Petits écrans et grands publics

La politique de films de la BPI

Marie-Christine de Navacelle

Présentation et bilan de la politique de diffusion de films menée à la BPI. Cette politique a été élaborée en tenant compte du contexte de la BPI : intégration dans le centre G. Pompidou, situation au centre de la capitale. Les principes directeurs ont été : constitution d'un fonds de documentaires d'actualité, consultation sur place, présentation multimédias, transfert des films sur vidéocassettes 3/4 de pouce. Parallèlement la BPI mène des activités de promotion des documentaires en coproduisant des films et en animant le festival Cinéma du Réel. Le succès auprès du public a été si vif que les postes de consultation ont été très vite engorgés. Différentes formules sont en cours d'expérimentation pour élargir les possibilités de diffusion : semi-libre accès, multiplication de moniteurs individuels, consultation collective, vidéodisque.

Introduction and results of the films diffusion policy at the BPI. This policy has been developed according to the features of the library : integration into Georges Pompidou Center, and location in the heart of Paris. The guiding principles were : development of a collection of documentaries on current events, for reference only; multimedia introduction and transfer of the films on videotapes. On the same way, the BPI is promoting documentaries through several joint-productions and through the animation of the festival Cinéma du réel. These operations have been so successful that the reference points were soon congested. The library is testing new methods to increase dissémination : semi-open access, increase in the number of individual monitors, collective consultation, videodisc.

La vidéo: un média à part entière mais pas entièrement à part. C'est la philosophie qu'on peut tirer du bilan des films à la BPI établi par Marie-Christine de Navacelle. Intégration à la politique d'acquisitions, présentation multimédias, mode de consultation font de cette opération une expérience pionnière et riche d'enseignements. Une expérience ambiguë toutefois : le pari sur le documentaire et la vidéo est des plus payants si on ne regarde que les chiffres de consultation, mais les usages réels vont-ils bien dans le sens de l'utilisation autodidaxique prévue au départ ?

BBF. Plus de huit ans après son ouverture, la BPI garde encore l'image de « la bibliothèque où tout est en libre accès et où l'on peut voir des films ». Cette prégnance a donné lieu à un déferlement idéologique et on a affirmé tout aussi bien que « le film allait élargir le public du livre » et que « le film détournerait le public de lire », tout en insistant sur la rénovation de l'image des bibliothèques grâce à l'introduction de la vidéo... Que peut-on penser rétrospectivement de tout ce débat, et quel bilan peut-on faire de la politique du film à la BPI ?

Marie-Christine de Navacelle. Que ce débat est un faux débat car il n'y a jamais eu à la BPI d'opposition entre le livre et le film. Que l'on se place du point de vue de la gestion documentaire (des acquisitions à la diffusion) ou de l'impact auprès du public, rien ne permet d'opposer les livres aux films. Il n'est pas question de nier la spécificité de l'image animée mais les films, ou plus exactement les 2 000 titres en vidéocassette de la BPI, ont toujours été une des composantes de la politique définie au départ: faire une bibliothèque d'information et d'actualité, axée sur l'autodidaxie et l'autodocumentation. C'est dans cette perspective qu'ont été faits nos choix.

Paris-Boston

BBF. Tout de même, lorsque vous avez pris l'option films-vidéo il y a plus de dix ans, il s'agissait d'une innovation assez remarquable car il y avait peu de précédents en la matière...

MC de N. L'inspiration est venue de l'étranger puisqu'Outre-Atlantique nous avions vu des bibliothèques publiques qui, dès 1974, étaient à la tête de collections impressionnantes (7 000 films à Toronto, 2 500 à Boston...). L'idée originale est venue d'ailleurs mais nous l'avons modifiée et adaptée en tenant compte du contexte et de la logique de fonctionnement de la BPI, radicalement différents. Par ailleurs, la place occupée par l'audio-visuel à la BPI n'a d'équivalent dans aucune autre bibliothèque.

La première différence tenait au contexte extérieur : la BPI est un des éléments du CNAC-GP (Centre national d'art et de culture Georges Pompidou) qui comprend en plus de la BPI le Musée national d'art moderne, le Centre de création industrielle (CCI), l'Institut de recherche et de création acoustique et musicale (IRCAM). S'y ajoute une salle de la Cinémathèque française hébergée au 5e étage du Centre, Cette juxtaposition a eu des incidences à tous les niveaux : tous les départements disposaient de leur propre cellule audiovisuelle, sans parler du service commun du Centre, et avaient tous vocation à présenter ou à produire des films.

