Priorités éducatives des futures bibliothèques d'étude

Anne Woodsworth

June Lester

Plusieurs tentatives ont déjà été effectuées pour définir les compétences que devraient acquérir les étudiants en bibliothéconomie et en sciences de l'information mais jusqu'à présent ces efforts n'ont pas abouti à la formulation d'un ensemble cohérent susceptible d'orienter les programmes d'études. L'ensemble de compétences proposé dans cet article s'appuie sur l'étude des besoins en personnel d'une bibliothèque d'étude modèle de demain. Il permet de préciser les éléments qu'il conviendrait d'inclure dans les programmes d'études et de prévoir des stratégies incitatrices de changement.

Many efforts have been made to define the competencies that library and information science school graduates ought to have, but so far, efforts have not produced a cohesive set that can guide curricular development. This article proposes a set of competencies developed from an examination of the staffing needs of a model future research library. From these are derived elements that schools need to address in their programs, and strategies for change.

Telles qu'elles sont précisées dans un article récemment publié 1 la définition de la mission des bibliothèques d'étude du XXIe siècle et l'élaboration du modèle conceptuel de ces institutions du futur soulignent la nécessité de modifier en profondeur le niveau de connaissances et le comportement du personnel qui y travaillera. Pour réussir la transition vers l'approche souple et coopérative qui caractérise le fonctionnement des services de bibliothèque décrits dans le modèle, il est indispensable de transformer de façon concomitante la formation dispensée aux spécialistes des bibliothèques et de la documentation. Si presque toutes les écoles de bibliothéconomie ont aujourd'hui adopté un nouveau nom et de nouveaux programmes, il n'existe toujours pas d'accord au sein de la profession sur ce qu'il serait souhaitable d'obtenir en termes de résultats pédagogiques, ni sur les meilleurs moyens d'y parvenir.

On a essayé de redéfinir les compétences que devraient acquérir les étudiants en bibliothéconomie et sciences de l'information. Cette redéfinition est généralement le fait de groupes d'étude rassemblant à titre individuel des enseignants et des bibliothécaires travaillant dans des bibliothèques d'étude ou des bibliothèques spécialisées.

L'utilité de ces enquêtes reste toutefois très relative dans la mesure où elles se traduisent d'ordinaire par des compilations qui consistent à classer par ordre de priorité une liste de compétences déjà existantes. Aucune de ces tentatives de redéfinition ne s'est jamais appuyée sur un projet esquissant les contours de la bibliothèque de demain et de ses services de documentation. Les résultats en sont donc trop souvent limités par la capacité des personnes interrogées à envisager l'avenir, dans la mesure où elles s'y essaient.

Partant d'un modèle projeté pour les bibliothèques d'étude de demain, cet article tente de définir les objectifs pédagogiques qu'il convient d'atteindre afin de doter les professionnels, bibliothécaires ou spécialistes en information, des connaissances et des techniques nécessaires pour assurer avec succès la transition vers le XXIe siècle.

Résultats de trois enquêtes

La plupart des enquêtes portant sur les composantes indispensables de l'enseignement de la bibliothéconomie détaillent les compétences requises aux divers échelons de la carrière. Les enquêtes sur les compétences exigées dans le cadre des bibliothèques d'étude ne s'appuient pas sur une conception commune à l'ensemble des bibliothèques, et ne sont pas non plus construites en fonction d'un accord de base, quel qu'il soit, qui permettrait aux sondés d'extrapoler. Les publications auxquelles elles donnent lieu offrent différentes interprétations, ainsi que le montre la comparaison des résultats de trois enquêtes récentes (tableau 1 ).

L'enquête de l'Association of Research Libraries (ARL) s'adressait aux directeurs des bibliothèques affiliées à cette association. Les compétences que ces derniers exigent des bibliothécaires engagés au premier échelon, et qu'ils continueront d'exiger pendant les cinq ans à venir, soit jusqu'en 1995, figurent dans la première colonne du tableau 1. L'ARL, comme l'ont souligné Marchant et Smith, a omis de sa liste certaines compétences courantes 2. En structurant son questionnaire autour des « techniques », selon la terminologie employée, l'enquête a en effet négligé d'y inclure des secteurs apparemment sensibles, tels le catalogage, la classification, le rôle et la mission des bibliothèques. Le classement auquel elle arrive reflète ces omissions.

