Les bibliothèques centrales de prêt

1955-1961

Analyse comparative des résultats statistiques concernant l'activité des Bibliothèques centrales de prêt de I955 à I96I. Étude des problèmes particuliers que pose actuellement le développement de la lecture publique rurale d'après les rapports fournis par les directeurs des Bibliothèques centrales de prêt du Bas-Rhin et de la Haute-Garonne

C'est en 1956 1 que furent publiées pour la dernière fois les statistiques concernant l'activité des Bibliothèques centrales de prêt pendant l'année 1955. Six ans se sont écoulés et, pour bon nombre d'entre elles, voilà seize ou dix-sept ans qu'elles ont introduit dans les campagnes françaises la lecture publique. Or, pendant ce laps de temps, des modifications profondes sont intervenues dans quelques départements, notamment dans les domaines économique et démographique si intimement liés. Aussi pour les bibliothécaires expérimentés qui dirigent ces services, une question se pose tout naturellement. Où en sommes-nous ? Quel bilan peut-être dressé de l'action entreprise ? C'est pourquoi, il a semblé utile de renouer avec une tradition interrompue et de publier de nouveau les tableaux statistiques que nous ont permis d'établir les rapports annuels adressés par les bibliothécaires pour 196I.

Trois services nouveaux sont venus s'ajouter à notre liste depuis 1955. Des bibliothèques centrales de prêt ont été créées en 1956 dans l'Eure et à La Réunion et en 1957 dans le Lot-et-Garonne 2. S'il est bien évident que dans les deux départements du territoire français (Eure et Lot-et-Garonne), le bibliobus est loin de desservir la totalité des communes de moins de 15 000 habitants, étant donné leur création récente, nous constations dès 1956 qu'une sorte de plafond avait été atteint partout ailleurs. Sans doute certaines bibliothèques desservent-elles dix ou vingt communes supplémentaires tandis qu'ailleurs le chiffre a baissé de quelques unités. Une seule exception toutefois : en Haute-Garonne le nombre de communes desservies est passé de 459 en 1956 à 553 en 196I soit une augmentation de près de 100 communes entraînant la création de 105 dépôts nouveaux.

Dans ce cas précis, l'augmentation du nombre des communes desservies et des dépôts est parallèle alors que dans plusieurs départements ce dernier chiffre a considérablement augmenté, comme le prouvent ces quelques exemples (voir tableau 1)

Comme l'indique Mme Thomas, directrice de la Bibliothèque centrale de prêt de l'Isère, l'accroissement des dépôts de livres est dû en partie à l'ouverture de nombreux collèges d'enseignement général dépourvus de bibliothèques scolaires et qui ont fait appel aux bibliobus pour y suppléer. Cette extension du rôle de la Bibliothèque centrale de prêt dans le domaine scolaire suscite d'ailleurs des réserves de la part de plusieurs bibliothécaires.

Il s'est produit pendant ces dernières années dans le mode de distribution des livres une évolution sensible. Le bibliobus-caisses et le système mixte ont perdu de leurs adeptes au profit du bibliobus-rayons. L'une des raisons en est la simplification du travail de préparation des tournées. Le personnel étant déjà surchargé de besognes, ne serait-ce que par l'expédition des affaires courantes, le choix aux rayons par les dépositaires allège sensiblement sa tâche. Les bibliothèques centrales de prêt de l'Isère et de Loir-et-Cher sont les derniers utilisateurs du bibliobus-caisses ; sans doute utilise-t-on encore ce système en Indre-et-Loire et en Seine-et-Oise mais l'acquisition de bibliobus supplémentaires permet dans ces deux départements de pratiquer concurremment le choix aux rayons. Il faut d'ailleurs ajouter que, dans bien des cas, une sorte de compromis s'est établi entre ces deux méthodes. Là où le nombre de livres déposés est particulièrement important, on a généralement recours aux caisses préparées à l'avance à la Centrale (Dordogne, Moselle, Rhône, Deux-Sèvres).

