibliothekare verbindet auf dem Weg zur Gründung einer neuen „Informationskultur“.

Saber identificar y evaluar la información encontrada en Internet presenta dificultades teóricas y metodológicas específicas y apela a competencias aún más numerosas que el dominio del universo documental tradicional. Es urgente proponer a los estudiantes una formación global, a la vez teórica y técnica, que asocie docentes y bibliotecarios, fundamento de una nueva “cultura informacional”.

La formation des usagers tarde encore à prendre toute la mesure des mutations et des enjeux induits par Internet sur les pratiques documentaires. Privilégiant l’utilisation maîtrisée de la bibliothèque, des catalogues et des bases de données, les formations méthodologiques sont loin de donner toute sa place à une question pourtant cruciale : celle de la capacité des usagers à identifier et à évaluer l’information, trouvée au hasard des recherches sur Internet.

Il est vrai qu’il s’agit d’un problème assez nouveau, difficile à appréhender, échappant aux règles habituelles de l’univers documentaire familier des bibliothécaires. De plus, ce domaine est sans titulaire attitré : à qui revient la charge de former les étudiants et les usagers à l’évaluation de l’information ? Aux enseignants ou aux bibliothécaires ? Ou aux deux à la fois ? La question n’est pas tranchée. Dans le chantier pédagogique en plein essor de la maîtrise de l’information, constitué d’une multiplicité de thématiques plus ou moins bien définies, celle de l’évaluation de l’information apparaît ainsi comme l’une des plus difficiles à délimiter, si on la compare par exemple à la formation aux outils de recherche ou aux bases de données. Nous tâcherons de montrer que cette complexité, inhérente à l’évaluation de l’information, peut être une chance pour un projet de formation.

Pourquoi et comment former ? Dans un premier temps, nous montrerons la nécessité, voire l’urgence d’une véritable formation des étudiants, mais aussi sa difficulté. Nous tâcherons ensuite, à partir de notre propre expérience de formateur 1, d’indiquer quelques pistes de réflexion et quelques propositions sur les objectifs et les contenus d’une telle formation.

Internet comme nouveau régime de vérité ?

Après le « je l’ai lu dans un livre », représentatif de la graphosphère 2, puis le « je l’ai vu à la télé », symbole de la vidéosphère, « je l’ai trouvé sur Internet » est devenu le « dicton d’autorité personnelle », selon la formule de Régis Debray, de la cyber-sphère. Malgré la méfiance qui entoure souvent la fiabilité des informations, Internet est en passe de devenir le nouveau régime de vérité, notamment pour les jeunes générations, qui y puisent une large part de leurs informations sur l’actualité et sur le monde. Cette prédominance de plus en plus affirmée d’Internet, comme principal support et source privilégiée d’information pour les jeunes, -atteste la profondeur de la question de l’évaluation de l’information. À partir du moment où n’importe quel type d’in-terrogation (qu’elle soit d’actualité ou d’ordre documentaire, pratique, professionnel, culturel ou autre) ne suscite désormais qu’un seul réflexe de recherche, « aller sur Internet » ou « googliser », on mesure l’ampleur du problème de l’évaluation : celui de l’autonomie de jugement des jeunes face à l’information, de leur capacité à s’orienter, à identifier, à qualifier les univers informationnels d’Internet, à éviter les pièges et les dangers des diverses « info-pollutions ».

Le renversement du modèle de validation de l’information, reportée sur l’usager final et non plus réservée aux médiateurs professionnels, est certes connu et ses dangers bien identifiés, mais nous sommes loin d’en avoir tiré toutes les conséquences, notamment dans l’éducation scolaire et la formation des étudiants. Car ne pas voir la nécessité d’une formation spécifique à l’information revient à laisser les jeunes « seuls face à Internet », en se fondant sur le postulat d’une égalité formelle et illusoire devant la connaissance et sur la croyance naïve dans leur autonomie spontanée de jugement. Donner seulement l’accès à Internet sans mettre en place un accompagnement systématique de formation reviendrait, d’une certaine manière, à mettre une voiture entre les mains d’un adolescent, sans lui avoir appris le code de la route ni les rudiments de la conduite.

