Principes et méthodes de programmation

par Yannick Valin
Paris : Direction de la programmation et du développement universitaire, mai 1991. -115 p. ; 30 cm.

A l'initiative d'Armand Frémont, directeur de la programmation et du développement universitaire, la sous-direction des constructions et la sous-direction des bibliothèques constituèrent un groupe de travail avec mission de produire un document ouvrant les grands axes d'une méthodologie de programmation pour les bâtiments de bibliothèques universitaires. Sous la présidence du professeur Pierre Merlin, ce groupe, composé de conservateurs-directeurs de bibliothèques universitaires, d'un cabinet de programmation et de professeurs d'université, s'est réuni de décembre 1990 à avril 1991. La réalisation, en un laps de temps aussi réduit, d'une somme exigeant la fusion de compétences et d'expériences diverses en une expression unique, est en soi une performance.

La grande vague des constructions des années soixante avait aussi engendré, sous forme de notes, circulaires, voire de cours, des cadres normatifs déterminant une idée de la bibliothèque universitaire, mais non un document de cette ampleur, sous-tendu par une conscience précise du rôle de la bibliothèque dans la cité.

Une dynamique de la nécessité

Depuis une quinzaine d'années, aucun projet significatif n'ayant été mis sur la planche, il n'avait pas paru utile de conceptualiser l'évolution des besoins et de remodeler la théorie. Les recommandations anciennes se trouvaient obsolètes, dépassées par les techniques, et hors champ de mentalités. Aussi, alors que l'Etat porte à l'aube de la dernière décennie du siècle l'effort sur la rénovation et le développement des universités, dont les bibliothèques sont désormais des services, décideurs et concepteurs ne disposaient pas d'un outil propre à soutenir la réflexion et à guider les choix techniques architecturaux et organisationnels.

Les constructions devant intervenir dans un délai proche, la dynamique de la nécessité a soutenu cette étude, précise, fouillée, exhaustive, alors même que Daniel Renoult, sous-directeur des bibliothèques, nous promet pour bientôt une seconde version, qui développera l'aspect plus qualitatif de la programmation d'un bâtiment de bibliothèque.

La réflexion du groupe se fonde sur les conclusions du rapport Miquel et vise à préciser les missions d'une bibliothèque pour en dégager les conséquences en termes d'aménagement de l'espace (externe et interne) comme de fonctionnement. Rappelons que le rapport Miquel proposait la construction de 400 000m2 de planchers, la création de 1 500 emplois et l'attribution de crédits annuels de fonctionnement de 600 millions de francs.

Cette visée audacieuse implique l'insertion des bibliothèques non pas dans le seul cadre de l'université, mais au delà dans la ville, d'où la mise en place dans ce guide d'une méthodologie de l'organisation à plusieurs niveaux : fonctionnel, spatial, temporel.

L'environnement

Le rapport s'articule en deux parties. La première traite de la « conception des bibliothèques universitaires et de leur insertion dans l'environnement ». Le premier chapitre de cette ouverture liste les missions des bibliothèques appelant, au premier titre sur l'essentiel : les publics. Pluriel de rigueur car le public universitaire se situe dans un continuum diversifié à quatre niveaux. A ces publics s'ajoute celui de la formation continue de plus en plus nombreux et une population étrangère à l'université. Cette diversification et cette ouverture vers l'extérieur pose une équation contradictoire (BU : lieu d'étude et lieu de recherche ; lieu d'apprentissage et lieu de travail) à laquelle le rapport offre des réponses neuves. Rappelant l'existence des réseaux nationaux en service, tel le réseau bibliographique, consultable sur CD-ROM par les usagers, ou le PEB, et soulignant l'importance des CADIST, le guide met le doigt sur la nécessité de concevoir des réseaux locaux et régionaux, pour l'accès physique au document, réseau dont la BU sera un maillon essentiel, et si possible le nœud central. Si le réseau autorise une nouvelle conception de la pluridisciplinarité, il suppose la mise en place de moyens modernes de traitement et de communication de l'information. Le plan de développement des collections, validé par les instances universitaires, pourrait guider cette nouvelle politique documentaire interactive.

L'évolution des universités allant s'amplifier dans les dix ans à venir sous la pression de plusieurs facteurs, la bibliothèque, service commun, après avoir intégré ou associé les bibliothèques spécialisées, devra élargir la gamme de ses prestations à l'égard du monde extérieur ; ce qui pose la question de son insertion spatiale.

La bibliothèque, l'université, la ville

Mauvaise démarque du campus anglo-saxon, le campus « alla francese » s'est révélé néfaste à la vie étudiante et à la vie de la cité. La réflexion actuelle propose d'intégrer les universités dans les villes, les solutions péri-urbaines présentant de nombreux inconvénients. Pour que la vie sociale imprègne l'université dans une osmose féconde, il faut que les bâtiments soient implantés à proximité des centres (ou reliés au centre par une desserte efficace) et soient plurifonctionnels. Dans ce cadre et pour reprendre l'excellente expression du guide la bibliothèque doit « être noyée dans l'université ». Sa centralité assure la fréquentation. « Ilot de calme » qui relève la gageure d'accueillir un public très nombreux la BU doit être un signal architectural voire « monumental » sans que ce parti pris nuise au fonctionnement interne.

