L'enseignement de l'arithmétique en France au XIXe siècle

« Dans l'espace de 60 années, les armées françaises ont remporté envirion 2340 victoires sur les champs de bataille. Combien de victoires ont-elles remporté en moyenne, par année? ».

« Eugénie a reçu pour ses étrennes 45 F, elle a acheté un joujou de 12 F, une robe de 25 F, elle a donné 2 F à un pauvre et elle a gardé le reste pour ses menus plaisirs... ». (A. Fabre. Petite arithmétique pratique. 1869)

L'enseignement de l'arithmétique est obligatoire à l'école depuis 1834. Les premiers manuels ne varient guère dans leur contenu : la numérotation, les opérations et le système métrique, puis la géométrie usuelle, les surfaces et volumes, les fractions et les règles de trois. Seule la méthode évolue peu à peu : les figures s'introduisent à la fin du siècle et permettent une approche moins mécanique et plus intuitive des mathématiques. L'aspect des manuels est donc généralement rébarbatif. Pourquoi alors prenons-nous un réel plaisir à les feuilleter ? C'est qu'ils nous restituent, dans les données des problèmes, tout un monde et toute une société.

Pendant la Restauration et le Second Empire, l'élève n'oublie pas qu'un monarque est sur le trône. Il calcule les dates d'arrivée au pouvoir, de mort et de durée de règne de tous les rois des diverses dynasties. Il leur est redevable de vivre dans un pays riche. Les statistiques portant sur la consommation et les récoltes prouvent un accroissement sensible de la prospérité. La population augmente, si l'on compare le nombre des habitants à deux dates données... L'État veille sur une classe épargnante qui a bien appris à l'école à calculer les intérêts (composés ou non), qui peut économiser grâce aux Caisses d'Épargne créées en 1838 (d'où les problèmes dès 1842), répond aux souscriptions nationales, prend des obligations sur les chemins de fer (problèmes de 1860) et bénéficie en retour des diverses assurances qui apparaissent dans les manuels à la fin du Second Empire. L'ordre règne, les gendarmes courront bientôt, dans les données, derrière les voleurs...

L'armée assure la sécurité du pays. On connaît le nombre de ses victoires, on calcule la hauteur de la colonne Vendôme élevée à sa gloire. On partage des gratifications aux soldats, on compte les régiments; le conscrit paie son remplaçant. On connaît la portée d'une pièce d'artillerie, la quantité de poudre nécessaire à un combat, les difficultés de la remonte et le fourrage indispensable aux chevaux. Il arrive pourtant qu'une ville soit assiégée : il faut rationner les troupes, diminuer les vivres, et l'officier au retour du combat compte parfois les morts, les blessés et même les déserteurs... Seuls les premiers manuels évoquent encore, à côté de cette armée de terre, les grands vaisseaux et les prises des corsaires...

Dans ce climat de sécurité, l'ouvrier, l'employé établissent et équilibrent leur budget tout en faisant des économies (la « dame » achète sous le Second Empire du taffetas, de la dentelle, des bas et donne aux pauvres); les héritages se répartissent, favorisant encore, au début du siècle, les garçons au détriment de leurs soeurs. La société se métamorphose pourtant : les ouvriers, peu nombreux au service d'un entrepreneur, envahissent les usines. Se posent alors des problèmes de rendements, d'absences et de pertes de journées de travail. Le copiste et le voiturier disparaissent. Le marchand de journaux surgit. Malgré la législation révolutionnaire, le paysan et le commerçant utilisent encore les anciennes mesures jusqu'au milieu du XIXe siècle (d'où les problèmes d'équivalence et les tableaux muraux); le développement des échanges les en détournera.

L'ère du progrès commence : on s'éclaire à la bougie, à l'huile, au gaz; l'électricité parcourt rapidement les manuels d'avant guerre. En 1850, le chef de gare de Versailles compte les voyageurs; en 1860, les locomotives de Paris et Strasbourg se croisent... A la même époque, les robinets coulent et couleront longtemps... Les denrées se multiplient et se diversifient : l'orange, si favorable aux partages, s'achète chez l'épicier à la fin du siècle.

Après 1880, l'écolier pénètre dans les données des problèmes : Ernest compte les élèves de la classe, les pages de son cahier, ses plumes et ses bons points; on achète à Henri une casquette, il reçoit des étrennes; le gentil petit Émile partage ses billes, ses châtaignes et ses noisettes...