L'accueil en bibliothèque

Yves Sartiaux

Le 2 octobre 1997, à Chaville, le Groupe Ile-de-France (gif) de l’Association des bibliothécaires français (abf) proposait une journée d’étude consacrée à l’accueil en bibliothèque, une heureuse initiative qui faisait suite au cycle « Promouvoir sa bibliothèque », qui s’était déroulé durant l’année précédente.

Que signifie le verbe accueillir ? Pour quelles raisons l’accueil est-il si important ? Du côté des bibliothèques, y a-t-il des formations spécifiques, des techniques ? Faut-il un service d’accueil ? Comment y professionnaliser l’accueil ? Telles furent quelques-unes des questions posées au cours de cette journée fertile en récits d’expériences, par les intervenants et plus de cent participants attentifs.

Tout est accueil

C’est Bertrand Calenge 1, de l’Institut de formation des bibliothécaires (ifb), qui rappela les directives du ministère de la Fonction publique, publiées en 1994 : « L’accueil est la réponse donnée par un organisme public à une demande d’information, d’écoute, de service ou d’assistance d’un usager ». On voit donc là que la bibliothèque est tout entière orientée vers l’accueil. Fut ensuite dressé un état des lieux de notre société, plus dure avec certains de ses membres – décalages, absences de repères pour les plus démunis, désir d’humanité, de ne plus être considéré comme un numéro –, y compris dans une bibliothèque.

Tous les bibliothécaires sont-ils des assistants d’accueil ? Tous les agents d’accueil doivent-ils être des bibliothécaires ? Toutes les formes d’accueil se valent-elles ? Pour Bertrand Calenge, le bibliothécaire ne doit pas ignorer le cadre de son travail. L’accueil est un acte personnel – rien ne peut remplacer le sourire, l’attention, l’amabilité, l’écoute –, il est un processus actif – il faut se mettre à la place du lecteur et intervenir à la manière britannique : « May I help you ? », alors que l’on entend plus souvent le lecteur dire, s’adressant au bibliothécaire, un peu gêné : « Excusez-moi de vous déranger… ». L’accueil concerne tous les agents : l’ensemble des personnels et l’ensemble du fonctionnement de la bibliothèque doivent en être imprégnés – chacun dans son travail est en situation d’accueil.

Il faut mener une réflexion sur le(s) public(s) que l’on souhaite toucher, les accepter avec leurs priorités et adapter une technique d’accueil à chacun. Hors de ses murs, la bibliothèque peut conquérir des publics nouveaux. Preuve en est donnée par l’expérience tentée et réussie à Dunkerque, pendant l’été 1995. Quatre personnes recrutées sur un contrat emploi solidarité, après avoir reçu une formation, sont allées visiter des familles non utilisatrices de la bibliothèque dans un quartier de la ville. Ces « colporteurs du livre » ont expliqué le fonctionnement de l’établissement, facilité les formalités d’inscription, remis des cartes d’usagers et présenté des livres pour les enfants. Cette opération a montré que l’on peut offrir personnellement « son service », se déplacer, se faire connaître, et étendre le territoire de la bibliothèque.

Sous l’œil d’une « caméra-lecteur »

Une vidéo, réalisée en Angleterre dans un objectif de formation et projetée durant cette journée, proposa une succession de scènes s’inspirant du quotidien d’une bibliothèque. Deux d’entre elles en ont bien montré la tonalité générale.

« Les règlements sont pour les autres ». Un bibliothécaire se restaure à côté d’un écriteau sur lequel on peut lire : « svp, n’apportez pas de nourriture et de boissons à la bibliothèque ». Y a-t-il des règles imposées aux lecteurs que les bibliothécaires ne respectent pas ?

« Le règlement c’est le règlement ». À la demande : « J’ai désespérément besoin de ce livre ce soir, mais c’est un usuel », une bibliothécaire répond sans autre explication « qu’elle ne peut rien faire, qu’on ne prête pas ces livres ; c’est contre le règlement ». Certains ouvrages peuvent-ils être parfois sortis de la bibliothèque ? Et selon quelles modalités ?

