Le « bibliocar » scolaire de Tours

René Fillet

Sous l'impulsion conjointe de M. Georges Collon, conservateur de la Bibliothèque municipale et de M. Paul Racault, adjoint au Maire, la ville de Tours préparait en 1949 une expérience extrêmement intéressante, génératrice pour l'avenir de progrès importants dans le domaine des bibliothèques. Il s'agissait essentiellement de donner un regain d'activité aux bibliothèques scolaires de Tours pour lesquelles tout crédit d'achat avait été supprimé depuis quelques années 1. Mais au lieu d'attribuer à chaque école un petit crédit individuel, la Commission de l'instruction publique du Conseil municipal de Tours projetait la création d'une « Centrale de prêt aux écoles de Tours » calquée sur le système du bibliobus départemental : cette section de la Bibliothèque municipale aurait la gestion d'un fonds unique, composé des collections de la section « enfants » de la Bibliothèque municipale et des livres cédés par les bibliothèques scolaires de la ville et serait enrichie chaque année d'acquisitions nouvelles grâce à un crédit municipal spécial. « Ainsi, déclarait M. Racault, rapporteur du projet devant le Conseil municipal, les enfants auront à leur disposition des possibilités illimitées de lecture au lieu d'être cantonnés dans une courte série d'ouvrages... La nouvelle formule constitue un acte de solidarité littéraire, elle ouvre aux enfants tous les domaines enchantés de la lecture ».

Le 19 octobre 1950 la « Centrale de prêt aux écoles » commençait à fonctionner, utilisant pour desservir les écoles les caisses et le véhicule de la Bibliothèque centrale de prêt d'Indre-et-Loire 2. Un seul employé municipal assurait l'inscription et le catalogage des ouvrages, la préparation des dépôts; le bibliobus était conduit par M. Collon.

Les résultats obtenus étaient encourageants 3. Cependant l'augmentation rapide de l'effectif scolaire rendait la formule moins opérante qu'on aurait pu le penser au départ : des établissements de 300 élèves en moyenne se voyaient attribuer des lots de 70 livres renouvelés toutes les six semaines; les élèves ne pouvaient pas tous avoir accès au livre, certains maîtres s'estimaient défavorisés. Le 28 octobre 1954, sous la présidence de M. l'Inspecteur d'académie, en présence de M. Racault et de moi-même, une réunion des directeurs d'écoles de Tours faisait le point de la situation 4. La majorité des directeurs estimait nettement insuffisant le nombre d'ouvrages déposés et souhaitait qu'il soit au moins doublé; le renouvellement tous les trimestres devait permettre aux enfants de profiter davantage du choix dont ils disposent durant cette période, pensaient les directeurs qui demandaient également que tous les maîtres bénéficient des services de la « Centrale de prêt aux écoles ».

Il fut tenu compte de ces vœux : la moyenne des livres déposés passait de 70 à 105; mais elle restait malgré tout insuffisante, le nombre des classes de Tours croissant de 174 à 202 dans le même laps de temps 3.

Aussi dès cette époque, il apparaissait nécessaire de prévoir une autre organisation, plus souple, plus apte à faire face aux modifications qualitatives et quantitatives des lecteurs d'âge scolaire : le bibliobus-rayons semblait répondre à ces exigences. Mais avant de mettre en action ce nouveau mode de distribution, il convenait de préparer les éléments nécessaires à son fonctionnement, notamment un programme d'acquisition d'ouvrages. D'octobre 1954 à octobre 1956, en même temps que la « Centrale de prêt aux écoles » assurait son service, 8.000 ouvrages pour enfants étaient achetés, catalogués, équipés pour le prêt 5.

En novembre 1955, le Conseil municipal votait une somme de 1.100.000 francs en vue de l'acquisition et de l'aménagement d'un bibliobus destiné aux écoles de Tours, après discussion d'un rapport fourni par mes soins; somme modique si l'on songe au prix d'achat d'une simple camionnette. En fait ce fut l'analyse des conditions de fonctionnement du service qui me conduisit à proposer ce chiffre. Qui fallait-il desservir?

7.000 lecteurs d'âge scolaire, non dispersés mais groupés dans un certain nombre d'établissements, ceux-ci composés d'unités plus petites : les classes, en nombre variable d'ailleurs (de 6 à 34). Toutes les écoles, toutes les classes sans exception devaient être desservies, les livres mis à la disposition non seulement des enfants, mais des maîtres et même du personnel de service et des concierges.

