Les almanachs politiques parus pendant la Révolution française
Martine Sonnet
Les années révolutionnaires marquent un tournant dans l'histoire du livre populaire par excellence que constitue l'almanach. L'actualité fait irruption dans son contenu et l'on assiste au succès d'un genre nouveau : l'almanach politique. Royalistes et républicains utilisent ce support pour tenter de diffuser leurs idées vers un vaste public. Intentions pédagogiques, du côté révolutionnaire, et désir de distraire le lecteur en ces temps difficiles, du côté réactionnaire, animent les auteurs. L'alternance de la production des deux courants reflète le mouvement des idéologies dominantes au cours de cette période. Si l'aspect formel traditionnel de l'almanach est respecté, le contenu se situe au-dessus du niveau culturel moyen du sans-culotte. Seul l' « Almanach du Père Gérard » connaît une véritable diffusion populaire. L'ambiguïté du détournement politique de l'almanach réside dans cette dissociation entre forme et fond
Revolution years marked a turning point in the history of this very popular book which is almanac. Actuality suddenly appears in its contents and a new style success can be seen : political almanac. Royalists and Republicans use this support, trying to make their ideas known by many people. Pedagogic interests on the Revolutionary side, and on the Royalist one wish to entertain the reader in these hard times are stirring up the authors. Each and others current coming up alternatively shows the moving of overcoming ideas during this period, while the almanac keeps its formal traditional outlook, its contents comes over the average culture level of the "sans-culotte". The but "Almanach du Père Gérard" really gets a diffusion through people. The ambiguity of the almanac political diversion stays in this dissociation between form and substance
L'étude des almanachs en langue française publiés et diffusés en France de 1789 à 1799 révèle le comportement d'un aspect de la production du livre dans le contexte révolutionnaire. L'abondance et la diversité des titres recensés conduit à déterminer, essentiellement en fonction de leur contenu, plusieurs types d'almanachs. 2 Les almanachs politiques constituent une des six catégories ainsi définies. Ils doivent leur existence aux événements présents, contrairement aux autres genres qui paraissaient avant, subissent l'impact de l'actualité de façon diverse et continuent à paraître après la Révolution.
Sur le marché de l'almanach, le groupe « politique » ne constitue pas une nouveauté propre à la révolution de 1789. Pougin, dans l'article « Almanach » de la Grande Encyclopédie de Berthelot, en attribue l'idée à certains pamphlétaires du début du XVIIIe qui choisissent cette forme pour faire circuler leurs écrits. Les années 1789 à 1799 représentent la plus forte période d'expansion que le genre ait connu.
Les almanachs politiques diffusent des textes animés d'une volonté polémique, ils s'insèrent dans un débat précis. Ces publications émanent de deux courants : l'un pour la révolution, l'autre hostile au mouvement révolutionnaire. L'évolution de la production de l'une et l'autre tendances est un élément essentiel à verser au dossier de l'histoire révolutionnaire. Le retentissement de ces titres parmi le public reflète les courants des idées et des luttes politiques.
Almanachs, presse et catéchismes républicains
Les almanachs politiques présentent plusieurs analogies avec la multitude de pamphlets, libelles, journaux et « catéchismes révolutionnaires », consécutifs à l'abolition de la censure. Conscient de cette véritable avalanche, le rédacteur de l' « Almanach de tous les saints de l'Assemblée nationale » 3 espère cependant ne pas en être victime :
« Parmi la foule innombrable d'aboyeurs et de barbouilleurs de papier pour ou contre la révolution, il est bien difficile de se faire entendre ou de se faire lire ; mais comme nous écrivons pour l'utilité et le plaisir des patriotes, nous osons espérer qu'ils nous en sauront gré... »
Certains titres composés d'un texte unique ne justifient leur appellation d' « almanach » que par la présence d'un calendrier ajouté au début ou à la fin du volume. Pour certains auteurs, l'almanach ne constitue qu'un mode d'expression parmi d'autres : Hébert reprend son personnage du Père Duchesne pour en faire le rédacteur de l' « Almanach du Père Duchesne » et du « Calendrier du Père Duchesne ou le Prophète sacré diable... » 4 qu'il publie en 1791. Les rapports entre almanachs et périodiques peuvent aussi s'établir par la reprise d'articles parus précédemment dans des journaux, le caractère d'anthologie du calendrier leur confère alors un plus vaste retentissement.