Pour établir la liste des compétences souhaitables (ou « bases de connaissance »), Powell et Creth se sont penchés sur les études consacrées à la question et notamment sur l'enquête de l'ARL 3. Ils ont toutefois interrogé à leur tour un échantillon stratifié de bibliothécaires travaillant dans les bibliothèques de l'ARL et possédant une expérience professionnelle de neuf ans maximum. Ces bibliothécaires devaient établir la liste des bases de connaissance à leur avis importantes pour l'accomplissement des tâches qui leur étaient confiées. Dans le tableau 1, la colonne du milieu recense les bases de connaissance les plus souvent avancées, soit 50 % de l'ensemble des réponses données.

Afin d'essayer de surmonter la confusion entretenue par ces trois enquêtes entre compétences / techniques / bases de connaissance, White et Paris ont construit leur questionnaire à partir des programmes proposés dans les écoles de bibliothéconomie des Etats-Unis et du Canada 4. Ils ont ensuite interrogé les administrateurs de bibliothèques universitaires, de bibliothèques publiques et de bibliothèques spécialisées en leur demandant de préciser les matières qui leur semblaient les plus importantes à maîtriser pour les bibliothécaires débutant dans la carrière. Restitué dans le tableau 1, leur classement rassemble les réponses fournies par les directeurs de bibliothèques universitaires dont le personnel comprend au moins soixante bibliothécaires titulaires du diplôme.

Ce pot-pourri de compétences n'est pas nécessairement dû à une mauvaise construction des enquêtes. En fait, dans chaque cas, les enquêteurs ont choisi de cibler des échantillons différents et de poser différents groupes de questions à des populations différentes. Il semble que les chercheurs dont le tableau 1 récapitule les résultats d'enquête n'aient pas systématiquement répertorié les objectifs pédagogiques pour définir les bases de connaissance, les techniques ou les compétences recensées dans leurs questionnaires. Des termes différents servent à décrire des domaines similaires ou apparentés, d'où cet assemblage de compétences diversement classifiées et décrites à l'aide d'expressions qui se recouvrent partiellement, et la difficulté à transposer les résultats en termes d'objectifs pédagogiques.

L'opinion des professionnels

L'opinion des individus qui font autorité au sein de la profession permet à première vue de mieux s'y retrouver, à tout le moins témoigne d'une plus grande cohésion. Le tableau 2 résume les commentaires de quatre personnalités du monde des bibliothèques : Millicent Abell 5, Patricia Battin 6, Edward Holley 7 et Robert Taylor 8. Les qualités que chacun d'entre eux juge indispensables pour exercer des fonctions dans une bibliothèque universitaire ou d'étude ont été intégrées dans le tableau de façon à permettre la comparaison. Si elles n'emploient pas la même terminologie, ces quatre personnes manifestent une assez remarquable unanimité quant aux compétences générales que doit posséder le personnel. Elles insistent presque toutes sur la capacité à mener des recherches, à savoir évaluer les besoins des utilisateurs et à comprendre l'environnement au sens large. Il est intéressant de noter que Taylor est le seul à citer l'« organisation de la documentation » parmi les qualités indispensables. Soulignons également que ces commentaires n'ont pas été émis dans le cadre d'une étude sur les compétences particulières des bibliothécaires, ce qui explique, peut-être, qu'ils englobent un champ plus large que les données recensées au tableau 1.

Les qualités recensées dans le tableau 2 sont également proches, mais moins détaillées, que les compétences extrapolées à partir d'un modèle conceptuel de future bibliothèque d'étude, tel celui élaboré en 1988 lors du colloque Options for the future Conference 9.

Le modèle de la bibliothèque d'étude

En juillet 1989, dans un numéro consacré au modèle de la bibliothèque d'étude du futur, le Journal of academic librarianship publia un article sur la nécessité de prendre les devants en définissant avec force la mission des bibliothèques d'étude à partir du rôle clef qu'elles jouent au sein de l'université. D'après les auteurs, ces bibliothèques vont devoir faire face à des changements opérationnels nombreux et spectaculaires qui redéfiniront la nature des services qu'elles assurent. Pour ce qui est du personnel, expliquent-ils, l'organisation de ces établissements se répartit en trois secteurs de responsabilités qui sont liés les uns aux autres mais ne se confondent pas, à savoir :
- le maniement de la documentation accessible en différents formats et les rapports avec les centres documentaires fournisseurs de produits et de services ;
- la conception de l'accès à l'information et des systèmes documentaires, la collaboration avec les groupes constitués au sein de l'université de rattachement, avec d'autres institutions et avec l'industrie de l'information, en vue de concevoir et d'améliorer les systèmes d'accès ;
- l'évaluation des programmes et des services mis à la disposition des consommateurs d'information de l'université de rattachement.

