La querelle du spectacle

par Emmanuel Fraisse
Les Cahiers de médiologie. n° 1, 1er sem. 1996. Paris : Gallimard. 318 p. ; 24 cm. isbn 2-07-074512-0. 50 F

S'adressant avec sollicitude à l'« enfant » que nous aurions pu rester (Le Monde de Sophie 1 fait bien des émules), la quatrième de couverture de ce premier numéro des Cahiers de médiologie définit clairement ce qu'est la médiologie. Loin de se limiter à l'étude des médias, « on a regroupé sous ce terme les effets des moyens de transmission ou de représentation sur les gens ». A ce compte-là, il n'est guère de savoirs ou de discours sur les diverses manifestations humaines qui ne relèvent, à un titre ou à un autre, de la médiologie, ce qu'illustrent avec brio les rédacteurs en chef Régis Debray et Daniel Bougnoux, qui en ont assuré l'un la présentation générale, l'autre la coordination.

Ont été réunis historiens de la littérature et des mentalités, philosophes, psychanalystes, hommes de théâtre et de cinéma, gens du livre et de la culture, spécialistes des sciences politiques et religieuses dans le but de réaffirmer le primat de la médiation sur l'immédiateté, de la convention et de la mise en scène sur « la vie ». La Réforme tridentine l'emporte sur saint Augustin, Corneille sur Rousseau, le théâtre sur la télévision, le « circuit long » sur « le circuit court ». On comprend dans ces conditions que Guy Debord puisse apparaître ici comme une contre-référence, puisque finalement les sociétés dévertébrées de l'Occident contemporain ne peuvent être, à leurs yeux, qu'un antispectacle, elles qui n'offrent que de pauvres reality shows mondialisés, donnant l'illusion d'une fusion entre ceux qui regardent et ceux qui sont filmés. A l'inverse, le spectacle (et singulièrement le théâtre), qui résulte nécessairement d'une coupure entre l'engagement physique de l'acteur et le recul attentif du spectateur, participe d'une mise en ordre, d'une mise en scène de l'essentiel qui contribue à la structuration de ce dernier.

Sans qu'on se risque à entrer dans un autre débat (la querelle de la médiologie ?), force est de reconnaître que la question est passionnante et que la démarche ne saurait laisser indifférent ceux qui sont convaincus de la nécessité d'adopter des approches plurielles et transversales.

La métaphore du spectacle

Construit sur la métaphore du spectacle (ouverture, I, entracte, II), cet ensemble d'articles et d'entretiens se termine par une intéressante « anthologie » de textes fondateurs, « De Platon à Serge Daney ». La première partie, « De Louis XIV au cd-rom », est historique et théorique. De Marc Fumaroli (« La querelle du spectacle au XVIIe siècle ») à Pierre Lévy (« L'hyperscène : de la communication spectaculaire à la communication tous-tous ») en passant par Blandine Kriegel (« Rousseau contre les philosophes ») et Pierre Dumayet (« Quand l'écrit crève l'écran »), elle offre une suite de variations réflexives. A cette série succède un volet plus illustratif qui répond au sous-titre de « l'ardente obligation du spectacle » Parmi les articles les plus stimulants, on relève un entretien de Jean-Yves Hameline sur « La scène liturgique », un texte de Olivier Ihl, « Quoi ! Ne faut-il donc aucun spectacle dans une République ? », une contribution d'Antoine Garapon « Genèse et corruption du rituel judiciaire, Eschyle, Kafka, O. J. Simpson » ainsi qu'une étude de Michel Melot, « De l'ostentation à l'exposition ».

Au total, ce premier numéro, dans lequel l'iconographie est toujours de qualité, tient plus du rite du colloque que de l'espace de recherche, dans lequel s'élaborerait une expression collective et contradictoire. Colloque fermement conduit et mis en perspective par ses organisateurs, mais où de nombreux contributeurs sont plus souvent appelés à résumer leurs travaux précédents qu'à avancer des hypothèses nouvelles.

  1. (retour)↑  Jostein Gaarder, Le Monde de Sophie : un roman sur l'histoire de la philosophie, Paris, Éd. du Seuil, 1995.