Nous avons bien sûr tenu compte de cette situation tant au niveau des acquisitions (les collections d'art moderne et d'architecture-design sont moins développées qu'elles ne le seraient si la BPI était un établissement isolé) que du fonctionnement général: achats de droits et circulation des films à l'intérieur du Centre, co-productions, productions en liaison avec les manifestations, programmations communes, utilisation de certains équipements du service audio-visuel du Centre, surtout au début.

La deuxième différence tient au cadre et au mode de fonctionnement : les bibliothèques publiques américaines qui ont des fonds de films ont un fonctionnement beaucoup plus « communautaire » et sont très intégrées au tissu associatif - infiniment plus dense et vivant qu'en France ! De ce fait, leurs collections de films sont le plus souvent louées (à un tarif modique) aux associations pour des projections collectives. Pour les visionnements sur place, la bibliothèque ne disposait le plus souvent que de quelques cabines individuelles destinées aux représentants de groupes qui y faisaient leurs choix. Reprendre ce modèle n'était pas envisageable pour la BPI puisque celle-ci ne prête pas et que, sur Paris, les associations ne tiennent pas un rôle équivalent à celui qu'elles jouent aux Etats-Unis.

Toutes ces données nous ont conduits à élaborer une politique de films relativement originale et, comme je l'ai dit, conforme aux objectifs de la BPI. Privilégier l'autodidaxie signifiait une utilisation du film à des fins d'information, un mode de consultation d'abord individuel, un accès au document aussi « ouvert » que possible. Un certain nombre d'options techniques et bibliothéconomiques ont été prises en conséquence : présentation et diffusion des films à l'intérieur du classement multimédias adopté pour toutes les collections de la BPI, constitution d'un fonds ne comportant que des documentaires, transfert de tous les films quel que soit leur support d'origine (35 mm, 16 mm, vidéo...) sur des cassettes vidéo U-Matic 3/4 de pouce.

Cote à cote

BBF. Pour entrer dans le détail...

MC de N. Je ne m'étendrai pas sur la présentation multimédias qui aura été une des particularités de la BPI. Il suffit de rappeler que tous les documents de la BPI (livres mais aussi périodiques, microformes, cassettes-son, diapositives et cassettes-vidéo) sont présentés à l'intérieur d'un seul et même système. Pour ne donner qu'un exemple, le secteur des sciences de la terre en classe 5 (la BPI a adopté la CDU) comporte « cote à cote » tous les types de documents sur les volcans, des publications du BRGM aux films de Tazieff. Ceux-ci ont donc été intégrés aux catalogues multimédias qui couvrent l'ensemble des collections, catalogues auteurs-titres, matières et topographique. Pour ce qui est de la présentation matérielle proprement dite nous avons fait un compromis entre l'accès direct sur rayonnage et le nécessaire regroupement des films aux bureaux de renseignement et de gestion des magnétoscopes. Des cassettes-fantômes renvoyant l'utilisateur vers les bureaux trouvaient place sur les rayonnages à la cote du film. Chacun des moniteurs de visionnement placé devant les bureaux d'information était destiné à une ou deux personnes qui disposaient de casques d'écoute. Ce schéma était appliqué dans l'ensemble de la bibliothèque : seule la médiathèque de langues fonctionnait de façon un peu différente car les modes d'apprentissage des langues nécessitaient une autre utilisation des équipements.

Contre le « docucu »

La deuxième option fondamentale a consisté à privilégier le documentaire en écartant la fiction (sauf à la bibliothèque des enfants). C'est un choix discutable qui n'est pas forcément celui des autres bibliothèques publiques, mais il trouvait et trouve encore sa justification dans la logique et le contexte de la BPI. Au Centre, la diffusion de la fiction est assurée par certains programmes et par la Cinémathèque française avec entrée payante. A Paris, cela aurait aussi signifié entrer en concurrence directe avec le réseau des salles « Art et Essai » de la capitale, réseau qui fonctionne déjà dans des conditions difficiles. La BPI jouait son rôle en donnant au public accès à des documents riches en information, d'une certaine qualité cinématographique mais mal connus et peu diffusés.

Trop souvent, le documentaire reste, dans l'esprit du public, un film didactique et rébarbatif. A la BPI nous donnons au terme de documentaire une définition simpliste mais largement utilisée : tout film ne requérant pas l'intervention de comédiens professionnels. C'est un concept à la fois restrictif (il nous a conduits à éliminer des oeuvres à la limite du documentaire) et ouvert car il comprend aussi bien des films comme ceux de Chris Marker, Jean Rouch, ou Raymond Depardon ou de réalisateurs moins connus, des portraits d'écrivains comme ceux de Jean Genet ou Simone de Beauvoir, que les enquêtes historiques d'A. Harris et A. de Sedouy, des films de Fernand Braudel sur la Méditerranée ou de Haroun Tazieff.

