L'enfance et la jeunesse dans la société française

1800-1950

par Louis Baize

Maurice Crubellier

A. Colin, 1979. - 369 p. ; 24 cm. - (Collection U.)

Ce livre est une histoire des enfants (dès la naissance) et de la jeunesse (jusqu'au mariage) dans la société française issue de la Révolution et de l'Empire, en train de s'organiser sur le plan politique et administratif, de sortir du monde rural traditionnel et communautaire pour entrer dans l'ère industrielle. Au long de plus de 150 années (l'auteur déborde le cadre chronologique qu'il s'est fixé), M. Crubellier cherche à dégager les évolutions en profondeur et de longue durée, pour savoir comment, à partir de la société d'Ancien Régime, la France est devenue ce que nous la voyons être aujourd'hui.

Il a choisi un remarquable domaine d'observation : en effet, si les ouvrages de synthèse sur l'enfance sont encore assez rares (à part ceux consacrés à l'école), les documents sont nombreux qui permettent de connaître les intentions et les idées des adultes en ce qui concerne l'éducation, la formation, l'apprentissage et l'adaptation des enfants et des adolescents à une société en gestation qui, de plus en plus, contrôle, surveille, encadre et, dans ce qu'elle considère comme l'intérêt général, tend à se substituer aux parents et à la famille pour donner à chaque enfant une éducation harmonieuse et les chances d'une bonne intégration. Depuis le début du XX° siècle, les progrès de la puériculture et la mise en place très progressive de l' « école maternelle » (chap. 10, en particulier), s'ils ont des effets incontestablement positifs, aboutissent à dessaisir les parents d'une bonne part de leurs responsabilités et de leurs droits ; on en voit encore les effets aujourd'hui ; peut-être même une réaction se dessine-t-elle pour affirmer, contre les augures, la vitalité et les droits de la famille.

Ce livre nous montre tout ce qui a dépéri et a été détruit (avec les traces, encore visibles, il y a peu d'années, des coutumes, des fêtes et traditions populaires dans les villages) et comment l'Église et l'État, dans un effort parallèle, en ouvrant des écoles et en surveillant l'éducation et les mœurs, ont cherché à imposer une sorte de modèle « bourgeois » de pensée et de comportement. Et l'on comprend mieux la crise actuelle du système éducatif, créé au siècle dernier pour une (future) élite bourgeoise, forcément très minoritaire, avec l'accent mis sur les connaissances sans applications concrètes. L'esprit des programmes n'a guère changé ; mais l'enseignement secondaire s'est ouvert à des millions d'enfants, masse peu homogène et trop nombreuse pour n'occuper que les postes de commandement. Car - et cela est bien montré - les enfants des classes pauvres, à la campagne comme à la ville, étaient mis au travail très jeunes et dans des conditions d'hygiène très dures.

Bien des domaines très peu connus ont été sondés, à partir d'autobiographies, de monographies régionales. On y voit le contraste entre les intentions des réformateurs et promoteurs de la société nouvelle et le vécu quotidien de la grande masse de la population.

Les classes ouvrière et paysanne sont étudiées avec attention. Les citations nombreuses et bien choisies, la bibliographie, très abondante (en fin de chapitre), contribuent aussi, avec la vaste information de l'auteur, son style clair, sa volonté d'objectivité, à faire de ce livre un très important manuel de référence, une très riche source de réflexion.