Les auteurs de cet article associent à chacun de ces trois secteurs de responsabilités des compétences distribuées en fonction des catégories suivantes : activités propres au secteur, fonctions du secteur, ressources du secteur, répartition du personnel et des savoir-faire, techniques ad hoc. résultats exigibles dans chaque secteur (cf. tableau 3).

Responsabilités du personnel

La majeure partie du personnel se consacrera à assurer l'accès à l'information en évaluant les besoins des utilisateurs et en les anticipant ; en délivrant l'information sur le lieu / poste de travail de l'utilisateur ; en collaborant avec le corps enseignant à développer des services nouveaux et personnalisés ; en accélérant la transmission de l'information et en la rendant plus accessible quel que soit le point de consultation.

En se chargeant de ces tâches, le personnel des bibliothèques d'étude participera plus pleinement aux activités d'enseignement, d'apprentissage et de recherche qui se déroulent à l'université, grâce à quoi la bibliothèque se départira quelque peu de l'insularité qui la caractérise aujourd'hui.

L'organisation de la documentation, le stockage des documents (imprimés, audiovisuels ou numériques) et leur conservation reposeront largement sur le partage des savoir-faire, sur les systèmes en réseau et sur une coopération assidue entre bibliothèques - on passera demain plus de temps qu'aujourd'hui à des activités traitées en coopération et en réseau. Il reviendra aux membres du personnel chargés de concevoir les systèmes d'accès :
- de créer des bases de données et autres produits informatiques destinés aux utilisateurs, qu'il s'agisse d'individus ou de collectivités,
- de travailler en liaison avec d'autres catégories de personnel de l'établissement pour que ces bases de données soient commercialisées en dehors de l'université,
- de dupliquer les documents en différents formats,
- de transférer l'information d'un format à l'autre en fonction de la charge (enseignement, recherche) ou des moyens techniques (numérique, analogique...) de l'utilisateur,
- d'évaluer la validité et la pertinence de l'information,
- de l'acquérir à la demande,
- de l'adapter à la convenance des usagers, et en particulier, si besoin est, d'assurer la conversion du format ou du « support »,
- de fournir, enfin, les instructions nécessaires à son déchiffrage.

Pour le dire en deux mots, dans l'exercice de leur « service », ils joueront vis-à-vis de l'université un rôle de partenaires et de consultants.

Le module chargé d'évaluer les besoins, de publier les programmes et de répartir les activités s'intéressera avant tout aux demandeurs d'information, autrement dit aux utilisateurs ; c'est donc lui qui aura le plus de contacts avec le public. A titre d'exemple, il élaborera les profils d'utilisateurs qui, intégrés dans les systèmes de recherche documentaires, fourniront les données et les analyses nécessaires au développement des applications de l'intelligence artificielle.

Organisation du personnel

De manière générale, le personnel chargé du maniement de la documentation en différents formats et de la mise au point des systèmes d'accès sera regroupé dans un service centralisé, alors que les postes correspondant à la fourniture et à l'évaluation des programmes et des activités seront dispersés de manière à fonctionner en « cellules » et de se rapprocher ainsi des groupes d'usagers auxquels ils s'adressent plus particulièrement. La répartition géographique du personnel de la bibliothèque prendra le pas sur la localisation des ressources en information. Les différents postes et les activités qui y sont liées seront plus facilement identifiables, dans la mesure où les uns comme les autres s'adresseront plus directement à des catégories bien précises d'utilisateurs. Du fait de cette visibilité et de l'accent mis sur l'initiation à la bibliothèque, le personnel sera évidemment tenu pour responsable des opérations effectuées dans les services.

Dans le cadre à la fois souple et complexe des « cellules », celui où travaillera la plus grande partie du personnel, les relations des membres du personnel entre eux et avec l'administration revêtiront plus d'importance. La taille et la composition des cellules varieront au cours du temps et d'une bibliothèque à l'autre selon les besoins des utilisateurs et les caractéristiques présidant à l'élaboration, à la production et à l'utilisation de l'information au sein de la discipline et/ou du groupe concemé/s. En fonction des nécessités du moment, des groupes recoupant les trois secteurs de responsabilités se formeront pour travailler ensemble, à court terme ou sur la base d'arrangements semi-permanents. Afin de mettre en commun des savoir-faire en eux-mêmes limités, il conviendra d'instituer une forme d'assistance centralisée en prévoyant la circulation de certains membres du personnel entre les cellules, sur le modèle des missions de formation destinées aux groupes de recherche.