Comment les desservir?

Le choix individuel ou par petits groupes de 10 étant exclu pour des raisons de temps, c'est la classe qui devenait notre « unité de distribution » 6. Deux autres raisons justifiaient au surplus cette option :
- il n'est pas toujours aisé de faire admettre que le temps consacré à la bibliothèque, au choix d'un livre par l'élève, n'est pas du temps perdu; de nombreux maîtres, surtout dans les classes terminales, sont obsédés par le programme et les parents entretiennent la hantise de l'examen; gymnastique, couture, travaux pratiques et autres activités dirigées sont parfois considérées comme des « amusettes légales » auxquelles il convient de ne pas accorder plus que le temps légalement imparti; la bibliothèque ne figure même pas dans cette catégorie d'activités sous-privilégiées et le « trouble » qu'elle apporte doit être réduit au minimum;
- la responsabilité des maîtres peut être engagée s'il se produit un accident pendant les heures de classe.

Il importait donc de ne pas scinder une classe admise à choisir sur les rayons du bibliobus.

Pour cela le véhicule devait être de grandes dimensions.

Quel trajet aurait-il à parcourir? Le circuit complet des écoles, compte tenu des retours au garage, représenterait environ 60 km soit 700 à 800 km par an. Il était donc inutile d'acquérir un véhicule neuf, qui serait à peine rôdé en 20 ans tout en risquant de ne plus être adapté aux conditions d'alors; de plus, il ne roulerait qu'en ville à vitesse réduite. Les conditions essentielles apparaissaient alors les suivantes : grandes dimensions, démarreur et batteries en parfait état, moteur en bon état mécanique.

L'ensemble de ces considérations me conduisait à proposer au Conseil municipal l'acquisition d'un car d'occasion qui serait ensuite aménagé en vue de sa nouvelle utilisation.

Plusieurs véhicules s'enraient et là encore le choix a été dicté par les conditions de travail. Un car ayant deux portes latérales arrière eût été plus facile à aménager; le bureau de prêt inséré entre les deux portes, l'une réservée à la montée l'autre à la descente, les rayonnages courraient alors sans interruption le long des deux parois latérales et contre la cabine. Mais cette disposition se serait révélée à la fois dangereuse et fatigante pour le personnel : il est impossible de pénétrer dans certaines cours d'école et les élèves auraient dû monter ou descendre du côté passager de la rue; la personne qui veillerait à la distribution des ouvrages devrait conseiller et guider les élèves, et pour cela se déplacer facilement, ce que l'emplacement du bureau n'aurait pas permis. Enfin les livres réservés aux adultes devaient être nettement séparés.

C'est un car Tubauto qui fut choisi; ses caractéristiques étaient les suivantes : 40 places, 8,80 m de long, 2,40 m de large hors tout, moteur Diesel situé à l'arrière (donc peu encombrant); trois portes : deux à droite (l'une à l'avant, l'autre à 3 m de l'arrière), une à l'arrière gauche.

Le plan d'aménagement fut établi en tenant compte à la fois des sujétions imposées par le véhicule 7 et du mode de fonctionnement du service. La circulation des lecteurs s'organisant à partir de la porte latérale droite, c'est la partie avant, plus spacieuse, qui devait être réservée aux enfants; le bureau placé face à l'entrée permettrait l'aiguillage des lecteurs, le contrôle des sorties et le facile déplacement du personnel, les livres d'adultes seraient rangés à l'arrière, nettement séparés du fonds destiné aux enfants.

L'exécution des travaux fut confiée successivement à un carrossier et à un menuisier.

Les glaces latérales furent déposées, sauf derrière le bureau de prêt, et remplacées par des tôles enduites ensuite au pistolet d'un produit amortissant les vibrations. Quatre ouvertures furent aménagées dans le plafond afin de dispenser largement l'éclairage naturel; la porte latérale vitrée dans sa partie haute, les deux ouvertures derrière le bureau apportent un surcroît important de lumière, d'autant que les deux lunettes arrière n'ont pas été obturées. La porte arrière gauche fut condamnée définitivement.

Entre le carrossier et le menuisier, l'électricien exécuta une partie de sa tâche : les batteries 8 furent déplacées, logées à côté du moteur, munies de deux robinets de courant; les lignes électriques pour l'éclairage intérieur furent mises en place.

