De l'urbanisme à l'urbanité

Banques de données et processus d'information

Jacques Dreyfus

Martine Comberousse

Le bilan d'Urbamet et Pascal BTP donne lieu à une analyse des processus d'information et à une critique du principe d'exhaustivité de l'information. Le repérage de documents originaux et novateurs est aléatoire du fait de la masse des références affichées et du mode d'établissement des résumés qui privilégient les éléments formels au détriment de la problématique. Les auteurs prônent une gestion scientifique associant chercheurs et documentalistes de manière à dégager des « noyaux durs » de documents importants pour la communauté scientifique : résumés signés prenant éventuellement position sur le document analysé, cahiers thématiques présentant des synthèses, des bibliographies critiques. Cette démarche tient compte des usages des banques de données qui sont d'abord utilisées comme moyen de communication et non comme sources d'information directe.

An assessment of Urbamet and Pascal BTP leads to an analysis of information processes and to an appreciation of the comprehensive nature of information. Noticing new and specific documents is not easy because of the numerous references and because of the abstracts which tend to enhance structural elements instead of the problems. The authors commend a scientific management with searchers and documentalists together so as to isolate a hard core of relevant documents for the scientific community : critical signed abstracts, thematic registers with synthesis and critical bibliographies, as databanks are means of communication more than sources of direct information.

Quand le bâtiment va, tout va ! Justement, tout ne va pas pour le mieux dans les banques de données sur le bâtiment et l'urbanisme; alors on a fait appel à des spécialistes. Leur analyse diagnostique non pas des vices de construction mais, plutôt, des erreurs dans la programmation. Au lieu d'agrandir le bâtiment à grand renfort de murs de soutènement, ne vaudrait-il pas mieux l'aménager en fonction de ses usagers ?

BBF. En juin 1984, il vous a été confié une mission sur la documentation et la diffusion dans le cadre du « programme prioritaire de recherche et d'innovation Urbanisme et technologie de l'habitat », à la suite de quoi vous avez établi deux rapports 1, en 1985 et 1986. Dans quel contexte avez-vous travaillé et quelle démarche a sous-tendu ce travail ?

Jacques Dreyfus. Je préciserai d'abord que le travail auquel vous vous référez a porté essentiellement, mais non exclusivement, sur les deux banques de données bibliographiques PASCAL-BTP 2 et Urbamet qui, à elles deux, couvrent une grande partie du champ du programme UTH 3. La première est technologique. La seconde concerne plus spécifiquement l'urbanisme et l'habitat dans leurs rapports aux sciences de l'homme et de la société.

Associer l'habitat

Pour expliciter la démarche qui a été suivie, je remonterai à 1967, soit près de 20 ans en arrière. J'avais été chargé à l'époque de créer ce qui est devenu aujourd'hui le CDU 4. On ne parlait pas encore de banques de données. Bien entendu, tout fonctionnait manuellement. Mes collaborateurs et moi-même avions eu l'intuition, et avions posé en principe, qu'on ne pouvait pas se contenter d'accumuler des informations sans avoir en même temps le souci d'une réflexion permanente sur ce qui était ainsi accumulé. Par conséquent il fallait associer des spécialistes du champ couvert aux spécialistes de la documentation.

C'est ainsi que les choses ont été mises en place. Par la suite le dispositif initial s'est progressivement dégradé pour des raisons apparemment conjoncturelles mais relevant probablement plus de la logique bureaucratique.

J'ai été amené à m'intéresser à nouveau à la documentation alors que le programme UTH venait d'être lancé. Urbamet, plus ou moins directement issu de l'expérience de 1967, ne semblait pas rendre tous les services que l'on aurait pu en attendre. La mission qui m'a été confiée, et que j'ai menée de bout en bout en étroite collaboration avec Martine Comberousse, l'a amplement confirmé. L'idée s'est imposée pour la seconde fois d'associer des chercheurs et des documentalistes et de superposer à la gestion classique, celle qui existait alors, une gestion scientifique.

La répétition amplifiée

BBF. Qu'entendez-vous par gestion classique ?

JD. La gestion classique vise à couvrir aussi exhaustivement que possible un champ de connaissances, c'est-à-dire à entrer dans la banque de données tous les documents produits à l'intérieur de son champ. Par conséquent, dix articles presque identiques paraissant le même mois dans dix revues différentes, souvent de langues différentes, seront tous entrés. D'où un stock de documents souvent répétitifs et une perte de temps pour les chercheurs.