Des rôles nouveaux pour les administrateurs

Etant donné la dispersion du personnel entre les différentes cellules créées à l'intention des utilisateurs, l'administration de la bibliothèque s'avérera plus malaisée qu'aujourd'hui. Pour que les activités restent orientées en direction des utilisateurs, les administrateurs devront :
- mieux percevoir et comprendre les cercles composant le public de la bibliothèque,
- travailler à faciliter la tâche du personnel,
- participer de manière plus active au développement de la politique suivie par l'université en matière d'informatique,
- consacrer plus de temps et d'efforts à la coopération entre institutions, aux réseaux d'information et à toute autre entreprise coordonnée aux niveaux national et international.

Dans la bibliothèque, le pouvoir des administrateurs reposera moins sur leur rôle formel que sur leur capacité technique à gérer et diriger. Les compétences qui les mettent en mesure de faciliter, coordonner et orchestrer les tâches exécutées dans chaque secteur de responsabilités prendront plus d'importance. Plus clairement, les fonctions qu'ils remplissent varieront selon la mission de l'établissement placé sous leur responsabilité et se modifieront au gré des changements apportés aux conditions globales de travail. Les structures hiérarchiques des bibliothèques d'aujourd'hui céderont le pas devant des opérations obéissant à des principes de gestion matriciels. Le contrôle du budget, la prise de décisions, la responsabilité seront décentralisés et localisés au niveau des cellules. Cette décentralisation permettra au personnel de répondre rapidement à des besoins divers en fournissant programmes et services aux utilisateurs. L'administration des bibliothèques d'étude du futur sera stimulante, pour ne pas dire plus.

Exigences en matière de personnel

Comme le montre le tableau 3, les compétences nécessaires pour chacun des trois secteurs de responsabilités changeront selon les fonctions exercées et les centres d'intérêt. En règle générale cependant, les bibliothèques d'étude de demain devront engager un personnel instruit et cultivé, caractérisé par ses connaissances sur les processus de recherche cognitive et disciplinaire, sa perspicacité, sa formation technologique poussée, sa maîtrise des relations interpersonnelles et de groupe, ses connaissances sur le développement de la politique et de l'analyse de l'information, sa maîtrise des questions politiques et de la planification.

Plus précisément, le fonctionnement des bibliothèques de demain reposera sur la répartition équilibrée de certaines qualités au sein du personnel :
- dispositions affirmées pour les rapports avec le public,
- expérience de l'analyse des besoins des utilisateurs,
- capacité de mener une recherche à bien,
- familiarité avec les techniques de documentation et les produits documentaires (autres que les activités et services traditionnellement associés aux bibliothèques),
- connaissance approfondie des ressources documentaires (non spécifiques à un format donné ou à l'établissement),
- compétence à concevoir et réaliser des produits et des systèmes documentaires, en particulier des bases de données et des profils d'utilisateurs,
- identification aux rôles de maillon dans la chaîne de l'information et de gestionnaire de la documentation,
- capacité à diriger des groupes et à former des équipes.

Le personnel des bibliothèques d'étude devra se composer de personnalités affirmées, aussi à même de prendre des risques que d'effectuer une synthèse et d'évoluer dans un cadre flou et soumis au changement. Il comprendra un plus grand nombre de professionnels qui ne se destinaient pas au métier de bibliothécaire. L'expertise thématique dépendra directement de la nature des programmes de l'établissement, en même temps que la technologie entraînera une « sur-spécialisation » du travail à tous les niveaux de l'organisation. La plupart des opérations de routine étant désormais confiées à des prestataires de services, les personnes rattachées à une cellule devront être en mesure de décider s'il vaut mieux « fabriquer » ou « acheter » la documentation, assumer ou déléguer à l'extérieur des activités tels l'indexation ou le catalogage.

L'article original décrit plus en détail les hypothèses qui sous-tendent ces indications, les conditions limites et diverses autres caractéristiques du modèle des bibliothèques d'étude, en particulier plusieurs des étapes de transition prévues pour son développement. Si un certain nombre des stratégies de transition s'attachent précisément à la formation du personnel, les impératifs éducatifs du modèle n'ont pas été complètement analysés.