Il est intéressant de signaler à ce propos, les modifications intervenues en 196I dans l'organisation de la lecture publique en Indre-et-Loire. L'Association des amis de la Bibliothèque a pu en effet acquérir deux bibliobus qui ont été équipés de rayonnages et sont destinés à desservir les arrondissements de Loches et de Chinon. Dans ces deux villes des locaux ont été aménagés et la distribution des livres est assurée dans chaque arrondissement par une sous-bibliothécaire et un chauffeur, la Centrale assurant la direction technique et la gestion financière pour l'ensemble du département. La mise en service de ces véhicules va évidemment réduire le nombre de circuits accomplis par le bibliobus-caisses et alléger le travail de la Bibliothèque à Tours. C'est ainsi qu'à partir du 31 décembre 196I, 18 communes et 2I dépôts sont desservis par le bibliobus de l'arrondissement de Loches. En Isère, un projet concernant l'achat d'un second bibliobus, qui vient d'être réalisé, était à l'étude en 196I. Quant à la Bibliothèque centrale de prêt de Seine-et-Oise qui a été dotée d'un second bibliobus équipé de rayonnages, elle continue à utiliser l'ancien bibliobus-caisses pour ravitailler les dépôts supérieurs à 60 volumes.

Il faut attendre que ces expériences aient fait leurs preuves pour voir peut-être se dessiner une nouvelle répartition des tournées, du nombre des dépôts desservis par tournée ainsi qu'une modification dans le renouvellement de ces dépôts. Déjà la Bibliothèque centrale de prêt de Seine-et-Oise qui indiquait trois tournées par semaine en 1955 en faisait cinq en 196I. Partout ailleurs, les variations enregistrées sont faibles : une tournée par semaine et trois dépôts par tournée de plus dans les Bouches-du-Rhône, une tournée supplémentaire en Seine-Maritime mais accompagnée d'une diminution du nombre des dépôts qui passe de 10 à 17 en 1955 à 8-12 en 196I. En Dordogne où l'on note deux tournées de plus, cette diminution est encore plus sensible puisque nous passons de 24 dépôts en 1955 à 8-12 dépôts en 196I, rythme qui semble mieux adapté d'ailleurs à l'emploi du bibliobus-rayons.

Quant aux renouvellements annuels des dépôts de livres, il y a une tendance générale à les rendre moins fréquents et le renouvellement bisannuel a été adopté ces dernières années par l'Indre-et-Loire, le Loir-et-Cher, la Moselle et le Haut-Rhin. Au total sur les dix-huit bibliothèques fonctionnant en 1955, onze suivent désormais cette méthode. Dans les Bouches-du-Rhône, le nombre des renouvellements qui était de 4 a été ramené à 3 et en Isère de 2 à 1 ½. Le nombre grandissant des dépôts desservis a rendu nécessaire cette réduction du nombre des passages que certains déplorent. M. Simonnet, directeur de la Bibliothèque centrale de prêt de l'Aisne, estime que deux renouvellements annuels ne permettent pas de répondre aux demandes de plus en plus nombreuses. Des aménagements ont d'ailleurs été prévus dans plusieurs départements. Dans certains cas les dépôts particulièrement importants sont renouvelés plus souvent (Dordogne, Haut-Rhin par exemple); ailleurs au contraire ils le sont moins souvent (deux fois au lieu de trois dans le Loir-et-Cher). Dans l'Hérault, 339 dépôts sur 459 sont renouvelés deux fois par an, les autres, l'étant une ou trois fois. Dans l'Eure, on peut noter plus de souplesse encore puisque le bibliobus passe trois fois par an dans 259 dépôts, une, deux ou quatre fois dans les autres. Ce ne sont là évidemment que des cas d'espèce dus aux circonstances locales.

Le nombre de livres déposés dans l'année est en progression partout sauf en Loir-et-Cher et dans la Moselle où il reste stationnaire et en Dordogne où l'on note une légère régression. Ailleurs l'augmentation varie de 2 500 ouvrages (Indre-et-Loire) à une dizaine de milliers (Isère, Bouches-du-Rhône, Haut-Rhin, Seine-et-Oise, Seine-Maritime, Tarn). Celle-ci est souvent liée à l'accroissement du nombre des communes ou des dépôts desservis mais pas nécessairement comme le prouve ce tableau (période 1955-196, voir tableau 2).

Il en résulte tout naturellement une augmentation du nombre moyen des livres déposés : il est passé de 43 à 70 dans l'Aisne, de 70 à 83 en Haute-Garonne, de 59,5 à 85 en Gironde, de 62 à 90 en Indre-et-Loire, de 60 à 88 dans le Haut-Rhin, de 75 à 115 en Seine-et-Oise, de 68 à 270 dans les Deux-Sèvres où l'on atteint ainsi le chiffre le plus élevé, détenu en 1955 par l'Hérault avec 106 volumes.