La partie la plus importante des transformations était dévolue au menuisier à qui fut remis un plan détaillé à suivre point par point. Afin de protéger aussi efficacement que possible des échanges thermiques, des panneaux d'isorel mou épais (18 mm) furent fixés contre les parois latérales, des plaques de laine de verre agrafées entre l'isorel dur formant le plafond et le toit du car. Pour soutenir les tablettes, des montants verticaux d'une largeur uniforme de 0,35 m ont été vissés solidement à des pattes métalliques soudées à la carrosserie. Le fond de chaque tablette est vissé à celle-ci à angle droit; l'ensemble, reposant sur des équerres de bois fixées aux montants, peut se retirer pour procéder au nettoyage ou aux éventuelles réparations. Les cinq rangées supérieures sont espacées de 0,25 m, ce qui permet le classement sur les rayons suivant la classification Dewey de la plupart des ouvrages; les livres de grand format, nombreux dans une bibliothèque enfantine, sont logés dans le bas, la hauteur libre étant de 0,35 m, un socle de 0,10 m les séparant du sol; les coffres dissimulant les passages de roues ont été mis au niveau de la cinquième tablette afin de présenter une ligne horizontale continue. Le siège du chauffeur fut isolé par une cloison et devint une véritable cabine, l'accès y étant possible par la porte avant droite.

Le bureau est peut-être la partie la plus originale du « bibliocar ». A 0,87 m de la paroi du car, face à la porte d'entrée, une cloison verticale de 1 m de hauteur supporte à son sommet une tablette montée sur charnière, de 0,20 m de large; à l'intérieur du bureau une autre tablette de 0,30 m de large est fixée sur la même cloison à 0,78 m du sol 9 et se continue sur la droite par un plan de travail formé d'une partie fixe et de deux panneaux mobiles qui recouvrent deux casiers contenant l'un les dossiers de chaque classe, l'autre les fiches des ouvrages empruntés par les adultes. Ce plan de travail englobe un passage de roue. Une porte de 0,52 m donne accès à l'intérieur du bureau où est placée une chaise de dactylo; la tablette intérieure commence légèrement en retrait de la porte afin de faciliter l'entrée dans le bureau.

L'allée centrale, légèrement en contrebas, a été mise au niveau de la partie du plancher qui supportait les sièges. L'ensemble des montants et des tablettes fut alors encaustiqué.

L'électricien compléta son travail en installant quatre plafonniers ronds et deux plafonniers longs qui fournissent l'éclairage artificiel 10.

Plafond et toit ont été ensuite peints en blanc, l'extérieur du véhicule en deux tons de bleu : bleu latour jusqu'à hauteur des baies, bleu argentin des baies au toit. L'inscription : Ville de Tours - Bibliobus scolaire s'étale sur les côtés, en grandes lettres blanches; au-dessus du pare-brise les lunettes réservées autrefois à l'indication de l'itinéraire portent la même formule.

Le plancher a été garni de Taraflex gris jaspé, posé sur une sous-couche de carton feutre de 2 mm d'épaisseur; les coffres dissimulant les passages de roues, le plan de travail et la tablette intérieure du bureau ont été recouverts de Taraplast rouge vif; les socles sont protégés par une bande de Taraflex et par des cornières d'aluminium.

Le chauffage est assuré par trois petits radiateurs infraradiants à gaz Butane placés dans les rayonnages inférieurs, isolés par une cloison mobile. Deux bouteilles sont dissimulées dans les vides laissés par l'intersection des rayonnages latéraux et des rayonnages arrière. Chaque radiateur est muni d'un robinet d'arrêt en plus de ceux des bouteilles 11.

Un escabeau de trois marches muni de deux rampes permet aux enfants d'accéder sans danger à l'intérieur du « bibliocar ». Deux extincteurs bien à portée de la main fournissent un moyen de lutte efficace contre un incendie éventuel 12.

La deuxième étape de la préparation de « l'opération bibliocar » était le classement des 3.400 ouvrages garnissant les rayons 13. C'est le système Dewey qui a été adopté, les contes et légendes, récits, livres d'images, albums, étant cotés à part; les ouvrages destinés aux petits rangés sur les tablettes inférieures. Tous ces livres étaient neufs, équipés d'une fiche de prêt, protégés par des couvertures en matière plastique transparente. Piquées sur la tranche des rayonnages, des lettres en relief guident les lecteurs.