Exigences en matière de formafion

Ce modèle des bibliothèques d'étude du futur a des implications importantes pour la bibliothéconomie et les sciences de l'information du XXIe siècle. L'enseignement n'aura pas pour seul but de doter les étudiants d'un savoir, il devra aussi leur permettre de maîtriser les techniques d'évaluation, de synthèse et d'analyse en ce qui concerne :
- l'environnement documentaire dans sa globalité et les interrelations auxquelles il donne lieu,
- la recherche documentaire et les procédés individuels d'utilisation, - les processus politiques et de prise de décisions,
- la planification stratégique à long terme (planification se comprenant ici comme processus et non comme résultat),
- la dynamique au sein des petits groupes et entre individus,
- la psychologie et le comportement dans des ensembles organisés,
- l'étude de marchés,
- l'économie de la documentation,
- l'analyse des collectivités,
- les méthodologies de l'évaluation,
- l'analyse statistique,
- les méthodologies de la recherche.

Pour satisfaire ces exigences, les écoles de bibliothéconomie (quel que soit le nom qu'on leur donne) devront faire en sorte qu'en fin de cursus les étudiants possèdent les atouts suivants :
- de solides bases techniques et technologiques, en particulier sur les moyens de sélection et les applications technologiques permettant de résoudre des problèmes de documentation, de concevoir des bases de données et d'élaborer des principes d'organisation de la documentation,
- des notions suffisantes sur les caractéristiques du transfert de l'information, entre autres sur le comportement des utilisateurs à l'égard de la recherche documentaire et sur les activités productrices d'informations à l'intérieur des différentes disciplines,
- la maîtrise des techniques d'identification et d'analyse des besoins en documentation des diverses collectivités en contact avec l'établissement, et des techniques permettant d'apporter les réponses voulues via le réseau des organismes de documentation,
- la maîtrise des techniques d'évaluation de la documentation et la volonté de prendre les décisions adéquates en les fondant sur le savoir-faire acquis tant dans l'organisation de la documentation que dans des domaines ou disciplines particuliers,
- des connaissances sur la dynamique de groupes restreints,
- une familiarité suffisante avec la culture organisationnelle et le contexte environnemental propres aux milieux scientifique et enseignant,
- la capacité à comprendre et analyser les questions touchant à la politique de l'information, qu'il s'agisse de problèmes législatifs (copyright, confidentialité, liberté de l'accès à l'information, censure, responsabilité professionnelle), ou de problèmes et de structures réglementaires (télécommunications, respect des brevets, flux transfrontières de données),
- une bonne compréhension de l'impact de l'économie tant nationale qu'internationale sur l'accès à l'information - les effets entraînés par le coût des ressources, par exemple, ou ceux dus aux restrictions commerciales, à l'inflation, aux modifications apportées au régime fiscal,
- la capacité à analyser les processus politiques à l'œuvre dans le monde scientifique et enseignant et à agir de manière efficace dans les sphères politiques qui régissent l'université, la région ou l'Etat,
- des notions solides sur l'élaboration, la production et la distribution de l'information, et sur le nouveau paradigme introduit par le passage de la production de l'information des supports papier à d'autres modes de production et de diffusion,
- des compétences en ce qui concerne les projets éducatifs et les programmes de formation pour adultes (ce qui suppose la compréhension des processus cognitifs à l'œuvre chez les étudiants, traditionnels ou « atypiques », et les lycéens),
- la maîtrise de la théorie de la communication et de ses applications à la reprogrammation de l'information. Préciser plus avant les qualités ici énumérées reviendrait à fournir une autre opinion sur la question. Or il sera sans doute plus profitable aux lecteurs de partir des exigences formulées pour le modèle de bibliothèque d'étude, et résumées ci-dessus, pour enrichir un programme d'études type en l'assortissant d'un ensemble d'objectifs éducatifs définis à l'aide d'une enquête Delphi 10 ou de toute autre itération qui capitaliserait à partir des savoirs et savoir-faire collectifs. A moins de supposer que les bibliothèques d'étude jouent un rôle moteur dans l'évolution de l'enseignement dispensé à l'avenir dans les écoles de bibliothéconomie, il faudra engager dans cet effort de prospective les meilleurs esprits travaillant dans les bibliothèques publiques, spécialisées et scolaires.