Savoir identifier et qualifier une information ne s’improvise pas et il importe de reconnaître que la formation à l’évaluation n’est rien d’autre qu’une question éducative globale, celle du rapport à l’information et à la connaissance. À cet enjeu éducatif et sociétal majeur s’ajoute l’enjeu professionnel : les compétences informationnelles, surtout celles concernant l’évaluation de l’information, deviennent essentielles sur le marché de l’emploi de la révolution informationnelle. Car au-delà de l’indispensable maîtrise technique des outils informatiques, c’est peu de dire que les nouveaux « knowledge workers » du numérique et des réseaux doivent (et devront plus encore, à l’avenir) être surtout capables de chercher, d’identifier et d’évaluer l’information pertinente, dans différents contextes.

Une parade face aux « info-pollutions »

L’évaluation de l’information sur Internet est d’autant plus cruciale pour faire face aux dangers des diverses « info-pollutions ». Cette notion et ce terme ont été clairement définis et explicités par Éric Sutter (10) et désignent les risques et les nouveaux dégâts de l’information « sauvage » sur Internet. Rappelons les quatre principales info-pollutions, identifiées par Sutter, en essayant de pointer les parades relevant d’une bonne évaluation de l’information.

La première de ces pollutions est la plus connue : la surabondance, le déluge informationnel, le trop-plein de résultats. Si l’identification des informations utiles reste ici indispensable, il faut plutôt chercher la réponse à ce symptôme majeur d’Internet à la fois du côté des outils de recherche, seuls capables de traiter de grandes masses de données, et du côté d’une « diététique de l’information » à encourager chez les usagers, d’un travail sur les besoins d’information.

La deuxième, en revanche, concerne directement notre propos : il s’agit de la désinformation, délibérée ou non, et de la médiocrité de l’information, info-pollution que Sutter compare aux intoxications alimentaires. Sans s’étendre sur cet aspect d’Internet, terrain vague informationnel où l’on trouve de tout, soulignons seulement ce point essentiel : pour évaluer la qualité d’une information ou d’un document, aucun outil ni procédé technique ne pourront jamais remplacer le jugement humain. À l’heure des dispositifs de « eye-tracking  3 » et des illusions technicistes d’automatiser l’évaluation de l’information, il n’est pas inutile de rappeler certaines évidences, parfois oubliées des aficionados du numérique : l’information n’existe pas en soi, elle est toujours le produit d’une interaction, d’un regard humain sur un objet, qui est le document 4 ; et aucun moteur de recherche, aucun outil ne pourra valider une information, décider de sa pertinence ultime, ni juger de sa qualité. Face aux info-pollutions de la désinformation, de la médiocrité, du manque de fiabilité de l’information sur Internet, l’évaluation, humaine, de la qualité de l’information constitue la seule réponse possible.

De même, la capacité à identifier (plus qu’à évaluer) les informations trouvées est-elle également décisive, face aux deux autres info-pollutions : la manipulation par des informations dangereuses (sites négationnistes, racistes, fondamentalistes, de sectes, etc.) et l’invasion publicitaire (notamment pour la distinction, pas si évidente pour les usagers, entre les liens sponsorisés et les résultats dans un moteur de recherche) 5.

Complexité de l’évaluation de l’information en général et sur Internet en particulier

L’une des principales -difficultés de toute formation vient de la complexité même de la question de l’évaluation, complexité souvent niée par les usagers (et parfois les formateurs…), en quête de « recettes » et d’astuces techniques, ou bien masquée par des grilles d’évaluation quelque peu réductrices. Or, non seulement il est essentiel d’affronter cette complexité intellectuelle, mais, de plus, sa prise en compte constitue, selon nous, sinon le point de départ, du moins un élément-clé de toute véritable formation à l’évaluation.

On peut distinguer trois ensembles de difficultés, de nature différente, dont l’étroite imbrication donne à l’opération d’évaluation toute sa complexité.

Les objets de l’évaluation

Tout d’abord, les difficultés liées aux objets mêmes de toute évaluation d’information, avant comme depuis l’arrivée d’Internet. Évaluer un article, une information, un document… consiste à analyser et à juger au moins quatre sortes d’éléments distincts : la fiabilité de la source, la qualité du contenu, la cohérence de l’organisation, la pertinence de la présentation. Et chacun de ces éléments fait appel à différents domaines de connaissances, loin d’être partagés.

