L'état des médias

par Jean-Pierre Brèthes
sous la dlr. de Jean-Marie Charon ; collab. de Florian Sauvageau
Paris : La Découverte : Médias-pouvoirs : CFPJ, 1991. -461 p. : couv. ill. ; 23 cm. -(L'Etat du monde)
ISBN 2-7071-2007-3. - 169 F.

On n'a plus à présenter L'état du monde : cet annuaire économique et géopolitique mondial est devenu un usuel très apprécié dans nos bibliothèques, tant par le public que par le personnel. Il a donné son nom à une collection qui s'enrichit chaque année de deux ou trois titres consacrés soit à un pays ou un ensemble de pays (France, Japon, Maghreb, Chine, tiers-monde, Etats-Unis), soit à des faits de société (santé et médecine, sciences sociales, religions, bientôt sciences et techniques).

Tôt ou tard, compte tenu de l'omniprésence des médias dans nos sociétés, on devait s'attendre à cet Etat des médias, qui vient à point pour répondre à l'attente d'un nombreux public soucieux de comprendre « comment est conçu ce qu'il lit, regarde et écoute ». L'ouvrage est copieux : radio, télévision, presse, édition, télécommunications sont tour à tour disséquées séparément sur le triple plan du contenu (les programmes, l'information proprement dite, les publications), du contenant (matériels, techniques) et du public (auditeurs, téléspectateurs, lecteurs, usagers de la télématique). Mais une importante partie (p. 243-395) étudie transversalement (et non plus tour à tour) le point de vue économique et politique de l'ensemble des médias. En fin de volume, les métiers et formations sont signalés.

L'univers médiatique peut sembler hétérogène, éclaté, en mouvement perpétuel et donc difficile à saisir. L'ambition du volume est bien de proposer une appréhension d'ensemble des phénomènes qui le composent, une synthèse qui ne masque pas les débats en cours. Pour cela, Jean-Marie Charon a fait appel à plus d'une centaine de collaborateurs, choisis à la fois pour leurs compétences et leurs capacités à présenter des points de vue variés : journalistes, économistes, sociologues, chercheurs, consultants, spécialistes divers, parmi lesquels un certain nombre de Québécois venus rendre compte de la réalité médiatique en Amérique du Nord ou de la réflexion d'Outre-Atlantique. Car on trouvera ici une volonté totalisante et si la réalité des pays industriels représente l'essentiel, l'Est et le Sud ne sont pas oubliés.

Le dédin de l'information

Dès l'abord, la réflexion s'impose sur l'information et son déclin dans les médias (voire même le rôle de la désinformation) dont les raisons sont multiples : un marché non porteur, l'immédiateté de la télévision qui a changé les habitudes du public, la recherche de l'audience (audimat) qui perturbe le sens du message. De fait, on constate que les agences d'information traditionnelles (AFP, Reuter) sont concurrencées par une chaîne comme CNN.

La télévision a beaucoup évolué ces derniers temps : la programmation a subi une véritable mutation. La concurrence entre chaînes, l'utilisation du marketing, la fidélisation du public, la maximalisation de l'audience (d'où jeux, sports et films gros porteurs) ont créé un nouveau paysage où l'on se demande s'il y a encore une place pour le service public (la télévision éducative peut-être ?) et quelle peut être celle des télévisions thématiques. L'évolution des techniques (numérisation, infographie, haute définition) et de la diffusion (réseau hertzien, câble, satellite) crée sans cesse de nouveaux problèmes. Poutant, la télévision n'a pas éclipsé la radio, vieille d'un siècle déjà, et toujours très vivace, reine même des médias dans le tiers-monde, où la télévision est trop chère et l'écrit trop élitaire. Mais même dans nos sociétés, la radio a su se faire une nouvelle place à l'échelon local (explosion des radios locales) et a trouvé de nouvelles utilisations individuelles (baladeurs, autoradios).

La place de l'écrit dans les médias est désormais plus mesurée. Si la presse résiste relativement bien grâce à sa diversité, sa capacité à suivre la mode et les nouvelles façons de sentir et de penser, la mise en place de nouvelles méthodes de diffusion (portage), elle est cependant encore loin de s'internationaliser, alors que l'édition a su le faire en multipliant les titres interchangeables dans une fuite en avant dans la course au best-seller 1. On a pu craindre une diminution de la place des cultures nationales, que les nouveaux modes de diffusion (distributique) gèrent mal au profit d'une offre conditionnée décidée par des non-éditeurs. L'apparition de l'édition électronique (bases de données, réseaux ludiques, messageries), l'évolution technologique (PAO, impression à distance, télécopie), les hypermédias, ne vont-ils pas transporter nos habitudes de lecteurs linéaires ?

