La route du futur

par Yves Desrichard

Bill Gates

Nathan Myhrvold

Peter Rinearson

Paris : R. Laffont, 1995. - 355 p. ; 24 cm. ISBN 2-221-08059-9. 139 F

Ainsi donc Bill Gates, alias William H. Gates III, président-directeur-général de Microsoft, « détient les clés de notre avenir », et se propose, dans le présent ouvrage, de nous accompagner on the road ahead, juste un peu plus loin.

L'homme le plus riche du monde

Dès l'abord, l'homme se présente - en toute modestie - comme « produit de l'intelligence » et (malgré tout ?) « l'homme le plus riche du monde ». Nous apprenons, dans la plus pure tradition des success stories à l'américaine, qu'« à dix-neuf ans », il a eu « une vision du futur » et qu' « il s'est avéré qu'il avait vu juste » [sic].

Cette vision était celle de l'explosion de la micro-informatique, « une machine d'adultes dont nous, les enfants, étions les maîtres », et, il faut le reconnaître, l'auteur (et ses copistes) brosse un tableau rapide, mais bien fait, de l'évolution technique et économique du monde de l'informatique et de la micro-informatique de ces quinze dernières années.

Pour autant, le propos de Bill Gates n'est pas de raconter sa vie (on l'a déjà fait abondamment), mais de présenter les « autoroutes de l'information [qui] vont ouvrir des horizons artistiques et scientifiques inimaginables à une future génération de génies », avec, cependant, une interrogation : « Combien posséderont l'inventivité d'un Steven Spielberg, d'une Jane Austen ou d'un Albert Einstein ? ».

Un milliard de dollars ou un flirt

De fait, les autoroutes permettront d'accueillir « toutes les facettes de l'activité humaine, de la négociation d'un milliard de dollars au flirt ». Bill Gates est un parfait exemple de cet homme nouveau, puisque, dit-il : « Au début de notre relation, ma femme Melinda et moi utilisions le courrier électronique ».Il note ensuite finement que « l'érotisme est aussi vieux que l'information elle-même. Dès qu'apparaît une technologie nouvelle... il se trouve toujours quelqu'un pour l'appliquer au plus vieux désir du monde » .

Bill Gates rappelle aussi que, pour ce qui est de l'ontologique, « le marché est un élément constitutif des sociétés humaines » ; d'ailleurs, « le capitalisme a montré qu'il était le meilleur des systèmes économiques... Au cours de la dernière décennie, il a clairement prouvé ses avantages. Avantages que multiplieront les autoroutes... Partout les consommateurs seront les grands gagnants ».

De fait et bientôt, dans la mesure où « vous ouvrirez votre courrier professionnel de chez vous », « toutes ces innovations... auront modifié... la distinction que nous opérons entre travail et domicile » ; « la technologie va nous apporter plus de flexibilité et d'efficacité », et, « grâce aux progrès à venir, la rationalisation s'étendra à des domaines qui nous paraissent bien fonctionner ».

Un salarié productif

Bon, c'est sûr, « nous serons nombreux à nous faire éjecter de notre petit confort. Mais cela ne veut pas dire que notre savoir-faire n'aura plus aucune valeur marchande », puisque « chacun apprendra à être un salarié productif ». On est rassuré... même si, pour cet homme nouveau, « le temps qu'il passera auprès des bambins ne sera pas rémunéré ».

D'autant plus que « le réseau sera le nouveau terrain de jeux, le nouveau lieu de travail, la nouvelle salle de classe, de la société. Il remplacera le papier-monnaie... Il sera notre album photo, notre journal, notre vidéocassette ». « Bientôt, tout cela, et plus encore, tiendra dans un PC-portefeuille », et les chefs d'entreprise pourront écrire (virtuellement ?) aux impôts pour dire qu'ils ne peuvent plus payer. Peut-on encore dire écrire... puisque « nous parlerons à notre télévision, à notre PC, aux extensions, à tous nos supports d'information ».

Bon, tout cela n'existe pas encore, mais il y a déjà la maison de Bill Gates pour préfigurer « ce que l'on pourrait appeler une vie documentée ». Certes, ailleurs qu'aux Etats-Unis, « les choses sont un peu plus compliquées ». Mais la déréglementation est une condition sine qua non des autoroutes, « la constitution d'une infrastructure permettant d'amener des connexions à large bande dans les foyers est essentielle ».

Quand on pense à un monde où « les parents d'élèves pourront évaluer directement la qualité des cours et assurer un contrôle sur leur contenu », un monde où « ce qui nous apparaît aujourd'hui comme une sorte de Big Brother numérique [la généralisation de la vidéosurveillance] pourrait devenir la norme si l'alternative est laissée à la merci des terroristes et des criminels », on se demande pourquoi hésiter...

Un seul écueil pour ceux qui attendent, une seule chance pour ceux qui doutent, le truisme : « Il n'existe pas de cartes fiables des territoires inexplorés » et « l'égalité virtuelle est bien plus accessible que l'égalité dans le monde réel » : ça va mieux en le disant...

O lucky man...