Le plus célèbre des almanachs révolutionnaires : l' « Almanach du Père Gérard » 5 de Collot d'Herbois, paraît en 1792. Il est couronné par le prix du concours de l'almanach patriotique lancé le 20 septembre 1791. Le 9 pluviôse an II (28 janvier 1794), le Comité d'Instruction Publique de la Convention Nationale organise un nouveau concours destiné cette fois à susciter la rédaction de livres d'instruction élémentaire pour les écoles. Les catéchismes républicains parus à cette occasion témoignent du même souci de diffuser largement une éducation républicaine que les almanachs patriotiques, mais contrairement à ceux-ci, ils s'adressent théoriquement à des enfants et non à des adultes. Le texte présenté sous forme d'entretiens, tel que l'a imaginé Collot d'Herbois fait l'objet de nombreuses imitations. Le système des demandes et des réponses se rencontre indifféremment dans les almanachs et dans les catéchismes. Plusieurs auteurs s'illustrent abondamment dans les deux genres, en particulier les citoyens Bulard et Thiébault 6. Lors d'une réédition, un auteur n'hésite pas à débaptiser son almanach pour en faire un catéchisme sans en changer une seule ligne. 7
Les analogies mises en évidence entre ces deux types d'ouvrages au cours de la période révolutionnaire insistent sur le rôle pédagogique important confié alors à l'almanach et confirment ainsi l'impact, en grande partie populaire, attribué à ce genre.
Principaux caractères de la production des almanachs politiques
Quatre-vingt-douze titres d'almanachs politiques ont été identifiés. En 1789, il n'en paraît qu'un, de même qu'en l'an VII, la quasi-totalité des parutions s'effectue donc de 1790 à l'an VI. Les années de plus forte production : 1792, 1793, 1795-an III correspondent à des moments d'activité intense. Nous le reverrons dans la présentation chronologique des principaux almanachs royalistes et républicains.
Les 92 ouvrages recensés donnent lieu à une centaine d'éditions. Cette différence très faible entre le nombre des titres et celui des parutions met en évidence une caractéristique importante du genre : son renouvellement constant et presque total. Chaque année le nombre de nouveautés, sauf exceptions 8, correspond au nombre d'almanachs mis en vente. Les auteurs utilisent l'impact de l'almanach, en copiant titres et formes, mais le contenu politique substitué au contenu traditionnel ne peut s'accommoder de la périodicité annuelle. La sollicitation événementielle, plus forte sur ces titres que sur ceux des autres modèles, exclut toute prévision et entraîne un effort constant d'adaptation à l'actualité.
Localisation
L'étude systématique des lieux de publication des almanachs révèle le monopole de Paris pour tous les titres de portée générale et le caractère exclusivement local de la production provinciale. Sur les 92 titres politiques identifiés, 72 sont imprimés à Paris, 6 en province (Chambéry, Douai, Arras, Nancy, Nantes et Lille). Les 14 almanachs restants sont publiés à l'étranger, il s'agit de publications royalistes provenant des milieux émigrés. En 1792, trois almanachs paraissent à Coblence, centre le plus important de cette production exilée. Les autres titres se répartissent entre plusieurs villes : Bâle, Rome, Berne, Liège, Göttingen, Londres et Vienne.
Description
Les almanachs politiques adoptent la présentation la plus fréquente du genre auquel ils veulent s'intégrer. La forme constitue pour eux le moyen idéal de créer la confusion chez le lecteur potentiel. Pour ce faire, ils se présentent en format in-12 ou in-16 et comportent entre 100 et 200 pages.
