Outils numériques et fonds anciens

Questions de méthode

Claire-Lise Gauvain

Depuis quelques années se multiplient les bibliothèques numériques et les bases de données consacrées au livre ancien. Une table ronde s’est tenue à l’École des chartes le 13 novembre dernier, invitant chercheurs et bibliothécaires à partager leurs expériences et attentes à l’égard de ces outils. La matinée était consacrée à la présentation de travaux menés par les chercheurs, l’après-midi aux réalisations des bibliothèques.

Quelles informations pour les chercheurs ?

Pour le bibliographe, tous les catalogues de bibliothèques ne sont pas équivalents. Le portail italien Internet Culturale  1 est un modèle, ménageant des possibilités d’interrogation spécifiques au livre ancien. Les notices abrégées issues des rétroconversions s’avèrent trop souvent insuffisantes. En fonction du domaine d’étude, les chercheurs souhaitent plus d’informations, ce qui a amené nombre d’entre eux à concevoir des bases de données spécifiques.

Sept années d’enquête ont été nécessaires à la réalisation de la Bibliographie des livres scientifiques imprimés à Rome (1527-1720)  2 présentée par Laurent Pinon (Institut d’histoire moderne et contemporaine/ENS). Elle recense 1 300 éditions méthodiquement repérées puis décrites « livres en main ». Cette bibliographie exhaustive signale des éditions, non des exemplaires singuliers, reconstruisant l’idéal-type conçu par l’auteur et l’éditeur à partir des exemplaires et de leurs particularités. La base de données permet en outre en interne toutes sortes d’études quantitatives.

La base Dionis  3, présentée par Jacqueline Vons, recense les livres anciens de médecine des bibliothèques du Centre d’études supérieures de la Renaissance (CESR) de l’université François-Rabelais (Tours). On peut entrer dans la base par la liste des auteurs ou rechercher par imprimeur ou provenance, par exemple. Elle mentionne les préfaces, dédicaces, index et associe aux notices quelques images (page de titre, frontispice, planches) avec mots-clés. Le cas échéant, un lien renvoie au livre numérisé (site des Bibliothèques virtuelles humanistes  4).

Consolación Baranda de l’université de Madrid a évoqué la BDDH  5, bibliothèque numérique de dialogue hispanique, conçue comme un outil collaboratif. Dix-sept personnes participent à la collecte des informations et la rédaction des notices signées de leur auteur, avec, le cas échéant, un lien vers le « dialogue » numérisé. Deux spécialistes s’occupent de la validation. L’originalité de la base réside dans la richesse des sources bibliographiques produites.

À l’issue de cette matinée, l’échange avec la salle a permis de relever certaines difficultés. Pour les chercheurs comme pour le grand public, les catalogues de bibliothèques pèchent par l’absence de présentation raisonnée. Les bases de données thématiques tentent de remédier à cet inconvénient en renouvelant les formes de diffusion de l’information bibliographique. Mais la promotion de ces outils encore confidentiels est à améliorer, l’offre est encore trop éclatée. C’est pourquoi le « moissonnage » des données entre bases ayant des préoccupations communes est souhaité.

Quelles perspectives de développement ?

Raphaële Mouren (centre Gabriel-Naudé/Enssib) a exposé quelques questions méthodologiques autour d’un projet de Bibliographie rétrospective des éditions lyonnaises du xvie siècle. Organiser l’information disponible sur internet et permettre l’identification de nouvelles éditions sont les objectifs recherchés. VD 16, VD 17, Edit 16, Universal Short Title Catalog Project, constituent des projets du même ordre. GLN 15-16 semble à l’heure actuelle la plus avancée quant à l’identification des éditions et exemplaires. Les « autorités » de la BnF ou le projet VIAF (Virtual International Authority File) de l’OCLC (Online Computer Library Center) résolvent les problèmes de transcription des noms d’auteur. Il faut prendre en compte les demandes des chercheurs en faisant figurer par exemple des informations absentes de la page de titre, telles les épîtres dédicatoires dans les préfaces, ou bien permettre de repérer un même ornement typographique au détour de tel ou tel titre (base Maguelone  6). L’usage de métadonnées peut ainsi s’avérer utile dans l’exploitation de toutes sortes d’informations bibliographiques.

La collection Elec  7 constitue les éditions en ligne de l’École des chartes. Présentées par Guillaume Hatt, huit éditions de cartulaires d’Île-de-France conservées à la bibliothèque ont été numérisées en mode image, puis texte, et confiées pour encodage au centre de ressources numériques Telma (en partenariat avec l’Institut de recherche et d’histoire des textes du CNRS). Des métadonnées décrivent chaque partie de texte selon le format TEI. Un formulaire de recherche permet de les interroger. La navigation se fait également par liens dans les index.

Medic@  8, bibliothèque numérique de la Bibliothèque interuniversitaire de médecine (Bium), se compose de dossiers thématiques dans lesquels on peut passer d’un type de ressources à l’autre. Les chercheurs participent aux choix des corpus et rédigent les présentations. Depuis 2007, un serveur OAI permet les récupérations de notices, par exemple celles de Gallica, et réciproquement. Medic@ s’inscrit dans un contexte de changement d’échelle, les ouvrages anciens faisant désormais -l’objet d’une numérisation de masse. Pour Stéphanie Charreaux, l’heure est au pragmatisme. C’est pourquoi la Bium a choisi la numérisation partagée avec la BnF et la collaboration avec d’autres institutions. Medic@, soucieuse de sa visibilité, assure la publicité des corpus nouvellement mis en ligne et attribue à chaque document et page une adresse permanente.

Aline Girard (BnF) a clos cette journée par une présentation de Gallica 2. Elle a rappelé les enjeux de la numérisation concertée et de la valorisation des ressources numérisées dans un contexte international et l’avènement prochain d’Europeana  9.

Cette journée était organisée par Isabelle Diu (École des chartes) et Violaine Giacomotto (université Bordeaux-III) dans le cadre du programme interdisciplinaire de recherches « Le livre scienti-fique : définition et émergence d’un genre » dirigé par Joëlle Ducos (université de Paris-Sorbonne).