La conversion rétrospective des catalogues des bibliothèques municipales

Chronique d'une modernisation et esquisse d'un bilan

Georges Perrin

Le programme de conversion rétrospective des catalogues des bibliothèques municipales entre dans son ultime étape. Les catalogues des fonds patrimoniaux et locaux de vingt-six d'entre elles ont été convertis. En février 1996, a commencé la dernière campagne de saisie des catalogues de trente autres. Un bilan définitif de cette opération n'est pas encore possible, mais on peut dégager quelques constats, tendances et perspectives concernant celles qui en ont bénéficié : la confirmation de la variété, de la richesse et de l'originalité de leurs fonds patrimoniaux. La modernisation des catalogues oblige les professionnels à travailler à une amélioration radicale de leur accessibilité. Elle donne aux collections et aux bibliothèques qui les conservent un rayonnement nouveau qui s'étend à l'ensemble de la planète.

The retroconversion programme of municipal libraries'catalogues, a part of the project of the prospective Bibliothèque nationale de France, is now entering its last phase. The catalogues of heritage and local collections belonging to twenty-six libraries are converted. The last campaign to capture the catalogues of thirty more libraries started in February 1996. It is too early to take stock of the process. Nevertheless, we can draw some observations, tendencies and prospects as regards the recipient ones : the retroconversion captures bore out the variety, abundance and unicity of their heritage collections. Modernizing the catalogues of these stocks leads professionals to reach a radically different approach of their access. It gives these collections and therefore the libraries holding them a new and worldwide radiance.

Der Konvertierungsplan der Kataloge der Stadtbibliotheken erreicht seinen letzten Jahreslauf. Die Kataloge der 26 wichtigsten französischen Altbestände wurden schon konvertiert. Im Februar 1996 hat der letzte Zug begonnen, der die Sammlungen von 30 Bibliotheken betrifft. Eine endgültige Bilanz des Vorhabens kann noch nicht gezogen werden, sondern etliche Bestätigungen, Tendenzen und Aussichten sind ja aufgetaucht in den Anstalten, die davon Nutzen gewannen: die Vielfältigkeit, der Reichtum und die Eigentümlichkeit ihrer erbschaftlichen Sammlungen werden festgestellt. Die Mordernisierung der Kataloge verpflichtet jetzt die Verantwortlichen dazu, den Zugriff zu diesen Beständen gründlich zu verbessern. So wird den Sammlungen und den betroffenen Bibliotheken ein neuer Glanz verliehen, der sich auf die ganze Welt ausbreitet.

Par un courrier daté du 15 octobre 1990, et adressé à Jack Lang, ministre de la Culture, et Emile Biasini, secrétaire d’État chargé des grands travaux, François Mitterrand précisait : « J’insiste (...) sur deux travaux à achever d’ici à 1995 avec l’aide des ministres compétents. Le premier est la mise au point d’un catalogue collectif national qui sera le langage commun de toutes les bibliothèques en France. Le second sera de nouer rapidement des relations concrètes avec un nombre limité mais significatif de bibliothèques de province pour confirmer la vocation de la Bibliothèque de France à animer un réseau national ouvert à tous les Français ».

L’idée d’un catalogue collectif avait été avancée par Patrice Cahart et Michel Melot dans leur rapport au Premier ministre 1. Les auteurs préconisaient l’utilisation de BN-Opale comme base initiale d’un catalogue national autour duquel pourraient s’agréger le catalogue collectif des bibliothèques universitaires (à l’époque, le projet de Pancatalogue), les catalogues de certaines bibliothèques spécialisées et ceux des bibliothèques municipales.

On sait ce qu’il est advenu des projets de catalogue collectif des établissements d’enseignement supérieur et des efforts importants conduits avec succès par la Direction de la programmation et du développement universitaire et de ses successeurs, pour accélérer l’informatisation des catalogues des bibliothèques d’universités et faciliter leur accès par le futur système universitaire.

Les ouvrages les plus remarquables

Pour les bibliothèques municipales, il s’agissait d’accorder les efforts entrepris par la Bibliothèque nationale pour l’informatisation de ses catalogues, avec le souci exprimé par le président de la République et relayé par le ministère de la Culture, de voir l’ensemble des bibliothèques françaises concernées par cet effort national de modernisation des catalogues.