Or la répétition est la règle : soit par le fait des auteurs eux-mêmes qui développent plusieurs fois la même idée en changeant seulement la forme, soit que, par un effet d'imitation, telle idée originale d'un auteur soit reprise ensuite par d'autres auteurs du même pays ou d'autres pays. Car la recherche et la connaissance elles-mêmes s'enlisent souvent dans le répétitif et le conformisme. En se voulant exhaustives, les banques de données amplifient le phénomène. Du même coup, ce qui est beaucoup plus grave que la perte de temps, l'information devient désinformation.

Ceci est particulièrement sensible dans le champ d'Urbamet comme l'illustre l'exemple suivant. A la fin des années 60, l'école personnalisée par Le Corbusier dominait les milieux de l'urbanisme et de l'architecture. Six ans plus tôt, en 1957, le sociologue de l'art Pierre Francastel avait lancé dans son livre Art et technique une violente diatribe contre le théoricien du « fonctionnalisme urbanistique » n'hésitant pas à évoquer Buchenwald. On conçoit aisément l'intérêt qu'aurait représenté un système documentaire qui aurait permis à l'époque de mettre ce texte en valeur. Or, même si l'on avait alors disposé d'une banque de données, et à supposer que le texte y eût été effectivement signalé, il ne représentait qu'un sous-chapitre d'une dizaine de pages, dans son livre qui en compte 300; il aurait eu toutes les chances d'être écrasé par la dizaine d'articles à la gloire de Le Corbusier qui paraissaient chaque mois. La banque de données n'aurait pu que contribuer à enfermer davantage ses utilisateurs dans le courant dominant de l'époque. Elle aurait renforcé le champ de méconnaissance qui en résulte.

BBF. Ne peut-on faire le même procès à la documentation papier ?

JD. La documentation informatisée amplifie le problème dans la mesure où elle permet d'enregistrer des quantités impressionnantes de documents. Pour une question posée à Urbamet, il n'est pas rare d'obtenir 200 références.

Martine Comberousse. Pour un utilisateur final, l'obstacle est double : il lui faut d'abord sélectionner les documents intéressants parmi les 200 références à partir d'une description sommaire. Ensuite, il lui faut repérer les dix pages utiles parmi les documents sélectionnés - ce qui est encore plus difficile, car ses propres critères de tri ne coïncident pas avec ceux qui ont servi à l'entrée des documents dans la base. Dans le document papier, au contraire, on a toujours la possibilité de feuilleter, de trier, de faire sa propre sélection.

BBF. On peut donc supposer qu'un accès direct à l'information aurait permis de les retrouver. Mais ne peut-on pas dire que le hasard, seul, en aurait été la cause ?

JD. Sans doute, car la documentation comporte toujours un caractère aléatoire. Quand on demande aux chercheurs de quelle façon ils ont accès à la documentation, beaucoup d'entre eux répliquent sans sourire : par chance. C'est-à-dire qu'en fait, à un moment donné, ils sont prêts à sentir une idée, un texte, et ils le trouvent alors effectivement.

Le noyau dur

BBF. Quelle aide une gestion scientifique pourra-t-elle apporter à la documentation automatisée ?

JD. Elle aidera précisément à retrouver les documents originaux et importants en les différenciant des autres qui n'enrichissent pas réellement la connaissance, voire entretiennent un certain conformisme... Bien entendu, à condition que ceux qui ont la responsabilité de la gestion scientifique de la base sachent les repérer. Aucune règle n'existe qui permette de les retrouver avec certitude. Il faut s'appuyer sur des réseaux de chercheurs; ainsi se donnera-t-on le plus de chances de parvenir à ce que l'on souhaite. Il convient d'ailleurs de noter que les documentalistes eux-mêmes, qui interrogent Urbamet pour des recherches bibliographiques, souhaitent un guide pour se retrouver dans une trop grande masse de documents.

BBF. Comment opérer pratiquement ?

JD. On sait que le nombre de documents « importants » vers lesquels il faut pouvoir conduire les utilisateurs n'est pas considérable. Une documentaliste qui a joué un rôle important dans la création d'Urbamet et l'utilise régulièrement, l'estime à une centaine de documents par an sur plusieurs milliers effectivement entrés.