L’évaluation de la fiabilité de la source et de l’auteur nécessite une bonne connaissance des circuits de l’édition, des acteurs de l’information scientifique, des réseaux de la science, et plus largement des producteurs (quels qu’ils soient) d’information… Ce savoir, possédé par les professionnels de l’information, ne peut être transmis aux usagers par les seules vertus de la formation.

Pour juger de la qualité du -contenu même d’une information, la connaissance disciplinaire du domaine est bien sûr indispensable ; et l’on bute ici sur la limite absolue de toute évaluation, réservée in fine, seuls spécialistes du domaine.

Enfin, pour évaluer la cohérence de la structuration d’un document, la pertinence de l’organisation d’un texte, ou encore sa lisibilité, le rapport texte-images, etc., d’autres connaissances, à la fois disciplinaires et transversales, sont également nécessaires.

Les spécificités du numérique

Ces difficultés, propres à l’évaluation et sur lesquelles ont toujours buté les professionnels, sont redoublées par les spécificités du numérique et d’Internet, qui opèrent un quadruple brouillage :

  • une confusion des strates du document, permutant les différentes « couches » composant tout objet documentaire (schématiquement un support, un contenu, un code linguistique, une mise en forme, un signalement, etc.) : le fait qu’un même « support », le numérique, serve indifféremment à la réalisation de plusieurs de ces différentes couches du document, autrefois bien distinctes, induit une confusion généralisée, notamment entre le contenu, l’organisation et la mise en forme de celui-ci. Il est frappant d’observer, par exemple, chez de nombreux étudiants la difficulté à distinguer, sur un site web, entre la pertinence du contenu, la facilité de navigation et la qualité graphique. Dès lors, évaluer un document sur Internet s’apparente, dans un premier temps, à un travail de « décodage » des « écrits d’écran », faisant appel à des compétences encore plus nombreuses que dans le monde de l’imprimé, que Brigitte Juanals a longuement explicitées [(5), chap. 6] ;
  • un deuxième brouillage, bien connu, ajoute à la difficulté de l’évaluation : celui des métiers et des compétences. Autant la distinction classique auteur-éditeur-imprimeur est (relativement) simple dans le monde de l’imprimé, autant elle devient problématique dans l’univers numérique, où l’auteur est souvent son propre éditeur, où la distinction entre hébergeur et responsable de publication n’est pas aisée, où l’identification même d’un auteur relève parfois de l’investigation policière (11) ;
  • le « mélange des genres » : avec le numérique, tous les documents sont, non point « gris » comme les chats, mais assez ressemblants ; et l’une des difficultés tient à cette première étape de l’identification du type de document auquel est confronté l’internaute : article, extrait d’ouvrage, « post » de blog, site ou page web ? Il ne s’agit pas seulement d’un simple problème de repérage du type de document, en vue de son signalement par exemple : on sait que la qualification de l’information est conditionnée, renforcée par la matérialité du support qui, dans l’univers familier de l’imprimé, donne déjà des gages de validité au contenu (tout le monde reconnaît et respecte la « forme-dictionnaire », la « forme-thèse », etc.). Or la dématérialisation des supports, provoquée par le numérique, brouille non seulement les cartes de l’identification des genres, mais aussi la confiance du lecteur, à la base de tout pacte de lecture. Cette difficulté réelle, incontournable, induite par la numérisation, doit être prise en compte dans toute évaluation, mais peut constituer aussi une occasion de formation, non seulement sur la connaissance préalable des genres documentaires, mais en ouvrant à la réflexion sur le rôle des supports matériels dans les mécanismes de la lecture ;
  • enfin, la confusion des sources : inutile de développer ici cette caractéristique d’Internet et des moteurs de recherche, qui mettent sur le même pied un article scientifique, un rapport administratif, la page d’un lycéen et un site commercial. L’identification de la source d’un document doit représenter d’ailleurs le premier réflexe de toute évaluation, le premier objectif de toute formation.

