L'enfant, le livre et l'écrivain

par Louis Baize

Jacqueline Held

Paris : éd. du Scarabée, 1984. - 207 p.; 21 cm.
Bibliogr. - ISBN 2-7145-0073-0.

Sept ans après avoir publié L'Imaginaire au pouvoir : les enfants et la littérature fantastique 1, Jacqueline Held revient sur les thèmes qui lui sont chers. Mais, contrairement au précédent, ce nouveau livre comporte des illustrations dues aux enfants; des textes : lettres, histoires courtes, poèmes en manière d'acrostiches en constituent une part essentielle. De plus. c'est à partir des questions qui lui sont le plus souvent posées par ses lecteurs qu'elle rencontre ou dont elle reçoit les lettres, que Jacqueline Held propose des réflexions, des anecdotes, des souvenirs et des éléments de réponse.

C'est en effet une particularité d'un certain nombre d'auteurs s'adressant aux enfants d'avoir établi des contacts directs et fréquents avec leur public. Ainsi les enfants constatent que les écrivains existent en dehors du panthéon des gloires passées. Ecrire est un métier, un travail, ce qui ne veut pas dire que cela ne procure pas beaucoup de joie.

De même que les enfants sont véritablement les co-auteurs de ce livre, leurs appréciations, leurs réactions, ce qu'ils ont compris, souhaité, aimé contribuent à orienter le travail de l'écrivain Jacqueline Held; de plus, elle écrit souvent ses livres en collaboration avec son mari Claude. Ainsi elle raconte (p. 36) la création d'un récit de science-fiction :

« Nous nous jetons dans l'aventure... Nos plumes galopent... à tour de rôle. Plaisir du jeu. Excitation intellectuelle de devoir écrire un chapitre en découvrant en dernière minute ce que le partenaire a bien pu inventer dans l'intervalle : fatigant mais très drôle comme expérience de travail littéraire en commun. » Bien que ses textes : courts romans, contes, comptines et poèmes rencontrent un écho privilégié chez les enfants de 6 à 12 ans, elle peut affirmer (p. 184) : « Quel que soit mon travail d'écrivain, quelles que soient les expériences d'écriture intensément vécues depuis quinze à dix-huit ans, je n'ai jamais écrit consciemment [c'est elle qui souligne]..., pour un public précis dont l'âge serait a priori déterminé ». Dans le chapitre de conclusion : « Ecrire pour l'adolescence » (pp. 184 à 200), elle insiste, après d'autres, sur l'appropriation de plus en plus fréquente et précoce d'œuvres du passé mais aussi contemporaines qui n'ont pas été écrites pour elle. Ainsi, il n'y a pas de véritable frontière entre une littérature pour l'enfance et la jeunesse et une littérature pour adultes. Comme l'a écrit A. Machado (cité en exergue) : « L'enfant nous révèle... que presque tout ce qu'il ne peut comprendre mérite à peine d'être exprimé ».

Ce livre montre aussi avec force que l'apprentissage de la lecture dépasse largement la maîtrise d'une technique à finalités scolaires. La fréquentation du livre peut et doit commencer dès la maternelle 2 : très tôt l'enfant aime écouter des histoires; il apprendra d'autant mieux à lire qu'il aura été familiarisé de bonne heure avec les images d'albums qui l'auront fait rêver. Il arrive aussi à Jacqueline Held d'écrire des histoires comportant une fin ouverte et c'est très justement que, dans l'intéressant chapitre sur le roman policier pour les jeunes (p. 101 à 118) elle dénonce 3 les stéréotypes et les fins trop aisément prévisibles.

Cet apprentissage de la lecture ne saurait se dissocier de celui de l'expression orale, très important pour l'avenir de jeunes enfants de milieux socio-culturels défavorisés, c'est-à-dire - pour simplifier - étrangers à l'écrit et à la pratique courante du français. D'où l'intérêt de l'expérience relatée p.67 à 77, menée dans une classe de cours préparatoire comprenant 25 enfants dont « une part très importante d'enfants de travailleurs immigrés [pour lesquels] les difficultés d'apprentissage de la lecture sont lourdes à surmonter ». Handicapés devant l'écrit, ces enfants d'origine étrangère manifestent oralement « l'imagination la plus riche ». Ils inventent des histoires et même, dans le cas présent, un jeu des 7 familles avec quelques uns des personnages proposés par J. et C. Held.

Ce livre touche à un très grand nombre de domaines et ne se laisse pas enfermer dans une définition simple. Les enseignants pourront s'attacher particulièrement aux expériences réussies avec des enfants réputés difficiles, classés « caractériels » ou « débiles légers » ; les bibliothécaires s'intéressent à l'aspect d'animation à partir et autour du livre; les amateurs de littérature à la réflexion sur le travail de l'écrivain en rapport avec l'héritage culturel, l'enfance et le vécu que l'écriture peut faire resurgir et exorciser. C'est peut être là sa faiblesse : on pourra lui reprocher de toucher à trop de domaines et trop superficiellement; on aurait souhaiter aussi plus de témoignages et de réflexions d'enseignants.

Mais son incontestable intérêt est de montrer que les premières lectures contribuent à façonner l'être tout entier et que les premières années de scolarité (dès avant la sixième) sont déterminantes pour l'avenir des enfants.

  1. (retour)↑  Aux Editions ouvrières, en 1977, dans la collection « Enfance heureuse »; cf. : Bull. Bibl. France, t. 23, n° 1, janv. 1978. not. 194, p. 26.
  2. (retour)↑  Cf. Pourquoi des livres à l'école maternelle. Paris : Magnard/L'Ecole, 1982. - (Coll. Lecture en liberté).
  3. (retour)↑  Cf. Le Dossier du club des cinq, même éditeur, même collection.