Parallèlement à la qualité de l'information apportée par le film, nous avons presque toujours maintenu des exigences en matière de forme cinématographique tout en restant dans notre logique multimédias. Il ne suffisait pas de savoir qu'il existait tel film sur tel sujet, il fallait que ce film apporte quelque chose de différent et de complémentaire par rapport aux autres médias. Ainsi dans le domaine de l'art, nous avons souvent écarté des films qui n'étaient qu'une succession de plans fixes lorsqu'on pouvait proposer à leur place des séries de diapositives ou des albums illustrés. Par contre nous avons été amenés à privilégier tous les secteurs où l'image animée apporte elle-même un plus, qu'il s'agisse de sociologie, de sport ou de danse. Le vécu, le discours, l'image en direct, confèrent souvent une force particulière au film; c'est le cas des films de sociologie, de politique, d'histoire contemporaine. Inutile de préciser que c'est dans ces domaines, là où le film est le plus irremplaçable, que la production est la plus abondante.

Les bibliothèques représentent maintenant un des principaux moyens de diffusion pour les documentaires après la télévision. Notre intention n'est pas de constituer une cinémathèque du documentaire mais de maintenir un fonds actuel. La BPI ne propose donc que des oeuvres récentes à l'exception de quelques films qui ont marqué des jalons dans l'histoire du documentaire comme ceux de Joris Ivens. Nous sommes actuellement en train de revoir le fonds de base (les droits de diffusion avaient été le plus souvent acquis pour une durée de 10 ans); à cette occasion seront éliminés un certain nombre de titres obsolètes. Notre fonds a été constitué à partir de sources institutionnelles (ministères, ambassades, universités) mais aussi à partir de productions indépendantes.

BBF. Quelle place faites-vous à la télévision dans vos achats ?

MC de N. En principe, nous ne privilégions pas les films qui ont déjà bénéficié d'un passage à la télévision. Celle-ci diffuse ses propres productions, souvent liées à l'actualité, et des films achetés à l'extérieur. L'Institut national de la communication audio-visuelle (INA) ayant pour mission d'assurer la conservation et l'exploitation des archives télévisées, est notre interlocuteur pour la négociation des droits, mais cette négociation appelle des délais appréciables car les procédures sont lourdes.

Il nous arrive d'acheter à des producteurs indépendants l'intégralité d'un film dont la TV n'a passé qu'une version tronquée. Enfin, lorsque nous avons le choix entre deux films d'intérêt égal sur le même sujet, nous préférons donner sa chance à un film qui n'est ni passé à l'antenne ni diffusé par l'INA.

En règle générale, notre politique est de suivre l'actualité en proposant des films récents mais, parmi ceux-ci, de privilégier ceux qui apportent une réflexion. Pour reprendre un parallèle célèbre, nous privilégions l'approche du Monde (priorité à l'analyse) par rapport à d'autres quotidiens axés sur le scoop et le fait brut. A titre indicatif nous ne proposons pas de retransmission intégrale de matchs de football, mais nous recherchons des films qui proposent une certaine vision de ce sport.

Nos choix et nos contraintes ne sont pas toujours bien admis par un public qui vient « pour regarder la télé ». Certains ne comprennent pas que nous n'enregistrions et ne retransmettions pas directement les émissions de la télévision. Or il s'agirait de piratage pur et simple, les textes sont formels sur ce point : la diffusion d'émissions enregistrées sur magnétoscope ne peut se faire « qu'à l'intérieur du cercle de famille » à l'exclusion des lieux publics (y compris les bibliothèques) et toute diffusion dans ce circuit (visionnement sur place et, a fortiori, prêt à domicile) implique la négociation de droits. Périodiquement je m'inquiète de voir certains collègues sous-estimer ou méconnaître les problèmes juridiques de l'édition et de la diffusion audio-visuelle.

Le critère d'accessibilité est également un de nos critères d'acquisition. Il se situe à un double niveau. Tout d'abord intervient l'accessibilité linguistique : l'ensemble du fonds est composé de films en français ou, dans le cas de films étrangers, de films doublés où sous-titrés. Deux exceptions à cette règle : la Médiathèque de langues où sont diffusés des films en version originale et les films de musique ou de littérature.

