Animation et bibliothèque

hasards ou nécessité ?

Isabelle Masse

Les 3 et 4 avril derniers, la Bibliothèque publique d’information (BPI) invitait les professionnels des bibliothèques à venir débattre sur un sujet rare 1 Animation et bibliothèque : hasards ou nécessité ? L’animation dans les bibliothèques, quels que soient leurs taille, statut, ou nature, s’est développée de façon très importante ces quinze dernières années, parallèlement à la lecture publique, et sous des formes diverses – expositions, concerts, projections, débats, colloques...

A qui s’adressent ces animations ? Font-elles partie des missions et quel est leur rôle au sein de la bibliothèque ? Comment sont-elles conçues, avec quels partenaires ? Peut-on définir des axes de coopération ? Quelles compétences pour les professionnels qui en sont chargés ? Telles furent quelques-unes des questions posées durant ces deux jours fertiles en échanges d’expériences entre une bonne vingtaine d’intervenants et une assistance nombreuse et passionnée.

État des lieux

Anne-Marie Bertrand, du service Études et recherche de la BPI, faisait état des résultats de l’enquête lancée voici quelques mois, préalablement au colloque. Le questionnaire, diffusé auprès de l’ensemble des bibliothèques départementales de prêt et de 406 bibliothèques municipales (BM) 2 ayant obtenu un succès honorable, il a été possible de définir les grandes lignes des activités d’animation.

L’exposition est l’activité la plus répandue dans les deux types de bibliothèques. Les manifestations orales sont assez fréquentes dans les BM, les débats à plusieurs voix le sont moins, et les ateliers d’écriture sont rares. Les manifestations autour d’autres supports (films, musique) ne sont le fait que du tiers des BM ayant répondu. En revanche, l’activité de publication est très répandue pour les produits légers (plaquettes, tracts, affiches, ou programmes) ; mais elle l’est beaucoup moins pour les catalogues d’exposition, les textes des rencontres ou des débats. Enfin les BM participent massivement à des animations locales, et encore plus aux manifestations nationales.

On trouve peu de locaux permanents destinés à l’animation (un tiers des BM ne dispose d’aucun espace approprié). Les BDP disposent d’un budget moyen de 113 000 F ; en BM, les budgets varient selon les tranches démographiques 3. L’évaluation est faite à partir des statistiques de comptages d’entrées, ou de façon empirique (discussions, par exemple). La plupart des bibliothèques disposent de marges de manœuvre assez importantes pour l’organisation de leurs manifestations.

Politiques d’animation

« Spectacularisation » – médiatisation à outrance – et territorialisation 4 sont les deux phénomènes caractéristiques de ces politiques. Au plan culturel, c’est la réinvention de l’idée de patrimoine, mais d’un patrimoine rétréci, local ou régional 5.

Les finalités de ces politiques sont au nombre de trois :

la finalité culturelle, c’est-à-dire la volonté de faire découvrir des auteurs, des artistes, des œuvres, de mettre les collections en valeur, de faire participer l’animation au développement de la lecture..., est fondamentale ;

la finalité politique : la bibliothèque est le lieu culturel des rencontres et des débats 6;

la finalité stratégique : il s’agit d’intégrer la bibliothèque dans la politique culturelle de la ville, de la rendre vivante, d’en faire un outil au service de l’image de la ville.

Suivaient quatre tables rondes, dont les intervenants venaient tous de régions et d’établissements très différents, et qui, avec les réactions de la salle, illustrèrent parfaitement cette introduction générale.

Mettre en scène : les expositions

Place de l’exposition dans la politique d’animation, moyens mis en œuvre, personnel, partenariat, conception, réalisation, budget, furent les thèmes abordés au cours de la première table ronde.

Le service Animation de la BPI (Emmanuèle Payen) organise quatre expositions par an dans ses propres espaces, et une fois tous les deux ans, collabore avec les autres départements du Centre Georges Pompidou, pour des expositions qui se tiennent dans les espaces communs. Toujours centrées sur le livre, les documents graphiques, la littérature, et la photographie documentaire, en général du XXe siècle, elles doivent s’harmoniser avec les programmes du Musée national d’art moderne et du Centre lui-même. Souvent itinérantes, gratuites, leur évaluation est difficile. Une vingtaine de personnes sont affectées à ce service et le budget représente 10 % du budget global de la bibliothèque.

A Auxerre, la BM (Françoise Duvernier) organise trois expositions par an qui mobilisent le personnel dans son intégralité. L’exposition estivale, avec les musées d’Auxerre et des moyens importants, vise les publics locaux et surtout les touristes. Les deux autres, réalisées à partir de ses propres fonds patrimoniaux, sont fréquentées par les habitants de la ville ou du département, et par les scolaires.

