Éditorial

À la pluralité des fonctions et des modes d'exercice des activités culturelles et des besoins d'information, les bibliothèques tentent de répondre en diversifiant leurs missions et leur offre. La multiplicité des techniques, savoir-faire et réflexions nécessaires ne peut alors que croître, et leur maîtrise devient un véritable pari qui nécessite une interrogation collective.

Du côté de l'offre de documents, plusieurs exemples sont ici proposés.

Un lieu est aussi familier aux professionnels qu'il est mal connu : la réserve. Les réserves existent dans la plupart des bibliothèques importantes et pourtant il paraît presque impossible de dresser un tableau exact de leurs contenus, de leurs règles de fonctionnement, des rythmes, modes et critères d'accroissement de leurs fonds. Une approche tente ici de lever un premier voile sur cet espace familier et méconnu.

Un autre exemple concerne la question, très actuelle, de la conversion rétrospective des notices bibliographiques. Il est alors utile de tenter un bilan des manières dont ces rétroconversions ont pu être menées ailleurs, dans des pays qui en ont fait l'expérience et tiré des leçons. Un tel bilan appelle à une grande précision dans la définition des objectifs, des méthodes et des moyens envisagés, à une rigoureuse planification, et sans doute aussi à un refus d'un perfectionnisme dont on sait qu'il est bien souvent paralysant. Faute de pouvoir atteindre la perfection, savourons les vertus d'un pragmatisme efficace et méditons les recommandations de nos voisins anglais, dont la dernière n'est pas la moindre : faire simple.

Le troisième exemple concerne les mille et une manières de faire connaître les ressources des bibliothèques : en utilisant d'autres médias, presse ou télévision par exemple. Traditionnel, dira-t-on. Beaucoup moins habituel, quand on saura que la Bibliothèque du Congrès compte diffuser à plus d'un million d'exemplaires une revue concernant ses ressources et activités. D'autres modes, plus ambitieux encore, concrétisent les possibilités offertes par les nouvelles technologies de proposer à tous, ici les scolaires, et à distance « toute la mémoire du monde », ou tout au moins l'« American memory ».

La gestion même des services ne peut être envisagée sans l'analyse de l'environnement qui les accompagne. Quelles relations les bibliothèques doivent-elles, par exemple, entretenir avec les librairies ? La question est simple et la réponse peut être consensuelle tant qu'elle ne dépasse pas le niveau des déclarations de principe. On se dit alors solidaires dans la diffusion de l'imprimé. Mais des tensions récentes autour des relations marchandes entre les deux institutions, les librairies locales fournissant une grande part des acquisitions des bibliothèques, posent de réelles questions.

Cette réflexion sur l'environnement est présente ici par la poursuite de propositions de mises en œuvre plus décidées de procédures de gestion, d'évaluation et de définitions de stratégies qui sachent prendre en compte aussi les spécificités du traitement de l'information et les dimensions culturelles, de service public, auxquelles sont tenues les bibliothèques.

La multiplicité des missions que se donnent aujourd'hui les bibliothèques peut à son tour être interrogée. Pour beaucoup, elle va de soi, répond par exemple à la diversité des compétences des publics, à la diversité de leurs besoins et attentes ou à leur inégalité, comme en témoigne ici l'analyse des raisons et des modes de la lecture dans un milieu professionnel, tel que celui des cheminots. Mais une autre interprétation, dont la vertu est à tout le moins iconoclaste, peut être proposée : la médiathèque, accumulant toutes les missions aurait perdu son âme. Son objet, dans cette course éperdue visant à offrir tout pour tous, et à répondre à des besoins allant de la convivialité, à la détente ou à l'étude, ne serait plus de servir des publics mais de créer du public. L'enjeu serait le succès pour le succès, l'espoir d'une audience massive, motivée par une logique plus consommatoire que culturelle, dans un espace dont l'ambition serait d'être le phare symbolique du consensus dans la cité. Si le partage démocratique est toujours mis en avant dans les discours, on serait pourtant définitivement éloigné d'un idéal et d'une volonté d'émancipation par la culture. À suivre...