Par ailleurs intervient le critère d'accessibilité « scientifique » plus délicat à analyser. Disons que la production de films est extrêmement étroite par rapport au livre et que, s'il est facile pour un thème précis de présenter un choix d'ouvrages présentant plusieurs points de vue, il n'en va pas de même pour les films. Lorsqu'il n'existe sur un sujet donné qu'un seul film, trop spécialisé ou de trop mauvaise qualité, nous préférons l'écarter et ne présenter aucun film, les autres médias permettant de combler cette « carence » documentaire.

BBF. Pourquoi avoir choisi le support vidéocassette et le format 3/4 de pouce incompatible avec les magnétoscopes grand public ?

MC de N. Il y a plus de dix ans qu'on nous prédit la mort prochaine de la vidéocassette, alors que l'édition de vidéocassettes connaît un développement sans précédent. Quant au 3/4 de pouce, nous avons eu maintes fois l'occasion d'apprécier l'intérêt de ce format qui assure une plus grande résistance des cassettes et une bien meilleure qualité d'image. Pour reprendre un autre parallèle bien connu, je dirai que le format 3/4 de pouce a avec le format 1/2 pouce les mêmes relations que le livre broché avec le livre au format de poche. Certes, nos cassettes ne sont pas compatibles avec les magnétoscopes grand public mais, comme la BPI ne prête pas, cette incompatibilité est d'autant moins dommageable qu'elle décourage les « emprunts » irréguliers. De ce fait, cette option s'avère, avec le recul, très satisfaisante - le milieu institutionnel a d'ailleurs largement adopté le format 3/4 de pouce.

Pour en finir avec l'aspect technique j'ajouterai que nous avions dès le départ prévu la fonction arrêt sur image qui ajoutait une dimension à la diffusion, mais les cassettes n'ont pas résisté et nous avons dû interrompre cette possibilité dès l'ouverture. Nous espérons pouvoir la reprendre avec d'autres dispositifs comme le vidéodisque.

Dix ans après, nos options techniques nous apparaissent positives mais... il ne faut pas méconnaître les charges et les contraintes de la maintenance : télécinéma (transfert des films sur vidéocassette), duplication et réparation des cassettes, entretien des magnétoscopes, représentent autant de problèmes auxquels il a fallu trouver des solutions. Dans un premier temps nous avons eu recours au service audio-visuel du Centre; par la suite nous avons pris notre indépendance, nous avons sous-traité à l'extérieur pour le télécinéma, recruté des techniciens pour la maintenance des appareils... Nous n'avions pas au départ pleinement conscience de l'étendue des contraintes techniques, tout comme de la lourdeur des procédures d'acquisition.

Visionnement-marathon

BBF. Quelle est la physionomie du service vidéo-films, et, surtout, comment s'intègre-t-il au fonctionnement de la BPI ?

MC de N. L'équipe films compte actuellement 7 personnes dont certaines sont, hélas ! à temps partiel. Elle fait partie du service audio-visuel qui regroupe également l'équipe de la médiathèque de langues et celles des disques et des cassettes-son. Cette équipe a eu une activité de défrichage puisqu'il a fallu inventer tout un système bibliothéconomique, mais, l'audio-visuel ayant été dès le début prévu à la BPI, elle n'a pas eu à surmonter les réticences liées à l'intrusion d'un nouveau support dans une bibliothèque traditionnelle. Le fonctionnement se veut aussi multimédias; autrement dit nous pratiquons une concertation aussi poussée que possible au niveau des acquisitions. Les membres de l'équipe se sont plus ou moins réparti les domaines et gèrent tout un réseau de. relations avec les organismes producteurs ou les réalisateurs. Ceci nous amène à fréquenter les festivals français et étrangers, mais aussi à visionner, dans des lieux multiples et parfois éloignés, des films dont la projection nous est annoncée la veille ou le jour même. Dans ces conditions, il n'est pas toujours facile d'associer les responsables des domaines livres à ces visionnements. A la BPI comme ailleurs, la concertation fonctionne lorsque les interlocuteurs y sont intéressés.

Par ailleurs intervient notre propre compétence (nous maîtrisons mieux le secteur de l'ethnologie que celui de l'astronomie). De manière générale nous tentons d'assurer l'équilibre entre la qualité cinématographique et le souci documentaire: une difficulté que j'ai retrouvée dans nombre de bibliothèques américaines. En principe, nous essayons qu'un film soit vu au moins par deux personnes avant d'être retenu car trop de critères subjectifs peuvent interférer dans son évaluation. D'autre part, en l'absence ou la quasi-absence d'appareil d'information et de critique sur le documentaire, le visionnement direct demeure le seul moyen fiable de sélection. En moyenne nous visionnons 3 heures de film pour 1 heure de film retenu...