Le budget animation de la BCP d’Eure-et-Loir (Martine Blanchard) représente 10 % du budget global. Les expositions – toutes itinérantes – sont conçues pour de toutes petites communes, très rurales. L’enthousiasme de départ y est très important, car l’animation arrive toujours en plus de l’indispensable. L’évaluation se fait par le comptage statistique des entrées, la question de l’impact réel reste posée. En Ardèche (Jean-Michel Paris), la BDP a organisé de grandes expositions à finalités stratégiques et économiques en relation avec le monde industriel du département, par exemple sur le papier.

Donner à voir : les films

Dans la Loire, la cinémathèque a été intégrée à la BM de Saint-Etienne. A la médiathèque départementale (Marie-Hélène Lardy), l’animation proposée est déléguée aux correspondants de la médiathèque départementale qui leur propose du matériel de projection, un fonds de cassette VHS, et des films sur pellicule à projeter dans des salles de cinéma. La vidéothèque de la Maison du livre, de l’image et du son, à Villeurbanne (Françoise Moreau), propose un fonds de consultation sur place de documentaires, et un fonds de prêt de films de fictions et de documentaires. S’y déroulent trois à quatre animations par an, dont une importante sur une semaine. La médiathèque d’Arles (Marie-Annick Poulin) dispose d’un très important fonds de vidéos ; y sont montrées des productions à petite diffusion, sélectionnées avec une grande exigence de qualité. Le fonds de films documentaires de la BPI (Jean Dufour) est intégré dans une bibliothèque encyclopédique multisupports. Diverses manifestations se déroulent sur l’année : festival du film ethnographique et sociologique (Cinéma du réel), projections de films documentaires, participation à la Fête de la musique... La BPI souhaite ainsi valoriser le fonds, faire connaître le cinéma sous toutes ses formes, par les contacts établis avec les partenaires diversifiés (spécialistes, historiens du cinéma, journalistes...). Intervidéo, service de prêt de films documentaires, fait partie du service audiovisuel de la BPI. Les 1 400 titres du fonds, constitué par les acquisitions de la Direction du livre et de la lecture (DLL), sont destinés au réseau des bibliothèques publiques.

Écouter : la musique

La notion de partenariat, institutionnel ou associatif, présente tout le long des tables rondes, fut particulièrement forte au cours de celle consacré à la musique.

A la BM de Givors (Christian Massault), on préfère parler d’action culturelle plutôt que d’animation. L’idéal serait de développer un partenariat déjà existant, de pérenniser la mise en réseau par la connaissance des organismes financeurs, d’implanter le professionnel comme un médiateur reconnu. Pour la section discothèque de la BDP de l’Yonne (Liliane Robé), il s’agit de participer à la mise en place d’animations musicales dans de petites bibliothèques. Le partenariat a un rôle à jouer pour la collecte et la retransmission des informations, notamment dans les cas d’expositions où la musique est un apport complémentaire. La BDP travaille par exemple avec l’Association pour le développement et l’initiation à la musique (ADIM), créée récemment dans le cadre de la Direction des Affaires culturelles du Conseil général. La médiathèque musicale de la Maison de la musique de Nanterre (Aude Lalande), un tout nouvel établissement qui a ouvert ses portes en janvier 1995, tient aussi beaucoup à s’appuyer sur les associations et à développer le réseau de partenariat (une manifestation récente de musique de l’Inde du Nord a été organisée avec une association spécialisée). A la Discothèque des Halles de la Ville de Paris (Michel Sineux), sont proposées des collections multisupports de documents sur toutes les formes de musique, un service de prêt, et un fonds d’enregistrements disparus. Elle publie sous forme associative la revue Écouter voir 7, édite ou réédite des phonogrammes, mène des actions régulières d’animation en partenariat institutionnel ou associatif (conservatoires, Opéra Bastille), toujours hors les murs, le manque de place la conduisant à s’expatrier.

Dire : les manifestations parlées

La dernière table ronde portait sur les manifestations parlées, débats, rencontres d’écrivains, festival du conte...

A la BM de Bobigny (Dominique Tabah), animation et action culturelle prennent la forme de débats, de rencontres entre publics et œuvres, de confrontations d’idées. Ces manifestations sont parfois préparées avec les usagers, ce qui permet l’implantation dans la vie locale, la fidélisation et la formation d’une communauté de lecteurs. La bibliothèque est là un lieu vivant en prise sur le monde.

Des débats sont organisés par la salle d’actualité (Philippe Guillerme) et le service animation de la BPI. Avec les colloques et les ateliers, ils ont plutôt une fonction pédagogique, fondamentale face aux stéréotypes véhiculés par les médias. Certaines animations à caractère artistique ont un rôle important à jouer pour faire vivre les textes (lecture de poèmes, théâtre).