Les almanachs politiques se distinguent toutefois des autres catégories par l'abondance des frontispices gravés. Le plus souvent, celui-ci se compose d'un tableau allégorique accompagné d'une maxime ou d'une explication, s'il se veut didactique. Les almanachs réactionnaires s'ouvrent souvent sur un portrait, généralement celui d'un membre de la famille royale. Les frontispices allégoriques véhiculent les principaux éléments d'une véritable imagerie révolutionnaire débordant largement le cadre des almanachs 9. L'auteur de l' « Almanach du peuple pour l'année 1793 » 10 prend la précaution d'expliquer chaque élément de son frontispice intitulé « La Liberté, l'Égalité, l'Indivisibilité, la Loi » :
« La République tenant de la main droite le faisceau de l'union, surmonté du bonnet de la liberté, s'appuie avec la main gauche sur la table des Droits de l'Homme : à sa droite l'amour de la patrie se tenant au faisceau, met le feu à un palmier chargé des dépouilles et des ornements du clergé et de la noblesse ; dans le bas, des Républicains brûlent des liasses de titres et des parchemins. Sur la gauche, un militaire, un cultivateur, sa femme et ses enfants, font aux pieds de la République leur serment civique. »
Cette gravure réunit tous les symboles les plus employés dans la réthorique politique. Les almanachs contre-révolutionnaires complètent souvent leur frontispice par un quatrain, ainsi l' « Almanach des émigrans » 11 :
« De la France aujourd'hui voilà la triste image Des brigands furieux, l'ont mis toute au pillage Ils emportent notre Or, laissant des Assignats Nos cris sont étouffés par des Assassinats ».
Peu d'almanachs indiquent en page de titre leur prix de vente. L'édition ordinaire de l' « Almanach du Père Gérard » ne coûte que 6 sols et son édition « luxueuse » 12 sols ; c'est le moins cher des almanachs politiques, c'est aussi celui qui vise la plus vaste audience. Les cinq autres prix connus s'échelonnent de 12 sols à 1 livre 5 sols. Ces quelques informations de coût ne suffisent pas pour établir un prix moyen et tendent à montrer que ces textes s'adressent à un public assez large et pas uniquement populaire stricto sensu.
Les titres des almanachs politiques
Le tableau 2 situe chronologiquement les principaux titres des deux courants parus. Jusqu'en 1792, les titres, utilisant une même terminologie et une titrologie tout à fait traditionnelle, se ressemblent beaucoup. Ce phénomène s'accentue par le jeu de riposte créé entre les deux tendances : on reprend de façon satirique le titre que l'on souhaite attaquer : les « Entretiens de la Mère Gérard » 12 répondent à l' « Almanach du Père Gérard ». Les mots « almanach », « calendrier » ou « étrennes » n'apparaissent parfois qu'au niveau du sous-titre. Certaines formules ne se rencontrent que du côté royaliste : les allusions au roi, à l'émigration, le qualificatif « honnêtes gens », ainsi que l'aspect festif engendré par les termes « vaudevilles » ou « folies ». A partir de l'an II, les titres révolutionnaires se différencient essentiellement par leur recours fréquent aux dérivés du mot « République ».
La répartition chronologique met en évidence l'alternance des deux courants. Les titres républicains voient le jour un peu plus tôt que leurs concurrents. En 1792, les royalistes proposent un grand nombre de titres en riposte à la popularité de l' « Almanach du Père Gérard ». De 1793 à l'an III foisonnent les publications républicaines, alors qu'à partir de 1796 les titres contre-révolutionnaires ne connaissent plus d'opposition, ce qui tendrait à refléter une autocensure directoriale.