Ce n'est certes pas une nouveauté de dire que l'école est la principale bénéficiaire des dépôts de livres. Mais si l'on examine la répartition des dépôts, d'après leur nature, on note une constante augmentation des dépôts faits à l'école. En Haute-Garonne où, comme nous l'avons vu, 105 dépôts ont été créés de 1955 à 196I, 10I l'ont été dans une école. Dans l'Hérault sur 62 dépôts nouveaux, 57 sont faits à l'école. En revanche les dépôts dont le siège est la mairie sont généralement en diminution. Mais la mairie et l'école se trouvant dans bien des communes dans le même bâtiment, il est difficile d'établir une discrimination très nette. Le léger accroissement enregistré dans deux ou trois départements, du nombre de bibliothèques municipales desservies par le bibliobus, celui plus net des « divers » (foyers ruraux, maisons de jeunes, centres d'apprentissage, écoles ménagères, usines, etc...) ne modifient en rien le pourcentage élevé des dépôts faits à l'école : 56 % en Gironde où il est le plus bas, de 63 à 67 % dans l'Hérault, le Lot-et-Garonne, les Bouches-du-Rhône et les Deux-Sèvres, de 72 à 79 % en Seine-Maritime, Seine-et-Oise, dans le Tarn, le Rhône, l'Indre-et-Loire et le Haut-Rhin, de 84 à 88 % dans l'Aisne, le Loir-et-Cher, la Moselle et le Bas-Rhin, il atteint 92 à 94 % dans les autres départements.

L'enrichissement du fond de livres pour enfants en est la conséquence naturelle et se fait parfois au détriment des autres catégories d'ouvrages. On peut faire cette constatation dans la plupart des bibliothèques avec d'ailleurs des pourcentages d'accroissement extrêmement variables puisqu'ils s'échelonnent de 1 à 10 %, à l'exception de celles de Dordogne, Loir-et-Cher, Seine-et-Oise, Seine-Maritime et Tarn où un plus gros effort a été fait pour l'acquisition de romans et de documentaires. Quant à l'augmentation global du fonds de livres, il s'établit pour cette période de six années :
- entre 10 et 20 ooo volumes dans les bibliothèques suivantes :
Bouches-du-Rhône, Dordogne, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher, Seine-et-Oise, Seine-Maritime et Tarn.
- entre 20 et 30 000 volumes dans les départements de l'Aisne, Gironde, Isère, Marne, Bas-Rhin, Rhône-Ain, Deux-Sèvres.
- de 30 à 40 ooo volumes dans l'Hérault, la Moselle, le Haut-Rhin. En Haute-Garonne, le nombre des livres acquis dépasse même légèrement les 40 000 puisqu'il est de 40 49I.

Que peut-on conclure après ces très rapides réflexions suggérées par l'analyse des résultats obtenus? Aucune modification profonde n'y apparaît, ni dans la structure des services qui reste conforme aux principes définis par l'ordonnance du 2 novembre 1945 ni dans leur fonctionnement. Si l'aide financière de l'État s'accroît régulièrement d'année en année, le personnel mis à la disposition des bibliothèques centrales de prêt est resté à peu près stationnaire. Or l'effort d'expansion s'est poursuivi partout, même dans les départements où dès 1955 on parlait de « saturation ».