Le « bibliocar » de Tours a été inauguré le 8 octobre 1956 par M. le Maire de Tours, en présence de M. l'Inspecteur général Masson, représentant M. Julien Cain, directeur des Bibliothèques de France, de M. l'Inspecteur d'académie L. Bonneau et de diverses personnalités. Il effectuait ce jour-là sa première distribution et en est actuellement au huitième circuit 14.

Ceux-ci ont été soigneusement préparés; le passage a lieu toutes les trois semaines, à jour fixe déterminé après accord avec le directeur de l'établissement scolaire visité. Les maîtres avaient reçu une circulaire leur expliquant le fonctionnement du service.

Celui-ci est simple, rapide. Lorsqu'une classe pénètre dans le « bibliocar », elle dispose d'un quart d'heure environ; chaque élève a donc dix minutes au moins pour choisir son livre, ce choix étant individuel. Le livre choisi est posé sur la tablette extérieure du bureau, et l'élève passe dans la partie arrière du « bibliocar » ; la fiche est enlevée par l'employée, le livre mis sur le plan de travail à droite; l'opération se répète jusqu'au dernier, les fiches étant classées par grandes divisions Dewey, les livres empilés par dix. La feuille de statistique de la classe est alors remplie, mais seul y est porté le nombre d'ouvrages de chaque catégorie; les livres et les fiches sont comptés. La classe sort, les quatre derniers élèves emportant les volumes; les fiches sont remises au maître qui doit les garder pendant ces trois semaines. Alors que s'effectuent les dernières opérations de contrôle, un enfant prévient la classe suivante qui se présente au moment où l'autre part. Les quatre premiers élèves de la classe « montante » portent les livres empruntés au passage précédent, qui sont comptés, et placés dans une travée réservée aux retours; les enfants commencent ensuite leur choix.

Les maîtres sont prévenus quatre jours à l'avance du prochain passage du « bibliocar » et veillent à ce que les livres soient rapportés au jour fixé. Ce jour-là ou la veille, chaque fiche est réinsérée dans le livre correspondant par les maîtres ou, sous leur contrôle, par les enfants. Les livres manquants sont ainsi déterminés sans erreur; leurs fiches sont présentées au bureau et comptées en sus des livres effectivement empruntés. Si les fiches avaient été égarées, le pointage de la feuille statistique fournirait un moyen de contrôle, mais purement quantitatif : il serait impossible de savoir quels livres ont été perdus, sinon au moment du récolement annuel; cet inconvénient a été assumé en toute connaissance de cause, le personnel enseignant étant digne de confiance. Le système Newark était d'ailleurs inapplicable parce que trop long.

Ainsi pendant trois semaines chaque enfant est responsable d'un livre; s'il ne le rend pas le jour fixé, il est exclu du prêt; les échanges entre élèves sont autorisés, recommandés même, mais c'est le livre choisi dans le « bibliocar » qui doit être rapporté au maître, et non celui qui a été emprunté à un camarade.

Quelle a été l'attitude des enfants devant cette formule nouvelle?

Le plus grand soin vis-à-vis des livres, d'abord. Tous les volumes étaient neufs, tous avaient gardé leur jaquette illustrée protégée par une couverture plastique transparente, tous étaient attirants. Dans l'ensemble les enfants les ont traités avec respect 15; c'est un point qui a son importance.

Plus intéressant à étudier est leur comportement devant les œuvres mises à leur disposition. L'enthousiasme manifesté lors du premier passage ne s'est pas démenti et certains directeurs et directrices ont demandé à ce que l'échange ait lieu l'après-midi, « les cours les plus importants ayant lieu le matin et le passage du « bibliocar » agitant beaucoup les élèves dès la veille ». Cette ardeur se traduit toujours par un déclassement des livres auquel le personnel doit remédier tous les soirs; la rapidité du choix rend ce désordre excusable et les conseils prodigués pour l'éviter sont condamnés à rester sans effet pendant quelque temps encore. Ceci prouve d'ailleurs que le choix n'est pas exercé au hasard, mais que les livres ont été feuilletés, regardés avant d'être emportés.

Les maîtres ont pu remarquer combien le choix, malgré sa rapidité, traduit le caractère et la personnalité de l'enfant, exprime son âge mental réel.