Ce nombre est suffisamment faible pour que l'on puisse commencer empiriquement et élaborer progressivement une méthode de travail plus rigoureuse; pour que l'on puisse à tout moment maîtriser le processus et rectifier les erreurs éventuelles.

En bref, l'objectif est de mettre en valeur les documents « importants » en créant à l'intérieur de la banque un sous-fichier. Le ministère de la Recherche parle de « noyau dur ». Mettre en valeur implique un traitement documentaire spécifique; une fois dépistés, ces documents seront traités par des spécialistes du champ.

MC. Les documents du « noyau dur » seront identifiés et traités par un groupe scientifique composé de chercheurs, eux-mêmes utilisateurs de la banque de données. L'objectif visé par ce procédé n'est pas de créer une banque sélective, mais d'indiquer un sous-ensemble de documents importants pour la communauté scientifique qui les a, elle-même, identifiés comme tels. Le dispositif crée une dynamique qui rendrait plus efficace l'interrogation d'Urbamet et inciterait à son utilisation.

JD. Le point central ici est le résumé. Rédigé par un documentaliste, il insiste presque toujours sur les éléments les plus formels du texte, car un non-spécialiste du contenu tend naturellement à ne retenir qu'eux. Le résumé doit être neutre, dit-on pour justifier la démarche. Une pseudo-neutralité, car le fait même d'insister sur les éléments formels plutôt que d'essayer de dégager les problématiques n'est pas neutre en soi. Mais le résumé ne pose pas seulement une question de connaissance du champ. Il pose aussi une question de temps. Si l'on veut aller au-delà des éléments formels, une heure pour traiter un document très dense d'une vingtaine de pages, a fortiori s'il en a 200 à 300, est un délai totalement insuffisant. Or, c'est le temps généralement admis en gestion documentaire classique.

Ceux qui demandent et ceux qui interrogent

BBF. Quels vont être les bénéficiaires ? Quelles catégories d'utilisateurs interrogent ces deux banques ?

JD. Tous ceux qui travaillent dans les champs concernés sont des utilisateurs potentiels. Cent mille ou plus dans le domaine du bâtiment et des travaux publics, 10 à 15 000 pour l'urbanisme. Mais raisonner à partir de ces chiffres serait extrêmement naïf.

Dans le cadre de la mission qui m'avait été confiée, nous sommes très vite convenus, Martine Comberousse et moi-même, de lancer une étude exploratoire pour cerner les comportements des utilisateurs potentiels en matière de stratégies d'information et confronter l'offre et la demande documentaires. Une telle étude, qui a eu des prolongements depuis, était inhabituelle parce que la plupart des gestionnaires des banques de données font l'hypothèse qu'il suffit de créer l'offre : la demande suivra à condition seulement que l'on fasse un bon usage des techniques de communication.

Les résultats nous ont conduits à relativiser très fortement à la fois la notion d'utilisateurs potentiels et le rôle des banques de données. En particulier, rien ne permet d'affirmer, contrairement à ce qui se dit souvent, que dans un avenir proche des demandeurs d'information utiliseront pleinement les possibilités de la télématique et interrogeront eux-mêmes les banques de données sans passer par les documentalistes. Dans une entreprise qui avait sa propre banque de données, les ingénieurs se sont tournés vers les documentalistes au bout de huit jours. Car les documentalistes en tant que spécialistes de l'information apportent leur savoir-faire, une façon particulière d'appréhender le problème, ne se contentant jamais d'interroger une seule banque, sachant utiliser tous les moyens de communication disponibles, trouver la personne qui donnera le renseignement ou le lieu où on le trouvera, etc.

Dans le domaine du bâtiment, les banques de données sont de fait soumises à la concurrence des fabricants qui favorisent une information évaluée que les praticiens ne trouveront pas dans une banque de données bibliographiques. Quand ils veulent employer un matériau, il ne leur suffit pas de connaître ses propriétés théoriques, ils doivent savoir ce qu'il donne réellement à l'emploi. Ils s'adressent au fournisseur de matériaux pour obtenir les renseignements attendus.

La référence-relais

MC. Les références des banques de données sont utilisées comme moyen de communication et non comme source d'information directe. Ce sont des passages obligés ou possibles, des relais permettant d'accéder à l'information utilisable (données, documents ou personnes). L'analyse faite par la MIDIST de l'utilisation par les jeunes chercheurs des bourses d'information (BIST), montre que 3 % seulement de ces bourses servent à interroger les banques de données. Par ailleurs, environ 70 % du temps consacré par le chercheur à la recherche d'informations se fait sur le mode oral, lors de conversations, de colloques...