Parmi les premières études initiées par l’Association pour la Bibliothèque de France, celle qui fut confiée à GSI-ERLI pour « l’établissement du schéma d’élaboration d’un catalogue collectif national des fonds documentaires » énonçait, dans le premier rapport d’étape de la phase 1, cette recommandation, selon laquelle il fallait : « ... s’appuyer sur l’existant le plus positif » et, notamment, « tenir compte des situations provinciales intéressantes (fonds régionaux... fonds anciens) ».

Cette même étude dégageait les premiers éléments d’une définition générique du futur catalogue collectif de France qui ne variera plus : c’est un outil, à la disposition des chercheurs, qui croise une double logique d’investigation, thématique et géographique. Ceci se décline d’une autre façon : ce catalogue doit recenser et localiser, sur l’ensemble du territoire national, les ouvrages les plus remarquables et les plus utiles pour la recherche. Il convenait donc, pour chaque type de bibliothèque, de sélectionner la ou les parties des fonds à signaler prioritairement à l’ensemble des chercheurs par le biais de ce futur outil.

C’est pourquoi, dès l’automne 1990, la Direction du livre et de la lecture travaillait, en étroite liaison avec l’Établissement public de la Bibliothèque de France, à l’élaboration d’un programme d’aide à la conversion rétrospective des catalogues des fonds les plus originaux des grandes bibliothèques municipales.

De toute évidence, les collections des bibliothèques municipales les plus intéressantes pour la recherche sont constituées par les fonds anciens, assez largement répartis dans l’ensemble des bibliothèques municipales françaises. Il s’agit, pour l’essentiel, du produit des confiscations de la Révolution française, augmenté du résultat des nouvelles confiscations consécutives à la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905.

Une première liste de vingt-deux bibliothèques municipales fut dressée ; cette liste concernait les bibliothèques qui, d’après les statistiques de la Direction du livre et de la lecture, possédaient plus de 50 000 livres imprimés anciens, selon la définition classique (imprimés avant 1811). C’étaient essentiellement des bibliothèques classées ; seule la bibliothèque de Bourg-en-Bresse dérogeait à cette typologie.

Cette liste avait été élaborée à partir des chiffres issus de l’enquête de 1975, intitulée « Les fonds anciens des bibliothèques françaises ». Ces chiffres avaient été repris en avril 1989 et, en quelque sorte, officialisés, par le Rapport du groupe de travail sur les bibliothèques municipales classées, plus connu sous l’appellation Rapport Béghain 2.

Il s’agissait alors de définir une stratégie qui prenne en compte les contraintes fortes d’un tel projet : d’une part, la nécessité d’aligner le plus possible la procédure de réalisation sur celle qu’avait mise en œuvre le Centre de coordination bibliographique et technique de la Bibliothèque nationale pour ses propres catalogues ; d’autre part, le strict respect du délai imposé par les limites d’utilisation de la ligne « province » au sein de l’enveloppe budgétaire affectée au projet de la Bibliothèque de France.

Cette double obligation a dicté deux décisions au Comité de pilotage de la conversion rétrospective des bibliothèques municipales :

– confier à la Bibliothèque de France la maîtrise d’ouvrage de l’opération et lui demander d’assumer la totalité du financement des travaux. Ceci évitait la dispersion des responsabilités sur le plan technique, offrait à la Bibliothèque de France la possibilité de fixer un calendrier fiable de l’opération, et d’obtenir, par le biais d’une méthode unique, le résultat le plus homogène possible ;

– faire procéder, par une société spécialisée, à une saisie informatique pure et simple des notices des fichiers et catalogues sur papier. Ceci excluait toute opération préalable de catalogage, de recatalogage ou de complément de catalogage.

Un échantillon représentatif de bibliothèques

La mise en œuvre d’un tel travail supposait évidemment un minimum de planification et la définition d’une méthode élaborée à partir d’un échantillon à la fois représentatif et significatif de bibliothèques et de catalogues.

Aussi, une première liste de sept bibliothèques fut-elle dressée : Besançon, Bordeaux, Dijon, Grenoble, Lyon, Nancy et Nantes. D’après les statistiques officielles, l’informatisation des catalogues de ces bibliothèques laissait espérer une première moisson de 807 000 notices. De plus, l’importance de ces établissements autorisait à penser qu’ils répondaient à l’ensemble des critères de faisabilité les plus élémentaires pour une telle opération : la capacité locale d’un encadrement scientifique du projet ; la possibilité d’intégrer et créer des notices bibliographiques au format UNIMARC, grâce à un système informatique adapté ; enfin, la possibilité de mettre à la disposition du prestataire choisi par la Bibliothèque de France des catalogues aptes à être saisis, c’est-à-dire lisibles, offrant le minimum d’informations significatives pour pouvoir être interrogés et présentant la plus grande adéquation avec les fonds signalés.

