La documentation dans le numérique
Olivier Le Deuff
Presses de l’enssib, collection « Papiers », 2015, 223 p.
ISBN 979-10-91281-32-4 : 34 €
Cet ouvrage s’adresse aux documentalistes d’entreprise aussi bien qu’aux bibliothécaires ou aux professeurs documentalistes exerçant en établissement scolaire. Tout à la fois boîte à outils pour les professionnels et source de réflexion, ce livre, après une introduction historique de la documentation, fait un état de la recherche en information-documentation et inventorie les principaux outils à disposition des documentalistes.
Quelle est la place des professionnels de la documentation dans le numérique ? C’est la question centrale de cet ouvrage d’Olivier Le Deuff, qui réaffirme en permanence la place des documentalistes à condition de faire évoluer nos pratiques dans le sens des évolutions liées à notre métier et à l’avènement du numérique.
En effet, la documentation a bien évolué depuis le rêve de Paul Otlet de rassembler l’ensemble des connaissances en un seul lieu. D’une certaine manière, le numérique facilite l’accès à l’information mais il n’en garantit plus la qualité ; quant au texte, il ne disparaît pas dans sa forme classique mais il s’affranchit des contraintes liées au codex, notamment en utilisant les relations hypertextuelles. La quantité de documents produits a explosé et, comme le souligne Éric Sutter, il devient difficile de se repérer dans la masse d’information. Il existe des outils pour ordonner et permettre l’accès au document. Les métadonnées produites par les usagers, hors de tout contrôle documentaire, ainsi que les folksonomies, systèmes de mots-clés créés par les usagers, donnent une impression de désordre et peuvent faire craindre aux professionnels de la documentation une dépossession de leur rôle. Au contraire, la démocratisation des savoirs a renforcé leur rôle. Les techniques d’analyse et de traitement de l’information (indexation, condensation…) évoluent vers de nouvelles formes : mind-mapping, outils de curation, portails de sélection de flux, ontologies, LOM, Dublin Core, TEI… La veille devient, avec les nouveaux gadgets, un outil de stratégie qui combine le résumé et les liens des ressources repérées dans un contexte de partage, comme sur le site Diigo où l’usager peut organiser ses informations, voire rédiger des synthèses et les partager avec d’autres utilisateurs du site. Pour Olivier Le Deuff, « les professionnels de la documentation doivent s’emparer de ces outils et en montrer les avantages et les limites aux usagers ».
Dans ce contexte, la bibliothèque au sens classique devient bibliothèque 2.0 et octroie un rôle plus important à l’usager, d’autant plus que certains travaux, auparavant cantonnés à la sphère individuelle, participent, aujourd’hui, à un travail collectif et collaboratif : annotations, commentaires, tags… à l’image de ce qui se fait dans Librarything.
La médiation entre usagers et connaissances, dans le contexte du numérique, doit prendre en compte la complexité des environnements numériques. L’autonomie de l’usager est une illusion, tant sur le plan de la maîtrise technique (computer literacy) que de la maîtrise du traitement de l’information (information literacy). Ce constat est tout autant valable chez les jeunes, que l’on qualifie de « native », alors qu’ils n’ont bien souvent qu’une pratique sociale du numérique. Le besoin d’information n’est pas toujours conscient et la lecture du document souvent mauvaise. Olivier Le Deuff parle même de non-lecture qui s’explique par une méconnaissance du sujet. Les jeunes générations n’ont, en plus, pas conscience de leur identité numérique. Les professionnels de la documentation trouvent pleinement leur rôle dans la formation à une culture de l’information qui consiste à amener à un usage intellectuel et approprié de l’information, voire à la translittératie. Cette dernière est définie comme « la capacité à lire, écrire et interagir par le biais d’une variété de plateformes, d’outils et de moyens de communication ». Elle ne doit pas rester l’apanage des seuls professionnels de la documentation qui doivent développer les compétences chez les usagers pour les amener à savoir analyser et évaluer l’information, de façon transversale et sur différents médias.
Il convient de former des professionnels pour répondre aux évolutions de la profession en matière de culture de l’information, de culture de l’informatique et de culture documentaire. Les humanités numériques (digital humanities) intègrent le numérique dans le traitement des données et permettent aussi leur production, leur échange, leur valorisation et leur conservation. Le livre n’est pas seulement un livre numérique, il cache, dorénavant, des données, des informations, des métadonnées et des bases de données. Il oblige aussi à penser sa conservation avec la multiplication des supports voués à l’obsolescence technologique. Avec le développement du numérique, la littératie devient tout autant une numératie, une capacité à mobiliser les compétences de lecture sur l’ensemble des supports (mobiles, tablettes, liseuses…).
En conclusion, il revient aux professionnels de la documentation de penser l’avenir de leur métier pour continuer à faciliter l’accès au document et à en assurer la compréhension. Ils devront se positionner pour se rendre indispensables, notamment dans le domaine de la production scientifique qui doit se penser en lien avec l’ingénierie documentaire. Mais aussi, et surtout, Olivier Le Deuff rappelle en filigrane de son ouvrage le rôle essentiel des professeurs documentalistes dans la formation à la culture de l’information des jeunes générations et des futurs citoyens.