Droits, devoirs, délais

L'étape suivante qui peut être longue et complexe consiste à négocier les droits. Depuis 1978, date à laquelle la DLL (Direction du livre et de la lecture) a mis en place un service d'achat de droits vidéo à l'intention des bibliothèques publiques, siègent des commissions d'achat trimestrielles auxquelles sont soumises toutes les propositions d'acquisition. Si ces propositions sont retenues, la DLL négocie globalement les droits de diffusion avec les ayants droit. Les contrats sont obligatoirement passés par le Centre national de la cinématographie. La BPI peut ensuite, comme les autres bibliothèques, négocier les droits de films qui n'ont pas été retenus par la commission. Elle passe alors également ses contrats par le CNC.

Les négociations peuvent se faire sur des bases extrêmement diverses. La procédure la plus courante est celle de l'achat des droits de diffusion vidéo sur place pour une durée déterminée (5 ou 10 ans) : la BPI établit une vidéocassette « master » BVU à partir du document original qu'elle emprunte et, pendant la durée du contrat, est libre de faire retirer la cassette si cette dernière se détériore. La deuxième procédure est liée au développement de l'édition vidéo : les producteurs éditent eux-mêmes une cassette et la vendent avec les droits attachés. En cas de détérioration il faut évidemment racheter une cassette ; cette procédure, dans l'ensemble moins onéreuse, économise en outre la charge du télécinéma. Elle parait appelée à se développer.

Une fois réalisée ou acquise, la vidéocassette est vérifiée puis traitée comme les autres documents de la bibliothèque (catalogage, indexation, équipement). Son traitement ne présente rien de spécifique sinon l'établissement pour chaque film d'une fiche d'état et, dans le catalogue, l'addition d'un court résumé d'information sur son contenu. Dans quelques cas - des films susceptibles de heurter le spectateur -ce résumé permet de le prévenir. Les films sont intégrés au catalogue multimédias et font l'objet de tirés à part (auteurs-titres, matières, topographique) dont les deux premiers sont très demandés tant à l'intérieur de la BPI qu'à l'extérieur. Actuellement nous revoyons les collections acquises il y a près de 10 ans, en vue soit de renégocier les droits soit de les éliminer. Nous avions acheté au démarrage des fonds assez larges et bénéficié de dons. Nous procédons donc à une réévaluation systématique et avons écarté tous les films périmés ou pouvant avantageusement être remplacés. A terme, ce tri devrait être moins sévère.

Vidéoscopie

A l'heure actuelle notre fonds comporte environ 2 000 titres et s'accroît au rythme de 120 à 150 nouveautés par an. 2 000 titres qui représentent un peu plus de 2 000 heures de visionnement. Certes la longueur est extrêmement variable allant de 10 minutes à plus de 4 heures, mais l'influence de la télévision, déjà mentionnée, se fait sentir. De plus en plus les films tendent à se plier aux standards de 52 ou 26 minutes adoptés pour les émissions télévisées. La longueur moyenne varie selon les domaines : de manière générale les films politiques, historiques ou ethnographiques sont plus longs que les films scientifiques. Notre fonds reflète les points forts et les limites de la production mais aussi ceux de la diffusion. Si certains secteurs sont insuffisants du fait de l'absence de toute production (philosophie) ou de son inadaptation (sciences), l'histoire contemporaine reste sous-représentée non pas par absence totale de films - il en existe depuis les années 10 -mais parce que certains producteurs conservent actuellement des archives, non exploitées et non montées, en attendant les nouvelles télévisions auxquelles ils comptent bien vendre leurs droits...

BBF. Comment s'organise l'exploitation et la promotion de ce fonds ?

MC de N. Parallèlement à la consultation individuelle qui est la base de l'utilisation du fonds, nous essayons de promouvoir le cinéma documentaire à travers des projections collectives. Il peut s'agir de présentation de nouvelles acquisitions, de délestage (projection des films les plus consultés pour décharger les bureaux de consultation), de programmes originaux. Nous organisons régulièrement des cycles de films sur un thème donné (par exemple l'Islam) ou en liaison avec les manifestations organisées par le Centre ou la seule BPI (expositions sur l'image scientifique, etc.). Ces activités de projection n'ont en elles-mêmes rien de très novateur mais nous nous y sommes attachés. Elles ont lieu à la fois en vidéo dans des salles vitrées et, en format d'origine, dans la salle Renoir - cette salle de 80 places est équipée en 16 mm et vidéo tri-standard -, ce qui permet de restituer au film sa dimension-spectacle sur grand écran. Il en va de même pour la Petite salle et la salle Garance (350 places) où nous organisons des projections en liaison avec les départements du Centre. Cette activité de programmation nous permet également d'enrichir le fonds de nouveaux films.

