« L’histoire des bibliothèques : les publics »

Journée d’étude organisée par les Ateliers du livre

Stéphanie Kellner

Organisés par la Bibliothèque nationale de France (BnF) avec la collaboration de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), les Ateliers du livre ont proposé le 6 décembre 2011 une journée d’étude portant sur l’histoire des bibliothèques et leur(s) public(s).

Ouverte par Jacqueline Sanson, directrice générale de la BnF, cette journée était structurée autour de deux axes : le premier concernait le passage de la bibliothèque des savants à la bibliothèque publique, le second portait sur la conquête du « grand public » du XIXe au XXIe siècle. Comme l’a rappelé Dominique Varry, de l’Enssib, en introduction, les bibliothèques sont à l’origine toujours privées et seront appelées à s’ouvrir à des publics dès le XVe siècle en Italie. Mobilisant de nombreuses ressources archivistiques, l’intervenant a mis en évidence l’existence de deux catégories de public : celle des visiteurs, et celle des emprunteurs.

Cette introduction a ouvert la journée à des questions qui n’ont cessé de la parcourir : celle de la place des publics dans la bibliothèque et son évolution, celle de la mission de lecture publique, ou encore celles du grand public, de la mise à disposition et de la composition des collections, mais aussi de la bibliothèque en tant qu’espace.

Annie Charon, enseignant chercheur à l’École nationale des chartes, présidant la séance de la matinée, a d’abord donné la parole à Raphaële Mouren, de l’Enssib, laquelle s’est interrogée sur la place des publics dans la bibliothèque savante au croisement des mouvements humanistes et de la contre-réforme. Elle a mis l’accent sur l’évolution historique des bibliothèques et plus précisément sur le rôle des humanistes dans l’encouragement à leur ouverture au public. Elle a noté également les difficultés de cette évolution, la bibliothèque devenant souvent un enjeu de luttes engageant pouvoir, prestige et morale pour les propriétaires.

Dans une logique chronologique, la seconde intervenante, Agnès Sandra, conservateur à la BnF, s’est arrêtée sur une catégorie de bibliothèques particulière, celle des Amis de l’Instruction, durant la période de 1861 à 1914, en s’appuyant sur les exemples de la ville d’Épernay et du 3e arrondissement de Paris. Émanant d’une volonté de la classe ouvrière souhaitant s’instruire, cette demande sociale, sous-jacente à un mouvement d’émancipation politique, fait naître la crainte des autorités à l’égard d’une lecture émancipatrice et le soutien d’intellectuels prêchant la lecture comme vecteur de paix sociale. Dans ce contexte, la problématique ne porte pas tant sur l’accès à ces bibliothèques que sur la question de l’accès à la lecture.

Pour clôturer cette matinée, Hind Bouchareb, élève à l’École nationale des chartes, s’est interrogée sur les débats de la lecture publique entre 1918 et 1945. Elle a analysé les effets du mouvement moderniste, qui propose entre autres des bibliothèques ouvertes à tous et la structuration d’un réseau de bibliothèques à l’échelle nationale. Malgré l’indifférence à l’égard de ce mouvement, il semble avoir contribué à l’évolution de l’ouverture des bibliothèques au grand public et à la reconnaissance du concept de lecture publique au cours de la seconde guerre mondiale.

La surreprésentation des publics étudiants

La seconde partie de cette journée, présidée par Anne-Marie Bertrand, directrice de l’Enssib, s’est ouverte par l’intervention de Marie Galvez, conservateur à la BnF. Elle s’est intéressée à l’accueil du grand public à la Bibliothèque nationale au XIXe siècle, et plus précisément à l’histoire de la salle B, qu’elle présente en deux temps marqués par l’administration de Jules Taschereau de 1858 à 1874, puis, à sa suite, de Léopold Delisle jusqu’en 1905. Cette salle de lecture publique pose la problématique de l’ouverture de cette bibliothèque de recherche au « tout-venant », ainsi que celle du système de répartition des publics. Ouverte au départ pour un lectorat populaire, elle se trouve à l’époque investie par une jeunesse studieuse, situation qui semble se reproduire aujourd’hui avec les haut- et rez-de-jardin de la BnF.

La surreprésentation des étudiants ne semble pas une problématique propre à ces deux salles. Michel Melot et Patrick Bazin ont également insisté sur ce point en ce qui concerne la Bibliothèque publique d’information (BPI). Dans cette seconde intervention postprandiale, qui a pris la forme d’une discussion entre un des anciens et l’actuel directeur de la BPI, le premier a rappelé que le projet initial était de « faire une bibliothèque universitaire pour les non-universitaires ». Dans la même ligne, Patrick Bazin a tenté d’expliquer cette surreprésentation des étudiants entre autres par un « effet de lieu », mettant notamment l’accent sur la configuration de l’espace.

Dans une approche sociologique, la dernière intervenante, Mathilde Servet, conservateur à la BnF, s’est intéressée aux bibliothèques « troisième lieu  1 », lesquelles pourraient constituer le futur de nos bibliothèques françaises. À travers une étude des bibliothèques hollandaises et britanniques, l’intervenante a analysé le rapport entre le succès de celles-ci en termes d’ouverture aux publics et leur conception physique. Au-delà des collections, elle s’intéresse à la bibliothèque en tant qu’espace, et le qualificatif de « troisième lieu », emprunté au sociologue américain Ray Oldenbourg, permet de présenter ces bibliothèques comme des lieux « informels », permettant également aux individus de maintenir et d’enrichir leur capital social.

La journée s’est clôturée par une table ronde animée par Yves Alix, inspecteur général des bibliothèques, au cours de laquelle Denis Bruckmann, directeur des collections de la BnF, le sociologue Claude Poissenot et Daniel Legoff, conservateur de la Bibliothèque francophone multimédia (BFM) de Limoges, ont pu débattre autour de la question suivante : les bibliothèques pour le « grand public » : utopie ou réalité ? •