Le contenu des almanachs politiques
Avant même leur « message » politique, le contenu de ces publications présente un intérêt de forme. Certaines respectent la composition traditionnelle du genre : calendrier, rubriques nombreuses et variées avec prédictions. Les autres n'imitent pas l'almanach au-delà du titre, elles comprennent alors un texte continu qui n'est pas systématiquement accompagné d'un calendrier. Quelle que soit la forme choisie par l'auteur, des caractères constants se rencontrent dans tous les titres de même appartenance politique. Les tentatives pédagogiques ne se situent que du côté républicain, les rédacteurs royalistes portant leurs efforts essentiellement vers la recherche d'un style emphatique souvent lyrique, agrémenté de bons mots de circonstances. Cet attachement à une certaine tradition de « bon goût » et de bonne humeur français apparaît dans l'avertissement des « Folies Nationales » 13 :
« Il faut rire, c'est ce que dit tout le monde, et cependant, on n'a jamais si peu ri qu'à présent. Il est vrai que les circonstances ne sont pas très riantes ; mais qu'importe ! nous voulons rendre les Français à leur ancien caractère... »
Contenu des almanachs républicains
La fréquence des innovations autour du calendrier, avant l'adoption de l'ère républicaine, et la volonté de participer à l'éducation patriotique du peuple constituent les deux traits marquants du contenu des almanachs se réclamant des idées révolutionnaires.
Prenant la succession de Sylvain Maréchal et de son « Almanach des honnêtes gens » publié en 1788 et daté « l'an premier du règne de la raison » 14, les titres républicains proposent dès 1790, de nouveaux systèmes de découpage calendaire. On réédite l'almanach de Maréchal en 1790, alors que son caractère laïque avait, en 1788, déchaîné les foudres du Parlement contre son auteur. Remettant en cause l'omniprésence de la religion ainsi que les anciennes institutions, le mouvement de 1789 encourage les essais de réforme du calendrier. Certains auteurs se contentent de remplacer les saints par des personnalités politiques (Calendrier du Père Duchesne). Plus audacieux, d'autres proposent des modifications plus importantes : l' « Almanach de tous les saints de l'Assemblée nationale » fixe le début de l'année au 14 juillet, le « Nostradamus moderne, almanach national et patriotique » 15 personnifie les mois en les nommant Voltaire, Montesquieu, Turenne, Rousseau, Jeanne d'Arc, Corneille, Louis XVI, Henri IV, St Pierre, Bayard, Fénelon et Sully. Une chronologie des principaux événements révolutionnaires de l'année écoulée accompagne souvent le calendrier. L'adoption officielle du calendrier républicain met fin à toutes ces tentatives. Les almanachs royalistes qui, dans une visée polémique, avaient imité les adaptations politiques du calendrier, reviennent alors à l'ancien style devenu signe d'appartenance à la contre-révolution 16.
Le titre de :
« L'Almanach patriotique contenant un calendrier orné de nouveaux Saints ; un Précis des causes qui ont amené la dernière Révolution ; un Abrégé de l'Histoire des six premiers mois de la guerre de la liberté ; un recueil des traits de dévouement, de bravoure, de courage, et d'intrépidité qui ont honoré l'un ou l'autre sexe ; des anecdotes sur la cause des guerres passées et sur d'autres sujets d'intérêt actuel ; enfin l'Hymne des Marseillois » 17
illustre parfaitement le contenu de ces publications. On y trouve un collage de petites pièces variées, liées à l'actualité, souvent anecdotiques et susceptibles de servir d'exemple au lecteur, mais jamais d'incitations directes à une quelconque action. Le ton adopté est narratif, il éloigne dans le temps ou dans l'espace les événements relatés. Dans « Les Douze entretiens du Père Gérard » sont développés les thèmes les plus fréquemment abordés :
« de la Constitution, de la Nation, de la Loi, du Roi, de la Propriété, de la Religion, des Contributions publiques, des Tribunaux, de la Force armée, des Droits de chaque citoyen et de ses devoirs, de la Prospérité publique, du Bonheur domestique ».
Le ton de l'ensemble des rubriques à caractère pédagogique est assez terne, ainsi qu'en témoignent ces deux dernières répliques d'un dialogue au cours duquel un monarchiste et un républicain confrontent leurs opinions sur les sujets traditionnels :
« Le monarchiste : Mon cher républicain, vous avez fait passer dans mon âme le feu dont la vôtre est animée ; je suis satisfait de vous avoir un peu poussé à bout, vos réflexions m'ont fait plaisir ; car il faut que je vous accuse la vérité : je n'étois Monarchiste que par habitude, et j'avois honte de rejeter les principes que mes pères m'ont transmis ; mais grâce à vous toute honte cesse, et vous avez fixé mon irrésolution. Je vous donne le baiser de la paix ; soyons amis ; les hommes sont faits pour l'être.