Les cours préparatoires, garçons ou filles, sont guidés avant tout par l'image et leur décision est extrêmement rapide. Dans les classes élémentaires ou de fin d'études le choix est plus difficile, les exigences sont plus précises. Les fillettes, plus calmes, plus sentimentales, suivent le désir exprimé par les deux ou trois plus décidées d'entre elles et réclament en majorité des « histoires tristes qui finissent bien ». Les garçons sont plus turbulents, plus résolus aussi. Si les choix collectifs étaient nombreux au cours des premiers circuits, il n'en va plus de même maintenant.

De plus en plus les élèves prennent dans les livres rapportés ceux qu'ils ont décidé de lire parce que leurs camarades ont fait à ces textes une propagande efficace; il n'est pas rare de voir repartir ainsi 10 livres sur 40. La rapidité des opérations y gagne, ainsi que la satisfaction des emprunteurs qui se sont assurés d'un livre qui les passionnera.

La réflexion avant l'entrée dans le « bibliocar » se marque aussi par les demandes toujours plus nombreuses et précises. Chaque enfant désirant un livre bien déterminé en inscrit le titre et l'auteur, s'il le connaît, sur une feuille de papier, mentionne ensuite le groupe scolaire et la classe à laquelle il appartient. Si le livre est sur les rayons, l'enfant l'emporte; sinon, il glisse sa feuille dans une boîte spéciale qui est « levée » comme une boîte aux lettres tous les soirs. La feuille établie par l'enfant est glissée dans le livre lorsque celui-ci est mis de côté dans un des deux casiers réservés à cet effet. Actuellement, les enfants réclament surtout « Les Trois mousquetaires », « La Guerre du feu », « Sans famille », « Le Monde du silence », « Vingt mille lieues sous les mers », « Contes français », « Les Misérables », « Michel Strogoff ».

Lorsque la préférence ne s'exprime pas nettement pour des titres précis ou pour les œuvres d'un auteur, elle se manifeste pour des collections. Viennent en tête « Rouge et or » et « Idéal-Bibliothèque ». Si l'on en demande aux enfants les raisons, les réponses sont, par ordre de fréquence décroissante : excellente typographie, illustrations agréables, textes intéressants; les enfants ont l'impression de lire un livre de luxe fait à leur intention, et ils y sont sensibles. Évidemment, tout se lit et la collection « Juventa » est également empruntée, mais le mouvement vers les deux collections signalées est très significatif. Pour les plus petits, les « albums du Père Castor » ont une très grosse cote.

Toujours dans l'ordre décroissant, les sujets les plus demandés sont : histoire en général, antiquité et préhistoire, voyages (avec un texte court et de nombreuses photographies), biographies, histoires de bêtes, récits de mystère et d'aventures, histoires tristes finissant bien, contes et légendes, livres sur le bricolage. Les documentaires se taillent donc une part appréciable, notamment « Le Monde des animaux », « Beautés des fonds des mers », « Les Plus beaux oiseaux », « Désert vivant ».

L'enfant « colle » à l'actualité. A peine nos commandes sont-elles passées aux libraires que déjà les dernières publications des collections les plus goûtées nous sont demandées. « Sans famille » est en grande vogue parce que Radio-Luxembourg l'a diffusé en vingt-trois épisodes dans une émission à 12 h 30; « Le Monde du silence » bénéficie de la popularité du film. Radio et cinéma incitent l'enfant à la lecture, comme l'adulte.

Mais nous sommes fort en peine pour fournir autant qu'il en est demandé des livres pour « Cours élémentaire », soit pour enfants de 8 à 10 ans. Très vite nous nous sommes aperçu que nous avions considéré comme convenant à cet âge des livres trop difficiles : il faut à l'enfant un équilibre quantitatif entre le texte et les illustrations, des qualités littéraires au récit qui ne se rencontrent que trop rarement. Or c'est actuellement, dans la population scolaire tourangelle du moins, l'effectif des cours élémentaires qui est proportionnellement le plus important. Il y a là une carence de l'édition souvent signalée et qu'il est urgent et nécessaire de pallier. Très souvent les enfants fixent leur choix sur des livres au-dessus de leur âge et le seul moyen de les en détourner est de leur assurer que cela ne les intéressera pas : subterfuge qui ménage leur susceptibilité et leur amour-propre, mais qui n'ôte rien à la difficulté de leur donner ce qui convient.

