Les évolutions professionnelles dans les bibliothèques et les référentiels de métiers

Médiadix

Annie Le Saux

Organisée par Médiadix, avec le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France, la journée d’étude du 12 mai dernier a été l’occasion de confronter les travaux réalisés et en cours sur « Les évolutions professionnelles dans les bibliothèques et les référentiels de métiers ». En tant que département du pôle Métiers du livre de l’université Paris X, qui forme aux diverses professions du livre (librairie, édition, bibliothèques), Médiadix était tout désigné pour mener un débat sur une question sur laquelle se sont penchés aussi bien les bibliothécaires que les documentalistes ou les libraires, avec, pour seule exception, les professionnels de l’édition.

Aide à la formation

Pourquoi ce besoin de créer un référentiel ? Pour des raisons pratiques, dira Dominique Lahary (bibliothèque départementale de prêt du Val-d’Oise), dans sa synthèse de la journée. Depuis plusieurs décennies, en effet, les professions ont évolué, et déterminer les facteurs d’évolution est un moyen de mieux adapter à ces nouveaux métiers en émergence une offre de formation tant initiale que continue. La formation était et est toujours au centre des objectifs poursuivis par les initiateurs de référentiels. Ce devait être, précise Anne Kupiec (IUT Métiers du livre, Paris X), retraçant l’historique du Premier recensement des métiers des bibliothèques 1 entrepris, il y a dix ans, à l’initiative de la Direction de l’information scientifique et technique et des bibliothèques (DISTB), « un outil destiné à améliorer l’offre de formation en général et à élaborer, dans les établissements, des cycles de formation locaux ». Il s’agit de « recentrer la formation sur le cœur du métier », énonce à son tour Alain Scrève, du Centre national de la fonction publique territoriale Champagne-Ardenne, parlant du nouveau référentiel du CNFPT, qui a élaboré deux cycles de formation concernant les bibliothèques, l’un s’adressant aux bibliothécaires, l’autre aux directeurs de bibliothèque. Enfin, chez les libraires, représentés par Olivier L’Hostis, directeur de l’INFL (Institut national de formation de la librairie), et vice-président de l’IUT Métiers du livre, Paris X, la formation a représenté une étape importante dans l’élaboration du référentiel.

Aide à l’emploi

La deuxième raison pratique de créer des référentiels, c’est qu’ils permettent à tout professionnel de se situer dans sa recherche d’un emploi, et à tout employeur de mieux cerner les aptitudes des candidats. Pour Alain Scrève, c’est un moyen pour les collectivités territoriales de mieux percevoir la réalité des besoins de certains métiers, des bibliothèques dans le cas présent, et d’anticiper leur politique de recrutement. Destiné de la même façon aux employeurs (qualification demandée pour les emplois qu’ils proposent, identification des compétences nécessaires…), le Référentiel des métiers-types des professionnels de l’information et de la documentation, recensant 19 métiers-types – la DISTB, en 1994, en avait recensé 31 dans le domaine des bibliothèques, et les libraires dénombrent, quant à eux, de 12 à 15, non pas métiers, mais emplois-types – et publié par l’ADBS, est un outil qui facilite aussi, pour les professionnels de l’information, la définition de leur emploi, l’évaluation de leurs compétences. Des compétences – cet ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir-être mobilisables dans les situations de travail – qui se répartissent en compétences spécifiques et en compétences générales – de loin les plus nombreuses.

Aide à la mobilité

Le référentiel est également une aide à la mobilité. Une mobilité qui ne s’arrête pas à la France. Afin de pouvoir se référer à un document établissant une conformité des compétences au niveau européen, l’ADBS, forte de son expérience, a piloté un groupe de travail formé des représentants d’associations professionnelles de neuf pays européens, qui a abouti à la rédaction d’un Euroréférentiel de l’information et de la documentation 2. Tout comme le devrait chaque référentiel, l’Euroréférentiel, pour garder toute sa pertinence, devra être régulièrement mis à jour – Sophie Ranjard (ADBS) a beaucoup insisté sur ce point, de même qu’Anne Kupiec, qui a déploré qu’aucune actualisation du premier (et seul) recensement des métiers des bibliothèques n’ait eu lieu, malgré les souhaits émis par le groupe de travail. Anne Kupiec a d’autant plus regretté les résultats profondément datés du travail entrepris par la DISTB, que se profile, aujourd’hui, dans la perspective d’une harmonisation européenne, une nouvelle loi sur l’enseignement supérieur, qui justifierait pleinement un référentiel des métiers des bibliothèques actualisé et étendu.

Certification

Dans une perspective de mobilité de part et d’autre des frontières européennes, un consortium, CERTIDoc, travaille actuellement sur un projet de certification unique au niveau européen, utilisant pour tous les pays membres les mêmes critères d’évaluation. L’ADBS, qui fait partie de ce consortium, a, quant à elle, déjà établi des modalités de certification utiles, cette fois encore, aussi bien au futur employé qu’à l’employeur, ne serait-ce que par l’emploi d’un même vocabulaire et par une définition commune ou du moins approchante des métiers.

C’est aussi une reconnaissance de qualification, que cherche à développer le référentiel des libraires, en ouvrant, espère vivement Olivier L’Hostis, le chemin à une possibilité de progression, dont le métier de libraire a grand besoin. Ce métier est, en effet, confronté à de fortes difficultés non seulement pour retenir son personnel, faute, justement, de pouvoir lui offrir un déroulement de carrière attractif, mais aussi pour attirer de jeunes libraires, peu séduits par cette profession, alors que, paradoxalement, beaucoup de librairies ferment.

Public, où es-tu ?

C’est par un certain nombre de questions percutantes et roboratives que Dominique Lahary a conclu ces journées, mettant souvent le doigt là où ça fait mal et dérangeant certaines certitudes. Ne nous a-t-il pas, entre autres, demandé de réfléchir sur la question de l’utilité des compétences professionnelles dans un poste de direction et donc du recrutement de non-professionnels à ces postes ? Il est vrai que l’érosion des compétences spécifiques et l’hypertrophie des compétences générales constatées à partir des référentiels des bibliothèques et de la documentation avaient déjà provoqué l’étonnement et l’inquiétude chez les professionnels, occasionnant, selon les termes de Dominique Lahary, « une blessure identitaire ».

S’interrogeant ensuite sur le cœur du métier, il a émis des doutes sur le fait que la collection puisse être ce qui réunit la profession, et a exprimé sa réponse par les questions suivantes : « À quand une véritable prise en compte des publics et des non-publics ? À quand la juste place du public dans la formation ? » Citant Michel Bouvy, « être bibliothécaire, c’est savoir se situer par rapport au public », Dominique Lahary ne put s’empêcher d’ajouter : « Si possible, ailleurs qu’au-dessus. »

  1. (retour)↑  Cf. BBF, no 6, 1995, p. 17-21.
  2. (retour)↑  Euroréférentiel I&D : référentiel des compétences des professionnels européens de l’information et de la documentation, Guides professionnels ADBS, 1999, 73 p.