Formation à la maîtrise de l’information à l’heure de l’harmonisation européenne

Problématiques et perspectives

Christine Girard

Les troisièmes rencontres Formist se sont tenues le 12 juin dernier à l’Enssib, réunissant une centaine de professionnels malgré les grèves et la chaleur torride. Au programme de la journée, l’ouverture européenne avec la participation d’intervenants étrangers pour aborder, en matinée, les formations à l’information dans les différents pays d’Europe et au Québec et, l’après midi, la question de l’évaluation .

En accueillant les participants, François Dupuigrenet Desroussilles, directeur de l’Enssib, se félicite de cette ouverture à la dimension internationale, dont Formist est l’un des acteurs majeurs au sein de l’Enssib. Frédéric Saby, président du comité éditorial et scientifique de Formist, souligne à son tour l’intérêt de cette perspective internationale et l’importance que revêt à ses yeux le contexte de la réforme LMD (Licence/master/doctorat, intitulée Accords de Bologne dans d’autres pays) dans les universités. C’est, dit-il, une opportunité exceptionnelle d’intégrer les formations documentaires dans les cursus universitaires, d’en discuter avec les enseignants, de rendre enfin effective la collaboration enseignants/bibliothécaires que nous appelons de nos vœux. Sylvie Chevillotte (Formist) précise ensuite le programme de la matinée, centré sur la formation des usagers en Europe.

La formation des usagers en Europe

Président de l’European University Association (EUA), association créée en 2001, Éric Froment rappelle les principales étapes de l’inscription de l’université dans l’espace européen, les avancées d’Erasmus et la mise en place progressive depuis 1998 de l’harmonisation des systèmes. L’Europe, souligne-t-il, n’est pas un des espaces naturels et historiques de l’Université, qui évolue plus traditionnellement dans les environnements locaux, nationaux et internationaux. Si la prise de conscience de l’enjeu européen est aujourd’hui acquise, il demeure nécessaire pour l’Université d’affirmer davantage sa présence et d’être un partenaire réellement actif.

Cette volonté d’aller de l’avant est reprise et illustrée par l’intervenante suivante, Carla Basili, enseignant-chercheur au Consiglio Nazionale delle Ricerche, qui présente le travail collectif mené par l’ENIL (European Network on Information Literacy) sur le point d’être publié. L’ENIL 1 est né du constat du peu de place accordé en Europe à la question de la culture informationnelle, qui est pourtant un besoin vital de la société d’aujourd’hui, tant pour la vie citoyenne que pour l’éducation. Réunissant vingt-deux experts de différents pays européens sous l’égide du Consiglio Nazionale delle Ricerche en Italie, l’ENIL a enquêté auprès des principaux acteurs de la formation à l’information – repérés essentiellement via Internet – sur la situation en Europe. Si le bilan confirme la quasi-absence de politique nationale en la matière, à l’exception peut-être de la Grande-Bretagne et de la France, la création et le fonctionnement de l’ENIL constituent un bon exemple de ce qui peut être mis en œuvre.

Suivent deux communications proposant un bilan des formations des usagers dans les universités. Bernard Pochet, de l’université de Gembloux, constate une avancée positive des formations documentaires en Belgique, bien que les situations demeurent contrastées selon les régions (le Nord et le Sud du pays) et les types d’établissements. Dans les grandes universités, les formations documentaires se généralisent, alors que la situation générale des bibliothèques et donc du secteur documentaire se dégrade dans les hautes écoles, faute de moyens. Et il souligne à ce propos qu’aucune directive centrale n’impose ou ne recommande la mise en place d’enseignements documentaires dans les cursus à l’exception de celui des futurs enseignants.

Marinette Giraldi et Isabelle Maurer décrivent les divers types de formation expérimentés au cours des dix dernières années à l’université de Genève, depuis la visite de la bibliothèque jusqu’aux premiers essais d’auto-formation, en passant par les cours de méthodologie, et concluent sur un bilan mitigé : ne pas se décourager même si les résultats ne sont pas toujours à hauteur des espérances et des efforts fournis.

De cette matinée et des remarques des participants, on retient avant tout l’enjeu que représente le contexte européen, la nécessité pour tous les professionnels et les universités d’être des acteurs déterminés du développement de ces formations et d’une formalisation dans les cursus qui leur assure reconnaissance et pérennité.

