Revue de la Bibliothèque nationale de France

Le Livre annoté

par Gilles Éboli
Revue de la Bibliothèque Nationale de France, n°2, 1999. Paris : BnF, 1999. - 92 p. : ill.; 27 cm. ISBN 2-7177-2075-8. ISSN 1254-7700. 140 F/21,34 euros.

A plusieurs titres, la Revue de la Bibliothèque nationale de France tient ses promesses : tout d'abord, très prosaïquement par la parution de ce deuxième numéro consacré, après « Les acquisitions », au livre annoté ; les autres livraisons annoncées (Littérature et musique ; La chronologie ou la volonté de prendre date ; Archives, patrimoine et spectacle vivant ; Les manuscrits des écrivains du XXe siècle) sont donc attendues avec quiétude, le pli pouvant être considéré comme déjà pris. Ensuite, et plus largement, par le respect du cahier des charges d'une publication « destinée à faire connaître les collections dans leur richesse et leur diversité », « repensée en fonction des nouvelles dimensions de l'établissement » et devant ouvrir « de nouveaux horizons de recherche et réfléchir au devenir du livre et des bibliothèques ».

Un espace bien rempli

De fait, existe entre le catalogue et la chronique de la BnF un espace que « ce livre annoté » remplit parfaitement. En premier lieu par la diversité et la richesse des contributions : autour de Jean-Marc Chatelain, maître d'œuvre, alternant Christian Jacob, chargé de recherche au CNRS, Marie-Hélène Tesnière, conservateur en chef au département des Manuscrits, Francis Richard, conservateur à la division orientale, Jean Letrouit, Antoine Coron, directeur de la Réserve, Gérald Rannaud, de l'université Stendhal-Grenoble III et Jean-Didier Wagneur, du service Numérisation de la BnF. Transversabilité, apports conjoints des chercheurs et des conservateurs sont ici au rendez-vous.

Cette diversité et cette richesse des contributions répondent bien, en second lieu, à celles du sujet lui-même. A priori, l'angle de vue paraît bien étroit, voire anecdotique, comparé à ceux retenus précédemment ou à venir. Pourtant, la succession des articles, logique et astucieuse, montre l'importance des enjeux que recèle le livre annoté et pourquoi il constitue en quelque sorte le point de convergence théorique et pratique des recherches sur l'histoire et les pratiques passées, actuelles, voire à venir de la lecture studieuse.

Jean-Marc Chatelain, après avoir souligné la vogue que rencontre cette discipline il y a peu absconse, en dévoile la problématique. Traquer la note, c'est tenter d'approcher ce qu'il appelle « l'intimité d'une manière d'être au livre ». On voit l'ambition du projet : situer la recherche à l'extrême fin du circuit du livre ; observer, après l'auteur, l'imprimeur, le diffuseur et le libraire, le lecteur lui-même, livre et donc crayon en main.

Le premier des jalons proposés se présente avec « Périples de lecteurs, notes sur Athénée » regroupées par Christian Jacob. C'est ici le crayon d'Athénée de Numatis (IIe siècle de notre ère) qui est d'abord suivi à travers ses Deipnosophistes, « livre écrit à partir de notes de lectures, de citations, d'extraits, de mots et de fragments ». Au crayon d'Athénée répond celui d'Isaac Casaubon (1559-1614), éditeur en 1598 d'Athénée et grande figure de l'annotateur humaniste. Ce dernier est ensuite sondé par Jean-Marc Chatelain dans « Humanisme et culture de la note » qui montre, avec Érasme notamment, comment, par la pratique de l'annotation, l'humaniste est le notaire du sens.

Le manuscrit 5690 de la BnF – puisqu'il s'agit, rappelons-le, de faire connaître les collections –, permet à Marie-Hélène Tesnière de nous montrer « Pétrarque lecteur de Tite-Live », tandis que les manuscrits orientaux nous livrent eux, grâce à Francis Richard, les annotations de Louis Picques, théologien féru de langues orientales. Une autre source de la BnF est abordée par Jean Letrouit avec « La prise de notes de cours sur support imprimé dans les collèges parisiens au XVIe siècle » avant que le marché du livre, scruté par Antoine Coron, ne relate la fortune des « livres autographiés ». Guillaume Budé, lecteur de Varthema (Jean-Marc Chatelain), Stendhal annotateur… de Stendhal (Gérald Rannaud) complètent un panorama qu'élargit encore Jean-Didier Wagneur avec l'inévitable « bibliothèque électronique de la BnF ou quand un lecteur a le droit d'écrire sur les livres ».

D'Athénée à l'hypertexte, la boucle est alors bouclée à la fin d'un périple tout à la fois stimulant, curieux et révélateur. Le but de ce numéro, modestement annoncé par l'éditorial, était « d'affirmer par l'exemple que l'annotation requiert d'autant plus notre attention qu'elle occupe une place centrale dans notre rapport au texte ». Objectif atteint : à vos crayons (et claviers) !