JD. Congrès, colloques, ou échanges courants avec les correspondants permanents. Les chercheurs (comme les praticiens très spécialisés dans un domaine) travaillent le plus souvent en réseau avec d'autres travaillant dans le même domaine. Lorsqu'ils restent dans leur champ propre, la connaissance qu'ils en ont est très en avance sur celle que contiennent les banques de données. Ils ne les utilisent pas.

Lorsqu'ils en sortent, soit pour élargir leur champ de connaissance, soit pour en aborder un autre (le cas est de plus en plus fréquent de chercheurs passant d'un champ à un autre), ils deviennent des utilisateurs potentiels. Leur besoin d'être guidé dans leur démarche est alors le même que celui de la masse des praticiens.

Temps divers

Il existe en fait deux sortes de praticiens, plus exactement deux types, deux attitudes par rapport à l'information qui peuvent se trouver simultanément chez chacun d'eux :
- on s'informe pour agir: par exemple prendre une décision immédiate pour construire demain ;
- on s'informe pour posséder un savoir et pouvoir éventuellement agir mieux plus tard lorsque l'occasion s'en présentera.

A ces deux attitudes correspondent deux types de demande s'inscrivant dans des temporalités différentes. Aucune banque de données bibliographiques ne peut répondre à une demande d'information immédiate.

MC. La banque de données bibliographiques n'est pas destinée à délivrer de l'information immédiate, et vouloir l'utiliser à cette fin risque de la dévoyer. Les documentalistes qui alimentent une banque de données ne sont pas non plus à l'abri de cette tentation. Ils essaient, en effet, de répondre à la demande factuelle en incluant le plus possible de données formelles dans les résumés. Il y a pourtant bien d'autres moyens de satisfaire cette attente : banques de données factuelles, textuelles, communication orale, messagerie électronique, systèmes d'information vidéotex... Il est tout à fait souhaitable d'établir des liens entre ces diverses sources d'information pour permettre à l'utilisateur de passer aisément d'une référence bibliographique au texte lui-même ou aux données contenues dans le document. Ainsi, il est envisagé d'établir des liens entre Urbamet et les banques de textes juridiques - par exemple par l'intermédiaire du NOR 5.

JD. Dévier sur une banque de données factuelles est un risque permanent. En crise depuis deux ans pour raisons financières, PASCAL-BTP, pour augmenter le nombre de ses consultations, a failli se lancer dans une politique d'offre en augmentant ses données formelles. C'est-à-dire qu'au lieu de signaler l'intérêt d'un article, la technique originale qui permet de faire des ponts en béton précontraint, par exemple, le résumé aurait précisé la longueur du pont en x mètres...

De l'utilité des banques

BBF. Qu'est-ce qui a déclenché la crise ? La banque n'était-elle pas rentable ?

Rentables, non

JD. Une banque de données n'a pas à être rentable dans le sens économique que l'on donne en général à ce terme. Vouloir équilibrer les recettes et les coûts de production n'est pas un objectif nécessairement pertinent. Il faut éviter de toujours vouloir évaluer une banque de données avec des critères quantitatifs.

MC. Je rappellerai qu'à la question posée par le GFFIL 6 aux producteurs, sur les perspectives de rentabilité des banques de données, 80 % d'entre eux ont répondu n'avoir pas atteint l'équilibre financier, et près de 70 % envisageaient un délai de plus de trois ans pour y parvenir.

Le marché des banques de données scientifiques et techniques est étroit, sa croissance est très faible. Chercher la rentabilité par une augmentation du volume de la banque de données avec l'espoir d'attirer de nouveaux utilisateurs conduit à une impasse. Les producteurs cherchent plutôt à diversifier les services, les outils de diffusion et les produits à partir des banques de données.

Par ailleurs, la rentabilité financière d'une banque de données ne constitue pas nécessairement un objectif. La productivité des utilisateurs et le gain de temps sont également des critères de rentabilité. On estime par exemple que la lecture d'articles et de rapports par les chercheurs et ingénieurs a économisé 300 billions de dollars en 1984 aux Etats-Unis 7.

Utiles, oui

JD. Une banque est utile à partir du moment où elle sert à quelqu'un. Si les chercheurs sont très peu nombreux à l'utiliser au cours d'une année, elle peut cependant permettre à certains de gagner des mois de travail et de faire des découvertes intéressantes. Cela seul est important.

