Nécrologie

Erwana Brin

Alice Garrigoux

Première enfant d'un très jeune foyer, Erwana Brin naquit à Arles, le jour de Noël 1916. De son père qui était Breton, elle tenait son prénom et la lumière de ses yeux mais c'est en fille de Provence, qu'était sa mère, qu'elle fut élevée dans la joie.

Heureuse enfance que la sienne, bientôt ouverte aux émerveillements du dépaysement en Orient! L'Égypte d'après la Grande Guerre offrait à son père le champ d'action qui convenait à un jeune intellectuel, curieux plus encore des hommes que des choses. Professeur, Morik Brin se fit, tour à tour, journaliste, imprimeur, conférencier, écrivain, et autour de cette famille française, se créa, au Caire, un cercle d'échanges et d'amitiés si solide qu'il survit à ceux qui l'ont fait naître.

Cependant, la séparation s'imposa et ce fut au lycée d'Aix-en-Provence qu'Erwana Brin poursuivit de solides études classiques. L'École des chartes l'appela à Paris. Elle y entra en 1937 et sut se plier à l'austère discipline de l'enseignement chartiste sans négliger, cependant, de parfaire en Sorbonne sa formation littéraire et de continuer à étendre très largement le champ de ses lectures.

Après avoir soutenu sa thèse en 1942 sur « Le Corps et communauté des patrons pêcheurs de Marseille des origines à la Révolution », elle entra, cette même année, au service du Catalogue des Actes royaux à la Bibliothèque nationale.

La Bibliothèque nationale, Erwana Brin n'a cessé de la servir jusqu'à sa mort, survenue le 3 1 juillet 1969. Elle s'y est d'autant plus attachée qu'elle lui a beaucoup donné mais comment ne pas penser que, dès l'abord, entrèrent dans cet attachement le réconfort et l'espérance que représentait une telle institution dans le Paris de l'occupation, occupation qui, pendant cinq années, isola totalement la jeune fonctionnaire des siens restés en Égypte ?

Sa distinction, son sens artistique inné, sa culture et le sérieux qu'elle appliquait à son métier la signalèrent rapidement à l'attention et, dès novembre 1942, elle fut appelée à la Réserve des imprimés, service où, pendant vingt-sept ans, s'enrichit et s'accomplit sa personnalité. En 196I, la direction lui en fut confiée.

Un jeune esprit ne pouvait qu'être sollicité jusqu'à l'exaltation par la qualité unique, l'étendue et la diversité des collections qui s'offraient à son ardeur d'apprendre et de connaître. Que de découvertes à faire, de recherches à mener, de projets à caresser! Sous la direction de Jacques Guignard et encouragée par son maître Louis-Marie Michon, elle se plut particulièrement à étudier la reliure. Maintes et maintes expositions utilisèrent, au cours de sa carrière, ses connaissances et son goût en ce domaine sans parler de l'activité qu'elle exerça comme secrétaire générale de la Société de la reliure originale. Par ailleurs, elle appliqua, pendant plusieurs années, son sens pédagogique à former ses futurs collègues au cours de l'enseignement du D.S.B.

Il est, hélas, du sort du bibliothécaire et, surtout, de celui que ses qualités humaines de jugement et d'autorité désignent pour les responsabilités de direction, de devoir, peu à peu, renoncer aux recherches et aux travaux personnels pour donner toute son attention à l'organisation d'un service. Erwana Brin souffrit, sans aucun doute, de ce renoncement comme elle souffrit, plus encore, que la pénurie de personnel retardât l'élaboration de catalogues et d'inventaires aptes à mieux faire connaître les collections qui lui étaient confiées. Il suffit de relire dans le Bulletin des bibliothèques les nombreux comptes rendus qu'elle fit de travaux similaires accomplis dans des bibliothèques étrangères pour deviner quels étaient ses projets et sentir ses regrets.

Les trop rares articles qu'elle publia, notamment dans des Mélanges ou à l'occasion de Congrès, gardent le témoignage écrit de l'originalité et de l'acuité de sa recherche ainsi que de ses dons d'expression.

Rien n'était plus contraire à son esprit qu'une étroite spécialisation. Quel que fût son amour de livre, elle donnait toujours la primauté au texte et à la création littéraire. Aussi bien, la marque essentielle qu'elle donna à la Réserve des imprimés fut d'en faire un centre d'information et de documentation dont bénéficièrent, toujours plus nombreux, outre ses collègues, les chercheurs français et étrangers. Beaucoup de ceux-ci n'oublient pas la générosité avec laquelle elle mettait à leur service tout son savoir.

Jusqu'au bout, alors que sa santé était depuis des années gravement atteinte, avec le courage discret et peu commun que les épreuves de sa vie ont révélé comme un des traits marquants de son caractère, et dont on a pu dire qu'il fut alors héroïque, elle continua sa tâche, tant il lui était devenu naturel de servir.

Deux mois avant sa mort, la Bibliothèque nationale présentait à Nice, à l'occasion du Festival international du livre, ses pièces les plus précieuses. Aucun thème ne fixait le choix des ouvrages à exposer; quelle occasion lui fut ainsi donnée d'élire le plus vivant, le plus subtil, le plus significatif de ce fonds incomparable de la Réserve dont elle avait acquis l'intime connaissance Le catalogue porte le dernier témoignage non seulement de sa compétence professionnelle mais aussi de la valeur de sa culture et de l'élégance de son style.

Si sobres que doivent être ces lignes, et qu'elle eût voulu telles, elles ne sauraient taire ce qui s'est révélé avec éclat au moment de sa mort. Les liens d'affection et d'attachement qu'elle avait noués avec tant d'êtres différents, étaient de la même qualité - exceptionnelle - que l'étaient le sens exigeant qu'elle avait de l'amitié et l'attention inlassable qu'elle apportait à chacun.

Ceci fut profondément ressenti par ceux, nombreux et divers, qui l'accompagnèrent jusqu'à la tombe qu'elle avait vu s'ouvrir elle-même trop souvent et pour les êtres les plus chers. Tous savaient qu'elle leur resterait à jamais présente comme la lumière, insaisissable, qui inscrit dans la beauté du paysage provençal le village où elle repose et qu'elle a tant aimé, Joucas.