C’est le conte qui caractérise l’animation à la médiathèque départementale des Alpes-Maritimes (Pierre Fenart). Entre 1989 et 1993, correspondants de la médiathèque et bibliothécaires professionnels ont reçu une formation à l’art de raconter et d’animer. Les lectures, lors de soirées mensuelles, ont été très appréciées dans les villages du réseau de la médiathèque. 1990 a vu la création d’une Semaine du conte, devenue Festival du conte, instrument stratégique du dispositif, qui se tient en juillet, dans une vingtaine de lieux du département. Patrick Beurard, poète, présentait la manifestation « L’écrit parade », qui se tient à la BM de Lyon depuis 1990. Il s’agit là de donner un espace à un poète afin d’expérimenter la pratique orale. Ces espaces de création poétique orale sont destinés à être un lieu de survie de la poésie, une création plutôt qu’une animation, surtout pas la promotion d’un livre... Enfin, le Festival de la nouvelle, présenté par Martine Grelle, du Centre national du livre, a vu le jour en 1985, à Saint-Quentin (Picardie). Création et partage de textes inédits d’écrivains français contemporains en sont les deux caractéristiques.

On le voit, malgré les contraintes qui, souvent, guident les politiques d’animation – marge de manœuvre plus ou moins étroite, liberté d’action plus ou moins réduite, budget toujours limité, « concurrence » des autres établissements culturels... –, les bibliothèques débordent d’activités et d’inventions.

Pendant le débat final, furent repris des thèmes peu abordés durant ces deux jours : les stratégies de communication (quelle publicité faire, quels contacts prendre, quels publics « cibler »), leurs effets sur la presse et leur impact sur le public ; l’évaluation, qui n’a pas ou peu touché ce domaine (quels phénomènes mesurer, comment choisir et mettre en œuvre des instruments de mesure) – la question de la faisabilité de l’évaluation dans ce domaine restera cependant posée ; la définition des personnels – l’animation étant une dimension du métier de bibliothécaire, un objectif de légitimation professionnelle, on trouve peu de personnel spécialisé affecté aux tâches d’animation. Le rôle du public dans les décisions, les différentes conceptions d’animation, fut peu évoqué, le lien entre le domaine de l’action culturelle et la connaissance des désirs du public restant encore difficile à déterminer. En revanche, beaucoup insistèrent sur le partenariat, notion très importante pour tous et pour toutes les activités d’animation.

L’animation est un moyen important de promotion de tous les supports culturels, livres, films, musique..., une façon pour la bibliothèque de jouer son rôle d’acteur du développement culturel. N’attendons pas dix ans pour en reparler !

  1. (retour)↑  Le dernier article paru sur ce thème dans le BBF date de... 1985 et portait sur la politique d’animation à la section sciences de la bibliothèque interuniversitaire d’Aix-Marseille. Il suivait de près un article sur la BCP de l’Ardèche et ses activités d’« extension » (théâtre, image, cinéma, action culturelle élargie). Guy HAZZAN, « Les desseins animés de Saint-Jérôme », Bulletin des bibliothèques de France, t. 30, n° 5, 1985, p. 402-406 ; Nelly VINGTDEUX, « L’Ardèche à l’ère bus », Bulletin des bibliothèques de France, t. 30, n° 3-4, 1985, p. 238-242.
  2. (retour)↑  BDP ont répondu. Le questionnaire a été diffusé auprès de 383 BM de villes de plus de 20 000 habitants, et à 23 BM de villes de moins de 20 000 habitants : 153 ont répondu.
  3. (retour)↑  De 23 000 F dans les villes de moins de 20 000 habitants à 156 000 F pour les villes de plus de 100 000 habitants, soit une moyenne de 102 000 F.
  4. (retour)↑  Conséquence de la territorialisation politique, c’est-à-dire la montée en puissance des départements et des régions, la personnalisation du pouvoir, les rivalités et concurrences fortes entre collectivités, le développement de la politique de communication des villes, surtout dans les domaines urbain et architectural.
  5. (retour)↑  Création de la Direction du patrimoine, au sein du ministère de la Culture, chargée des monuments historiques, de l’archéologie, de l’inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, du patrimoine ethnologique...
  6. (retour)↑  A ce propos, quelques réserves peuvent être faites, par exemple, sur les effets (néfastes ?) de ce type d’animation : l’effet « Apostrophes » – parler des livres sans les avoir lus, sans avoir à les lire, l’effet « mondain » – côtoyer artistes et écrivains, et bénéficier ainsi de leur notoriété...
  7. (retour)↑  Écouter voir, revue mensuelle de l’Association pour la coopération de l’interprofession musicale (Acim), dont la rédaction et l’administration se trouvent dans les locaux de la Discothèque des Halles.