Le fait est d'autant plus remarquable que la poussée démographique, la réforme de l'enseignement, le déséquilibre qui s'accentue dans plusieurs départements entre le peuplement des campagnes et la concentration urbaine ont singulièrement compliqué la tâche des bibliothécaires. Aussi quand ils analysent les résultats qui ont pu être enregistrés par les dépositaires sur le nombre et la qualité des livres prêtés, plusieurs ne manquent pas de souligner les difficultés rencontrées. Nous avons déjà dit à plusieurs reprises combien il était malaisé d'obtenir des renseignements valables sur les prêts. Rares sont en effet les dépositaires qui s'astreignent à en faire un compte rigoureux (40 % en Moselle par exemple). Cependant les bibliothécaires d'un certain nombre de départements ont pu, grâce aux éléments recueillis, donner d'utiles indications. Sans doute retrouve-t-on un peu partout, le même goût pour les romans apportant évasion et distraction, pour les livres d'histoire contemporaine, les livres de voyage et aussi pour les ouvrages de vulgarisation scientifique. La remarque faite par la directrice de la Bibliothèque centrale de prêt de la Dordogne semble pouvoir être généralisée : « Il y a une curiosité manifeste pour tous les aspects de la vie contemporaine : scientifique, politique, sociale, pour tous les grands problèmes actuels : décolonisation, capitalisme, socialisme. » M. J. Goasguen a même pu, dans le Lot-et-Garonne, faire une étude géographique de la lecture. C'est ainsi qu'il distingue des tendances différentes selon qu'il s'agisse de villages éloignés des grandes voies de circulation, de villages de vallée, de gros bourgs ou de petites villes. Romans à signification politique, romans d'amour, romans d'inspiration naturaliste et provinciale, romans intellectuels, « virils » ou pessimistes recueillent les faveurs des habitants des villages tandis que, dans les gros bourgs et petites villes la quantité des lecteurs et des livres empruntés est souvent assez élevée mais au détriment de la qualité. Cette tentative intéressante pour localiser les goûts des lecteurs méritait d'être signalée.

L'examen des résultats obtenus conduit tout naturellement plusieurs bibliothécaires à faire le point de la situation actuelle et à envisager les perspectives d'avenir. Il nous a paru particulièrement utile de publier les réflexions de deux de ces bibliothécaires chargés de la direction d'une Bibliothèque centrale de prêt. Il s'agit de deux départements diamétralement opposés du point de vue géographique : le Bas-Rhin et la Haute-Garonne. Dans le premier, le problème crucial réside dans l'augmentation considérable des effectifs scolaires qui font surgir « à une cadence effrayante de nouveaux besoins en livres pour jeunes ». Phénomène banal sans doute, ressenti dans tous les départements, et bien entendu en Haute-Garonne où il se complique en outre d'un bouleversement très sensible de la répartition de la population.

Mlle Delrieu, directrice de la Bibliothèque centrale de prêt du Bas-Rhin, notant, comme nous l'avons fait, l'écrasante majorité des dépôts scolaires, s'inquiète de l'orientation qu'ils donnent à la lecture publique.

« Rares sont les municipalités qui entretiennent des bibliothèques scolaires « suffisantes. Même les crédits Barangé n'ont pas résolu la question, à une époque « de grandes dépenses où les constructions scolaires et l'acquisition d'un coûteux « matériel audiovisuel engloutissent pour des années la totalité des ressources « d'une école.

« Et pourtant, il est réconfortant de constater à quel point, à tous les degrés de « l'enseignement, on reconnaît la lecture comme complément indispensable de « l'instruction. Une fois admis ce principe, il suffisait de l'appliquer, et, là où les « bibliothèques scolaires n'existaient plus, il était normal que le Bibliobus vînt « au secours des maîtres. Ce fut jusqu'à l'an dernier notre ligne de conduite, « d'autant plus que si l'on voulait former des lecteurs pour l'avenir, il fallait com« mencer par faire lire les enfants.

« Mais dans beaucoup de cas, force est de constater que la lecture conserve un « caractère purement scolaire : aux yeux de certains maîtres - et par suite aux « yeux des élèves et du public - elle tend à devenir seulement un aspect du pro« gramme scolaire.

« Certes, les effectifs scolaires ont augmenté considérablement ces dernières « années, et nous avons dû nous efforcer de suivre ce mouvement. Mais lorsqu'il « s'agissait de lecture pour jeunes il était entendu que le Bibliobus demeurerait « une solution d'urgence. Qu'il soit devenu trop souvent une solution de facilité, « pour les maîtres comme pour les municipalités, voilà ce qu'il fallait craindre. Et « que, dans beaucoup de cas, ce ne soient plus les dépositaires qui servent la lec« ture publique, mais qui l'entraînent dans une direction qui n'est pas la sienne, « voilà qui demande une réaction.