Difficultés théoriques et méthodologiques

Pour être complet, il faut évoquer les difficultés, théoriques et méthodologiques, soulevées par l’évaluation de l’information. Par exemple sur la notion d’information, dont on sait la polysémie, le flou conceptuel et les confusions courantes sur les diverses acceptions (notamment la confusion entre l’information « data » des informaticiens et l’information « knowledge » des documentalistes) ; de quelle sorte d’information s’agit-il, lorsque l’on parle de son évaluation ? Plusieurs grilles d’évaluation, disponibles sur le web, mélangent également contenu et contenant, autrement dit information et document, ou encore contenu et organisation de celui-ci, ou bien s’enferment dans une vision quelque peu naïve et « objectiviste » de l’information, censée exister « en soi », indépendamment de tout questionnement. On ne peut former à l’évaluation de l’information en faisant l’économie d’une réflexion, ou d’une incitation à la réflexion, sur la notion même d’information.

Il est essentiel, à nos yeux, de faire comprendre aux étudiants que l’information « ne va pas de soi », que son évaluation encore moins et qu’il s’agit avant tout d’une démarche intellectuelle et personnelle de questionnement, et non de l’application mécanique de grilles toutes faites.

Enfin, les difficultés méthodologiques de l’évaluation en tant que telle ne peuvent être occultées : évaluer pour quels objectifs, selon quels critères, selon quelle grille, etc. Pour permettre aux étudiants de dépasser une évaluation « au jugé », que chacun pratique spontanément, il convient de (faire) questionner et de formaliser quelque peu les critères et les objets de l’évaluation. Un exercice assez simple s’avère ici très intéressant dans les formations : faire construire par les étudiants leur propre grille d’évaluation, en demandant d’abord de lister tous les critères, puis de les regrouper par catégories et enfin de les hiérarchiser selon les objectifs, préalablement définis. On voit apparaître immédiatement les nombreuses confusions évoquées plus haut, notamment entre le contenu et le contenant, ainsi que le flou conceptuel total dans lequel sont plongés la majorité des étudiants au sujet des notions d’information, de qualité et de pertinence.

Ainsi, si l’évaluation de l’information peut dévoiler une complexité redoutable, dès lors que l’on ne cherche pas à en faire une opération technique, cette complexité peut constituer en retour une grande richesse pour la formation, et les difficultés, inhérentes à l’évaluation, être autant d’occasions fécondes d’apprentissages.

La question des contenus : pour une formation globale

Identification des sources, capacité de discernement, vigilance face aux dangers de la manipulation, analyse critique des documents, construction du jugement, appropriation d’informations fiables, décodage des documents numériques… : tous ces objectifs, s’ils montrent l’importance des enjeux de l’évaluation de l’information sur Internet, semblent en même temps décourager par avance tout projet de formation spécifique, tant ils se confondent avec les finalités mêmes de l’enseignement. Car s’il faut à tout prix former les élèves du secondaire et les étudiants, cela ne relève-t-il pas, en définitive, de l’enseignement lui-même, de l’acquisition d’une culture générale et disciplinaire ? Autrement dit, jusqu’à quel point peut-il exister une formation spécifique, prise en charge par les bibliothécaires et les documentalistes ? La question n’est pas de pure forme et procède de la nature même de l’évaluation qui mobilise à la fois des savoirs disciplinaires (pour la validité scientifique des documents) et documentaires (pour l’évaluation de la fiabilité de la source ou de la qualité formelle des documents).

La question posée ici est celle du degré d’autonomie de l’évaluation et, par conséquent, de la formation par rapport aux disciplines. Question qui ne brille guère par sa nouveauté, dans le champ de l’Information Literacy et qui n’est qu’une nouvelle manière d’illustrer le paradoxe fondateur de la pédagogie documentaire, tiraillée entre, d’une part l’autonomie théorique des savoirs informationnels, justifiant un enseignement spécifique, et d’autre part les finalités de la recherche (et encore plus de l’évaluation) d’information, qui lui sont extérieures (9). D’où la nécessité, plus que pour tout autre domaine de la formation documentaire, de concevoir cette formation dans le cadre d’une approche transversale, entremêlant les savoirs disciplinaires (et donc les enseignants) et les savoirs documentaires (et donc les bibliothécaires). Mais si le partenariat enseignants-bibliothécaires est indispensable, nous pensons néanmoins qu’il est possible, et nécessaire, de construire une approche spécifique de l’évaluation dans la formation des usagers. Partenariat ne signifie pas vassalité ni dissolution des contenus documentaires. Pour être à la hauteur des enjeux et utiliser toute la fécondité heuristique de la thématique, une formation spécifique à l’évaluation de l’information doit être, selon nous, globale, c’est-à-dire à la fois générale et théorique, méthodologique et technique.

