Editorial

Anne-Marie Bertrand

La proximité est la dernière posture politique qui vaille. Les réformes, la décentralisation, les programmes électoraux semblent n’avoir désormais qu’une seule justification : être proche, se rapprocher des citoyens-électeurs-contribuables. Comme on l’a vu par exemple lors des Entretiens territoriaux de Strasbourg 1, la proximité vue par cette lorgnette a tendance à se focaliser sur le ramassage des ordures et l’entretien de la voirie – caricature fonctionnaliste de la vie politique. Quant à rapprocher la décision du citoyen, on voit que trop souvent cette entreprise louable aboutit à donner encore plus de pouvoir et d’influence aux « notables locaux » (la disparition de ce terme dans le vocabulaire politique n’induit pas, on s’en doute, la disparition du phénomène).

Dans ce contexte ambigu, les bibliothèques restent et demeurent des équipements de proximité. Qu’est-ce à dire ? Proximité spatiale, sociale, culturelle, intellectuelle : de quoi parle-t-on ? Roland Barthes voulait constituer, chez lui, une « bibliothèque exemplaire d’usuels. Que le savoir soit en cercle autour de moi ». Mailler le territoire de bibliothèques, qu’elles soient accessibles et familières comme des boulangeries : « Je voudrais que chaque habitant aille chercher son livre comme il irait chercher une baguette de pain », disait le maire de Corbeil-Essonnes. Être disponible, accueillant : « Une simple fréquentation matérielle des livres ne suffit pas à susciter le goût de lire, a fortiori quand on est peu autorisé à s’aventurer dans la culture lettrée du fait de son origine sociale : la dimension de la rencontre, de l’attention discrète, des paroles “vraies” s’avère ici essentielle . » 2

Cette proximité, physique ou symbolique, est-elle aujourd’hui rendue obsolète ou superfétatoire par la présence instantanée et simultanée de cette bibliothèque universelle que serait Internet ? Entre extase et effroi, entre rupture et continuité, il y a encore une place pour la bibliothèque « localement universelle » (André-Pierre Syren), pour la rencontre, l’attention, la médiation, pour la proximité, ce « rapport dynamique sans cesse en mouvement : se rendre proche, se sentir proche » et pour les proches, « ces gens qui comptent pour nous et pour qui nous comptons » (Paul Ricœur).