Image et réalité des BU : d’un centre de ressources à un lieu de travail convivial

Les axes d’évolution des BU sont connus et identifiés depuis longtemps. D’une part, les étudiants, en premier cycle surtout, considèrent de plus en plus la BU comme un lieu de travail et utilisent assez peu les ressources électroniques proposées[1]. D’autre part, la possibilité de trouver sur le web des documents et des informations entraîne certains d’entre eux à se contenter de ce qu’ils peuvent trouver en ligne sans utiliser les fonds imprimés ou électroniques mis à leur disposition[2]. Deux enquêtes menées auprès des étudiants et des personnels des BU de  l’Université de Lorraine permettent de préciser cette mutation du rôle et de l’image des bibliothèques universitaires. La première a été menée en 2012 sous la forme d’un questionnaire remplis par 213 étudiants issus de différents campus et complétés par 15 entretiens semi-directifs. La seconde a pris la forme de l’envoi d’un questionnaire avec réponses anonymes à l’ensemble des personnels des BU de l’UL (soit environ 200 personnes) en 2013, 74 personnes y ont répondu (37 % des personnes interrogées).

Un lieu de travail agréable, proche mais pas totalement indispensable pour les étudiants

Comme cela a déjà été dit[3], les étudiants utilisent avant tout la BU comme un lieu de travail. Ceci étant dit qu’est-ce que cela signifie exactement ? D’abord que le critère géographique va être déterminant : les étudiants sont rarement multi-fréquentants pour les bibliothèques universitaires. Cela n’est pas lié qu’à la spécialisation des fonds (un étudiant en médecine trouve peu d’intérêt aux fonds de la BU de droit) mais tient surtout à des considérations de proximité géographique. Les étudiants vont dans « leur » BU, celle qui est située sur leur campus ou leur école. Les cas de multi-fréquentation qui ont été observés tiennent à d’autres proximités : par exemple des étudiants habitant près de la BU de Médecine viennent y travailler ou y emprunter des fonds récréatifs. La BU de Droit, située au centre-ville de Nancy, est fréquentée par les étudiants qui  résident dans ce quartier. C’est ainsi que le personnel doit gérer, en période d’examen, des conflits naissants entre étudiants en L1 Santé (très nombreux et « squattant » les places pour réviser, surtout donc, en centre-ville) et des étudiants de droit (qui considèrent que les premiers n’ont pas à occuper ainsi leur BU). Les étudiants travaillent donc dans les BU situées sur leur lieu de travail et/ou de vie, mais pourquoi vont-ils travailler à la BU ? La raison principale est qu’ils n’ont pas beaucoup d’autres possibilités sur leur campus. Ceux qui travaillent habituellement chez eux sont ceux qui viennent le moins en BU.  En revanche, ceux qui souhaitent travailler dans un lieu plus « universitaire » ne disposent guère d’autres choix. Les salles de cours sont fermées ou occupées, les cafétérias sont pleines et bruyantes, seule demeure la BU. De ce fait découlent deux conséquences. La première est que les étudiants demandent une BU conviviale, ils se plaignent quand elle est mal chauffée, quand l’éclairage est trop cru. Ils aiment y trouver un endroit de détente où ils peuvent boire un café, s’asseoir sur un canapé en lisant une BD.. En bref, ils veulent pouvoir travailler et prendre de petites pauses. Le lieu souhaité doit donc être convivial mais cette convivialité même doit respecter certaines limites. La BU n’est pas ressentie comme un lieu culturel. La présence d’animations n’est pas particulièrement souhaitée, voire même peut ne pas plaire car celles-ci peuvent troubler la quiétude recherchée et inciter à la distraction. La BU troisième lieu ? Pas forcément, les étudiants entendent se socialiser ailleurs que sur leur lieu d’étude. « Ça reste une bibliothèque, quoi, donc pour se sociabiliser c’est pas le meilleur endroit, enfin.. .c’est vraiment un espace de travail, mais oui, on s’y sent bien » nous a dit une étudiante de L1 culture et communication.