On doit, bien sûr, se poser la question de l'utilité des banques de données quand on assiste depuis dix ans à une telle prolifération. Des banques sont nées sans raison apparente. Chaque institution, chaque ministère ou portion de ministère voulait posséder la sienne propre. Les banques de données étaient devenues enjeu de pouvoir ou d'illusion de pouvoir, mais ce n'est le cas ni d'Urbamet ni de PASCAL-BTP.

Urbamet est née du souci, très clair, d'éviter à une vingaine de documentalistes répartis sur toute la France de dépouiller chacun les mêmes revues. Le même motif a joué pour PASCAL-BTP (dont, cependant, le nombre de co-producteurs est plus faible que pour Urbamet). Une raison essentielle a été l'existence, à côté d'un champ de revues proprement scientifiques, ou considérées comme telles, pris en compte par le CNRS, d'autres revues, périphériques pour la science mais importantes pour les technologies, qu'il était nécessaire de répertorier, d'entrer dans une banque. PASCAL-BTP est d'ailleurs beaucoup plus « bâtiment » que « travaux publics ». Le CSTB 8 entre à lui seul 70 % des documents non entrés par le CDST.

La finalité de PASCAL-BTP était claire au départ, encore qu'elle n'ait jamais été explicitée : PASCAL-BTP s'adresse d'abord aux chercheurs. Aujourd'hui, la position du CSTB est sans ambiguïté, PASCAL-BTP est devenu un outil de travail indispensable aux centres de recherche-développement, notamment ceux qui l'alimentent. On doit considérer son existence comme un fait acquis et ne plus y revenir. Telle est la position que Martine Comberousse et moi avons prise. Le conforter, mais d'abord dans sa fonction actuelle.

BBF. Peut-on penser que cette remarque vaut pour l'ensemble des banques de données ?

JD. La même documentaliste, largement à l'origine d'Urbamet, que je citais tout à l'heure, m'expliqua un jour en ces termes son travail :

« je commence par interroger Urbamet, éventuellement d'autres banques. S'il le faut, je complète les listings obtenus par d'autres sources d'information. C'est 'ensuite que mon travail commence réellement ». Pour conclure, elle eut ces mots : « J'ignore, honnêtement, si le résultat final est très différent grâce à la consultation des banques, mais j'ai la certitude de travailler plus rapidement ».

Certes, la notion d'économie de temps doit être nuancée. Car travailler avec des bibliographies papier permet aussi au temps de « travailler ».

BBF. Urbamet et PASCAL-BTP sont-elles très consultées ?

JD. A l'époque du premier rapport, Urbamet était utilisée 400 heures par an, à l'intérieur desquelles il eût été bien difficile d'établir une répartition entre les heures consacrées à la gestion de la base par les co-producteurs et celles consacrées à la recherche documentaire par les utilisateurs finals. Ce chiffre semble aujourd'hui très largement dépassé.

Le nombre d'heures d'utilisation de PASCAL-BTP semble beaucoup plus faible. Mais le seul chiffre précis dont on dispose concerne l'ensemble de PASCAL et de ses bases sectorielles. L'hypothèse que l'on pourrait alors faire, que le nombre d'heures d'interrogation de PASCAL-BTP est proportionnel à sa place dans le stock total, est sans doute très pessimiste.

Coûteuses, peut-être

BBF. Avez-vous déjà fait des études de coût des deux bases ?

JD. Un chiffre apparemment fiable a pu être calculé pour PASCAL-BTP à partir du budget du CDST. Le coût total de PASCAL-BTP est de l'ordre du million. Pour Urbamet, ils s'élèveront à environ 8 millions, voire plus. Précisons toutefois que ce chiffre est un chiffre théorique qui correspond aux temps théoriques des contributions apportées au réseau, que les co-producteurs ont intérêt à majorer pour forcer leur importance. Le marketing dont le coût est inclus représente un effort significatif pour Urbamet, très faible dans le cas de PASCAL-BTP.

Enfin, à l'époque pour laquelle on dispose d'une évaluation, Urbamet travaillait sur l'ordinateur du service régional de l'équipement d'Ile-de-France. On lui imposait des tarifs fictifs deux ou trois fois supérieurs aux tarifs de façonniers extérieurs.

