L'iFLA à Jérusalem

Acquisitions et développement des collections.

Marie-Joëlle Tarin

Manifestation internationale des plus importantes pour les professionnels des bibliothèques et de l’information, la 66 e conférence de l’Ifla (International Federation of Library Association and Institutions), s’est déroulée à Jérusalem, du 13 au 18 août 2000. Le thème général était cette année la coopération internationale, sous le titre : « Information et coopération : création de la bibliothèque mondiale du futur ».

Bibliothèques et documentation électronique

Parmi les nombreux travaux des comités permanents, groupes de discussion, ateliers, et autres forums, la section Acquisitions et développement des collections a tenu sa séance plénière sur le thème suivant : « Les bibliothèques et la documentation électronique ». Deux axes ont été développés : l’accès à l’information et la mise en place de nouvelles structures (consortiums…).

Au cours de la première intervention, « Libraries without resources: towards personal collections », J. S. M. Savenije et Natalia Grygierczyk (université d’Utrecht, Pays-Bas) ont insisté sur les nouvelles fonctions des bibliothèques : assister les usagers dans la construction de leur collection personnelle. En fait, la bibliothèque aura un rôle de portail d’accès vers des informations emmagasinées ailleurs, ce qui pose la question de l’accès aux sources : l’information étant stockée ailleurs, voire n’importe où, comment en garantir l’accès ? La bibliothèque doit dépasser son rôle de fournisseur de documents primaires. Elle devient invisible et c’est l’usager qui prend le rôle du bibliothécaire, en décidant des données à sélectionner, en organisant une collection « taillée sur mesure » à l’aide d’outils proposés par la bibliothèque. La notion de développement des collections acquiert donc une nouvelle dimension, liée à la mesure de l’utilisation des collections. Cependant, l’accès pour tous à l’information se fera avec des coûts différents.

Dans son intervention, « Toward worldwide resource sharing – Collection development in China higher educational institutions », Yafan Song (bibliothèque de l’université de Renmin, Chine) insista elle aussi sur cette nouvelle qualité de service et sur les nouvelles fonctions des bibliothèques de recherche en Chine qui, en plus de leur rôle de lieu de stockage physique des collections, se doivent de fournir l’accès à tout type d’information via les réseaux créés depuis 1997 (Chinanet, Cernet…). Et comme dans l’intervention précédente, elle conclut en expliquant que la construction de cette bibliothèque virtuelle ne pourra se faire qu’avec l’aide des fournisseurs, des chercheurs et des opérateurs dits « intelligents ».

Diann Rusch-Feja (Max-Planck Institute for Human Development, Berlin), termina cette session en proposant quelques modèles d’acquisition des ressources électroniques en Allemagne, pays où il n’y a pas d’unité centrale, mais une puissante structure fédérée. Chaque Land présente des situations financières différentes et il existe un grand nombre de facteurs de concurrence, voire de prestige pour chacun d’eux. En fait, elle développa quatre modèles de consortiums :

– un modèle de regroupements de bibliothèques universitaires régionales, qui regroupe parfois plusieurs Länder (par exemple, Bade-Würtemberg, Bavière, Hesse…), est plutôt destiné à la fourniture électronique de périodiques ;

– un modèle de regroupements de tous les types de bibliothèques, également par régions (par exemple, Berlin-Brandenburg…). Une des bibliothèques du consortium est choisie pour conserver l’édition papier des revues et plusieurs contrats sont proposés (licence, contrat d’association…) ;

– un regroupement de bibliothèques d’institutions de type « quasi » commercial et implantées sur des sites divers (par exemple, Max-Planck Institut, Goethe Institut…), qui permet l’accès aux revues électroniques, mais également la possibilité d’archives. Il s’agit de systèmes d’accès hybride ; il faut négocier avec des instituts de taille et d’intérêt différents (ainsi le Max-Planck Institut regroupe 81 établissements) ;

– un consortium suprarégional, voire national, qui regroupe tous les types d’institutions. Ce modèle n’existe pas en Allemagne, car les Länder résistent.

Quel que soit le modèle choisi, l’auteur insista sur la difficulté des négociations : difficulté causée parfois par les éditeurs, parfois par les clauses des contrats (durée, annulation des éditions papier, accès à distance…), parfois par les conditions financières, ou le choix des thématiques. En conclusion, elle rappela qu’il ne faut jamais perdre de vue les usages.

