La « librairie » du chapitre de Noyon et l'architecture des bibliothèques françaises à la fin du Moyen âge
La découverte de l'imprimerie, qui ne modifia guère le rythme d'accroissement des bibliothèques pendant la seconde moitié du xve siècle, commença à produire ses effets à l'aube du XVIe siècle. Mais, de même que le livre imprimé garda longtemps l'aspect du livre manuscrit, de même l'aménagement des bibliothèques resta longtemps celui des bibliothèques médiévales. Il en subsiste, hélas, très peu de vestiges, car le développement du livre à la fin du XVIe et au XVIIe siècle bouleversa les anciennes « librairies » et le vandalisme du XIXe siècle fit disparaître la plupart d'entre elles.
On a souvent dit, sur la foi de la Grande Encyclopédie de Lamirault et du Dictionnaire de l'Académie des beaux-arts de 1868, qu'il n'existait plus que « deux bibliothèques du Moyen âge conservées en France... à Paris dans l'enceinte de l'École polytechnique, la bibliothèque du collège de Navarre... et à Noyon, la bibliothèque du Chapitre » 1.
La bibliothèque du Collège de Navarre ayant été détruite en 1875, Noyon serait donc un spécimen unique en France. Cette vue, un peu sommaire, a été corrigée, dès 1901, par le beau livre de Clark 2, l'historien des bibliothèques anglaises, fort averti de tout ce qui touche les bibliothèques françaises et italiennes, qui cite Bayeux et Rouen, mais qui ne mentionne ni la Chaise-Dieu, ni Senlis. Camille Enlart qui a consacré un chapitre à l'architecture des bibliothèques du Moyen âge 3 ignore aussi bien Bayeux et Bourges que la Chaise-Dieu et il cite inexactement la bibliothèque de Troyes comme étant conservée à notre époque. Nous espérons étendre nos recherches sur les bibliothèques anciennes et nous remercions, pour cette étude préliminaire, tous ceux qui nous ont donné d'utiles indications, et tout d'abord M. Marcel Aubert, membre de l'Institut, M. Vergnet-Ruiz, inspecteur général des Musées, M. le doyen Grand, curé de la Chaise-Dieu, Mlle Bertrand, bibliothécaire de Bayeux, Mlle Bibolet, bibliothécaire de Troyes, M. Jenny, bibliothécaire de Bourges, M. Matherat, bibliothécaire de Compiègne, M. Vincant, bibliothécaire de Noyon, Mlle Mallein, bibliothécaire au Service technique de la Direction des bibliothèques.
L'occasion de cet article et son principal objet sont de rendre hommage au remarquable effort de la ville de Noyon pour restaurer ce témoin du passé qui est un joyau d'architecture et, depuis qu'on y a replacé l'Evangéliaire de Morienval, un reliquaire. Elle est, avec ses quatre cent cinquante ans d'âge, sinon la plus ancienne bibliothèque de France, du moins la plus ancienne de celles qui présentent le caractère d'une bibliothèque publique. Elle est surtout la mieux conservée et la mieux mise en valeur.
A Paris, nul n'a protesté en 1875 contre la sauvage destruction de la bibliothèque du Collège de Navarre, et nous acceptons que la plus belle bibliothèque du XVIIIe siècle, le chef-d'œuvre mutilé de La Guépière et de Restout, serve de dortoir et de débarras au lycée Henri IV. A Reims, le magnifique vaisseau de la bibliothèque des Jésuites, rival de celui de Sainte-Geneviève, est menacé. A Clermont-Ferrand, les incomparables boiseries de la bibliothèque Massillon restent inutilisées dans un grenier 4. La bibliothèque de la Chaise-Dieu, sœur aînée de Noyon, est coupée en deux par une cloison : d'un côté la Justice de paix, de l'autre la Fanfare municipale!
A Noyon, au contraire, sous l'impulsion d'un maire passionné pour les beautés architecturales de sa cité, le colonel Granthomme, grâce au talent de l'architecte des Monuments historiques, M. Legendre, et au goût d'une jeune bibliothécaire envoyée en mission par la Direction, Mlle Giteau, une œuvre complète de restauration, de mise en valeur et de reclassement des collections a été accomplie.
Renvoyant, en ce qui concerne les collections, à l'excellent petit catalogue rédigé par Mlle Giteau pour le 450e anniversaire de la bibliothèque 5, nous parlerons ici seulement de l'architecture du bâtiment, en décrivant sommairement l'aspect qu'il offre aujourd'hui, en analysant les particularités qu'il présente et en tentant de le situer parmi les autres bibliothèques de la même époque.