Cinéma du réel

Cinéma du Réel est la plus importante de nos manifestations audio-visuelles. Dès 1978, une année après l'ouverture de la BPI, devant la richesse et la diversité des fonds en sociologie, ethnologie, politique on a souhaité mettre en valeur ces films qui, malgré des qualités artistiques et cinématographiques évidentes, demeuraient mal connus du grand public. Des rencontres ont donc été organisées, puis, devant leur succès, on a décidé de leur donner un rythme annuel. Elles sont donc devenues un festival auquel se sont associés le CNRS-audio-visuel et le Comité du film ethnographique. Le succès ne s'étant pas démenti, le festival a pris progressivement de l'ampleur et reçoit désormais de nombreux soutiens dont ceux du ministère des Relations extérieures et du Centre national de la Cinématographie. Cinéma du Réel présente actuellement une sélection d'une cinquantaine de films d'une vingtaine de pays, établie à partir d'un choix de près de 500 films. Cette manifestation attire dans différentes salles du Centre 15000 spectateurs. Mais nous allons plus loin que la seule projection et un certain nombre de films sont sous-titrés et proposés aux commissions d'achat de la DLL. Une vingtaine de ces titres sont sélectionnés et diffusés dans les bibliothèques qui s'enrichissent alors de films récents et étrangers. Cinéma du Réel est aussi une ouverture vers l'extérieur puisque nous diffusons en France et à l'étranger. C'est également une occasion de collaboration avec les milieux de l'audio-visuel.

Le troisième volet consiste en des activités de production. Comme pour les autres supports, la BPI est plus un diffuseur qu'un producteur. Depuis l'origine, sa politique de production répond aux objectifs suivants : réaliser des documents en liaison avec les manifestations de la BPI ou du CNAC-GP, répondre à la vocation d'information de la BPI. Il était impossible de combler toutes les lacunes du fonds. On a donc décidé de privilégier une recherche sur les différents moyens d'expression et de communication d'aujourd'hui que sont la presse, la télévision et le livre à travers l'écriture, l'illustration et plus récemment la lecture.

On peut ainsi relever parmi les productions Les poètes soviétiques et la Révolution de Noël Simsolo en liaison avec l'exposition Paris-Moscou, Reporters de Raymond Depardon à l'occasion de l'exposition sur la presse, un portrait de Nathalie Sarraute par Simone Ben Mussa, un portrait de Hubert Beuve-Méry par Jean-Paul Fargier, La bibliothèque imaginaire de Daniel Boulanger par Antoine de Gaudemar, Il était une fois la télé... par Marie-Claude Treilhou, etc.

Dans la plupart des cas, le plus difficile n'est pas de trouver des sujets, des réalisateurs ou des co-producteurs ni même des aides publiques, mais des moyens de diffusion et notamment un passage à la télévision. Nous espérons pouvoir développer notre collaboration avec le « fonds de création » du ministère de la Culture dont le principe est de ne soutenir que des documentaires de création qui obtiennent la participation d'une chaîne et l'assurance d'un passage à l'antenne. C'est ainsi que pour la première fois, une production de la BPI Il était une fois la télévision passera sous peu à l'antenne.

Spectateurs occasionnels

BBF. Reste la question du public et celle du détournement qui semble avoir été assez systématique.

MC de N. Il ne faut rien exagérer mais le fait est que les films ont rencontré un succès immédiat, durable, et qui a très largement débordé nos objectifs initiaux, la demande devenant très rapidement supérieure aux possibilités de consultation. Nous avons paré au plus pressé en nous équipant de moniteurs grand écran pouvant être visionnés par 4, 6 puis 8 personnes. Malgré cela, la demande restait aussi forte et il n'était pas possible de multiplier le nombre de moniteurs gérés par chaque bureau. La gestion des films est lourde (il faut tenir un planning de réservation des films, charger les cassettes, les rembobiner, tenir les statistiques de consultation, etc.), lorsqu'il faut assurer en même temps le service de renseignements au milieu de la foule de la BPI... Très vite le dispositif s'est retrouvé saturé, des attroupements se formant devant les bureaux; en 1982 une étude sociologique montrait que les films touchaient 10 % du public, soit près de mille personnes par jour. Par ailleurs s'est produit un phénomène de hit-parade et la demande s'est concentrée sur quelques films sans cesse demandés et redemandés. Compte tenu de l'insuffisance des moyens de consultation, on a assisté à une sous-utilisation du fonds puisque les mêmes films, diffusés sans interruption, monopolisaient les moniteurs de diffusion.