Il y a les éternels indécis, et nous les retrouvons inchangés à chaque passage. Après leur avoir demandé leurs préférences, nous leur présentons trois ou quatre ouvrages; ils les prennent, les regardent... et les remettent en rayons sitôt que nous tournons le dos. C'est qu'ils veulent, désespérément, faire comme leurs camarades un choix personnel, prendre eux-mêmes sur les rayons; mais seuls les claquements de mains du maître les feront se décider. Ils sont une minorité : deux à quatre par classe en moyenne.

L'individualisme du choix se marque également par le fait que les échanges entre les enfants au cours des trois semaines sont en nombre variable suivant l'âge. Les plus petits changent très fréquemment, les cours élémentaires de 3 à 5 fois, les classes de fin d'études de 1 à 3 fois 16. Les motifs les plus fréquemment évoqués pour refuser le prêt aux camarades sont : la peur que les autres ne soient pas assez soigneux, le désir de choisir soi-même son livre, le temps nécessaire à sa lecture, le désir de relire. Autre raison qui joue fréquemment dans les classes de fin d'études : les parents lisent les ouvrages que les enfants apportent à la maison.

Les cours complémentaires et les classes du Collège moderne et technique de jeunes filles sont plus difficiles à satisfaire. Les classes de 4e et de 3e ont accès aux rayons des maîtres, sous contrôle de leurs professeurs qui doivent user de toute leur autorité pour refuser certains livres. Le choix est plus long, plus réfléchi, les documentaires ayant en général moins de succès que les œuvres romanesques.

Que conclure de cette expérience encore récente?

Les maîtres en sont très satisfaits : considérée sous l'angle du « programme à remplir » cette formule apporte le minimum de trouble dans l'horaire, et le travail n'en souffre pas; nombreux sont ceux qui sont satisfaits de voir tous leurs élèves bénéficier d'un livre nouveau toutes les semaines. Eux-mêmes puisent largement dans les rayons qui leur sont réservés et leurs demandes d'ouvrages de travail vont croissant.

Les élèves ont la joie de disposer chacun d'un livre, librement choisi, qu'ils traitent avec soin. Les choix deviennent meilleurs, plus personnels, l'intérêt pour la lecture se développe.

Certes, je ne me dissimule pas les insuffisances de cette formule de distribution des livres; les opérations sont rapides, bruyantes, un certain désordre se glisse dans le rangement des livres, il n'y a pas de catalogue, et à la fin de l'année l'enfant n'en saura pas plus qu'au premier jour sur la classification Dewey. L'expérience est-elle pour cela condamnable?

Tout d'abord, peut-elle être améliorée?

Peut-être, mais dans de bien faibles limites : il faudrait que chaque classe dispose de plus de temps et cela ne sera possible que si un texte légal introduit dans l'emploi du temps une heure consacrée à la bibliothèque (le circuit ne pourrait plus alors être bouclé en trois semaines, mais il serait possible de passer tous les mois et d'autoriser chaque élève à emprunter deux volumes). Il est impensable d'introduire un catalogue dans le « bibliocar » : matériellement il n'y a pas sa place et sa consultation en vue de la documentation de l'élève serait trop rapide pour être vraiment fructueuse. Nous nous contenterons de recommander aux enfants de respecter le classement des livres, d'éviter l'excès de bruit et d'agitation, de s'adresser au personnel pour toute la documentation dont ils auraient besoin. Le plus important pour l'instant est de leur apprendre à bien choisir. Et en faire plus serait risquer d'en faire trop.

Car dans mon esprit le « bibliocar » scolaire a un double aspect : complémentaire d'une autre organisation, il a également un rôle essentiel primordial. Ceci mérite d'être quelque peu développé.

Le « bibliocar » est complémentaire de la section « Jeunesse » de la bibliothèque municipale qui sera bientôt ouverte. C'est là que pourra se poursuivre l'initiation des enfants au maniement du catalogue, à la classification Dewey. Ils trouveront dans les usuels, les encyclopédies, les milliers d'ouvrages mis à leur disposition, la documentation recherchée pour un devoir, une enquête; ils organiseront des expositions, ils écouteront des disques; ils pourront même participer « de l'intérieur » au fonctionnement du service en guidant les nouveaux, en inscrivant les prêts, en proposant des programmes d'auditions, des sujets d'exposition, en créant des clubs de lecteurs.

L'ingrat et fructueux travail d'éducation se fera là, et là seulement. Mais pour combien d'enfants? Il y a 60 places assises; peut-être viendra-t-il s'inscrire 500 enfants? Soit 7 % de la population scolaire actuelle. Ce simple chiffre explique pourquoi le « bibliocar » scolaire a, à mes yeux, un rôle de premier plan.

