Exposition « 150 ans de Larousse : 1852-2002 »

Paris, palais de la Découverte, 3 septembre-24 novembre 2002

Odile Grandet

C’est avec une pertinence particulière que l’exposition consacrée à la gloire de la maison Larousse et, plus particulièrement, de son fondateur s’est installée au palais de la Découverte : où mieux saluer en effet celui qui voulait « instruire tout le monde et sur toutes choses » que dans ce temple du savoir scientifique où se perçoivent encore les traces des rêves des autodidactes ?

Une aventure éditoriale modèle

L’exposition déroule une aventure éditoriale modèle : militants et républicains, Larousse et son associé Boyer, tous deux instituteurs, posent les fondations d’un ouvrage qui, au fil du temps, allait devenir un véritable mythe national. Pour hagiographique qu’elle soit (on peut regretter le manque de mise en perspective qui est à l’œuvre), l’exposition touche le visiteur : le Larousse est dans notre société un objet étrangement familier : quel adulte d’aujourd’hui n’a passé, à l’image du jeune Jean-Paul Sartre, des heures plongé dans les pages du mythique Larousse, dont on apprécie rétrospectivement les a priori, notamment ceux concernant les exemples et les illustrations. Lorsqu’en 1856, Pierre Larousse publie son Nouveau dictionnaire de la langue française (l’ancêtre du Petit Larousse), il porte en exergue la formule de Voltaire : « Un dictionnaire sans exemples est un squelette. » Pierre Larousse voulait que ses dictionnaires soient illustrés : « Était-il bien nécessaire, dira-t-on, de nous offrir l’image d’un âne, à l’article “âne” ? On pourrait peut-être s’en passer, répondrons-nous, mais après tout, si cela n’apprend rien, cela peut amuser les enfants, de voir au milieu de ce texte des oreilles si connues » (préface du Grand dictionnaire). L’exposition donne à voir de magnifiques gravures extraites du Larousse du XIXe siècle : peut-on encore imaginer l’arrivée de ces planches dans une société où l’image était rare ? Le symbole de cette volonté didactique est particulièrement bien exprimé par la Semeuse dont l’exposition retrace avec soin l’évolution à travers le temps : cette femme (qui n’est pas sans évoquer la républicaine Marianne) qui diffuse, disperse tous les savoirs possibles aux quatre coins du monde, a été créée en 1890. Depuis, elle n’a pas quitté notre imaginaire visuel, et c’est avec intérêt que l’on suit les transformations graphiques de celle qui « sème à tous vents », écho graphique du credo du père fondateur, placé en exergue de l’exposition : « Instruire tout le monde et sur toutes choses. »

Encyclopédisme et engagement

Il y a un mot qui n’est jamais prononcé dans l’exposition et le visiteur, bibliothécaire en l’espèce, en garde comme un regret : les documents exposés soulignent sans cesse la volonté du fondateur, reprise par tous ses successeurs, de créer des livres « où l’on trouvera, chacune à son ordre alphabétique, toutes les connaissances qui enrichissent l’esprit humain ». L’encyclopédisme est à l’œuvre, mais l’idée d’encyclopédisme n’est pas abordée dans l’exposition, comme si elle allait de soi. Si l’entreprise de Pierre Larousse à travers son grand dictionnaire est une entreprise personnelle, et on en trouve la preuve à travers de nombreux articles judicieusement reproduits au fil de l’exposition (article « zéro » ; article « Napoléon »), il n’en reste pas moins que les modèles sont Diderot et d’Alembert. Le militant Pierre Larousse, défenseur d’une école gratuite et obligatoire, crée, à l’image de ce que lui conseille Victor Hugo, une œuvre engagée dans son siècle et dans sa civilisation. Mais contrairement à Diderot et d’Alembert, il ne fait pas appel aux grands noms de son époque pour nourrir son dessein encyclopédique. C’est par milliers que se comptent les collaborateurs du dictionnaire, mais celui-ci est l’œuvre de Pierre Larousse de A à Z. Autodidacte, il le restera jusqu’au bout, comme lorsque, après son arrivée à Paris, il suit tous les cours qu’il peut trouver.Toute l’ambition de l’homme est là : tout dire, tout décrire, parce que l’ensemble du savoir est accessible au citoyen qu’il est.

Pédagogie

Par-delà l’histoire de l’homme, l’histoire de la maison d’édition est intéressante par la cohérence pédagogique qui s’y déploie : du dictionnaire au petit classique, en passant par les revues pour enfants (Livres roses pour la jeunesse) ou les Larousse thématiques (Larousse ménager, du bricolage, etc.), on retrouve la même volonté de mettre à disposition de tous les outils d’une culture et d’une vie pratique indissociablement liés dans l’esprit du fondateur. L’aventure encyclopédique, de Pierre Larousse au multimédia, est parfaitement lisible à travers l’exposition des très nombreuses publications Larousse, dont la variété de forme et de contenu, jusqu’au Larousse insolite, trace l’histoire d’une maison d’édition au programme et aux ambitions perpétués et répétés au fil du temps. « La pédagogie au service de la langue française » titre l’exposition.

Les aléas actuels de la maison Larousse dans la tempête post-Vivendi font resurgir dans l’imaginaire national les aspects patrimoniaux de l’œuvre Larousse, difficilement dissociables de l’idéal pédagogique qui a été celui du fondateur. Ironie de l’histoire ou hasard, le terme anti-mondialisation apparaît pour la première fois dans le Petit Larousse 2003.