Le libraire, commerçant ou acteur culturel ?

Isabelle Masse

Comme tous les ans, les professionnels du livre s’étaient donné rendez-vous au Salon du livre de Paris, dans les allées et sur les stands, mais aussi lors des nombreuses rencontres du lundi 25 mars. Cette année, le BBF rend compte de trois d’entre elles : « Livres et manuscrits : connaître les matériaux pour mieux les conserver », « L’édition universitaire face au numérique : état des lieux et perspectives », et enfin, « Le libraire, commerçant ou acteur culturel ? ».

Organisé par l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques et animé par Thierry Ermakoff, de la Direction régionale des affaires culturelles de la région Auvergne, s’est tenu un débat intitulé « Le libraire, commerçant ou acteur culturel ? ».

Un « médiateur commerçant » ?

Le livre n’est pas un produit comme un autre, rappela Thierry Ermakoff ; son statut dans une économie libérale est dérogatoire : la loi Lang en fixe le prix unique, établi par l’éditeur. La situation de la librairie est quant à elle contrastée : 20 % de librairies sont dites indépendantes et ont une exigence de rentabilité plus importante à Paris ou dans les grandes villes que dans les petites agglomérations.

Le libraire est-il un acteur culturel, un médiateur culturel, un « médiateur commerçant » ? Pour Olivier Parault, de la librairie Decitre 1, si les libraires sont des agents culturels, ils sont aussi et bien sûr des commerçants. Decitre participe depuis longtemps à l’action culturelle en offrant à ses clients un fonds d’ouvrages le plus large possible, un fonds dont la composition a cependant changé : celui qui est proposé aujourd’hui n’est plus celui d’il y a vingt ans, la vente de livres ardus étant devenue très difficile.

Le Temps des cerises, librairie située à Clermont-Ferrand, est une petite structure (deux personnes) 2, qui propose un choix important d’ouvrages régionaux et de poésie. Elle entretient de bonnes relations avec la bibliothèque municipale et les bibliothèques de comités d’entreprises, et a son rôle dans la vie associative et institutionnelle. Annoncés par la presse et les médias locaux, des manifestations, rencontres, débats, dédicaces ont lieu 3 à 5 fois par mois. Mais cette politique d’animation culturelle a un coût financier qui pèse un coût que les éditeurs ne partagent pas ou peu.

Le point de vue du bibliothécaire

Les bibliothèques municipales (BM) organisent des rencontres qui cherchent à valoriser les petits éditeurs et le travail de création, rappela Catherine Pouyet, directrice des BM de Grenoble. Y sont associés de nombreux libraires, qui, n’ayant pas toujours la capacité d’accueillir un public large, profitent alors d’espaces plus vastes.

Certaines bibliothèques municipales ne s’approvisionnent plus en nouveautés – comme par exemple la bibliothèque municipale d’Anglet qui agit ainsi pour inciter les usagers à aller en librairie. Ce qui, pour Catherine Pouyet, peut pénaliser certains lecteurs, qui ne peuvent pas être acheteurs, et remettre en cause le fondement même de la bibliothèque.

À l’heure actuelle, les budgets d’acquisitions en baisse – néfastes pour les libraires, dira Olivier Parault –, la nécessité d’achat de documents autres que le livre, le plafonnement des rabais pour les ventes de livres aux collectivités 3 qui ne sera peut-être pas compensé par une augmentation des budgets en 2003… créent des enjeux pour les bibliothèques dont Catherine Pouyet espère qu’ils soient bien perçus par les élus, qui devraient changer la donne.

Mais, avec des objectifs différents, le libraire et le bibliothécaire restent complémentaires et concourent ensemble au développement culturel de la ville.

  1. (retour)↑  Située en région Rhône-Alpes, la librairie Decitre est constituée de 8 magasins, dont 4 à Lyon et emploie 200 personnes. Son chiffre d’affaires (CA) est de 38,11 Mh (250 MF) (dont 20 % pour la papeterie). Le service aux collectivités représente un chiffre d’affaires de 8,23 Mh (54 MF) qui représente 20 % du CA total.
  2. (retour)↑  Son chiffre d’affaires est de 0,30 Mh (2 MF) par an. Elle offre 8 000 livres sur une surface de 100 m2.
  3. (retour)↑  Communiqué du Conseil des ministres du mercredi 20 mars 2002 : Projet de loi, Rémunération au titre du prêt en bibliothèque et protection sociale des auteurs, 3e objectif : « le soutien au réseau des librairies par un plafonnement des rabais pour les ventes de livres aux collectivités qui leur permettra de retrouver une position concurrentielle sur les marchés ». Cf. le site http://www.premier-ministre.gouv.fr, rubrique Le conseil des ministres.Cf. aussi le site du Sénat : http://www.senat.fr/leg/pjl01-271.html