« Ainsi, à mesure que se multiplient les créations de classes, surgissent sans cesse « des demandes de livres d'enfants. D'où la nécessité de laisser en circulation des « volumes bons pour le rebut. D'où aussi le risque, pour maintenir la variété dans « le choix des livres, de se montrer moins exigeant dans leur sélection. Enfin - « et ce n'est pas le moins grave - les achats de livres d'enfants absorbent trop de « crédits, au détriment des adultes et des adolescents...

« Cette situation ne peut que s'aggraver... du fait notamment de la création des « collèges d'enseignement général (50 déjà dans le Bas-Rhin). »

Bien que les dépôts de livres faits à l'école ne soient pas réservés uniquement aux enfants mais comportent également des ouvrages pour les adultes, aux yeux du public le bibliobus est le plus souvent un organisme scolaire. Il s'ensuit que « les résultats les plus encourageants ne sont pas toujours ceux que fournissent les dépôts installés à l'école ».

Du point de vue du rendement, Mlle Delrieu distingue trois catégories de dépôts :
« a) Les dépôts scolaires, qui comprennent une majorité de livres pour les enfants « et en outre - mais trop souvent considéré comme annexe par les dépositaires « comme par le public - un dépôt pour adultes. Exposés à de sérieuses variations « de rendement suivant les changements de responsables, même à la sclérose au « hasard du recrutement, ils sont malheureusement la majorité. La moyenne des « lecteurs est ici de 10 adultes, 15 adolescents et 50 enfants par dépôt.
« b) Les dépôts à grand public sont situés parfois dans les écoles, grâce à l'activité « d'un responsable particulièrement entreprenant, mais surtout dans les mairies. « Ces dernières ont l'avantage d'être plus accessibles au public, surtout s'il s'agit « de communes un peu importantes employant des secrétaires de mairie à plein « temps ou au moins à mi-temps. Les lacunes culturelles pouvant exister chez ces « employés sont largement compensées par leur sens du service public, et le person« nel du Bibliobus s'efforce de suppléer à ces lacunes en surveillant avec un soin « particulier le choix des livres, et au besoin en l'effectuant lui-même. Ce sont « donc là - comme d'ailleurs les quelques petites bibliothèques communales « gérées par le personnel municipal - d'excellents postes de distribution de livres. « Moyenne des lecteurs dans ces dépôts : 30 à 70 adultes, 20 adolescents.
« c) Enfin les dépôts capables d'un véritable rayonnement culturel, essentiellement « les maisons de jeunes, ou encore les groupements culturels, comités de culture « populaire, ciné-clubs même. Dotés de cadres actifs et d'animateurs formés et « conscients de leurs responsabilités, ils peuvent seuls assurer la coordination « indispensable de la lecture avec les autres activités culturelles d'une commune. « Si leur action dans notre domaine a mis plus de dix ans à s'affirmer, il n'en est « pas moins vrai que de ce côté seulement existent des prolongements éducatifs « à une lecture qui, sans cela, tendrait à demeurer trop spécialement récréative. « Moyenne des lecteurs : 40 à 70 adultes, 30 à 70 adolescents.

« Mais, nous l'avons vu, ces deux dernières catégories ne forment pas même « 10 % du total de nos dépôts. »

Par conséquent dès qu'il existe un centre intellectuel, si modeste soit-il, l'action culturelle du bibliobus est plus efficace. Mais « dans la plupart des communes rurales, il n'y a encore ni terrain ni climat favorable à une vie culturelle ou à la lecture publique qui n'en est qu'un aspect », ajoute Mlle Delrieu. Rares sont les conseils municipaux qui ont conscience de ce problème (rares sont même, dans notre département, les municipalités dont les membres parlent suffisamment le français). Or en favorisant la lecture chez les jeunes, on pouvait espérer mettre à profit la progression, la continuité établie entre l'enseignement primaire et l'enseignement post-scolaire. Du fait de la rupture de ce courant, par les départs vers les collèges d'enseignement général, on peut craindre que ce noyau de vie culturelle qu'on avait eu tant de peine à concentrer autour de l'école n'éclate à la faveur de cette dispersion des jeunes en dehors du village.

