La politique culturelle en débat
Anthologie 1955-2012
Publié par le Comité d’histoire du Ministère de la culture
Paris, La Documentation française
2013, 316 p., 19 cm
ISBN 978-2-11-009246-5 : 15 €
Cette anthologie fait suite à celle que Philippe Poirrier et Geneviève Gentil avaient proposée en 2006 1. Le titre à lui seul est un programme : il s’agit du débat que suscite l’idée même de politique culturelle et, plus avant, celle de la démocratisation culturelle. Comme le souligne Laurent Martin, en ouverture du séminaire organisé par le Comité d’histoire du ministère de la Culture : la démocratisation culturelle au fil de l’histoire contemporaine, « quand on parle de démocratisation culturelle, fait-on de la politique ? ». Au-delà de ces débats, parfois virulents, cet ouvrage a pour ambition de donner des jalons qui permettent de comprendre que cette notion même de politique culturelle a une histoire, pas si récente que cela ; c’est un peu une commodité d’esprit que d’imaginer que ce sont soit André Malraux, soit Jack Lang qui ont été les grands artisans de la mise en œuvre de cette démocratisation culturelle. Le cas est d’autant plus à nuancer qu’André Malraux, on le sait, avait une vision particulière de la chose, et que les décrets fondateurs de 1959 furent une sorte d’habillage administratif. Quant à Jack Lang, nul besoin de rappeler les ouvrages publiés par Marc Fumarolli, Alain Finkielkraut, Michel Schneider, pour se souvenir que, au-delà même des définitions, et des intentions, le principal grief qui était fait à ce(s) ministère(s) fut bien de dissoudre la culture au motif de la démocratiser ; de la petite cuillère à la cathédrale avait écrit André Chastel (à propos cette fois de l’invention des richesses artistiques de la France).
Les contributions diverses amènent un peu de recul et de prospective à ce vaste chantier. Elles nous permettent de lutter contre un présentisme, une tentation de réécrire l’histoire selon nos propres convictions, aussi fondées soient-elles. Ce sont des textes issus de revues, de colloques, d’inauguration, textes publics qui disent, au moment où ils sont écrits ou prononcés, la position officielle ou l’analysent. La parole est donc donnée aux hommes politiques, la plupart des ministres de la Culture, quatre présidents de la République, des artistes (Jean Vilar, Jean Dubuffet, Robert Abirached [certes davantage pour son action au ministère de la Culture]), des directeurs du ministère (Jeanne Laurent, Gaétan Picon, Jacques Renard...) et, bien sûr, des sociologues (Pierre Bourdieu, Olivier Donnat, Pierre-Michel Menger...).
Que dire de cet ensemble ? Il reflète bien l’évolution de la doctrine, ses tensions, ses habillages : qu’on se souvienne ainsi de l’exception culturelle, devenue diversité culturelle, portée par Jacques Chirac, des chartes de missions de service public pour le spectacle vivant portées par Catherine Trautmann, et le lien économie-culture revendiqué par Jack Lang, et analysé – presque théorisé – par Pierre-Michel Menger lors de la crise des intermittents du spectacle en 2003.
Ce siècle a déjà 13 ans. La politique culturelle change de sens, d’orientation, elle doit composer avec l’irruption du numérique, qui bouleverse tout à la fois l’économie, la propriété intellectuelle, la diffusion, les industries culturelles, dont André Malraux ne voulait pas entendre parler et dont Philippe Urfalino souhaite que l’État se penche sur leur devenir.
Entre l’édition de 2006 et celle de 2012, six ans, une période, des bouleversements. La lecture de ces textes nous éclaire : si la politique culturelle, la démocratisation culturelle, au fond, ne sont remises en cause par personne, il reste que ce projet politique semble se vider de son sens : après le couple économie-culture, le mécénat, les industries culturelles, il y a eu la lettre de mission de Nicolas Sarkozy à Christine Albanel, et la célèbre « culture pour chacun » de Frédéric Mitterrand. Les propos finaux, de David Kessler, en charge depuis mai 2012 de la culture et des médias auprès du Président François Hollande, et ceux de Bernard Faivre d’Arcier, ouvrent quelques perspectives moins comptables : les publics « qui devraient être la priorité », l’éducation artistique, le rééquilibrage entre Paris et la province (les régions), qui a su prendre, malgré la méfiance languienne, une vraie majorité culturelle, et entre l’administration centrale et les services déconcentrés.
Ces textes, heureusement choisis et présentés, sont d’une grande utilité pour saisir dans le vif une politique particulière, celle de la politique culturelle de la France, qui, pour reprendre l’expression de Bernard Faivre d’Arcier, n’est pas un modèle mais une référence : modèle qui emprunte à notre histoire nationale, qui alimente un débat permanent sur son utilité et son devenir, même si, comme le souligne en introduction Philippe Poirrier, ce modèle se délite. Modèle de tensions politiques, de définitions, de refondations. Sans doute, à sa lecture, on se persuadera que les périodes charnières restent celles d’André Malraux, et celle de Jack Lang : périodes charnières en ce qu’elles permettent d’accoucher de ce qui est déjà en gestation.
L’ensemble est servi, comme il se doit venant du Comité d’histoire du ministère de la Culture, par une abondante bibliographie.