Donc les BU sont, pour eux, des lieux de travail, de refuge, sur leur campus. Ainsi, si les bibliothèques doivent rester fortement liées à leurs études, elles peuvent, doivent, le faire en ajoutant un facteur de confort, de soutien, qui n’est pas forcément attendu ailleurs. On souhaite ainsi des BU la fourniture de services qui ne sont pas disponibles ailleurs : des salles de silence absolu, des pièces permettant le travail en groupe, des cafétérias.. « C’est bien la cafét, ça permet de faire une pause quand on fait des révisions, on descend prendre un café, un chocolat chaud.. » dit un étudiant en L2 sciences.

Et les fonds ? Là encore, notre enquête reste classique dans ses résultats : les étudiants de sciences humaines et sociales, lettres, langues, art empruntent plus de  livres que les autres. D’une manière globale, plus un étudiant est un gros lecteur de livres plus il fréquente les BU et emprunte de documents. Concernant les ressources électroniques, celles-ci sont peu utilisées hormis par ceux qui en ont véritablement besoin : les étudiants en master, doctorat et les enseignants chercheurs. Une bonne appréhension et une bonne utilisation d’une partie de ces ressources serait un plus même pour les étudiants de premier cycle. Mais leur position quant aux formations dispensées est des plus ambivalente : ils souhaitent des formations mais n’y assistent pas ou seulement quand celles-ci sont obligatoires dans le cadre d’un cours. Ainsi, ils ressentent bien la nécessité d’être formés à la recherche documentaire mais ils ont « la flemme » d’aller aux formations volontaires. C’est seulement quand ils se retrouvent dans la nécessité de connaître ces techniques qu’ils deviennent plus volontaires. La présence de Google et la possibilité de toujours trouver quelque chose quand une recherche est nécessaire, sans prendre réellement en compte la qualité de la chose, décourage la volonté d’un apprentissage plus sérieux.

Nous leur avons demandé de qualifier leur BU, c’est-à-dire de choisir parmi une liste d’adjectifs, en sachant qu’ils disposaient d’un choix multiple. Les résultats sont positifs voire très positifs :

Utile : 94.4 %
Propice au travail : 87.8 %
Agréable : 83.6 %
Bien conçue : 80.8 %
Indispensable : 64.8 %
Chaleureuse : 70 %
Austère : 12.7 %
Mal aménagée : 10.8 %
Non réponse : 2.3 %
TOTAL : 100 %

 

Une constatation s’impose néanmoins : les BU ne semblent pas totalement « indispensables ». Cela peut laisser perplexe puisqu’ils pensent du bien de leurs bibliothèques et qu’ils les jugent avant tout « Utiles ».  Les entretiens ont permis de préciser cette notion qui n’est, finalement, pas si étonnante : la BU est un lieu de travail avant tout, on peut toujours travailler chez soi même si c’est moins bien. Les informations et les documents on les trouve avant tout en ligne, donc… « J’ai beaucoup besoin d’internet, donc j’ai pas forcément besoin de me déplacer. Je travaille chez moi. Après quand je sens que je sature, parce que j’arrive moins à me concentrer chez moi, là, je vais aller travailler à la BU de droit. Parce que, c’est un bon cadre de travail et.. j’sais que j’arriverai mieux à me concentrer. Après, euh, les mercredis ben j’ai cours à la fac de lettres, donc j’viens travailler à la BU de la fac de lettres. » nous a dit un étudiant en M2 d’histoire médiévale.

Mais que pensent-ils des bibliothécaires ? Là encore le jugement est globalement positif.

