La conservation

une science en évolution, bilan et perspectives

par Philippe Hoch
Actes des troisièmes journées internationales d'études de l'ARSAG, Paris, 21-25 avril 1997. Numéro spécial des Nouvelles de l'Association pour la recherche scientifique sur les arts graphiques. Paris : ARSAG, 1997. 369 p. : ill. ; 30 cm. ISSN 0765-0248. 350 F

Les troisièmes journées de l'Association pour la recherche scientifique sur les arts graphiques (ARSAG) ont réuni une cinquantaine d'intervenants, français et étrangers, tous concernés, du fait de leur activité professionnelle ou de leurs responsabilités qu'elles soient politiques ou administratives, par la conservation du patrimoine écrit et graphique. Durant près d'une semaine, conservateurs, restaurateurs, chimistes, microbiologistes, architectes ou encore industriels ont débattu des fondements de la conservation, de ses aspects techniques et des fortes implications économiques de la sauvegarde de collections particulièrement menacées.

La diversité même des milieux dont provenaient les participants témoignait « du caractère indispensable d'un dialogue effectif, de tous les instants et à tous les niveaux, de l'ensemble des acteurs qui contribuent à préserver la mémoire du monde » ; collaboration qu'appellent de leurs voeux Françoise Flieder et Sybille Monod, organisatrices du colloque. Cette volonté, consensuelle s'il en est, susceptible de faire converger dans un élan unanimiste des démarches différentes, ne doit cependant pas faire obstacle à un questionnement portant sur les principes mêmes de la conservation et sur ses objets, comme le montrent les contributions de la première partie de l'ouvrage.

Iconoclaste

Il y a lieu, ainsi, de se demander avec Michel Duchein non seulement si l'on « peut tout conserver », mais plus encore, de façon un rien iconoclaste, s'il « faut tout conserver ». Dans un exposé qui s'impose comme un modèle de clarté, l'auteur souligne le coût croissant (en augmentation « spectaculaire ») de la restauration et de la conservation. Une tendance aussi préoccupante impose de justifier « l'utilité, voire la nécessité de cette conservation ». Par ailleurs, la « prolifération des objets à conserver » rend indispensables le tri et surtout l'établissement de règles internationales pour l'effectuer. Enfin, l'extension même d'une notion de plus en plus floue (« aujourd'hui, tout ou presque fait partie du patrimoine ») doit conduire à « prendre acte de l'impossibilité de tout conserver indifféremment et d'agir en conséquence ». Il s'agit donc bien de « substituer une politique raisonnée de conservation à la résignation devant la fatalité ».

Un débat de cette nature, pour Ségolène Bergeon, place la réflexion sur le terrain de l'éthique. Le conservateur-restaurateur se trouve confronté à des choix (faut-il « restaurer », « réparer », « restituer » ? ) qui ne peuvent être réalisés sans que soient prises en compte et mesurées les différentes valeurs (historique, esthétique) des objets. Ségolène Bergeon invite à donner toute son importance, en outre, à la « valeur d'usage » qu'ils revêtent. En effet, « la connaissance précise de l'usage, ou des divers usages successifs d'un bien culturel, est essentielle à sa compréhension globale, et de celle-ci dépend tout acte de restauration ».

Une disposition d'esprit

La formation reçue par les professionnels de la conservation et de la restauration joue à cet égard un rôle de premier plan. Pour Georges Brunel, il ne s'agit pas seulement d'« emmagasiner » des connaissances, mais aussi « d'acquérir une disposition d'esprit telle qu'on sache apprécier les objets du patrimoine culturel en tenant compte de toutes les valeurs qu'ils transmettent ».

La seconde partie du volume aborde les aspects techniques de la conservation. Huit communications ont trait aux bâtiments et à l'environnement, pour l'essentiel dans les services d'archives. S'agissant des bibliothèques, relevons l'intervention de Michel Prinzie et Patrick Stekelorom sur l'« intégration dès la conception de la Bibliothèque nationale de France-François Mitterrand des contraintes d'exploitation », telles que la climatisation, la prévention des risques d'incendie, le transport des documents…

Sont abordés ensuite les problèmes liés aux matériaux (papier, cuir) et aux traitements (photographie et numérisation, désacidification, désinfection des collections). On notera, parmi de nombreuses contributions à l'usage des spécialistes férus de physique et de chimie, celle, excellente et non dénuée d'humour, de Floréal Daniel et Marie Côte, « De Diafoirus aux thérapies de groupe : une petite histoire des techniques de la conservation-restauration des livres ». Cette enquête, nourrie de citations savoureuses, examine les pratiques des bibliothécaires du Moyen Âge, guidés par l'empirisme, et mène le lecteur jusqu'au XXe siècle, qui voit l'organisation progressive d'une discipline autonome, en passant par le XIXe siècle, marqué, quant à lui, à la fois par « le secours de la chimie » et la prise de conscience des détériorations qu'elle provoque.

Lutte pour la survie

Remédier de manière efficace à une situation souvent catastrophique suppose non seulement des techniques développées, telles que le traitement en masse des papiers acides, mais aussi une claire volonté politique de sauvegarder un patrimoine en voie de détérioration accélérée. Les aspects politiques et économiques de la conservation font précisément l'objet de la dernière partie. Sont étudiées d'abord les politiques nationales de conservation, notamment en Allemagne, au Canada, en Italie et au Royaume-Uni où, selon Mirjam Foot, est engagée une véritable « lutte pour la survie », en raison d'un soutien financier institutionnel en constante diminution. Plusieurs études de cas permettent ensuite d'aborder les problèmes de « gestion et planification ».

Les trois dernières interventions mettent en évidence les coûts de la numérisation et ceux de la conservation. Ainsi, à partir de l'expérience acquise au Centre technique de la Bibliothèque nationale de France à Marne-la-Vallée, Katia Baslé et Anne Manouvrier présentent une « méthode de calcul qui permet de chiffrer le coût de revient de la restauration par document ». En définitive, les obstacles paraissent aujourd'hui être moins de nature technique qu'économique. Comme le soulignent Françoise Flieder et Sibylle Monod, « la concrétisation à grande échelle d'une véritable politique de conservation préventive risque d'être très longue, car elle nécessite des moyens financiers considérables ».

Par la diversité des questions abordées, le caractère résolument international des approches, le nombre et la richesse des communications, ce volume, dont le sous-titre - Bilan et perspectives - n'est pas usurpé, constitue un ouvrage de référence que les spécialistes voudront avoir à portée de main.