Dans le prolongement du croisillon nord de la cathédrale de Noyon, la bibliothèque du Chapitre occupe l'unique étage d'un bâtiment rectangulaire, de 23 mètres sur 5 (fig. 5), reposant au rez-de-chaussée sur une double rangée de dix piliers de bois. Nous devrions dire, en termes de charpente, « poteaux », mais les poteaux, dans une construction de cette époque, sont généralement enchassés dans le hourdis, et le terme « piliers » évoque mieux l'aspect de ces supports isolés.
Les piliers, dont la base s'appuie sur un socle continu en pierre, supportent les poutres dont on peut admirer sur la vue intérieure (fig. 4) la masse puissante. Selon le système d'encorbellement du Moyen âge, ces poutres font elles-mêmes saillie à l'extérieur, pour épauler en porte-à-faux les sablières, sur lesquelles prend appui le colombage de la façade (fig. 3). Ce jeu d'équilibre est complété, au sommet des piliers, par deux « liens » latéraux qui soulagent les sablières et par un « pige âtre » reliant l'extrémité de la poutre au pilier. Comme dans beaucoup de constructions de la même époque, les pigeâtres sont ornés d'écussons qui ont été bûchés à la Révolution. On distingue encore sur celui que nous reproduisons (fig. 3) une feuille de chêne et ailleurs une statuette et trois fleurs de lis.
La face orientale du premier étage est percée de neuf fenêtres régulièrement espacées. La face ouest est aveugle, ainsi que le pignon sud, en colombage et torchis. Le pignon nord, en pierres de taille, qui donne sur la place Corbault, a été ajouté à la construction primitive, sur laquelle il forme saillie. De style classique, il est percé, au rez-de-chaussée, d'une porte donnant accès à l'escalier de la bibliothèque et orné au premier étage d'une niche dégarnie de sa statue. La toiture est percée, sur chaque face, de quatre petites lucarnes.
En montant au premier étage, on trouve une première pièce, tapissée de rayonnages protégés par des portes grillagées. Une porte vitrée donne accès à la grande salle, garnie sur toute sa hauteur de rayonnages muraux encadrés par des boiseries très sobres, sur lesquelles nous reviendrons.
Quelles données historiques possède-t-on sur la construction de ce charmant édifice? Il en est peu, de cette époque, pour lesquels on soit renseigné avec plus de précision. Non seulement on connaît l'année de la construction, mais on croit assister aux délibérations des chanoines : un premier projet datait de 1422. Les malheurs de la guerre de Cent ans ne permirent pas d'y donner suite immédiatement. C'est sous le règne de Charles VIII qu'il fut repris dans cette période d'euphorie et d'expansion qui marque l'aube du XVIe siècle :
« Le 16e jour de novembre au dit an (1506) l'affaire de la librairie se remet sus. Le sieur doyen offre cent francs 6 pour cette œuvre. Ordonné qu'il sera advisé du lieu. Et le 20e jour de novembre, ouy le maistre de fabrique et commissaires à ce députez, fut arrestée la place le long de l'allée qui meine à l'église de la porte Corbault, et, à cet effet, sera tiré le bois à ce nécessaire de nos forests, et se fera la dite librairie suivant le pourtrait ou patron exhibé au Chapitre le sixiesme jour de mars 1506 ».
1506, c'est l'année même où fut terminée la bibliothèque du Collège de Navarre. Notons aussi, dès maintenant, la concordance de date avec deux autres bibliothèques sur lesquelles nous reviendrons tout à l'heure, la bibliothèque de Clairvaux, commencée en 1495 et terminée en 1503, celle des Augustins de Saint-Victor de Paris, construite entre 1501 et 1508.
La grande originalité de la bibliothèque du Chapitre, qui frappe tous les visiteurs et qui mérite de retenir d'abord l'attention, c'est la silhouette aérienne de l'édifice, dont le premier étage repose sur des piliers que ne relie aucun hourdis, le rez-de-chaussée constituant une sorte de préau.
Selon une tradition locale 7, ce rez-de-chaussée « formait une halle où des marchands venaient s'installer à certaines époques ». Bien qu'aucun texte ancien ne confirme une telle utilisation, elle est fort vraisemblable, tant était rare l'espace libre dans une ville du Moyen âge. Mais rien ne prouve que ce but utilitaire ait été recherché par l'architecte. N'est-ce-pas, au contraire, l'existence de cet abri qui a fait naître ultérieurement un marché couvert? Pour expliquer cette disposition, je retiendrais plus volontiers l'hypothèse de Clark qui l'attribue au désir d'assurer un local sec pour la conservation des livres 8. Selon cet auteur 9, la même disposition aurait existé à la bibliothèque de Lichfield, construite entre 1489 et 1493 et démolie en 1757. Le plan de cet édifice a été conservé et publié quelques années après sa destruction dans l'History and antiquities of Staffordshire, de Stebbing Shamm, 1798, t. II, p. 244.
