Où en sont les bibliothèques pour la jeunesse aujourd'hui ?

Juliette Doury-Bonnet

Les éditions du Cercle de la librairie ont proposé lors de la journée professionnelle du Salon du livre de Paris, le 20 mars 2006, une table ronde sur le thème des bibliothèques pour la jeunesse. Tout le monde s’attendait à un échange, sans doute vif, autour de la fermeture de la bibliothèque de Clamart, mais seule Martine Poulain, directrice de la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, qui animait la rencontre, y fit brièvement allusion, ainsi qu’au statut de la Joie par les livres. Le public, très nombreux, fut convié à une présentation des derniers titres consacrés à la littérature et aux bibliothèques de jeunesse, publiés dans la collection « Bibliothèques ». Nic Diament (directrice de la Joie par les livres) proposa un rapide mais éclairant tour d’horizon pour tenter de répondre à la question : où en sont les bibliothèques pour la jeunesse aujourd’hui ?

La collection « Bibliothèques » sous les projecteurs

Hélène Weis (IUFM de Versailles) présenta sa thèse, Les bibliothèques pour enfants entre 1945 et 1975 : modèles et modélisation d’une culture pour l’enfance (Éd. du Cercle de la Librairie, 2005) 1. Elle souligna ce paradoxe : les bibliothèques pour la jeunesse ne sont pas un sujet de recherche à part entière, car le public des enfants est intégré dans la culture populaire. Elle exposa les motivations qui l’ont conduite à explorer ce champ : la reviviscence de l’intérêt à partir des années 1990, la nécessité d’un relais au moment où les « vieilles militantes » partent en retraite et où les jeunes s’interrogent. Son travail avait pour but de répertorier les discours et de rassembler des données objectives sur l’ouverture de salles pour la jeunesse.

La question des modèles de bibliothèques – à rapprocher de celle des représentations des enfants – donna lieu à une floraison de discours au cours de la période étudiée : des militants de tous bords œuvraient pour un modèle de bibliothèque calqué sur l’Heure joyeuse, au moment où naissait la bibliothèque de Clamart. La bibliothèque du Quartier latin pouvait apparaître comme antiautoritaire, mais elle représentait aussi une réaction à une littérature de basse qualité. La liberté de lecture s’opérait au sein de corpus bien maîtrisés, des « verrous éducatifs » qui vont sauter après 1970, accusés d’être des ghettos. Il est désormais moins important de protéger l’entant que de lui donner des outils pour acquérir une distance critique. Ce retournement fut vécu de façon amère par les militants.

En 2005, est également paru le manuel Conte en bibliothèque  2 destiné aux bibliothécaires débutants et à ceux qui voudraient reconsidérer leur fonds. Geneviève Patte revint sur l’histoire du conte dans les bibliothèques américaines et insista sur l’importance de la « parole vive » en bibliothèque : « Le dynamisme des bibliothèques est dû à des gens qui aiment transmettre. »

Dominique Alamichel, bibliothécaire à Massy, présenta un ouvrage à paraître, La bibliothécaire pour la jeunesse, intervenante culturelle : 60 animations pour la jeunesse. L’objectif de ces fiches pratiques est triple : culturel (transmettre le goût de la lecture aux enfants), social (favoriser les rencontres entre générations) et de loisir. La place que l’on donne à l’animation en bibliothèque n’est pas toujours très claire. Les compétences nécessaires relèvent du spectacle vivant et de la pédagogie : pour Dominique Alamichel, « il faudrait professionnaliser », même si, au contraire, Nic Diament s’interrogea sur l’intérêt de l’externalisation et si Évelyne Cévin (la Joie par les livres) insista sur le travail quotidien en amont qui doit préparer l’éventuelle venue de conteurs professionnels.

Tricoter littérature de qualité et développement de la lecture

Les jeunes lisent plus que leurs parents, et si l’offre culturelle s’est diversifiée, on assiste plutôt à une logique de cumul des usages qu’à une concurrence. Nic Diament nota le surinvestissement sur la lecture. Autrefois, la sélection des livres était prioritaire mais aujourd’hui, le mot d’ordre, c’est « n’importe quoi, pourvu qu’ils lisent » ! Nic Diament proposa un panorama des bibliothèques pour la jeunesse selon trois angles : le public, les collections et les bibliothécaires.

La bibliothèque demeure un espace de loisir, de détente et de sociabilité. Les jeunes s’en servent d’une façon non normative : ils viennent en bande, bougent et font du bruit. Les adolescents sont envahissants. Quelle est leur place ? Ont-ils des besoins spécifiques, en termes d’interlocuteurs, d’activités et d’offre ? Autres « envahisseurs » (avec lesquels il faudrait pourtant tisser des partenariats) : les parents et les enseignants. Les bibliothécaires se plaignent d’être « instrumentalisés » par ces derniers. Mais l’entrée officielle de la littérature de jeunesse à l’école va changer beaucoup de choses, assura Nic Diament.

Les collections se caractérisent par leur diversité et un turn-over rapide, d’où un problème de repères. Qu’est-ce qu’un bon livre, quand certains genres sont réhabilités ? Quant aux autres supports que le livre, c’est un problème car « les bibliothèques pour la jeunesse ont raté le côté médiathèque ». Elles doivent s’ouvrir à Internet, mais où mettre les ordinateurs et à quoi donner accès ?

Du côté des bibliothécaires, la question de la transmission et du conflit des générations se pose. Nic Diament insista sur les spécificités des bibliothécaires pour la jeunesse : leur « pratique longue et personnalisée de l’accueil en section jeunesse qui a influencé la section adultes » ; leur connaissance du fonds qui leur permet d’assumer la prescription.

Dans un « contexte de déploration », Nic Diament conclut sur la nécessaire redéfinition de la bibliothèque de jeunesse, entre la promotion d’une littérature de qualité et le développement de la lecture. « C’est compliqué à tricoter ensemble », reconnut-elle.