Le droit du livre

par Yves Alix

Emmanuel Pierrat

Paris : Électre-Éditions du Cercle de la librairie, 2000. – 270 p. ; 24 cm. - ISBN 2-7654-0792-4 : 232 F/ 34 euro

Il n’est plus nécessaire, je crois, de présenter aux bibliothécaires l’avocat Emmanuel Pierrat. On se souvient sans doute du Sexe et la loi 1, ouvrage bien utile en ces temps où la censure semble pointer à nouveau son vilain nez, et des deux versions successives du Droit d’auteur dans l’édition 2 ; mais ce sont surtout ses chroniques juridiques dans Livres Hebdo qui ont fait de lui un familier de notre actualité professionnelle. Il vient d’ailleurs d’en réunir cinquante en un volume sous le titre Le droit de l’édition appliqué 3. L’ouvrage qui paraît aujourd’hui cherche à satisfaire, selon l’aveu même de l’auteur, une ambition « à la fois modeste et sans limites. » En effet, quittant le seul terrain de la propriété intellectuelle, dont il est un spécialiste reconnu, Emmanuel Pierrat se propose de faire ici le tour de toutes les contraintes juridiques liées au livre, non seulement sous l’angle de l’édition, mais aussi sous celui de sa communication. On passe ainsi du seul droit d’auteur à tout l’éventail des branches du droit ou presque, le propos consistant à aborder l’ensemble des aspects du cadre juridique des professions du livre (y compris les bibliothèques) dans leur fonctionnement et leurs interrelations.

Un point de vue double

L’ambition s’accroît encore du fait que le point de vue de l’auteur est double : en tant que juriste, son propos consiste à dire et expliciter le droit ; comme observateur des acteurs du livre, il doit aussi prendre en compte la nécessité de préserver le fragile équilibre qui caractérise aujourd’hui les industries culturelles. Au bout du compte, le lecteur peut espérer trouver dans la mise en œuvre de cette dialectique les clefs indispensables à une « pratique juridiquement sûre de [son] activité. »

Un tel projet était susceptible de produire un pavé indigeste et inutilisable. En praticien et en vulgarisateur, Emmanuel Pierrat propose tout le contraire : une synthèse pratique, apportant l’information indispensable à une première approche et orientant le lecteur sur les pistes qui lui permettront, le cas échéant, de compléter son information et d’approfondir la ou les questions qui le préoccupent. À ce titre, Le droit du livre est le type parfait du vademecum, tout le contraire en somme du compendium, savant certes mais que l’on ne saurait emporter avec soi.

Signe des temps sans doute, les bibliothèques, service public culturel, sont intégrées dans l’ensemble, comme un des acteurs des mouvements d’échanges économiques autour du livre, autant que comme un des lieux où la contrainte juridique s’exerce pleinement. À cet égard, le livre marquera certainement une date dans l’approche interprofessionnelle à laquelle tout bibliothécaire ne peut qu’être attaché ; notre chère formule de la « chaîne du livre », si juste en l’occurrence en ce qu’elle évoque à la fois le lien solidaire et la contrainte, trouve ici tout son sens. D’autant que, ainsi que le souligne fortement l’auteur, l’emprise croissante du droit dans les métiers du livre, la « judiciarisation » accrue des relations juridiques et contractuelles entraînent pour tous les acteurs, institutionnels comme privés, une croissance continue du risque juridique, que seule peut prévenir une connaissance exacte de ses droits comme de ses devoirs.

L’ouvrage, divisé en douze chapitres de longueur très inégale, aborde successivement les structures d’exercice des activités liées au livre, la fabrication, le droit des collaborateurs (conventions collectives, auteurs salariés, traducteurs, directeurs de collections), la propriété littéraire et artistique, le droit de l’information, les dépôts et mentions obligatoires, le droit de la distribution, de la diffusion et de la vente, la loi sur le prix unique du livre, la publicité, la fiscalité et enfin le droit du multimédia appliqué aux métiers du livre.

Quelques points particuliers

Ne pouvant tout commenter, nous nous arrêterons sur quelques points particuliers, en privilégiant ceux où l’apport personnel de l’auteur est le plus manifeste. La présentation des structures d’activité, s’agissant des bibliothèques, montre assez sur quelles bases légères vivent les établissements dépendant des collectivités territoriales : notre squelette n’est fait que d’os purement administratifs, si je puis ainsi m’exprimer… Mais dans ce chapitre, on lira surtout avec attention la précieuse synthèse que l’avocat du livre qu’est Emmanuel Pierrat fait de la question du droit de prêt ; le point juridique qu’il propose se conclut par le constat d’une nécessaire intervention législative : il semblerait qu’on y arrive enfin !