La fonctionnalité de la bibliothèque est longuement décortiquée dans un chapitre technique qui traite de l'organisation des espaces, problème crucial, la fréquentation d'une bibliothèque étant sujette à des variations énormes. D'où la préconisation d'espaces hiérarchisés, modulables et flexibles, liée à une réflexion sur l'organisation du travail dont on se demande s'il doit être réparti par fonction ou par discipline. Un long développement sur la dimension temporelle de la programmation et subséquemment sur les variations du personnel en place selon les heures d'ouverture, appellera l'attention des responsables.

Un autre regard

Les prescriptions techniques énoncées dans cette première partie ont été adoptées, après de larges débats, dans l'ensemble des pays développés. Retenir des normes plus basses reviendrait à perpétuer des bibliothèques incapables de maîtriser leur mission dont la complexité ne fait que croître. Le challenge offert nous impose une attitude volontariste et un changement de notre vision, jusqu'ici contrainte par un immobilisme provoqué. Les auteurs du guide, avant de traiter des méthodes de programmation, nous invitent à une remise en cause de nos habitudes, et à éveiller en nous les forces de l'imagination et de l'action.

De la programmation

La première partie de l'ouvrage pourrait laisser croire qu'une volonté d'unicité dogmatique contrôle un projet somme toute assez directif. Or, dès l'introduction de la deuxième partie il est rappelé, fort opportunément, que chaque bibliothèque doit être traitée comme un cas particulier. Il importait d'énoncer ces évidences dont la transgression conduirait à des disfonctionnalités d'autant plus redoutables que résultant d'une pensée monolithique.

Les nombreuses étapes de la programmation doivent être intégralement respectées, en associant les différents partenaires ; pour l'essentiel le maître d'ouvrage, le chef de projet (directeur de la bibliothèque) et les futurs utilisateurs. Les bibliothécaires concernés - et l'on peut espérer qu'ils seront nombreux - y apprendront sinon le langage du moins les modes d'appréhension des exigences que peuvent avoir leurs interlocuteurs ; et y trouveront la possibilité d'introduire avec eux un dialogue constructif. Ils pourront aussi y apprendre à formaliser leurs besoins en termes recevables par les non-initiés.

Le deuxième volet de cette seconde partie nourrira la réflexion des architectes appelés à construire. Grâce à des tableaux d'une grande lisibilité et d'une remarquable précision, ils disposeront de normes précises, justifiées, et avant tout réalistes. Des simulations pour le calcul des surfaces de plancher par secteurs organisationnels évoquent quelques cas non limitatifs : construction exnihilo d'une bibliothèque pluridisciplinaire, reconstruction ou extension d'une bibliothèque ancienne de lettres et sciences humaines, ou d'une bibliothèque de sciences. Aperçu des services que pourront rendre les sous-directions du ministère aux futurs projets qui ne manqueront pas d'être d'une extrême diversité.

En attendant la suite

Le dernier chapitre ouvre une perspective attendue par la plupart des directeurs : du programme théorique au concours d'architectes. Il ne faudrait pas se laisser abuser par sa brièveté : c'est là que le chef de projet se confrontera au réel, à commencer par les négociations pour le choix du terrain. Certes, le maître d'ouvrage aura recours à des scénarios de faisabilité et d'estimation de l'opération. Il n'empêche que chacun souhaite disposer du meilleur emplacement, du plus central, de jouir de la plus belle vue... obtenir cet emplacement pour la bibliothèque, en dépit de la pertinence de nos arguments, ne sera pas chose facile.

Le document s'achève sur le titre du chapitre III, à paraître dans la version 2 : « du concours d'architectes à l'ouverture de la bibliothèque ». Une phase exaltante.

Dans ce survol, nous avons essayé de laisser entendre la richesse de ce guide qui marquera la conception de la bibliothèque universitaire pour les 20 ans à venir, si ce n'est pas davantage. Il sera lu et relu par les bibliothécaires, minutieusement étudié par les architectes et, à n'en pas douter, nourrira des débats animés, qui lui permettront de s'amender, en suivant ou en précédant, cette évolution rapide de nos mentalités qu'il exige.

S'il remplit, au-delà, son propos de « faciliter le travail » de ceux qui auront à concevoir la construction, le réaménagement ou l'extension d'une bibliothèque universitaire, on peut toutefois craindre, et c'est la rançon de sa complétude, que les présidents d'université et les élus locaux, auxquels il est également destiné en délaissent la lecture : pour ce public de décideurs habitués à réagir sur des textes brefs une version très abrégée serait la bienvenue ; elle pourrait être diffusée auprès d'un plus large public de clients potentiels de nos établissements.