Ce phénomène de hit-parade, très important d'un point de vue bibliothéconomique, reste marginal d'un point de vue sociologique. Certes des films tels que Président Boumedienne ou Some women of Marrakech attirent, entre autres, une clientèle de Maghrébins et représentent, pour une part d'entre eux, un lien avec leurs racines; des films sur le football ou sur la pop-music ont leurs fans. Malgré tout, le public des films présente des caractéristiques similaires de celui de la BPI: un public plutôt masculin, jeune et étudiant. La proportion d'étrangers résidant en France et de chômeurs y est importante.

Dans les conditions actuelles de diffusion, parmi les spectateurs on peut distinguer les « demandeurs », ceux qui regardent un film qu'ils ont précisément choisi (un quart du public) et les « occasionnels » (les trois autres quarts). Ces derniers ont regardé un film choisi au départ par d'autres. Séduits par une image, intéressés par un sujet, ils se sont joints aux premiers spectateurs; par choix ou par force ils sont assis ou debout devant un défilement d'images, privés de son. Un tiers des spectateurs utilise le catalogue.

Pas plus à la BPI qu'ailleurs, l'image n'est ennemie du texte; la plupart des spectateurs sont aussi lecteurs et utilisent les documents écrits de la bibliothèque. Ce sont aussi d'ardents cinéphiles (37 % des spectateurs vont, comme le public de la BPI, plus d'une fois par semaine au cinéma). La télévision, quant à elle, fait apparaître des clivages parmi les spectateurs : si les « demandeurs » la regardent peu, les « occasionnels » sont des téléspectateurs quotidiens. Les films les plus consultés relèvent des sciences sociales (politique surtout et ethnologie) et du domaine des arts et loisirs (au premier rang desquels le sport). Les films scientifiques et techniques sont également demandés.

Les vertus autodidaxiques du libre accès

BBF. Cette analyse ne contredit certainement pas celles qui ont pu être faites dans d'autres bibliothèques. Mais confirme-t-elle vraiment la justesse du « pari autodidaxique » fait au départ ?

MC de N. Dans toute bibliothèque se produisent des détournements du service et le « débordement de nos objectifs », dû à un trop vif succès, ne saurait s'analyser en termes d'échec. Je conviens qu'il est des détournements regrettables - nous nous en sommes aperçus pour quelques films dont le contenu (viol, camps de concentration) a pu attirer le public de voyeurs... Mais de tels comportements, inévitables, restent des plus marginaux bien qu'ils nous aient conduits à retirer un ou deux films et, peut-être, à pratiquer une certaine autocensure dans nos achats.

La solution au problème est sans doute technique. Une fois reconnu le goulet d'étranglement causé par « l'indisponibilité » du personnel des bureaux d'information, nous avons reporté nos espoirs sur d'autres dispositifs tel le « robot manipulateur » prévu à la Villette pour la diffusion des vidéodisques. Nous avons dû renoncer en définitive à cette solution, beaucoup trop onéreuse par rapport aux possibilités financières de la BPI et plus adaptée au vidéodisque qu'à la vidéocassette. Nous avons alors repensé l'ensemble du système de communication et avons lancé une expérience sur un fonds bien circonscrit : films et magnétoscopes ont été mis en libre accès. Cela nous a permis de décharger le processus de manipulation sur le public. L'expérience s'est révélée tellement positive que nous avons décidé d'expérimenter un semi-libre accès pour les films de la classe 3 qui représentent notre fonds le plus important. Nous sommes revenus aux principes de consultation prévus à l'origine par une multiplication des écrans (12 au bureau de la classe 3 au lieu de 3) et la réduction de leur taille (meilleure qualité de l'image) pour la consultation individuelle. En parallèle, nous avons augmenté le nombre des salles destinées à la consultation collective (6 au lieu de 3 pour une quinzaine de personnes). Pour la consultation individuelle, le lecteur emprunte la cassette au bureau mais se charge seul des manipulations. Nous n'avons pas encore définitivement arrêté le mode d'utilisation des petites salles : réponse à la demande d'un groupe, délestage, nouvelles acquisitions, cycles thématiques, etc. Plusieurs formules sont à l'étude mais nous avons déjà pris une option en musique. Dans une salle spécialement équipée en stéréo et avec des appareils de haute définition, nous présentons un programme élaboré composé de vidéocassettes et de vidéodisques, et annoncé dans la presse. Cette installation fait suite à une opération de lancement du vidéodisque opéra réalisée avec la collaboration du futur Opéra-Bastille. Il est encore trop tôt pour faire un bilan définitif mais je crois que ces mesures permettront de mieux répondre à la demande. En 1986, le public de la BPI disposera pour les films d'une cinquantaine de postes de consultation individuelle, de 6 salles pour une consultation collective de 15 personnes environ, d'une salle de 90 places et épisodiquement des salles du Centre (170 et 350 places).