Il s’agit d’abord de former à la vigilance, à l’esprit critique, et cette dimension générale, citoyenne, de la formation n’est l’apanage de personne et peut facilement trouver sa place dans divers contextes pédagogiques. La sensibilisation aux dangers de la manipulation de l’information, l’étude des diverses info-pollutions, mais aussi l’explication des caractéristiques intrinsèques d’Internet, l’analyse des difficultés de l’évaluation de l’information peuvent constituer autant d’éléments de formation, à adapter selon les niveaux. Dans un cours magistral classique, la description des enjeux de l’évaluation et des risques de l’info-pollution sont des points intéressants d’introduction pour susciter le débat et montrer que ces questions sont loin de se limiter à de simples apprentissages méthodologiques.

Une formation théorique à un certain nombre de concepts et de problématiques est également indispensable, comme dans la formation aux outils de recherche et plus généralement dans toute formation à l’information. Il est frappant de constater que, dans une conception assez répandue de la maîtrise de l’information, il s’agit avant tout de former à des compétences méthodologiques, des savoir-faire documentaires, quand ce n’est pas à de simples procédures techniques. Beaucoup de grilles d’évaluation, de didacticiels valorisent ainsi à l’excès les compétences techniques (comme le décodage des URL), le décodage des informations explicites (comme l’orientation dans une page web, le repérage des liens, etc.), induisant une vision techniciste de l’évaluation, réduite à un ensemble de savoir-faire.

Et il est regrettable que les outils de formation entretiennent cette nouvelle « illusion du visible », particulièrement répandue sur Internet, où l’arrière-plan, l’implicite, mais aussi tout le « back-office » de la fabrication de l’information disparaissent derrière l’écran scintillant des interfaces. Certaines grilles d’évaluation suggèrent ainsi que la longueur des URL serait un signe de sérieux et de qualité de l’information, car elle indiquerait que les auteurs ont bien classé leurs documents sur le serveur… De même que les noms de domaine, considérés parfois comme des indicateurs de « qualité »… !

Dans cette vision dominante, la formation théorique ou réflexive sur les notions et les questions de l’information est généralement ignorée ou reléguée faute de temps (et de formation des formateurs). Pourtant, comme l’a fort bien montré Jean-Louis Charbonnier, l’apprentissage, y compris documentaire, passe toujours par l’abstraction, par la conceptualisation (1). Plus encore dans ce domaine où les savoirs nécessaires ne sont pas d’abord d’ordre « technique ». Nous avons vu précédemment qu’il existait plusieurs notions, concepts, termes… qui posaient problème et demandaient une explicitation, des développements théoriques. Aussi, dans nos différentes formations de formateurs et d’usagers, ainsi que dans le MéthoDoc, support de formation destiné aux étudiants de première année du cursus Licence 7, nous proposons une sorte de premier corpus didactique, composé d’une dizaine de notions ou de thématiques, qui nous paraissent indispensables à aborder (sans prétention d’exhaustivité aucune) : info-pollution, fiabilité de l’information, décodage du document numérique, source d’information, validation de l’information, qualité de l’information, pertinence, organisation de l’information, identification des ressources, critères d’évaluation de l’information. Cette liste n’est que le début d’une didactique qui reste à débattre et à construire.

Quelle méthodologie pour évaluer l’information ?

Si elle comporte une dimension théorique forte et importante, la formation à l’évaluation de l’information reste, à l’évidence, d’ordre méthodologique et il s’agit ici de former à des démarches, à des réflexes intellectuels, à des compétences informationnelles transversales, à des questionnements critiques, pour lesquels diverses grilles d’évaluation peuvent être utiles.