Pour cerner la faisabilité de l’opération de saisie dans ces sept établissements, une étude était confiée à la société Tosca Consultants. L’objet de cette étude était double : d’une part, inventorier les catalogues en évaluant leur lisibilité, leur adéquation aux fonds décrits et le nombre de notices à saisir ; d’autre part, vérifier la faisabilité de l’opération selon les critères énoncés plus haut.

De plus, il était demandé à Tosca Consultants une assistance technique pour la rédaction du cahier des charges et l’élaboration d’une méthode détaillée pour l’investigation des catalogues à réaliser dans le cadre de campagnes ultérieures.

Les résultats d’étape de l’étude montraient l’extrême diversité des catalogues des fonds anciens de ces bibliothèques, ainsi que la surestimation quantitative de ces fonds et du nombre de notices à convertir. Le comptage à partir des catalogues à convertir faisait apparaître un total de 343 340 unités bibliographiques, c’est-à-dire 42,51 % du nombre que laissaient espérer les statistiques officielles.

Compte tenu de la nécessité d’obtenir un nombre significatif de notices, une double décision s’imposait : celle d’étendre l’opération de saisie aux catalogues des fonds locaux, régionaux et particuliers de ces bibliothèques et celle d’ouvrir le bénéfice de l’opération à toutes les bibliothèques municipales possédant au moins 10 000 livres anciens selon la définition classique. Cette dernière décision permettait de donner une autre dimension au projet, en élargissant de façon significative la base du catalogue collectif et en créant un lien de coopération entre la BNF et des bibliothèques de villes moyennes, donnant un ancrage plus ramifié au projet de catalogue collectif sur le territoire national.

Trois campagnes de saisie

Après appel d’offres, le premier marché de saisie fut confié à Jouve SI, qui s’était montré le plus performant à l’issue des tests de saisie.

Cette première campagne s’est finalement déroulée dans six bibliothèques. La bibliothèque municipale de Bordeaux, entièrement mobilisée par son installation à Mériadeck, et confrontée à la difficulté particulière du tri d’un fichier très volumineux, préférait différer l’opération. Commencée en novembre 1992, cette première campagne de saisie s’est achevée en juin 1994. Elle a permis la saisie de 658 000 notices, pour un coût total de 12 645 000 F.

La deuxième campagne a été réalisée d’octobre 1993 à juin 1995 par Jouve SI selon la même procédure technique. Elle a concerné vingt bibliothèques municipales : Aix-en-Provence, Amiens, Angers, Arles, Auxerre, Avignon, Blois, Chalon-sur-Saône, Chambéry, Lille, Mâcon, Marseille, Nîmes, Niort, Orléans, Poitiers, Rennes, Rouen, Saint-Étienne et Sélestat. Cette campagne a permis la saisie de 812 000 notices, pour un coût total de 12 334 000 F.

La troisième et dernière campagne, confiée une nouvelle fois à Jouve SI, a démarré en février 1996. Elle touche seize nouvelles bibliothèques municipales : Beaune, Bourg-en-Bresse, Clermont-Ferrand, Dole, La Rochelle, Limoges, Metz, Montpellier, Nevers, Nice, Roanne, Rodez, Strasbourg, Toulouse, Troyes et Versailles. A cet ensemble, s’adjoignent quatorze bibliothèques d’organismes divers pour lesquelles la conversion rétrospective était prévue dans le cadre de projets régionaux ou locaux : l’Institut catholique de Lyon et le Centre des sciences de la terre, dans le cadre d’un catalogue collectif des universités lyonnaises ; la bibliothèque de l’Union centrale des arts décoratifs ; trois bibliothèques spécialisées de la ville de Paris : la bibliothèque Forney, les Arts graphiques et Marguerite Durand ; la bibliothèque du Centre d’études supérieures de civilisation médiévale de Poitiers pour compléter un catalogue informatisé des ressources du pôle associé d’histoire médiévale ; enfin, les bibliothèques municipales d’Alençon, Bayeux, Caen, Cherbourg, Coutances et Valognes pour compléter la réalisation d’un catalogue collectif régional, dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par le Centre régional des lettres de Basse-Normandie.

Avec cette troisième campagne s’achèvera, d’ici la fin de l’année 1997, l’opération d’informatisation des catalogues des fonds anciens et des fonds locaux et particuliers des bibliothèques municipales.