L’évaluation

Mettre en place des formations à la maîtrise de l’information, défendre leur intégration dans les cursus universitaires implique de s’interroger sur leur évaluation, d’examiner les outils dont nous disposons, les enquêtes déjà menées en la matière et les résultats obtenus. Introduisant le thème central de l’après-midi, Alexandre Serres, de l’Unité régionale de formation à l’information scientifique et technique (Urfist) de Rennes, insiste sur l’omniprésence obligée de l’évaluation dans toute démarche et tout dispositif de formation, rappelant la distinction nécessaire entre évaluation formative et évaluation sommative.

Les interventions qui suivent présentent une enquête, une réalisation en cours et enfin une réflexion critique sur la validité de ce type d’enquête. L’enquête, menée par Diane Mittermeyer, professeur à l’université McGill à Montréal, avait pour objet de mesurer les connaissances documentaires des étudiants avant leur entrée en premier cycle. Avec 5 000 questionnaires envoyés, 3 000 retournés et analysés, 15 bibliothèques associées au projet, il s’agit d’une réalisation remarquable, tant par son ampleur que par ses modalités de mise en œuvre et sa méthodologie. Si les conclusions n’ont pas surpris mais plutôt confirmé la faiblesse des étudiants en recherche documentaire, l’enquête a permis une prise de conscience et a amené l’université à inscrire officiellement la maîtrise de l’information dans ses objectifs 2.

L’autre projet, émanant des universités de Grenoble II et III, présenté par Frédérique Simonot, vise à constituer un référentiel de compétences documentaires pour les étudiants de premier cycle. Diffusé sous la forme d’une ressource hypertexte, ce référentiel se veut à la fois une aide pour tous les formateurs et un outil d’évaluation. Engagé dans un cadre interuniversitaire, le projet se développe maintenant avec notamment la collaboration de l’Urfist de Lyon et de Formist, dans le souci d’une plus large mutualisation.

Pour clôturer le thème de l’après-midi, l’intervention de Paul Thirion invite à une réflexion critique sur les limites de ces démarches d’enquête et d’évaluation. Prenant l’exemple des travaux d’Alain Coulon, son analyse pointe quelques dérives méthodologiques et conclut à la nécessité de travailler sur des groupes d’effectifs suffisants et avec des méthodologies affinées, afin de garantir des résultats d’une plus grande fiabilité.

Revenant sur la question des référentiels, plusieurs participants, dont l’Urfist de Toulouse et celui de Rennes, font part de travaux similaires et s’interrogent sur les modalités d’une meilleure coopération au niveau national. Jean-Émile Tosello-Bancal, du Bureau de la formation à la sous-direction des bibliothèques et de la documentation, répond que ces divers travaux pourront, le moment venu, s’articuler, se compléter et trouver leur place sur un site comme celui de Formist.

En synthèse finale, Frédéric Saby insiste à nouveau sur l’enjeu que représente le contexte de la réforme LMD pour obtenir la reconnaissance des formations documentaires, sur l’appui majeur que constituent les réseaux nationaux et internationaux, et sur le caractère indispensable de l’évaluation.

Cette journée a été prolongée le lendemain par des ateliers rassemblant les différents intervenants et participants étrangers, les membres des Urfist ainsi que ceux du comité éditorial et scientifique de Formist. L’objectif de ces ateliers était de travailler ensemble sur les référentiels de compétences pour la formation documentaire. Un projet a été lancé, qui commence par une première étape, le recensement de référentiels de compétences francophones existants. Ceci permettra un état des lieux, suivi d’une analyse comparative, pour déboucher sur l’élaboration d’un socle commun 3.

  1. (retour)↑  http://www.ceris.to.cnr.it/Basili/EnIL/index.html [consulté le 15 sept. 2003].La monographie consacrée à la maîtrise de l’information en Europe a été publiée fin juin : Information Literacy in Europe: a first insight into the state of the art of Information Literacy in the European Union, éd. Carla Basili, Consiglio Nazionale delle Ricerche, 2003, 300 p.
  2. (retour)↑  L’enquête est publiée sur le site de la CREPUQ (Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec), en format PDF : http://www.crepuq.qc.ca/documents/bibl/formation/etude.pdf [consulté le 15 sept. 2003].
  3. (retour)↑  Une première synthèse des travaux de ces ateliers est disponible sur le site Formist, avec l’ensemble des communications des 3es Rencontres. Un appel a été lancé par Formist aux formateurs pour qu’ils adressent ou signalent des référentiels de compétences francophones, même inachevés, dans le but de les recenser et de les analyser (signalement par l’option « Proposition de documents » sur la page d’accueil de Formist).