Transmettre les passés

nazisme, Vichy et conflits coloniaux. Les responsabilités de l'Université

par Valérie Tesnière
sous la direction de Marie-Claire Hoock-Demarle et Claude Liauzu. - Paris : Syllepse, 2001. – 322 p. ; 22 cm.- ISBN 2-913165-53-2 : 20 €

C’est le sous-titre de ce colloque organisé à l’occasion du trentième anniversaire de la naissance de l’université de Paris VII, qui éclaire ce choix de compte rendu au sein d’une revue professionnelle telle que le BBF. Il s’agit d’interroger les responsabilités de l’université dans la transmission de savoirs, problématique qui intéresse au premier chef les bibliothécaires qui travaillent au sein des universités, mais aussi plus largement tous ceux qui mettent des contenus à disposition du public.

Historiographie

L’exemple de Paris VII, symbole de l’ouverture pluridisciplinaire, est particulièrement éclairant. Claude Debru rappelle d’ailleurs dans une communication stimulante le rôle fondateur des médecins et particulièrement des hématologues comme Jean Bernard ou Jean Dausset et leur souci de lier consubstantiellement leurs recherches à une réflexion sur la possibilité d’une science de l’homme.

Cette alliance renouvelée entre médecine, philosophie et sciences humaines est mise en perspective dans la première partie historiographique du colloque qui retrace le cheminement de disciplines clés depuis le XIXe siècle : au-delà de sciences qu’on peut qualifier de sciences de gouvernement comme la démographie (Hervé Le Bras, Sandrine Bertaux) ou la géopolitique (Christian Grataloup, Jochen Hoock), c’est bien évidemment le statut de l’anthropologie qui est questionné dans une autre communication, celle de Carole Reynaud-Paligot sur Paul Rivet, fondateur du musée de l’Homme. Il faut noter aussi un sujet rarement abordé, celui traité par Céline Lesourd sur l’épuration à la Libération dans les facultés de médecine. Eugénisme, racisme, colonialisme : aucune discipline n’est coupée de son siècle, ce qui ne signifie pas dans un raccourci réducteur que tout parcours scientifique se lit de façon relative.

Le livre confronte par ailleurs trois types de problématiques qui interrogent la pratique de l’histoire. Mettre en parallèle les productions des historiens relatives au nazisme, au régime de Vichy et au colonialisme est une démarche très productive, au-delà d’utiles mises au point sur la querelle des historiens en Allemagne à propos du nazisme (Marie-Claire Hoock-Demarle) ou encore à propos du négationnisme en France (Valérie Higounet) sans oublier bien sûr les tendances récentes de l’enseignement de l’histoire sur Vichy. Il a déjà été beaucoup écrit sur ces sujets, mais ce qui importe ici, c’est de questionner le statut de l’écriture de l’histoire et aussi de la transmission des passés.

Le rôle de l’université de Paris VII

Enfin, l’un des apports de ce colloque, qui décidément donne matière à réflexion contrairement à beaucoup d’exercices du même genre, aura été de rappeler le rôle très particulier de l’université de Paris VII. Trente ans, l’espace d’une génération mais aussi le temps suffisant pour prendre du recul par rapport à un engagement. Beaucoup ont en tête les combats anticolonialistes puis tiers-mondistes des années 1970, beaucoup ont oublié dans quelle perspective épistémologique ils se situaient. Catherine Coquery-Vidrovitch le rappelle à propos de l’histoire de l’Afrique, comme l’hommage rendu au géographe Jean Dresch à la fin du volume. Mais c’est surtout la remarquable contribution de Claude Liauzu qui retient l’attention : « L’héritage colonial et la mondialisation » dégage le fil rouge qui unit les réflexions de tant d’universitaires, particulièrement bien accueillis à Paris VII, depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui et redonne du sens à ce qui doit être le fondement politique d’une pratique de transmission des savoirs dans une démocratie.

Une remarque incidente qui n’ôte rien à la qualité de l’ensemble publié : ceux qui connaissent Paris VII seront amusés de noter l’absence de la psychanalyse, de la littérature et d’autres sciences dites « dures » comme la physique et les sciences de la terre et se diront que la pluridisciplinarité a ses limites ou bien qu’il y a de la place pour une autre commémoration.