Activités

Une nouvelle édition de Acquisition and Collection Development Bibliography, qui regroupe environ 1200 notices, classées par ordre alphabétique d’auteur, est disponible en ligne sur le site Iflanet 1. Une plaquette pour la rédaction du guide d’élaboration d’une charte documentaire pour tout type de bibliothèque a fait l’objet d’une publication en décembre 2000.

Une nouvelle édition (et non une mise à jour) du Handbook for the International Exchange of Publications aux éditions Saur est prévue pour 2002. La Bibliothèque nationale de France pilotera l’envoi d’un questionnaire préalable à la publication. Cette nouvelle édition traitera les aspects technique et méthodologique des échanges et sera complétée par un répertoire imprimé des centres d’échanges qui sera mis à jour en ligne tous les deux ou trois ans. Sont envisagées une édition bilingue anglais/français et une traduction en russe.

Atelier

Les 94 congressistes présents à l’atelier animé par Joe Hewitt (Academic Affairs Library, université de Caroline du Nord, à Chapell Hill, États-Unis) ont débattu des défis organisationnels dans le nouvel environnement électronique.

Compte tenu de l’évolution de l’information (les bases de données et catalogues en 1970 ; la naissance des cédéroms en 1980 ; la naissance et le développement d’Internet et des périodiques électroniques dans les années 1990, et récemment l’apparition des livres électroniques), la bibliothèque se trouve confrontée à de nouveaux défis. Le personnel doit s’adapter ; il faut s’organiser, créer de nouveaux partenariats, monter des consortiums.

Larry Alford (bibliothèque de l’université de Caroline du Nord), auteur de la première communication, a centré son propos sur l’impact des ressources électroniques sur l’organisation des collections. L’acquisition de ces nouveaux types de documents implique pour les professionnels une parfaite connaissance des contenus, une analyse des coûts (rapport qualité/prix), une adéquation entre les différents produits proposés et les besoins des utilisateurs, ainsi qu’une grande coopération. En effet, l’acquéreur aujourd’hui ne peut plus travailler seul dans un environnement électronique. De plus, il doit également intégrer de nouvelles compétences techniques et d’expertise en questions juridiques pour pouvoir négocier avec les fournisseurs et éditeurs lors de la mise en place de consortiums, le but final pour la bibliothèque étant de donner le plus rapidement et le plus facilement possible l’information judicieuse à ses utilisateurs.

À la suite à cet exposé théorique, Jim Vickery (Développement des collections, British Library) a donné un exemple concret de cette réorganisation documentaire qui intègre les nouvelles ressources numériques : celui de la British Library. Après un bref rappel de l’environnement, il a donné l’emploi du temps détaillé de l’organisation de cette nouvelle structure, puis il a décrit les différentes étapes du processus (sélection, contrôle budgétaire, stratégie de l’accès, licences, technologie de l’information, gestion, acquisition et catalogage, conservation et archivage), ainsi que la constitution de différents groupes de travail comme le Groupe de travail électronique, le Forum d’acquéreurs experts en documents électroniques. Enfin, il a listé les différentes actions entreprises, telles que la réalisation de fiches modèles, la création d’une base de données pour enregistrer les données pertinentes, la mise en place d’ateliers de formation, un budget spécifique ainsi que la création de nouveaux postes. Dans sa conclusion, il a insisté sur le rôle essentiel de la coopération interne, mais aussi de la coopération avec d’autres bibliothèques pour assurer la réussite d’un tel projet.

La dernière intervention de Yasar Tonta (université Hacettepe à Ankara, Turquie) a repris cette idée de la coopération, cette fois au sein des bibliothèques universitaires turques. Pourquoi coopérer ? Pour diffuser le plus rapidement possible l’information pertinente et pour répartir les coûts de cette information en fonction des différents acteurs impliqués. Cela pose le problème de savoir qui possède et qui n’a seulement accès. Ce travail en réseau a permis de lister les doublons dans différentes bibliothèques et de dresser les coûts de la documentation dans chaque institution. Ensuite, M. Tonta a donné quelques exemples de consortiums pour l’acquisition des documents numériques et a conclu sur la nécessité de coopération entre bibliothécaires, chercheurs et usagers pour que de tels projets puissent réussir.