Il y a un besoin immense de lecture chez l'enfant et les circonstances économiques font du livre une denrée de luxe, inaccessible à trop de budgets familiaux. D'autre part, le livre n'est pas habituel, n'a pas conquis droit de cité dans tous les foyers; trop nombreux sont les parents qui, accordant facilement 30 à 50 F par semaine à leur enfant pour lui permettre l'achat d'un illustré, lui refuseraient 300 F tous les deux mois pour acheter un livre. Aussi accueillir seulement 7 à 10 % de la population enfantine tourangelle dans la section « Jeunesse » de la bibliothèque municipale m'apparaissait nettement insuffisant. Il fallait rapprocher le livre pour enfants de tous ses lecteurs éventuels, il fallait que tous les enfants aient accès au livre.

Le « bibliocar » satisfait à cette exigence. Il apporte le livre au lieu le plus favorable pour toucher l'enfant : il se rend dans la cour de l'école. Mais il n'est pas lié à l'école; il travaille en étroite collaboration avec elle mais il en est distinct, il appartient à un autre service, à la bibliothèque municipale. Il fait le lien entre la bibliothèque municipale et l'école et c'est un facteur important pour l'avenir : lorsque l'enfant quittera l'école, il se rappellera que si celle-ci lui a appris à lire, la bibliothèque lui a apporté les livres et peut continuer à les lui fournir.

En fait, pour la première fois en France, la population scolaire d'une ville de moyenne importance (80.000 habitants) accède tout entière au livre. Tous les enfants, c'est-à-dire tous ceux qui dans quinze ou vingt ans s'intégreront à la couche active de la population adulte, qui dans trente ans administreront la ville, tous ont réellement, effectivement, la possibilité de lire. Il n'est donc pas exagéré de considérer cette expérience comme importante pour l'avenir 17.