« Si bien qu'on doit se demander s'il n'est pas indispensable de prendre les « devants, et, dès l'âge scolaire, de chercher à orienter les jeunes vers un centre « de vie culturelle indépendant de l'école. Nous pensons aux maisons de jeunes, « aux foyers ruraux, dont plus que jamais il faut attendre qu'ils prennent le relais « de l'école. Nous pensons même aux mairies, où, quelles que soient ses occupa« tions, l'adulte aura toujours l'occasion de revenir parce que d'autres activités « l'y appellent. »

En conclusion, Mlle Delrieu pense qu'il faut ôter à la lecture publique rurale son caractère scolaire, en doublant au besoin le « bibliobus actuel, d'un bibliobus annexe, uniquement scolaire celui-là, doté du personnel et de moyens suffisants et chargé de ravitailler tous les établissements d'enseignement, s'il est nécessaire avec le concours des autorités académiques ».

La Bibliothèque centrale de prêt pourrait ainsi concentrer ses efforts sur toutes les activités culturelles destinées aux adultes et aux adolescents : maisons de jeunes, foyers ruraux, ciné-clubs, cercles théâtraux ou musicaux mais également et surtout bibliothèques communales.

Loin d'être pessimiste, ce rapport souligne au contraire la progression constante des demandes de livres pour adultes liée à la progression de l'enseignement du français dans ce département du Bas-Rhin. Seule la crainte de ne pouvoir satisfaire et de décevoir ce public acquis à la lecture publique a inspiré à la directrice de la Bibliothèque centrale de prêt, ces suggestions qui tendent à modifier une structure mal adaptée aux conditions actuelles.

En Haute-Garonne, nous avons vu que la lecture publique était en pleine expansion, si l'on considère l'augmentation du nombre des communes desservies, celle du nombre de livres déposés et l'accroissement remarquable du fonds de livres. Là aussi les demandes sont toujours plus nombreuses, notamment dans les communes avoisinant Toulouse dont la population devient constamment plus dense. Il n'est pas toujours possible d'y répondre, comme le démontre M. Caillet, directeur de la Bibliothèque centrale de prêt et Mme Blanc, bibliothécaire :

« Si nous prenons, par exemple, la seule tournée de Grenade, où nous n'avons « cependant que seize dépôts, ce qui est peu pour les tournées avoisinant le chef« lieu du département, nous pouvons vérifier que dans les seules caisses nous appor« tons 2 085 volumes (le rayon de choix, rappelons-le, offre 1 200 volumes de plus). « Nous sommes cependant très loin d'atteindre dans cette région, comme dans « d'autres, le nombre de livres qui serait nécessaire à une répartition normale de la « lecture, surtout en ce qui concerne les adolescents et les jeunes enfants. Gre« nade, par exemple, chef-lieu de canton, dont la population était, en 1954, de « 3 235 habitants, qui est devenue ce que l'on appelle une « ville dortoir » de Tou« louse, possède un collège d'enseignement général de plus de 570 élèves (chiffre « de 1957) et n'a aucune bibliothèque. Le bibliobus apporte jusqu'ici 150 volumes « pour les seuls enfants, ce qui est nettement insuffisant.

« Villeneuve-Tolosane, petite commune de 400 habitants lors de la création « du dépôt en 1949, s'apprête à recevoir 4 ooo personnes : les logements sont déjà « construits.

« Si nous considérons en outre que dans certaines régions les hameaux devien« nent plus importants que les communes (l'école des Sables, récemment créée, « compte un nombre d'élèves plus important que Launaguet, qui en est la com« mune), nous pouvons constater de quelle urgence va être sous peu le problème « des hameaux, dont nous avons déjà parlé dans nos précédents rapports.

« Pouvons-nous penser que l'approvisionnement en lecture de ces écoles, de « ces cours complémentaires, de ces communes] qui grandissent, ne relève pas « du bibliobus départemental ?

« Mais à ces remarques sur nos prêts en général, qui, si elles accusent une nette « évolution, ne sont cependant pas tellement différentes de celles faites les années « précédentes, nous devons en joindre d'autres : de plus en plus nombreuses sont « les demandes d'instituteurs continuant leurs études (propédeutique, certificats « de licences, préparation au concours d'inspecteurs primaires, etc...), et d'étu« diants isolés, qui ne peuvent user comme ils le souhaiteraient des bibliothèques « toulousaines (tout l'arrondissement de Saint-Gaudens, soit 239 communes, est « à plus de 90 kilomètres de Toulouse). Cette « clientèle » se développe de jour « en jour et se développera sans doute à un rythme accéléré, étant donné les « tendances actuelles de l'enseignement.