À l’issue de ce visionnement, André Chauvet, consultant à Grand Format, a rassemblé commentaires et réactions des participants. Et nous posons la « question » : quelles sont les personnes les plus importantes dans la bibliothèque ?

Renée Lemaître, coauteur de Drôles de bibliothèques 2, n’a pas eu besoin de forcer le trait dans son exposé sur l’image des bibliothécaires dans les techniques d’accueil… Sous la plume d’un journaliste, Charles Manselet, on pouvait lire en 1859 « tout bibliothécaire est ennemi du lecteur ». Pure malice ? Sortir du stéréotype n’est pas si facile, les représentations du métier dans la littérature et le cinéma semblent se limiter aux clichés, ceux d’individus introvertis et peu enclins à communiquer. Cette image change certes, mais lentement tout de même. Il faut lire des romans pour la jeunesse pour trouver des rapports plus amicaux, plus humains, entre bibliothécaires et lecteurs.

Les mots-clés pour décrire les bibliothèques sont presque toujours les mêmes : souris, poussière, silence… (évocation du passé ?) ou échelles, piles, labyrinthes (accès et circulation difficiles dans ces lieux ?). Sommes-nous au siècle passé ou encore au début de celui-ci ? 3

Les Plans Communication Accueil

Les Plans Communication Accueil (pca) furent présentés par Jean-Claude Utard, du Bureau des bibliothèques de la Ville de Paris. Après avoir dessiné les contours du réseau, de ses déficiences et de ses disparités, il mit l’accent sur la nécessité d’harmoniser certaines pratiques (règles de prêt, par exemple) au sein des établissements, surtout depuis que l’informatisation permet au public de se déplacer d’un établissement à un autre.

Si la bibliothèque est effectivement un lieu où la ville invite à la lecture, il faut se doter de moyens susceptibles de satisfaire les usagers qui la fréquentent. Deux conditions sont donc essentielles : accueillir le public de manière active et répondre à sa demande.

La caractéristique des pca est de modifier structurellement les services, dans l’idée d’améliorer l’accueil, mais toujours par le biais d’un fonctionnement nouveau et d’un projet d’équipe.

Un bilan positif

Irène Itkine, de la bibliothèque « La fontaine », située au-dessus du Forum des Halles, à Paris, a fait part de son expérience. Les raisons qui l’ont conduite à demander un pca viennent d’une volonté d’améliorer l’accueil du public, du besoin de définir plus précisément le public auquel s’adresse la bibliothèque, de disposer d’un outil qui permette de tirer parti des changements apportés par l’informatisation de l’établissement, et, de ce fait, d’intégrer ce dernier plus étroitement dans le réseau des bibliothèques de la Ville de Paris. La nécessité d’harmoniser les pratiques et comportements vis-à-vis du public, au sein de l’équipe et en phase avec l’ensemble du réseau, tout en gardant une certaine souplesse, a également influé sur ce choix.

Les intentions sont louables. Elles se heurtent néanmoins à certaines difficultés : il est malaisé, insécurisant de se remettre en cause ; un regard extérieur (celui de l’intervenant de la société prestataire) est souvent vécu comme une sorte d’intrusion et, au départ, réticences et même résistances se sont fait sentir au sein de l’équipe. Mais les résultats positifs du questionnaire de satisfaction distribué au public ont constitué un encouragement et permis le démarrage réel du projet.

C’est ainsi que des groupes de travail ont été créés (signalisation pour la mise en valeur des fonds, « clarification administrative » dans le but d’élaborer un guide du lecteur, informatisation visant à simplifier le mode d’emploi de l’opac). L’état d’avancement des travaux est inégal : l’équipe est réduite, chacun fait donc partie de plusieurs groupes, et la bibliothèque continue à être ouverte au public, ce qui rend l’organisation des réunions moins aisée. « Un pca demande du temps », rappelle Irène Itkine. Cependant, le guide du lecteur est pratiquement terminé, la signalisation a été en grande partie refaite, et le travail du groupe informatisation a commencé.