Groupes de discussion

La section Acquisitions et développement des collections abrite quelques groupes de discussion. Le groupe « Licence d’exploitation de sources d’information électroniques », créé à Amsterdam, s’est à nouveau réuni à Jérusalem (environ 80 personnes assistaient à cette réunion dont le modérateur était Ann Okerson, de la bibliothèque de l’université de Yale et coordinatrice du consortium NorthEast Research Libraries-Nerl). Différents pays ont fait part de leurs projets, entre autres le Canada, Israël et la Suède. Ainsi, Frances Groen (université McGill) a exposé la mise en place d’un projet pilote sur trois ans, intégrant 64 institutions : « Canadian National Site Licensing Project » (CNSLP). Un comité spécifique a été constitué et un calendrier des différentes phases a été mis en place 2.

Elhanan Adler (Réseau interuniversitaire d’Israël, Bibliothèque nationale et universitaire hébraïque, Jérusalem) a parlé du projet réalisé en Israël (3 e année en 2000) qui regroupe huit universités et deux collèges. Il intègre également d’autres institutions comme les bibliothèques d’hôpitaux. Le budget était au départ commun pour toutes les acquisitions d’abonnements électroniques, mais des problèmes ont vite surgi, comme le nombre d’abonnements par rapport à l’usage réel, différent selon l’institution, la responsabilité de chaque bibliothèque dans le consortium, l’acquisition ou non d’abonnement couplé électronique/papier…

F. Lettenstrom (Academic Press, couvrant l’Europe du Sud, l’Afrique, l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale, le Proche et le Moyen-Orient) a insisté sur la diversité de chaque pays (structure centralisée, décentralisée) et sur les divers types de consortiums (ouvert, fermé…). Actuellement, Academic Press travaille sur les sujets suivants : la fourniture d’information numérique dans les pays africains, l’archivage des données numériques, la mise en place de standards internationaux. Marie-Joëlle Tarin a présenté la création en France du premier consortium de bibliothèques universitaires : COnsortium Universitaire des PÉRIodiques Numériques (COUPERIN), historique, mise en place et évolution.

Peter Lor (Bibliothèque nationale d’Afrique du Sud) a souligné en conclusion l’importance de l’évaluation des besoins lorsque l’on monte un consortium : comment organiser le meilleur choix entre toutes les disciplines, quelle part du budget y consacrer, combien de professionnels impliquer dans ce nouveau projet.

Le groupe de discussion « Les bibliothèques de dépôt et de stockage » était piloté par P. Penti Vattalainen (Finnish National Repository Library). Les intervenants ont tous insisté sur la nécessité de cataloguer les documents emmagasinés, ne serait-ce que pour le prêt entre bibliothèques. Dans le cas des documents électroniques, se posent les problèmes du copyright et de la volatilité de l’information sur le Web.

La différence entre dépôt et dépôt légal a été évoquée par Peter Lor (Afrique du Sud), qui propose trois définitions pour le mot storage : bibliothèque-magasin commune ; bibliothèque de dépôt ; centre de redistribution. En fait, la question essentielle débattue au cours de la réunion de Jérusalem a été celle de la valeur ajoutée que l’on peut fournir en créant une bibliothèque de dépôt.

Pascal Sanz (Centre technique du livre de l’enseignement supérieur) a insisté sur les coûts engendrés par la mise en place d’une telle structure (coûts par activité, par poste de travail, coûts de construction…). L’ensemble des intervenants a également mis l’accent sur le choix des collections à préserver, le nombre d’exemplaires, le type de document à garder et la conservation des documents électroniques dans leur forme originale ou par transfert sur un autre support. En 2001, le Canada et la Russie feront part à Boston de leurs projets respectifs et la Johns Hopkins University explicitera son travail visant à garantir les responsabilités des ressources stockées.

Projets de la section pour 2001

La 67 e conférence de l’Ifla aura lieu à Boston, en août 2001. Le thème de la session plénière sera le suivant : « Measuring and evaluating the use of electronic collections ? 3 ». Y seront abordées les questions de mesure et d’évaluation du point de vue des collections et des usagers. La distinction entre usages et utilisateurs sera prise en compte et le rôle des fournisseurs sera également traité. Quant à l’atelier, coordonné par Alexei Romanov (Bibliothèque nationale de Russie), il aura pour sujet : « Exchange of publications: does it have a future in a digital age ? ».