Non-réponse : 13.6 %
A votre écoute : 57.7 %
Aimable : 56.3 %
Distant : 31.9 %
Compétent : 63.4 %
Pédagogue : 28.2 %
Autoritaire : 28.2 %
Passif : 27.2 %
Rébarbatif : 16 %
TOTAL : 100 %

 

Les étudiants perçoivent bien que le personnel des BU est à leur service. Ils sont en demande de services très pratiques, d’aide et estiment généralement la trouver. « J’aime aller à la BU. Pourquoi ? Parce que c’est calme, parce que le personnel est compétent quand on a besoin de quelque chose. En tout cas ici, ils sont vraiment très accueillants, donc moi j’y vais avec plaisir » dit un étudiant en LP commerce.

Lors des entretiens, certains étudiants semblaient étonnés, surpris, de la compétence et de la gentillesse du personnel en réponse à leur demande…

Une évolution nécessaire du métier de bibliothécaire

Le monde des bibliothèques a été marqué par de nombreux changements. D’abord, d’une manière générale, un mouvement profond va des fonds vers les usagers[4]. Cela concerne l’ensemble des bibliothèques, municipales, départementales et universitaires. Notre enquête montre une forme d’ambiguïté sur ce sujet. Ainsi, quand on demande aux personnes interrogées quel est, selon elles, le rôle principal d’une BU, 100 % disent « fournir des informations et des documents pertinents », 73% ajoutent « Etre un lieu de travail, d’étude, agréable et adapté aux besoins du public » et 47.3 % « aider/former les usagers dans leur recherche d’information et de documents ». Cela peut être interprété comme une bonne appréhension de ce que les étudiants pensent des bibliothèques universitaires. Bien sûr, une BU reste, avant tout, une bibliothèque c’est-à-dire un lieu où l’on trouve des documents mais c’est aussi un lieu de travail avant même d’être un lieu d’aide et de formation. Ce premier résultat est à nuancer par la réponse à une autre question, celle de savoir ce que devrait représenter une BU. En effet, dans une vision plus prospective, les bibliothécaires ont conscience de l’évolution nécessaire puisque la notion de service rendu aux usagers domine celle de « réservoir de connaissances » mais savent aussi que ce changement n’est pas encore totalement opéré. Nous pensons que cette ambivalence est probablement due à certaines résistances liées aux représentations mêmes du métier ainsi qu’à la difficulté pour certains de faire évoluer leur pratique professionnelle (peur d’être mis en difficulté dans ces nouvelles modalités relationnelles, peur de la rapidité du changement tant au niveau des compétences techniques requises qu’au niveau de la conception du métier en lui-même).

Un lieu où l’on peut demander de l’aide, être formé : 60 - 81 %
Un service public, au service de ses usagers : 59 - 79.7 %
Un lieu de travail : 52 - 70.3 %
Un réservoir de connaissance, des fonds : 48 - 64.9 %
Un lieu chaleureux, agréable où l’on vient aussi par plaisir : 45 - 60.8 %
Un centre d’expertise pour tout ce qui touche à l’information : 31 - 41.9 %
Un lieu culturel : 28 - 37.8 %
TOTAL : 74 - 100 %

 

Et, que pensent-ils de leur BU ? Comment la qualifieraient-ils ? Les adjectifs les plus retenus sont positifs : utile, agréable, vivante, dynamique, accueillante. Les adjectifs proposés à connotation négative sont retenus par moins de 10 % des répondants (8% trouvent leur BU vieillotte et à peine 5% la trouve froide). L’analyse que l’on peut en faire est intéressante car, s’il est vrai que les bibliothécaires n’ont aucun intérêt à dégrader l’image de leur BU, la valorisation de ce lieu par ses acteurs internes contribue fortement à en valoriser l’image à l’extérieur.

Et le bibliothécaire que doit-il représenter ?

L’aide, le soutien : 64 - 86.5 %
Un médiateur culturel : 35 - 47.3 %
L’expertise : 34 - 46 %
Une oreille attentive : 30 - 40.5 %
TOTAL : 74 - 100 %

 

La réponse à cette question vient corroborer ce qui précède : l’expertise de la connaissance technique de la gestion des documents est « supplantée » par un travail d’accompagnement au service des usagers. La relation (savoir-être) semble en tout cas compléter fort justement la pure expertise technique professionnelle (savoir et savoir-faire).