Une société de communication

C'est que le public reste roi : désormais l'équipement des ménages est complet en matière de téléviseurs et de radios, du moins dans nos sociétés industrialisées, et l'audience, d'ailleurs difficile à mesurer, semble maximale. La consommation télévisuelle y semble de plus en plus uniforme, en dépit du zapping et des magnétoscopes. Mais il n'y a pas lieu de relancer le faux débat sur la nocivité de ce média et les échecs scolaires qui y seraient liés. Si l'on connaît encore moins bien le public radio, on sait qu'il est d'abord attiré par la musique.

Bien sûr les bibliothécaires restent préoccupés d'avantage par les problèmes de lecture, d'analphabétisme et d'illettrisme. Marie Kuhlmann fait le point (p. 205-209) et conclut que « les nations industrialisées... marginalisent leurs concitoyens les plus pauvres et les moins instruits,... dont les compétences sont sans cesse déclassées par l'avancée de ceux qui maîtrisent les savoirs les plus sophistiqués ».

La presse elle-même, bien que marchant très bien (surtout la presse féminine, la presse hebdomadaire et la presse télévisuelle, cependant largement en déclin pour les quotidiens, du moins en France, classée au 28e rang mondial !), mais dont la lecture reste souvent distraite, ne saurait combler le relatif effondrement de l'usage des livres (très sensible chez les jeunes adultes), dû sans doute à la croissance de l'offre télévisuelle et électronique, mais aussi à une offre de lecture trop soucieuse de marketing et dont la durée de vie est de plus en plus éphémère 2.

Allons-nous vers une société de communication, ou y sommes-nous déjà ? Et pour communiquer quoi ? Des illusions, comme la télévision, occupant à elle seule dans nos sociétés 30 à 40 % du temps libre des individus, et qui, il est vrai, joue sur du velours par le lien social qu'elle représente et qui lui permet d'imposer une véritable tyrannie de l'image ? On peut penser que la presse, en dépit des contrôles politiques et des pressions commerciales, reste davantage un baromètre de la démocratie.

Mais la mondialisation reste menaçante avec les grands groupes multimédias (publicité, télécommunications, télévision, presse écrite, électronique, édition... Hachette n'a plus que 24 % de son chiffre d'affaires dans le livre).

Aussi la réglementation publique ou politique reste une nécessité pour apporter la régulation indispensable et protéger éventuellement les industries culturelles nationales. A cet égard, la fin du leadership pour les télévisions publiques montre les limites de ces mesures. La protection des œuvres et des auteurs est aussi du ressort des états, face aux technologies nouvelles qui favorisent le piratage.

Les empires économiques

D'autant que les médias, c'est aussi et peut-être d'abord des empires économiques : les coûts sont en inflation constante et il est peu évident de mettre en place l'impératif de productivité. Pourtant, le management, la gestion, le marketing, la rationalisation, sont devenus des mots-clés pour les patrons de ces entreprises médiatiques qui ont un besoin vital de trouver les financements nécessaires et de réduire les marges. La course à l'audience reste le ressort, parce qu'elle apporte l'indispensable publicité (elle-même un média), mais elle nécessite une analyse correcte de l'auditoire supposé, une approche socioculturelle du public visé, domaines jusqu'à présent encore insuffisamment explorés.

L'équipe de Médiaspouvoirs et du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ), sous la houlette de Jean-Marie Charon, a réalisé un solide ouvrage qui s'impose, même si l'on peut penser qu'il aura besoin d'une bonne mise à jour dans cinq ans. Les articles sont clairs, concrets, synthétiques, agrémentés d'encadrés, de tableaux ou de statistiques, de courtes bibliographies. La bibliographie finale est en partie anglo-saxonne. L'index est très complet. Le chapitre sur les métiers et formations intéressera les jeunes. Et l'honnête homme aura de quoi alimenter ses réflexions, tandis que nous n'hésiterons plus à comprendre pourquoi nos bibliothèques deviennent des médiathèques.

  1. (retour)↑  Travers auquel n'ont pas échappé, hélas, bien des bibliothèques publiques, dans la course au nombre de lecteurs inscrits. Trop de livres ne sont même pas acquis, sous prétexte qu'ils risqueraient de rester sur les rayons, ou parce que l'effort de promotion (auquel devraient se livrer les bibliothécaires pour les faire sortir) est sacrifié à la rentabilité immédiate.
  2. (retour)↑  Problème dont il faudra bien que la profession de bibliothécaire débatte un jour : doit-on jouer le jeu de ce marketing-là, et finir par assassiner la lecture ? Le jour où l'offre de lecture cessera de jouer sur l'instantané et l'éphémère, peut-être découvrira-t-on de nouveaux lecteurs ?