On ne part pas de rien en la matière et de nombreuses grilles d’évaluation existent depuis longtemps 8, réalisées par des acteurs divers (citons par exemple Sapristi de l’Insa – Institut national des sciences appliquées 9, les bibliothèques québécoises, la Régie régionale de santé de Montréal 10, la Commission Français et informatique de la Fesec – Fédération de l’enseignement secondaire catholique 11, etc.) ; de précieux didacticiels (comme le Détective de l’Internet) 12 viennent aider les formateurs et les usagers, et des modèles très complets d’évaluation existent dans certains secteurs, comme le NetScoring pour l’information médicale 13. Sans parler de l’abondante littérature, notamment américaine, sur le sujet.

Enfin, il convient de rester sceptique, à la fois sur l’universalité des grilles d’évaluation, qui doivent être avant tout adaptées à un domaine particulier (l’information médicale, culturelle, pédagogique, etc.) et sur leur exhaustivité : l’évaluation de l’information reste surtout un questionnement personnel, incertain et permanent.

Une occasion de renforcer les fondements de la « culture informationnelle »

Toutes ces dimensions, théoriques et méthodologiques, font peut-être de l’évaluation de l’information à la fois la quintessence de cette nouvelle « culture informationnelle », que nous appelons tous de nos vœux, et le point nodal d’une formation des usagers aux différents aspects de l’information. Car l’étude des composants de la thématique nous montre toute la fécondité heuristique de l’évaluation de l’information : derrière la simple question, quotidiennement posée sur les pages de résultats de Google, « à quelle information ai-je affaire, comment trouver l’information pertinente dans ce fatras », apparaît toute la complexité documentaire des nouveaux environnements informationnels.

Et poser la question de l’évaluation de l’information permet de remonter aux « fondamentaux » de la culture informationnelle : qu’est-ce qu’un support, qu’est-ce qu’un document, qu’est-ce que l’information… ?

Septembre 2005

  1. (retour)↑  Voir notamment le support en ligne du stage sur l’évaluation de l’information (), organisé à l’Urfist de Rennes.
  2. (retour)↑  La graphosphère est la médiasphère, i.e. un « milieu de transmission et de transport des messages et des hommes », dominée par l’imprimé, le livre, l’écrit ; la vidéosphère représente la domination de l’audiovisuel et la cybersphère, notion introduite par Louise Merzeau (), caractérise la nouvelle médiasphère en émergence autour d’Internet et du numérique. Rappelons que les médiasphères (notion issue de la médiologie de Régis Debray) peuvent coexister et s’imbriquer.
  3. (retour)↑  Le eye-tracking ou oculomètre permet de suivre les mouvements oculaires des internautes lisant une page web. Un ingénieur déclarait à propos de cette innovation : « Grâce à cette expertise, nous pouvons juger objectivement la pertinence de l’organisation des pages et de l’information, valider ou non l’approche graphique retenue, vérifier que chaque zone de chaque page remplit l’objectif qui lui est fixé… » (d’après l’article de Pierre Barthélémy, « L’analyse des mouvements oculaires de l’internaute pourrait être utilisée pour jauger les sites web », Le Monde, 16 mars 2002, p. 29).
  4. (retour)↑  Sur ces questions essentielles, voir Jeanneret [(), p. 79-81].
  5. (retour)↑  « À partir de plusieurs études basées sur 1 500 utilisateurs adultes il ressort que 60 % des personnes ignorent l’existence de ces liens sponsorisés » ().
  6. (retour)↑  Ce Guide de méthodologie documentaire a été réalisé par le SCD de Rennes II et l’Urfist de Rennes, dans le cadre des enseignements obligatoires de méthodologie documentaire. Voir () la partie consacrée à l’évaluation de l’information.
  7. (retour)↑  Voir dans le support Urfist () la partie « Sélection de ressources francophones sur l’évaluation de l’information ».
  8. (retour)↑  http://docinsa.insa-lyon.fr/sapristi/appliquer-4.php
  9. (retour)↑  http://www.santemontreal.qc.ca/fr/documentation/integrale/grille.html
  10. (retour)↑  http://users.skynet.be/ameurant/francinfo/validite/
  11. (retour)↑  http://www.desire.org/detective/detective-fr.html
  12. (retour)↑  http://www.chu-rouen.fr/netscoring/