Finalement, les deux visions coïncident, étudiants et bibliothécaires partagent une vision commune de la BU. Ce que l’on peut noter surtout, c’est peut être une sorte de timidité réciproque. Les étudiants n’osent pas toujours demander, ils se sentent « un peu bêtes ». Les bibliothécaires n’osent pas non plus toujours proposer leur aide. Finalement, comme nous l’a dit un des conservateurs « entre eux et nous il n’y a qu’à briser la glace ».

Et cette relation n’est pas toujours facile à mettre en œuvre : les représentations respectives des uns et des autres ont la vie dure et les évolutions nécessaires nécessitent un changement des comportements et des pratiques, qui s’il n’est pas nié, reste difficile à appréhender par les acteurs.

Comme le montrent ces deux enquêtes, il faut que cette communication se développe dans le sens d'une aide accrue apportée aux usagers, une aide personnalisée, peu formalisée afin d'aboutir à la « BU idéale » dont nous ne sommes, déjà, pas si éloignés." Car si 93 % des bibliothécaires interrogés disent qu'ils aiment renseigner, les modalités pour le faire, l’accueil réservé à l’étudiant traduisent parfois un décalage entre les attentes des deux interlocuteurs.

Nous insistons ici à nouveau, comme nous l’avons déjà fait dans un précédent article[5], sur la nécessité d’une prise de conscience et d’une formation des bibliothécaires à ces évolutions communicationnelles. La qualité de l’accueil, l’aisance des personnels dans la relation aux usagers sont des éléments clés d’une bonne communication au sein des BU mais également des vecteurs essentiels de l’image des BU à l’extérieur.

BIBLIOGRAPHIE

Appel, V, Lacôte-Gabrysiak Lylette. Bibliothèques universitaires et concurrence ou comment la communication devrait venir aux bibliothèques. In BBF, n°4, Dossier : la bibliothèque en concurrence, juillet 2012, pp. 44-48.

Epron, Benoît. La documentation numérique en premier cycle : quels usages ? in BBF, 2013-1.

Jung, Laurence. La bU vue par les étudiants. Bulletin des bibliothèques de France [en ligne], n° 6, 2010 [consulté le 19 mai 2014]. Disponible sur le Web : <http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-06-0006-001>. ISSN 1292-8399.

Lacôte-Gabrysiak, Lylette. Les sites des services communs de documentation en France : contenus et perspectives in Documentation et Bibliothèques, n° 54, 2008. pp. 265-272.

Poissenot, Claude. La nouvelle bibliothèque : contributions pour la bibliothèque de demain. Voiron : Ed. Territorial, 2009. 88 p.

[1] Epron, Benoît. La documentation numérique en premier cycle : quels usages ? in BBF, 2013-1.

[2] Lacôte-Gabrysiak, Lylette. Les sites des services communs de documentation en France : contenus et perspectives in Documentation et Bibliothèques, n° 54, 2008. pp. 265-272.

[3] Jung, Laurence. La BU vue par les étudiants. Bulletin des bibliothèques de France [en ligne], n° 6, 2010 [consulté le 19 mai 2014]. Disponible sur le Web : <http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-06-0006-001>. ISSN 1292-8399.

[4] Voir à ce sujet : Poissenot, Claude. La nouvelle bibliothèque : contributions pour la bibliothèque de demain. Voiron : Ed. Territorial, 2009. 88 p.

[5] Appel, V, Lacôte-Gabrysiak Lylette. Bibliothèques universitaires et concurrence ou comment la communication devrait venir aux bibliothèques. In BBF, n°4, Dossier : la bibliothèque en concurrence, juillet 2012, pp. 44-48.