BBF. Quel est le coût d'une banque en général ?

MC. Il est difficile de donner un chiffre pouvant servir de référence pour le coût d'une banque de données. Il dépend de la taille de la banque, de l'organisation de son traitement, des modes de calcul, de sa complexité. Cependant l'expérience que nous en avons nous permet d'estimer que le coût d'une banque de données bibliographiques du secteur scientifique se situe généralement entre 1 MF et 5 MF par an.

JD. Je rappellerai que l'ensemble des investissements de recherche dans le champ du programme UTH est de l'ordre de 200 millions. Je rappellerai aussi que, dans pratiquement le même champ, l'effort en matière de système documentaire en RFA (où le dispositif d'ensemble est d'ailleurs très différent de celui qui existe en France) atteignait en 1986 environ 25 millions de francs.

Mieux servir

BBF. Aujourd'hui donc, PASCAL-BTP continue. Si les critères de rentabilité ne sont pas les meilleurs pour l'évaluer, sur quoi vous fondez-vous pour assurer sa survie ?

MC. Si nous avions posé le problème exclusivement en termes d'augmentation du nombre d'utilisateurs, il aurait fallu y répondre en élargissant son champ et en débordant de son public privilégié.

Changeant de public, PASCAL-BTP aurait dû alors modifier son contenu, ses objectifs, sa structure, ses relais de diffusion... Or PASCAL ne peut répondre qu'à une partie des besoins des professionnels du bâtiment. Nous avons donc préféré proposer un accroissement des services rendus déjà par PASCAL-BTP, pour une meilleure satisfaction de son public, plutôt que d'augmenter à tout prix le nombre de ses utilisateurs.

JD. C'est-à-dire de conforter la base comme outil nécessaire à la recherche : notamment en améliorant les résumés par une gestion scientifique. Parallèlement va être lancée une collection de cahiers thématiques où l'on trouvera des synthèses, des bibliographies critiques, des analyses critiques d'ouvrages, des notes de lecture. Il ne s'agit plus ici des banques de données, mais de la gestion scientifique de l'information en général. Néanmoins, au même titre que le noyau dur, de tels cahiers guideront les utilisateurs de PASCAL-BTP et Urbamet.

Le dispositif ainsi proposé sera-t-il facteur d'augmentation ou de diminution du nombre d'heures de consultation ? Nul ne le sait. Il est tout aussi logique d'imaginer une diminution, plutôt qu'une augmentation ou inversement : les utilisateurs trouveront plus directement une documentation pertinente, mais dans la mesure où ils auront accès plus intelligemment à la banque, ils seront plus aisément tentés de compléter leur information de base - les documents importants - par d'autres qui pourront leur apporter quelque chose sur le plan des faits. Ce qui compte, encore une fois, n'est pas tant le nombre d'heures d'utilisation ou le nombre d'utilisateurs, que le service rendu. Faisons passer l'information, mais pas n'importe quelle information. Un programme de recherche n'est pas fait pour entretenir le conformisme, mais pour obliger les gens à réfléchir.

L'univers se resserre

BBF. Toute cette analyse s'inscrit dans un contexte global et l'évolution des banques de données scientifiques apparaît bien différente des hypothèses initiales...

MC. Nous avions prévu, il y a quelques années, une croissance très importante des banques de données. Or les prévisions étaient erronées. On observe globalement une croissance faible de l'ensemble du marché et une stagnation dans le secteur scientifique (6,4 % des revenus du marché américain de l'information scientifique et technique en 1984 et 6,3 % prévus en 1989).

Après une période d'euphorie et de créations multiples, on assiste maintenant à un resserrement autour de quelques banques plus importantes. Les utilisations se concentrent d'ailleurs sur un tout petit nombre de banques : environ la moitié du marché en ligne est actuellement couvert par 5 % des banques de données. De même, les revenus des serveurs proviennent principalement d'un petit nombre de gros utilisateurs du secteur industriel : 10 % des contrats génèrent 80 % des revenus.

Le marché des banques de données bibliographiques scientifiques et techniques n'est pas extensible. Raisonnons donc en termes de services, de valeur ajoutée, de produits variés, pour adapter le mieux possible l'offre d'information scientifique au public ciblé.

Harmonie générale

BBF. Nous avons essentiellement argumenté sur deux banques analysées isolément; celles-ci s'articulent sans doute sur tout un complexe de banques sur des domaines voisins...