Le républicain : Ah ! c'est combler tous mes vœux et vous me ravissez ; croyez que c'est par le même esprit de paix et de fraternité que j'opine à la punition d'un coupable qui a tout fait pour nous assassiner ». (Almanach de la république française pour l'année 1793) 18
L'humour du « Petit catéchisme à l'usage des grands enfants » de Maréchal dans son « Calendrier des républicains » 19 constitue une exception.
Contenu des almanachs royalistes
Les almanachs réactionnaires substituent à l'intention éducative de leurs concurrents, une volonté récréative. Les pièces en vers et en prose, les poèmes, fables et chansons proposés visent à distraire les lecteurs placés dans une situation difficile. L' « Almanach de Coblentz, ou le plus joli des recueils catholiques, apostoliques et françois à l'usage de la belle jeunesse, émigrée, émigrante et à émigrer » 20 exprime ce désir. Les Droits de l'Homme et la Constitution inspirent de nombreux couplets satiriques. L' « Almanach de l'abbé Maury, ou réfutation de l'almanach du Père Gérard, couronné par la société des Amis de la Monarchie, séante à Coblentz » 21 reprend exactement le plan de l' « Almanach du Père Gérard ».
Le détournement de la forme traditionnelle de l'Almanach à des fins politiques
Parodiant les rubriques traditionnelles des almanachs populaires, principalement les prédictions, de nombreux pamphlétaires à la recherche d'un nouveau « support » tentent d'attirer un vaste public par cette usurpation. Si la forme et le titre peuvent créer illusion, dès les premières lignes du texte le doute ne saurait subsister. L'auteur de « Souvenez-vous en ou Étrennes de Madagascar » 22 apostrophe avec mépris ses lecteurs dès la page de titre :
« Aux Français, peuple insouciant, il te faut des almanachs : eh bien lis, celui que je t'offre est écrit avec ton sang ».
Hébert se réfère lui aussi aux almanachs de tradition populaire. Son « Calendrier du Père Duchesne » s'ouvre sur un frontispice reprenant un thème souvent illustré dans ces publications : l'auteur regarde dans une lunette astronomique. Non spécifiques aux almanachs, les anciens privilèges et approbations donnent aussi lieu à des parodies. Le « Nostradamus moderne » se termine sur cette approbation :
« J'ai lu, sans l'ordre de monseigneur le garde des sceaux, un manuscrit ayant pour titre : Almanach national, etc., et je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir empêcher qu'il ne figurât parmi les mille et une brochures que le renouvellement de l'année va faire éclore... Que le bénin lecteur ne cherche point ici de privilège du roi, parce qu'il n'en trouvera pas. L'Almanach national et patriotique est imprimé en vertu d'un privilège non moins sacré ; c'est celui qui permet de publier tout ce qui peut servir à amuser, intéresser ou instruire les hommes... »
L'imitation politique des descriptions d'éclipses et des planètes constitue un exercice de style particulièrement apprécié des rédacteurs royalistes. L'auteur des « Étrennes aux amateurs du bon vieux temps » attend beaucoup du ciel :
« ...Alors la fin de l'éclipse arrivera, et du milieu de ce tronc, on verra s'élever majestueusement une fleur blanche que les zéphirs viendront caresser, et qui répandra au loin son doux éclat et son parfum salutaire... La lune ne montrera plus un visage sanglant, et éclairera les nuits douces et tranquilles qui nous sont destinées ».
Les prédictions se réclament toujours de Nostradamus et de Mathieu Laensberg. Les rédacteurs s'inscrivent dans la grande tradition de la pronostication, mais adressent en même temps un clin d'œil complice à leurs lecteurs :
« Les manuscrits de Nostradamus qui n'a jamais menti, et de Mathieu Laensberg, qui lisoit dans l'avenir, tout ainsi que nos patriotes dans la déclaration des droits, s'accordent à nous prédire, pour le cours de cette année, des événemens si surprenans, qu'à peine on voudra les croire lorsqu'on les verra... » (L'Ami du roi) 23.