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Tableau 1

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Tableau 2

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Statistiques

  1. (retour)↑  Les dépenses d'enseignement du premier degré, y compris les fournitures de livres, sont du domaine des collectivités locales. L'État n'accorde aucune subvention en espèces aux bibliothèques scolaires du premier degré, mais celles-ci bénéficient de subventions en nature sous forme d'envoi de colis de livres. D'après une réponse ministérielle à une question écrite, cette aide de l'État s'est élevée à 8.689.000 F pour chacune des années 1953 et 1954.
  2. (retour)↑  En échange de ce service, la ville de Tours logeait, éclairait, chauffait la Bibliothèque centrale de prêt.
  3. (retour)↑  Le tableau ci-dessous permet de le constater
  4. (retour)↑  Pour préparer cette réunion le questionnaire suivant avait été adressé le 1er octobre aux directeurs :
    a) Estimez-vous suffisant le nombre d'ouvrages déposés à chaque livraison?
    b) Souhaiteriez-vous en voir augmenter le nombre, quitte à voir baisser la fréquence des passages?
    c) Quelles catégories désireriez-vous recevoir en plus grand nombre : albums pour les tout-petits, albums pour les grands, contes et légendes, romans d'aventures, romans « de caractère », documentaires.
    d) Le niveau des livres vous paraît-il adapté à l'âge mental des enfants?
    e) Quelles sont vos critiques et vos suggestions?
  5. (retour)↑  Les livres cédés par les bibliothèques scolaires étaient à la fois vieillis et fatigués ; les prêter plus longtemps aux enfants aurait détourné ceux-ci de la lecture : leur remplacement s'imposait. D'autre part, la section enfantine de la bibliothèque municipale serait ouverte en même temps que circulerait le bibliobus scolaire ; les ouvrages devaient être assez nombreux pour satisfaire les lecteurs de ces deux services. Des achats très importants furent possibles grâce aux crédits de dommages de guerre destinés à la reconstitution des collections de la bibliothèque détruite en 1940; une telle utilisation était normale puisqu'en 1937 M. Collon avait créé une section enfantine.
  6. (retour)↑  Cf. l'article remarquablement documenté de notre collègue P. Vaillant, conservateur de la Bibliothèque municipale de Grenoble, in : B. Bibl. France, 1re année, n° 3, mars 1956, p. 176, note 2. A raison de 100 enfants servis en une heure, il eût fallu 70 heures, sans compter les déplacements d'une école à l'autre, soit plus de trois semaines. Or, trois semaines apparaissaient la cadence optimum de passage. Un volant d'extension devait être ménagé : l'effectif s'accroissait de 953 élèves en 1956, il croîtrait encore pendant quelques années, l'allongement de la scolarité ajoutant ses effets à une importante natalité. Le circuit devait donc s'effectuer en deux semaines et deux jours, au début du moins.
  7. (retour)↑  Emplacement des passages de roues, de la porte latérale, des trappes de visite, etc...
  8. (retour)↑  Quatre batteries de 6 volts, 150 ampères; si le démarreur fonctionne sur 24 volts, l'éclairage n'utilise que 12 volts.
  9. (retour)↑  C'est la hauteur des lunettes du car qui éclairent le bureau; la place de la cloison à 0,87 m d'écartement de la paroi du car était imposée par la présence dans le plancher d'une trappe de visite du pont arrière et des freins.
  10. (retour)↑  Deux plafonniers ronds à l'arrière, un au-dessus du bureau un au-dessus de la porte d'entrée; les deux plafonniers longs, plus puissants puisque munis chacun de deux ampoules, éclairent l'avant; l'ampérage total des batteries permet d'éclairer 3 h par jour pendant une semaine sans avoir à recharger.
  11. (retour)↑  Chaque radiateur « Pain » chauffe 20 m3. J'ai estimé préférable d'avoir trois points fixes de rayonnement plutôt qu'un seul important donc plus encombrant. Les deux bouteilles permettent d'assurer un chauffage continu, le passage de l'alimentation d'une bouteille à l'autre se faisant par un inverseur; l'échange des bouteilles est facilité par la possibilité d'enlever les tablettes. L'installation a été réalisée par le chauffeur du « bibliocar ».
  12. (retour)↑  L'un, à eau diffusée, est accroché à un montant de rayonnage, proche le bureau; l'autre est fixé dans la cabine.
  13. (retour)↑  L'approvisionnement en cours de route pendant le premier circuit n'a donné lieu à aucune difficulté : à chaque retour au garage les rayons étaient regarnis. Lorsqu'aura lieu le dernier circuit, avant les vacances d'été, qui sera un circuit de ramassage, les rayons du « bibliocar » seront au contraire vidés à chaque retour au garage. Cela impose un magasin spécial, permettant l'entrepôt en été des ouvrages destinés spécialement au bibliobus; le récolement annuel, le contrôle' de l'état matériel des livres, les changements de cote qui s'avèrent nécessaires, pourront avoir lieu sans qu'il y ait confusion avec les ouvrages de la section enfantine stable de la bibliothèque municipale et sans en gêner le fonctionnement. Bien entendu, il n'y a pas de cloison étanche entre ces collections toutes destinées aux enfants; cette méthode a simplement pour but de faciliter les opérations matérielles indispensables.
  14. (retour)↑  Statistiques du bibliobus scolaire. Livres pour enfants, 1956-1957 :
  15. (retour)↑  En quelques phrases très simples adressées aux élèves avant qu'ils ne pénètrent pour la première fois dans le « bibliocar», j'expliquais le fonctionnement du prêt en attirant essentiellement leur attention sur trois points : soigner et respecter les livres qu'ils allaient emprunter; réfléchir à l'avance sur ce qu'ils allaient choisir pour éviter les hésitations et les incertitudes et opérer un choix convenant à leurs goûts; se rappeler le livre choisi et le rapporter au maître la veille de l'échange. Deux mois plus tard le sujet suivant ayant été proposé à une classe « La visite du bibliocar », j'ai été frappé de constater que tous mentionnaient le soin à apporter aux livres.
  16. (retour)↑  Les chiffres du tableau statistique sont donc à considérer en tenant compte de ces indications, puisqu'ils expriment les sorties du « bibliocar ».
  17. (retour)↑  Quelles sont les conditions de viabilité, d'utilisation rationnelle du « bibliocar » scolaire? Dans les villes de 45.000 à 100.000 habitants il conviendra parfaitement; de 45.000 à 60.000 il pourra être à la fois urbain et scolaire; de 60.000 à 100.000 il doit être spécialisé. Au-delà, il se révélera insuffisant et il faudrait alors opter entre les annexes et la multiplication des « bibliocars ». Si pour les adultes les annexes de plein temps sont la meilleure formule; pour les enfants, le « bibliocar » complétant la section jeunesse me paraît préférable.