« C'est donc un fonds absolument nouveau de livres qu'il faudrait que nous « puissions mettre à la disposition de ces lecteurs. Nous ne pouvons le faire jus« qu'ici que très parcimonieusement et pour des cas bien précis, étant donné la « modicité de nos crédits par rapport aux besoins, et aussi le souci constant de « maintenir ce qui est acquis et qui, déjà, absorbe toute l'activité du personnel exis« tant. Mais il est bien évident que nous devrions pouvoir aider les candidats aux « examens d'enseignement supérieur et autres avec des moyens plus puissants.

« Nous avons pu constater au cours de l'année de quel apport précieux avait été « le dépôt permanent de 260 ouvrages créé au mois d'octobre au Lycée de Saint« Gaudens, et qui comprenait des livres dont la centrale de prêt n'avait pas l'utilité. « Nous avons en projet, à la demande du dépositaire, la création d'un dépôt « analogue dans son principe à Boulogne-sur-Gesse. Les grosses communes de « Colomiers (3 721 habitants en 1954, nombre certainement doublé actuellement) « et de Leguevin, ont l'intention de créer de véritables bibliothèques, à la « fondation desquelles la Bibliothèque centrale de prêt apporterait son concours « et ses conseils, et où elle continuerait à déposer comme par le passé des « ouvrages en nombre accru. M. le Maire de Saint-Gaudens (8 023 habitants en « 1954) envisage aussi la création d'une bibliothèque digne d'une ville qui se « développe chaque jour davantage.

« Tout ceci n'est que le reflet d'une transformation qui est assez visible dans notre « région, non seulement sur le plan de l'enseignement mais encore sur le plan éco« nomique : notre département - et cela s'accentue encore depuis quelques mois « évolue profondément à la suite de Toulouse; tandis que s'accélère le dépeuple« ment des petites communes, où aucun moyen d'existence décent ne peut être « assuré à la jeunesse, et où le bibliobus doit tout de même garder une présence « qui apporte aux habitants demeurés là une possibilité de culture, de perfection« nement et de distraction; des centres d'intérêt se créent dans certaines régions « autour d'usines récemment installées (régions d'Auterive, Martres-Tolosane, « Saint-Gaudens, Cazères, etc...), tandis que les chefs-lieux de cantons, nantis « désormais pour la plupart de collèges d'enseignement général, drainent de plus « en plus la population.

« Par ailleurs, nous ne devons pas oublier que la Haute-Garonne est l'un des « départements français qui reçoit le plus de rapatriés d'Algérie - il vient en « seconde position après l'Hérault. D'où une évolution démographique qui va « s'accentuant.

« La Bibliothèque centrale de prêt va certainement sous peu devoir changer « de visage et, tout en maintenant, comme nous le disions, dans les petites com« munes une présence intellectuelle, même et surtout peut-être là où, faute « d'élèves, l'instituteur a disparu, elle devra faire face à des besoins nouveaux, tant « en nombre qu'en qualité. »

L'analyse de la situation nouvelle ainsi créée en Haute-Garonne conduit les responsables de la Bibliothèque centrale de prêt, non pas tant à préconiser une réforme de structure du service qu'à demander une nette amélioration des moyens mis à leur disposition : local plus spacieux et plus adapté aux conditions de travail, personnel plus nombreux, mise en circulation d'un second bibliobus, en un mot « dédoublement complet du service ».

Ainsi à Strasbourg comme à Toulouse les problèmes sont posés et il reste à leur trouver des solutions. Si nous avons cité de larges extraits des rapports de ces deux bibliothèques, c'est parce qu'ils exposent d'une manière très précise les exigences auxquelles ont à faire face nos bibliothèques centrales de prêt. Il semble bien en effet qu'avec les moyens dont elles disposent et l'organisation qui est la leur, on ne puisse envisager pour l'avenir que des « perfectionnements de détails ».

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Tableau 1

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Tableau 2

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Tableau 3

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Tableau 4

  1. (retour)↑  Voir : B. Bibl. France, 1re année, n° 9, septembre 1956, pp. 604-613.
  2. (retour)↑  Il faudrait y ajouter la Bibliothèque centrale de prêt de la Corse créée par arrêté du 12 octobre 196I. Toutefois cette mesure étant récente, il a paru préférable de ne pas la faire figurer dans cette note.