MC. Il est déjà question d'harmoniser les deux banques entre elles pour faciliter l'accès à l'utilisateur final. Concrètement, il s'agit d'harmoniser les bordereaux de saisie et les langages documentaires, et de constituer - mais ceci concerne davantage le serveur - un index croisé qui, pour un sujet donné, permet une orientation de l'utilisateur vers l'une ou l'autre facette du domaine.

Actuellement, le passage d'une banque à l'autre est déjà possible, PASCAL-BTP et Urbamet se trouvant sur le même serveur. Mais les langages sont différents et l'on n'obtient pas avec les mêmes mots-clés la même recherche sur les deux banques. L'harmonisation des deux fichiers devrait également en faciliter l'accès aux utilisateurs finals qui connaissent moins les stratégies d'interrogation que les intermédiaires d'information.

Mais il faut rester prudent et introduire progressivement le plus de facilités possible dans PASCAL-BTP et Urbamet sans perdre de vue l'ensemble des banques de données du domaine : Urbamet est engagée dans des opérations de coordination avec d'autres banques, notamment ECOTHEK et SYDONI, quant à PASCAL-BTP, il appartient déjà à l'ensemble PASCAL, et participe au réseau international ICONDA.

JD. On ne peut effectivement pas pousser jusqu'au bout dans une seule direction et laisser le reste en panne. Pour prendre une image empruntée au bâtiment, à quoi servirait de chercher la précision du millimètre quand, ailleurs, on parle du mètre du maçon ! Pour certaines banques, on en est au mètre, pour d'autres au millimètre. Il faut essayer d'harmoniser l'ensemble.

BBF. Quand vos projets seront-ils mis en application ?

JD. Il y a un accord sur le fond. La conjoncture est peu propice à lancer des actions nouvelles. Il faut prouver le mouvement en marchant. Des moyens permanents en personnels existent. Le processus est amorcé en ce qui concerne les cahiers thématiques. Le réseau de chercheurs nécessaire à l'élaboration du noyau dur commence à se constituer.

MC. Notre groupe de travail a mis également en relief la nécessité d'un suivi et d'une évaluation constante de l'adéquation de la banque à ses publics, grâce notamment à des études régulières comme celles que nous avons fait faire 9. L'un des buts de ces études en continu est précisément d'obliger en permanence à réinsérer le processus documentaire dans le champ spécifique, dans le cas présent : l'urbanisme et l'habitat.

  1. (retour)↑  Jacques DREYFUS, Rapport à Monsieur le délégué à la recherche et à l'innovation sur la documentation et diffusion dans le cadre du Programme prioritaire de recherche et d'innovation « Urbanisme et technologie de l'habitat», Paris, HUL, avril 1985. Jacques DREYFUS, Rapport à Monsieur Pierre Piganiol, président du groupe d'experts sur quelques problèmes de documentation et de diffusion dans le champ du Programme prioritaire de recherche et d'innovation « Urbanisme et technologie de l'habitat », Paris, 31 octobre 1986, MELAT (Ministère de l'Equipement, du Logement, de l'Aménagement et des Transports).
  2. (retour)↑  Bâtiment et travaux publics.
  3. (retour)↑  Appellation condensée du Programme prioritaire de recherche et d'innovation urbanisme et technologie de l'habitat.
  4. (retour)↑  Centre de documentation sur l'urbanisme.
  5. (retour)↑  NOR : Système normalisé de numérotation des textes officiels publics.
  6. (retour)↑  GFFIL : Groupement français des fournisseurs d'information en ligne.
  7. (retour)↑  J.-H. GRIFFTTHS, D.W. KING, The contribution of online database services to the productivity of their users, 10th international online information meeting, Londres, décembre 1986.
  8. (retour)↑  CSTB : Centre scientifique et technique du bâtiment.
  9. (retour)↑  Philippe DARD, Une offre documentaire à la recherche de sa demande : éléments de réflexion sur la banque de données, PASCAL-BTP, Paris, CSTB, MELAT-DRI, déc. 1986, 50 p. Thomas REGAZZOLA, Etude sur Urbamet à partir d'une confrontation entre offre et demande documentaire, Paris, Association ORELIE, MELAT-DRI, déc. 1986, 119 p. Alain TARRIUS, La recherche d'information par divers intervenants dans le champ du programme « Urbanisme et technologie de l'habitat », Paris, MULT, janv. 1985.