Le chapitre consacré à la propriété littéraire et artistique n’est qu’un bref rappel, l’auteur renvoyant à ses contributions précédentes, et en particulier à la synthèse brossée pour Le droit d’auteur et les bibliothèques 4. Cependant, un développement est consacré au droit des bases de données, et la différenciation entre copyright et droit d’auteur est explicitée avec précision.

Sur le droit de l’information, domaine où la judiciarisation évoquée plus haut semble la plus poussée aujourd’hui, l’approche est remarquablement complète et éclairante, en dépit de sa brièveté ; on appréciera en particulier les rappels utiles concernant le droit à l’image ou l’évolution jurisprudentielle en matière de délits de presse ou de censure.

S’agissant du prix unique du livre, Pierrat avance que ce système déjà ancien, en dépit de son bien-fondé, est de plus en plus inadapté aux nouvelles formes de commerce et pourrait se révéler à court terme contre-productif. À cet égard, on peut légitimement s’étonner que la décision de plafonner les remises aux collectivités, dans le cadre du dispositif proposé par le ministère de la Culture pour le droit de prêt, fasse l’économie d’une adaptation du Code des marchés publics : le hiatus entre la règle mise en place par le Code pour économiser l’argent public par le jeu de la concurrence et un système de prix unique, est patent.

Le droit du multimédia

Le chapitre final sur le droit du multimédia doit être signalé comme un des apports essentiels du livre, dans la mesure où il permet à l’auteur de clarifier un domaine où la perplexité des praticiens du livre ne cesse de s’accroître. Emmanuel Pierrat y reprend un refrain qu’il a déjà souvent entonné : en la matière, il n’y a pas, comme on est trop souvent tenté de le croire, de vide juridique ; ce serait plutôt le trop-plein ! On en aura la preuve en lisant ce qu’il écrit sur les directives européennes comme sur l’application des règles nationales en vigueur en matière de numérisation, d’infractions de presse sur Internet, de responsabilité des fournisseurs de services en ligne, ou encore sur la notion si souvent mal comprise de fair use. Fidèle à sa manière, Emmanuel Pierrat semble prendre un malin plaisir, sur toutes ces questions, à dissiper nos dernières illusions, et il le fait avec une alacrité de style qui certes nous réjouit, mais ne nous console guère.

L’annexe consacrée aux pouvoirs publics, aux aides et subventions, est un peu courte, mais reste utile. Les autres compléments sont par ailleurs exemplaires : liste d’adresses, bibliographie très complète et actualisée (dont on peut regretter cependant qu’elle n’ait pas fait l’objet d’un tri par domaine et d’un commentaire sur le niveau des références citées), et surtout un excellent index, très détaillé et permettant une recherche rapide et précise.

Sur l’exactitude des informations, nul ouvrage n’est irréprochable, quel que soit le soin pris par l’auteur à vérifier ses sources. Les bibliothécaires ne s’étonneront pas moins, toutefois, de voir soudain renaître (p. 236) le Centre national de coopération pour les bibliothèques publiques (CNCBP), dont la disparition n’est pourtant pas récente. À moins qu’il existe encore et qu’on nous l’ait caché ? Enfin, pour rester dans le domaine des imperfections (in)évitables, signalons un appel de note erroné page 34 : l’appel renvoie à une annexe inexistante, probablement abandonnée faute de place. Quant aux non moins (in)évitables coquilles, elles sont Dieu merci peu nombreuses, signe que le livre a été soigneusement relu, mais il en reste une au moins, de caractère littéraire, page 61, qu’il faut laisser dans les prochaines éditions, car elle est savoureuse. Je laisse aux nombreux lecteurs de cet indispensable Droit du livre le plaisir de la découvrir.

  1. (retour)↑  Emmanuel Pierrat, Le sexe et la loi, Paris, Arléa, 1996.
  2. (retour)↑  Emmanuel Pierrat, Le droit d’auteur dans l’édition, Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 1995 et 1998.
  3. (retour)↑  Emmanuel Pierrat, Le droit de l’édition appliqué : chroniques juridiques de Livres Hebdo, Paris, Cecofop/Éd. du Cercle de la librairie, 2000. Voir l’analyse de cet ouvrage dans ce même numéro, p. 119-120.
  4. (retour)↑  Le droit d’auteur et les bibliothèques, sous la direction d’Yves Alix, Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 2000, coll. « Bibliothèques » (Ndlr).