Un enseignement modèle de partenariat

Le modèle présenté plus haut et les impératifs éducatifs dont il s'accompagne appellent une réforme de l'enseignement dispensé en bibliothéconomie et en sciences de l'information. Si les suggestions qui suivent ne sauraient être exhaustives, elles illustrent néanmoins les changements postulés par le modèle.

Poursuivre la restructuration de l'enseignement

Cette restructuration suppose d'éliminer un certain nombre des cours dispensés à l'heure actuelle. Les cours particulièrement visés sont ceux consacrés à des sources d'informations ou des outils très spécifiques. Il faudrait surtout insister sur la compréhension des structures propres aux différentes disciplines et sur la manière dont l'information y est produite, organisée et utilisée. La tâche est considérable, même si certaines écoles ont d'ores et déjà repensé leur programme et se sont potentiellement donné les moyens de dispenser un enseignement de ce type. De plus, le savoir acquis à l'issue de cet enseignement va probablement devenir indispensable à tous les spécialistes en information, et pas seulement à ceux qui travaillent dans le milieu universitaire. Dans chaque matière il faudrait se fixer pour objectif de développer, en sus des connaissances, les méthodes d'analyse, de synthèse et d'évaluation.

Allonger le temps de préparation à la profession

Cette formation plus poussée ne se confond pas nécessairement avec l'obtention d'une maîtrise en deux ans, bien que cette solution puisse bien sûr être retenue. Il faut en effet signaler qu'elle a été adoptée à Los Angeles par l'université de Californie, à Chapel Hill par l'université de Caroline du Nord, par l'université de Washington et par les écoles de bibliothéconomie du Canada. Une autre alternative consiste à rendre obligatoires les stages en bibliothèque, système qui figure au programme de l'université du Michigan. Etayés par de solides connaissances de base, ces stages devraient offrir aux étudiants titulaires du diplôme la possibilité de développer leur savoir-faire et de le mettre en pratique afin d'acquérir l'expérience dont ils ont besoin pour participer de manière efficace au fonctionnement des futures bibliothèques d'étude.

Revoir les manières de penser

La réforme qui va toucher les bibliothèques d'étude et l'enseignement de la bibliothéconomie et des sciences de l'information réclame l'instauration d'un partenariat dont les différents secteurs accepteront de prendre en charge la formation dans la spécialité qui leur est propre. Les écoles ne peuvent pas préparer efficacement les étudiants à bien s'acquitter de leurs fonctions professionnelles sur le long terme et leur apprendre en même temps à agir au jour le jour de la manière la plus efficace possible.

S'agissant de la préparation à une profession, il convient de privilégier l'efficacité à long terme ; cette orientation impose de mettre l'accent sur les principes de base, sur la théorie et sur les fondements, plutôt que sur les finesses de l'AACR2 et du LCSH, sur la manière d'entrer dans DIALOG ou de se servir du WILSON-DISC 11. Ces détails-là seront abordés au fil des cours portant sur la conception des bases de données, leur structure et leurs systèmes d'accès, ainsi que sur les infrastructures documentaires des différentes disciplines.

Impulser et diriger les changements

Celles et ceux qui travaillent aujourd'hui dans les bibliothèques d'étude et les enseignants en bibliothéconomie doivent prendre conscience de la nécessité qu'il y a à recruter un plus grand nombre de professionnels désireux d'entreprendre et de participer, et à moins faire appel à ceux qui se contentent d'exécuter les ordres.

Améliorer les salaires

Cette progression des salaires est indispensable pour permettre à la bibliothéconomie d'entrer en compétition avec d'autres secteurs -sciences de l'information, par exemple, télécommunications, milieux d'affaires, intelligence artificielle, ingénierie - afin que les meilleurs, et les plus brillants, l'emportent.

Promouvoir la collaboration et l'innovation technologique

Le personnel aujourd'hui en poste doit, comme les étudiants, être formé à des méthodes techniques et psychologiques lui permettant de travailler dans un meilleur esprit de coopération et d'optimiser son utilisation des technologies de l'information. Pour que cette évolution s'accomplisse, il faut que le personnel, à tous les échelons, se voit confier des responsabilités accrues et participe plus activement à la prise de décisions. Il faut également que les bibliothèques et les centres d'enseignement de bibliothéconomie et de sciences de l'information motivent le personnel et les étudiants en leur donnant la possibilité d'approfondir la connaissance d'un domaine et de développer les relations interpersonnelles en même temps que leur compétence technologique et leur capacité à diriger des opérations.