Les prédictions des almanachs républicains adoptent une forme simple, le plus souvent un texte unique pouvant constituer un véritable programme de réformes comme le propose l' « Almanach des métamorphoses nationales pour l'année 1790 » 24. Les prédictions classiques (faits divers, récoltes, temps qu'il fera) sont entrecoupées de projets précis (réforme des congrégations religieuses par exemple). Les auteurs royalistes choisissent eux, une forme plus sophistiquée. Les prédictions de l' « Almanach des aristocrates » rédigées en vers commencent ainsi :
« Tout de fièvre en chaud mal ira
Tant que relevé ne sera
Vertueux et bon roi de France
De sa trop dure pénitence ;
Tout de fièvre en chaud mal ira,
Mathieu Laensbergh vous prédit ça... »
Les pronostications qui peuvent être décomposées par saisons ou par mois, atteignent fréquemment une vingtaine de pages et constituent un élément majeur du contenu.
En filigranne de tous ces textes se dessine le prochain avènement d'un âge d'or. Pour les royalistes, il s'agit du retour d'un bonheur perdu :
« L'hiver prochain nous consolera des mauvais hivers que nous passons depuis quelques années. Les hirondelles qui au printemps seront toutes revenues et rentrées dans leurs nids, n'en sortiront plus pour aller voyager et nous délivreront en voltigeant avec un gazouillement agréable, du reste des insectes qui aurroient échappé au premier frimas... les plaisirs règneront en tous lieux : tous les spectacles ouverts reprendront les représentations de nos chefs-d'œuvre dramatiques... » (Étrennes aux amateurs du bon vieux temps).
En revanche, pour les républicains, le bonheur à venir sera quelque chose d'entièrement nouveau, annulant tout ce qui a précédé la révolution.
Les premières prédictions politiques paraissent dans des almanachs de 1790, il s'agit donc d'un phénomène immédiat.
En choisissant la forme d'almanach, les auteurs tentaient d'atteindre un public vaste et populaire. Toutefois, l'étude de ces publications conduit à douter de la réussite de ce but. Le « sans-culotte moyen » passe tout à fait à côté de ces messages. A. Soboul 25 situe les lectures des plus instruits au niveau de la littérature de colportage. Seuls quelques textes comme l' « Almanach du Père Gérard », destinés à une lecture et à une réflexion collectives connaissent une réelle diffusion populaire, en particulier, dans les milieux des militants clubistes. Le détournement politique pratiqué par les rédacteurs contre-révolutionnaires ne dépasse pas l'exercice formel apprécié des seuls possesseurs d'une culture suffisante pour se moquer des almanachs populaires et de l'univers mental qu'ils représentent. Paradoxalement, dans le même temps, un almanach non politique, en marge de l'actualité : l' « Almanach des campagnes et l'ami du cultivateur » 26 dénonce cette forme traditionnelle de l'almanach populaire :
« Un temps plus heureux est enfin venu ; et un de vos plus sincères amis en profite pour vous entretenir, et de vos avantages et de vos droits et de vos devoirs ; pour vous en entretenir, et dans quel ouvrage ? dans un ouvrage qui n'étoit jadis destiné qu'à vous offrir d'absurdes prédictions. Hommes modestes, vous dont chacun a toujours été forcé de reconnaître le sage jugement, pourriez-vous regretter ces ridicules rêveries ?... »
Cet avertissement transmet le souffle des Lumières aux lecteurs des anciens almanachs traditionnels auxquels l'auteur propose un contenu nouveau et « éclairé ». La fin du XVIIIe siècle marque une mutation importante du genre littéraire populaire que constitue l'almanach. Messages politiques dans le contexte révolutionnaire, courant des Lumières et rousseauisme 27 utilisent l'almanach comme moyen de diffusion vers un public populaire. Ces ouvertures, politiques, culturelles et sociales de l'almanach dans les dernières années du XVIIIe siècle seraient à étudier précisément, par relecture du contenu des textes.