La maîtrise d’ouvrage de la première campagne a été assumée par l’Établissement public de la Bibliothèque de France, par le biais du secteur des pôles associés, au sein de la Direction de la bibliothéconomie et des relations avec les bibliothèques.

Dès le début de l’année 1994, après la création de la Bibliothèque nationale de France, c’est la Direction du développement scientifique et des réseaux, et plus particulièrement le Service des chantiers de la conversion rétrospective, déjà en charge de celle des catalogues de la BNF, qui a repris la maîtrise d’ouvrage de ces travaux pour les deuxième et troisième campagnes.

Tendances et perspectives

En ce début d’année 1996, il est trop tôt pour faire un bilan global et définitif de cette étape importante pour la modernisation des catalogues des bibliothèques municipales françaises. Toutefois, compte tenu de l’état d’avancement du programme et des résultats importants déjà obtenus, et à partir des premières constatations, il est possible de dégager certaines tendances et d’ouvrir quelques perspectives pour les bibliothèques concernées.

Il faut tout d’abord rendre hommage aux professionnels qui, au sein de ces bibliothèques, ont accompagné ce travail de modernisation. Leur mérite est à la mesure de l’immense disparité de l’information bibliographique qu’a confirmée, plus que révélée, cette opération. A l’issue des deux premières campagnes, 130 catalogues ont été convertis. Au terme de la troisième campagne, 226 catalogues auront changé de support.

De l’inventaire manuscrit, difficilement lisible, au catalogue imprimé édité et publié, toute la variété de deux siècles de travail de description bibliographique apparaît. On comprend alors l’ampleur et la difficulté du travail de préparation et de suivi qui incombait aux bibliothèques.

On comprend aussi l’impact de la conversion rétrospective qui a permis, sinon d’unifier complètement le signalement de ces collections, au moins de l’homogénéiser et de normaliser leur accès par le biais d’un outil commun qui permettra leur rayonnement national et international via Internet.

Grâce à ce rayonnement renouvelé et amplifié, les chercheurs bénéficieront de la richesse et de l’originalité de ces collections que l’opération de conversion rétrospective a pu mettre en valeur. Le rapport de l’enquête de 1975, cité plus haut, donne un état comparatif des fonds anciens d’ouvrages imprimés des bibliothèques municipales, qui s’élèveraient à 3 700 000 unités et de la Bibliothèque nationale qui comptaient alors 550 000 livres imprimés avant 1810.

L’amplitude de cet écart, qu’il conviendrait sans doute de réduire à l’issue de comptages plus précis, laisse apercevoir la réelle originalité des fonds anciens d’ouvrages imprimés des bibliothèques municipales.

Cet effort de modernisation, accompli dans la grande majorité des cas sans personnel supplémentaire, a permis, en modifiant le signalement des collections et en facilitant à terme leur accès, de remettre en lumière le caractère patrimonial des collections des bibliothèques municipales.

Les années 1960-1980 avaient été celles du développement accéléré de la lecture publique. Elles ont vu les bibliothèques réussir la mise en relation du livre avec le public le plus large. L’opération de modernisation des catalogues actuellement en cours devrait révéler avec netteté un autre aspect de leur richesse et les aider à mieux répondre à leur vocation de bibliothèques patrimoniales ouvertes à la recherche.

Les professionnels, qui ont été les premiers artisans de cette nouvelle étape de l’histoire des bibliothèques, ont bien compris les exigences qui découlent de la participation de leur établissement au catalogue collectif de France. Ils doivent désormais travailler à élargir l’accessibilité de ces fonds en utilisant tous les moyens que leur offrent les nouvelles techniques. C’est l’inéluctable conséquence de cette modernisation du signalement des collections.

Ainsi apparaissent toutes les perspectives nouvelles de mise en valeur des fonds des bibliothèques municipales françaises, dont le rayonnement ne peut plus et ne doit plus se limiter aux seules dimensions d’une ville ou d’une région, mais s’envisager aux dimensions du monde.

Février 1996

  1. (retour)↑  Patrice CAHART, Michel MELOT, Propositions pour une grande bibliothèque, Paris, La Documentation française, 1990.
  2. (retour)↑  Propositions pour les bibliothèques municipales... Rapport du groupe de travail sur les bibliothèques municipales classées présenté à Monsieur le Directeur du livre et de la lecture, sous la direction de Patrice BEGHAIN, Paris, Direction du livre et de la lecture, 1989.