Favoriser la mise en commun des perspectives

Les stratégies les plus efficaces pour la réalisation des changements qu'il convient d'apporter à l'enseignement de la bibliothéconomie consistent à créer des occasions de dialogue et de débat entre les principaux décideurs - ceux qui, à l'heure actuelle, ont le pouvoir de réaliser cette mutation. Il s'agit en particulier des responsables des bibliothèques d'étude prêts à partager ces perspectives d'avenir, des directeurs de programmes des universités comprenant un cursus en bibliothéconomie. des doyens et des enseignants des écoles de bibliothéconomie, des représentants des grands organismes de financement susceptibles de contribuer aux transformations voulues.

Mener des enquêtes ponctuelles et d'inégale qualité pour rassembler des informations sur les compétences aujourd'hui nécessaires aux bibliothécaires débutant dans la carrière ne saurait suffire à poser les bases d'une planification stratégique solide. L'autre approche possible consisterait à organiser dans plusieurs régions des colloques du même type que celui où fut mis au point le modèle de bibliothèque d'étude. En favorisant le développement de perspectives communes sur les programmes d'enseignement, ces échanges permettraient de répondre aux demandes nées de la mutation radicale du monde des bibliothèques. Si les professionnels et les enseignants les plus doués pour la prospective y participent, la transfiguration des bibliothèques d'étude et de la formation en bibliothéconomie et sciences de l'information obéira aux orientations d'un projet commun, soudé, et pourra échapper à l'éparpillement.

Septembre 1991

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Tableau 1 - Les compétences nécessaires : comparaison entre trois enquêtes

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Tableau 2 - Les compétences nécessaires : réponses comparées de quatre responsables

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Tableau 3 - Activités documentaires de la bibliothèque d'étude du futur

  1. (retour)↑  Article paru dans The journal of academic librarianship, t. 17, n° 4, 1991, et reproduit avec l'aimable autorisation de l'éditeur traduction d'Oristelle Bonis.
  2. (retour)↑  Article paru dans The journal of academic librarianship, t. 17, n° 4, 1991, et reproduit avec l'aimable autorisation de l'éditeur traduction d'Oristelle Bonis.
  3. (retour)↑  Anne WOODSWORTH, Nancy ALLEN, Irene HOADLEY, June LESTER, Pat MOLHOLT, Danuta NITECKI et Lou WETHERBEE, « The model research library : planning for the future », in Journal of academic librarianship, n°15, juillet 1989, p. 132-138.
  4. (retour)↑  Maurice P. MARCHANT et Nathan M. SMITH, « The research library director's view of library education », in College and research libraries, n° 43, novembre 1982, p. 437-444.
  5. (retour)↑  Ronald R. POWELL et Sheila D. CRETH, « Knowledge bases and library education », in College and research libraries, n° 47, janvier 1986, p. 16-27.
  6. (retour)↑  Herbert WHITE et Marion PARIS, « Employer preferences and the library education curriculum », in Library quarterly, n° 55, janvier 1985, p. 1-33.
  7. (retour)↑  Milicent D. ABELL, « Changing role of the academic librarian : drift and mastery », in College and research libraries, n°40, mars 1979, p. 154-164.
  8. (retour)↑  Patricia BATTIN, « Developing university and research library professionals : a director's perspective », in American libraries, n°14, janvier 1983, p. 22-26.
  9. (retour)↑  Edward G. HOLLEY, « Defining the academic librarian », in College and research libraries, n°46, novembre 1985, p. 462-468.
  10. (retour)↑  Robert S. TAYLOR, « Education and training », in Toni Carbo Bearman et Ward Shaw (sous la direction de), The role of the information science community in a national network, Washington, American society for information science, 1981, p. 13-14.
  11. (retour)↑  Cette conférence, qui réunissait les étudiants ayant suivi les cours de maîtrise de l'UCLA (University of California Los Angeles) entre 1982 et 1987, eut lieu à Los Angeles du 20 au 23 août 1988.
  12. (retour)↑  Interrogation répétée et par correspondance d'un collège d'experts.
  13. (retour)↑  AACR2 : Anglo-American cataloguing rules 2ed.
    LCSH : Library of Congress subject headings.
    DIALOG : serveur américain.
    WILSONDISC : CD-ROM (monde des affaires).