La culture de l'information, du livre au numérique

par Jean-Philippe Accart

Brigitte Juanals

Paris : Hermès science publications ; Lavoisier, 2003. – 243 p. ; 23 cm. ISBN 2-7462-0691-9 : 50 €

Brigitte Juanals, maître de conférences et chercheur en sciences de l’information à l’université de Lille III, développe dans cet ouvrage la notion de culture de l’information et ceci pour notre plus grand intérêt. En effet, à l’heure où les réseaux de l’information s’accroissent, où des outils de recherche sont mis en place de manière plus ou moins efficace, peut-on dire pour autant que l’on maîtrise l’information ? Ce point, la maîtrise de l’information, est essentiel à appréhender, car il concerne les utilisateurs de l’information que nous sommes et que sont nos usagers. Les bibliothécaires et documentalistes outre-Atlantique se sont intéressés à cette question (traduite le plus souvent par information literacy) depuis de nombreuses années et la littérature nord-américaine et anglo-saxonne est florissante : l’auteur nous en livre dans son premier chapitre « Vers la culture de l’information » un état de l’art documenté s’appuyant sur diverses théories, telles celles de Shannon ou Behrens pour ne citer que les plus connues. La situation française est exposée, avec une insistance particulière sur la formation et la formation à distance. En résumant, et pour donner une définition simple de la culture de l’information, elle recouvre à la fois les outils et les supports d’information, mais également ce qui est mis en œuvre pour comprendre et maîtriser l’information, telle la recherche documentaire.

L’accès à l’information

Afin d’éclairer ce que représente la culture de l’information, l’auteur étudie plus particulièrement les encyclopédies et les moteurs de recherche en ligne, vus comme « une illustration des trois étapes de tout dispositif d’accès à l’information : rassembler des données, les organiser et les classer, définir des modes d’accès ». Quelques questions essentielles sont alors posées et qui se posent généralement à tout professionnel de l’information : comment faire en sorte que le mode de classement choisi permette l’accès le plus aisé possible à l’information ? Comment rendre utilisables des connaissances que l’utilisateur ne maîtrise pas forcément ? L’auteur fait appel aux écrits de philosophes qui ont réfléchi à la mise en catégories des connaissances humaines, notamment Aristote et Kant, ou encore Bacon, Hegel et Comte. À partir de la deuxième moitié du XIXe siècle et jusqu’à nos jours, plusieurs phénomènes concourent à changer le visage de l’information : l’expansion des disciplines scientifiques avec le recours à des méthodes de classement que nous utilisons toujours telle la classification Dewey ; le développement des fichiers bibliographiques, des microfiches et microfilms ; l’arrivée en force de l’informatique, puis d’Internet. La conservation, l’organisation, l’accès à l’information et aux connaissances se modifient profondément. L’auteur note qu’à l’instar de ce que nous connaissons sur les réseaux actuels, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert introduisait déjà l’association et la transversalité entre des termes ou des concepts.

Du lecteur spectateur au lecteur acteur

La notion de virtualité est concomitante aux réseaux, elle induit des relations sociales particulières. De lecteur spectateur, l’usager des réseaux devient acteur grâce à l’hypertexte et à l’interactivité. L’information est ainsi mise en scène : la page d’un livre est codifiée et correspond à une histoire culturelle, elle se voit modifiée par l’arrivée des nouveaux supports d’information, l’hypermédia. L’écriture est alors rendue plus malléable mais aussi plus instable, de même que la lecture sur écran difficilement prédictible et qui nécessite des méthodes et outils particuliers. L’espace hypermédia modifie de manière sensible la notion d’espace graphique de la page d’un livre.

B. Juanals voit dans la communication en réseau une « techno-utopie » : disparités géographiques ou économiques, inégalités sociales, inaccessibilité d’une partie du réseau (le web invisible) rendent l’accès à l’information difficile. Elle relève également une confusion entre la compréhension et la définition de certains termes tels « données », « information », « connaissances ». Les discours utopiques sur le réseau mondial d’information se multiplient, mais masquent une réalité moins positive. Pour l’auteur, il est important de prendre ses distances par rapport à cette « techno-utopie ».

L’Encyclopædia Universalis est donnée comme exemple d’une pratique éditoriale entre le livre et le numérique. Une étude précise de cette encyclopédie est fournie depuis ses débuts, en passant par les aspects techniques de sa conception jusqu’à sa diffusion sur support électronique, et son lectorat. Le mode électronique modifie profondément l’usage de cet outil, surtout par rapport à la recherche : cette dernière nécessite de la part de l’usager une connaissance du support informatique alliée à un savoir documentaire et à une pratique de l’Internet.

La navigation comme forme technologique de lecture

L’espace virtuel actuel, tout en individualisant fortement l’homme, le met également en relation avec une « tribu ». Il existe une oscillation constante entre l’international et le local dans un contexte de relations marchandes qui tendent à se globaliser. L’auteur analyse également le comportement du lecteur dans son rapport au livre et à la consultation d’information : la navigation est vue comme « forme technologique de lecture », avec une autonomisation croissante du lecteur. La recherche d’information sur les réseaux reste incomplète et le recours à une méthode est important, sinon essentielle. L’accent est mis également sur le développement des communautés en ligne et des pratiques de filtrage.

À la lecture de ce qui précède, peut-on parler de démocratisation du savoir ou de creusement des inégalités ? C’est l’objet du dernier chapitre de cet ouvrage et la question mérite d’être posée. Éducation, connaissance des médias, apprentissage des technologies, maîtrise de la communication sont autant de préalables indispensables à la culture de l’information.

Le compte rendu qui précède n’est qu’un reflet de ce que présente cet ouvrage que l’on peut qualifier d’ouvrage de recherche. La matière et le propos sont riches, avec des mises en parallèle, des discussions et des comparaisons, complétées par de nombreux rappels historiques, des citations d’auteurs et une bibliographie. Il intéresse au premier chef notre profession, car l’on retrouve des terrains connus (notamment les méthodes documentaires telle la recherche d’information) et car il fait le lien entre la recherche et la pratique en sciences de l’information.