Philosophes, écrivains et lecteurs en Europe au XVIIIe siècle

par Dominique Bougé-Grandon
Sous la dir. de Didier Masseau. Valenciennes : Presses universitaires de Valenciennes, 1995. - 128 p. ; 23 cm. ISSN 0760-5641. 80 F

Comment se constitue la figure de l'intellectuel au XVIIIe siècle ? Quelles sont ses stratégies ? - celle du philosophe 1 dans l'Encyclopédie par exemple ? De quels moyens dispose-t-il pour influer sur l'élaboration de sa propre image ? Dix contributions de chercheurs européens réunies par Didier Masseau (Université de Valenciennes) apportent différents éclairages sur cette question.

Il est clair que cet ouvrage de 128 pages n'aborde pas systématiquement le cas de chaque pays. Il ne vise pas non plus à nous donner une image exhaustive ou globalisante. Certains auteurs abordent un thème de manière transversale en s'intéressant à plusieurs pays à la fois, comme Roger Chartier dans un article sur les modèles de l'homme de lettres. D'autres se focalisent sur un seul. La lecture de l'ensemble permet, au-delà des spécificités nationales de dégager quelques points communs.

Les points communs

C'est d'abord l'émergence, à côté des philosophes et des grandes « stars » des Lumières, de personnages de moins grande envergure qui jouent le rôle d'« intermédiaires culturels ». Leur emprise est d'autant plus efficace qu'ils exploitent en leur faveur les nouvelles formes éditoriales, les nouveaux réseaux d'information et leur caractère cosmopolite.

Le second élément marquant que l'on trouve partout (ou presque), bien qu'avec des décalages parfois importants dans le temps, est le développement des sociétés savantes, des académies... tous ces lieux où les idées (et les livres) circulent. On assiste donc à une « institutionnalisation du champ culturel » et, parallèlement, à une mutation des manières de lire. On lit pour pouvoir donner son avis sur le livre, on lit dans des endroits destinés à la communication.

Le troisième point commun est l'importance du périodique dans la construction de l'image nouvelle que l'intellectuel veut donner de lui-même. N'oublions pas que c'est par le biais du journalisme aussi que naît la notion d'auteur et que, dans certains pays, le périodique est le seul vecteur des idées nouvelles.

Quelques traits particuliers

I Herrero et L. Vasquez montrent qu'en Espagne, où l'intellectuel en tant que tel n'existe pas au début du XVIIIe siècle, un modèle national se construit peu à peu. L'écrivain espagnol apparaît alors principalement comme un compilateur, la question principale étant pour lui de se situer entre un afrancesamiento jugé antipatriotique et un nationalisme primaire.

Pour O. Penke, c'est après 1770 que la Hongrie s'ouvre aux Lumières, par le biais de périodiques nés à l'initiative de quelques intellectuels jouissant de la faveur des princes. Eclairés par leurs missions diplomatiques dans les grandes villes européennes, ils se consacrent à la vulgarisation pour « former l'opinion publique ».

A. Stroev, prenant quelques exemples russes, présente l'aventurier des lettres singeant le petit maître et le philosophe, dont il se dit l'humble disciple, et qu'il fascine par son aisance 2. Mais, face aux grands, il cause sa propre perte, lorsqu'il outrepasse ses droits et manie la critique. C'est aussi le sort des charlatans de tout poil qui occupent, à la fin du siècle, selon Jean-Jacques Tatin-Gourier, une partie du champ culturel.

Est ainsi illustrée la complexité de ce monde, où se côtoient « beaux esprits » et « canailles littéraires », philosophes de génie et écrivains de seconde zone, occupés tantôt à jouer de leurs connivences, tantôt à se démarquer les uns des autres. A la fin de l'ouvrage, la période révolutionnaire est rapidement abordée avec les articles de P. Brasart et B. Sändig, mais les temps ont alors changé.

  1. (retour)↑  Voir l'article de J.-M. Goulemot sur l'Encyclopédie de Diderot et celle de Panckoucke.
  2. (retour)↑  Voltaire écrivant au chevalier d'Éon, cet « être amphibie ».