Il serait illusoire de le nier : le film est souvent utilisé comme un moyen de détente ou de distraction à la BPI comme ailleurs. Nous sommes du reste les premiers à encourager ce « détournement » puisque les qualités artistiques et cinématographiques d'un film constituent un critère d'achat non négligeable. Ce qui, au bout du compte, est réellement important c'est que le film sert aussi à informer et, en cela, notre pari sur le documentaire et sur la vidéocassette et sur la consultation individuelle nous paraît rétrospectivement justifié.

Un modèle à analyser

BBF. Dans le réseau des bibliothèques publiques, le « modèle » BPI semble contesté : pas de films de fiction, pas de prêt à domicile, intégration multimédias.

MC de N. En ce qui concerne le premier point, j'ai déjà expliqué nos raisons, mais il est bien compréhensible que la bibliothèque d'une ville moyenne revendique « le droit » à diffuser des films de fiction s'il n'y a sur place aucune structure pouvant jouer ce rôle. Il importe cependant que cette diffusion ait lieu dans un cadre légal. Le prêt à domicile de films hors commerce, souhaité par certains bibliothécaires, poserait davantage de difficultés : les coûts des droits et les problèmes matériels seraient beaucoup plus lourds; la vidéocassette est, tout comme le disque, un support fragile et on n'a peut-être pas mesuré l'incidence des opérations de vérification et de maintenance liées au prêt. Une expérience va cependant être tentée pour certains titres avec l'aide de la Direction du livre et, bien sûr, dans des bibliothèques qui prêtent, ce qui n'est pas le cas de la BPI.

Quant à la présentation multimédias, elle ne trouve son intérêt qu'à une certaine échelle : lorsque le service vidéo consiste en un seul moniteur et quelques dizaines de cassettes, se poser la question de l'intégration n'a guère de sens. Dans le cadre de la BPI ce parti se révèle malgré tout positif. Lorsque le succès des films se retournait contre leur diffusion, nous avons envisagé de créer une vidéothèque complètement à part des autres documents. Nous y avons renoncé et je pense que cela aurait été une solution de facilité, appauvrissante par rapport au service rendu.

La BPI ne prétend imposer aucun modèle et les solutions que nous proposons n'ont rien de définitif et doivent être adaptées au contexte local. En définitive, il ne me semble pas très intéressant de discuter pour savoir si le modèle de la BPI est bon ou mauvais. Le problème de fond est celui de l'intégration du film et de la vidéo dans les bibliothèques, une intégration qui peut être difficile car elle signifie des contraintes pesantes. Il importe d'en prendre conscience et d'analyser clairement la finalité d'un tel service. Sans cette démarche, la vidéo ne saurait être qu'un phénomène de mode, sinon un gadget. Je crois qu'elle mérite mieux; toute notre expérience en témoigne.

BBF. Et pour l'avenir ?

MC de N. Pour l'avenir les perspectives sont à la fois inquiétantes et encourageantes. Inquiétantes parce que le documentaire a de plus en plus de mal à trouver son public. Le vidéoclub « culturel » qui comprenait de nombreux documentaires et qui avait été créé par la librairie Flammarion à l'intérieur du Centre a très vite dû fermer ses portes. La télévision produit et programme de moins en moins de documentaires. Ces films ne sont pas porteurs de taux d'écoute et n'attirent pas les annonceurs publicitaires.

Parallèlement, nous nous apercevons que le marché institutionnel pour le documentaire se développe : notre catalogue est très utilisé comme instrument d'information par de nombreuses collectivités qui nous contactent pour obtenir adresses et renseignements complémentaires.

A l'heure actuelle, les bibliothèques publiques, et parmi elles la BPI, constituent déjà un réseau de diffusion original pour le documentaire. Elles sont également attentives à toute possibilité d'insertion dans les nouveaux réseaux et à l'évolution du paysage audio-visuel. Des contacts ont été pris avec la DGT et la Mission TV Câble qui n'est pas indifférente à l'immense réservoir de programmes que constituent nos 2 000 heures de films et les 500 nouveaux titres que nous visionnons tous les ans pour Cinéma du Réel.

Illustration
la vidéo hors la BPI