Un bilan provisoire positif peut être fait d’autant plus que ce projet a aussi apporté des modifications positives sur le plan du fonctionnement interne, notamment par l’habitude prise d’un véritable travail en commun.

Des expériences successives

Anne Chatelier, de la bibliothèque Saint-Éloi située dans le 12e arrondissement de Paris, relata ses expériences successives dans le cadre de deux pca. Avec une équipe de douze personnes, Saint-Éloi est une bibliothèque moyenne du réseau parisien 4 :

– l’objectif du premier pca était le suivant : la bibliothèque ne devait pas se limiter à trois sections fonctionnant chacune dans l’ignorance des projets, des publics, des fonds et des richesses des autres, mais devenir un tout où le public soit accueilli agréablement et renseigné efficacement par chacun ou réorienté vers la bonne personne.

En 1993, sous l’égide de la consultante-formatrice spécialisée dans l’approche systémique, une méthode de travail fut choisie, qui consista à « conduire le personnel de la bibliothèque à traduire des objectifs communs en terme de résultats à atteindre, puis à trouver les modes d’action et de progrès cohérents pour atteindre les résultats ».

Des axes de réflexion furent dégagés – accueil du public, relations de la bibliothèque avec son environnement immédiat, organisation interne de l’équipe. Des groupes constitués, formés à la méthode de résolution de problèmes, se sont impliqués dans la réalisation de documents destinés directement au public (concernant les règles de prêt) ou dans l’élaboration de listes d’ouvrages les plus demandés (les albums préférés des enfants). De ce premier pca se sont dégagés une réflexion sur les pratiques professionnelles et l’amorce d’un travail en équipe.

– en 1996, un second pca a été proposé par le Bureau des bibliothèques selon une nouvelle méthodologie. Six bibliothèques étaient concernées et le thème commun retenu a été la gestion des conflits avec le public, les bandes, baptisée « gestion des publics difficiles ». Dans ce but, deux personnes de chaque équipe des six établissements ont appliqué la méthodologie sosra (situer-observer-sentir-réfléchir-agir), ce qui a permis de faire évoluer l’analyse des problèmes d’accueil des jeunes.

Parallèlement, des formations sur site – pour l’acquisition de bases théoriques – ont été dispensées par des bibliothécaires du réseau : travaux sur les usuels de musique, panorama des romans pour enfants de sept à douze ans, résumé de l’histoire du jazz, entre autres.

En conclusion, pour Anne Chatelier, si l’accueil est un révélateur cruel de nos manques, la définition de projets, la mise en œuvre d’une réflexion sur ce que l’on fait, l’amélioration des conditions de travail et l’enrichissement professionnel du quotidien semblent être des leviers susceptibles d’amener chacun à un meilleur contact avec le public, donc à un meilleur service public.

  1. (retour)↑  Bertrand Calenge, Accueillir, orienter, informer : l’organisation des services aux publics dans les bibliothèques, Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 1996 (Collection Bibliothèques). Cf. le compte rendu paru dans le bbf, 1997, 1, p. 84-85.
  2. (retour)↑  Anne-Marie Chaintreau, Renée Lemaître, Drôles de bibliothèques, 2e éd., Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 1993 (Collection Bibliothèques). Cf. le compte rendu paru dans le bbf, 1994, 5, p. 86-88.
  3. (retour)↑  Parmi les derniers ouvrages parus sur le sujet, on peut signaler La télévision, de Jean-Philippe Toussaint, Paris, Éd. de Minuit, 1997 et La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, de Philippe Delerm, Paris, Gallimard, 1997.
  4. (retour)↑  m2, 35 000 volumes en section adultes, 13 000 en jeunesse et 10 000 en discothèque. Le nombre des prêts par an s’élève à 190 000 avec un volant de 5 000 lecteurs actifs. L’établissement est informatisé et caractérisé par un fonds de méthodes d’apprentissage de langues.