La similitude entre les deux plans est absolument extraordinaire. Même dimensions (20 m sur 5), mêmes percements (9 fenêtres au lieu de 8 à Lichfield), même position par rapport au transept (en inversant le plan, Lichfield étant dans le prolongement du croisillon sud au lieu du croisillon nord), même écartement de quelques mètres entre l'extrémité du transept et la bibliothèque, même accès du côté le plus voisin de la cathédrale (modifié ultérieurement, nous l'avons vu à Noyon).
Si l'on ne connaît pas d'autre exemple de bibliothèque sur piliers à cette époque, en revanche, on constate que la plupart des bibliothèques construites au xve siècle et au début du XVIe siècle l'ont été au premier étage et qu'elles ont été placées en dessus d'une galerie du cloître ou à proximité immédiate de celui-ci. Les piliers de Noyon sont l'aboutissement d'une évolution dont il est permis, semble-t-il, de dégager comme il suit des grandes lignes :
Tant que les manuscrits furent en très petit nombre, on se contenta de les conserver dans les « armeria » des cloîtres, telles que les a décrites M. Marcel Aubert 10 pour les monastères cisterciens du XIIe siècle. Lorsque les collections s'accrurent, on aménagea au-dessus duscriptorium une galerie au premier étage du cloître, généralement sur le flanc de l'église, comme on le voit, par exemple, à Saint-Germain-des-Prés, sur le plan de 1687 11. De cette disposition, il subsiste encore aujourd'hui (sans parler des bibliothèques anglaises de Lincoln, Salisbury, S. Paul et Wells) un parfait exemple à la Chaise-Dieu 12. La galerie du cloître au-dessus de laquelle a été construite la bibliothèque est accolée au flanc nord de l'église. Les deux premières travées du cloître, vers l'ouest, sont à rez-de-chaussée seulement. Les six autres comportent un étage destiné à la bibliothèque (fig. 1) comme à la bibliothèque de la cathédrale de Salisbury 13 où une partie seulement de la galerie du cloître a été surélevée pour y abriter les livres. Les dimensions de la bibliothèque de la Chaise-Dieu (24,60 m sur 4,80 m) sont les mêmes qu'à Noyon (23 m sur 5 m). La salle, voûtée d'ogives, mesure 4 mètres de hauteur sous clef de voûte. Elle est datée par les armoiries de l'abbé Ayraud de Chanac (1377-1420) qui ornent quatre clefs de voûte et que l'on retrouve dans la galerie du cloître au-dessous. La construction de la bibliothèque était donc prévue dans le plan initial. M. l'abbé Grand, doyen de la Chaise-Dieu, nous signale une particularité intéressante : deux des embrasures de fenêtres comportent un siège taillé dans la pierre pour la consultation des livres en bonne lumière.
Dans deux abbayes dont la bibliothèque avait une importance exceptionnelle, Clairvaux et Citeaux 14, on construisit un second cloître, dit cloître des copistes et de la bibliothèque, et la bibliothèque fut édifiée au-dessus d'une galerie de ce cloître.
C'est encore dans le cloître, non plus au-dessus d'une galerie, mais dans un bâtiment spécial, au milieu du cloître, partageant celui-ci en deux petites cours, que les chanoines de Bayeux élevèrent leur bibliothèque en 1436. Le bâtiment, très défiguré, existe encore. Comme l'a écrit le chanoine Deslandes 15, « le rez-de-chaussée, où est installé maintenant le musée lapidaire de la cathédrale, paraît avoir toujours servi de magasin pour les réserves de plomb et de verre nécessaires à l'entretien de la cathédrale (compte du fabricier, 1482, réparation de vitraux), le premier étage, comprenant un seul et unique appartement, étant alors destiné à la conservation des livres ». La bibliothèque de Bayeux, construite en pierres de taille, mesure 13 mètres sur 7. Elle était éclairée primitivement à l'est et à l'ouest par 5 fenêtres hautes et étroites mesurant environ 0,80 m de large. Trois fenêtres également s'ouvraient au nord, la partie sud étant percée d'une porte donnant sur un escalier. Les fenêtres nord ont été conservées intactes, avec leur meneau horizontal. Les autres fenêtres ont été murées et remplacées par trois baies plus larges de chaque côté, mais il en reste encore des traces. Si l'extérieur a perdu tout caractère, en revanche l'intérieur a conservé une magnifique charpente, en chêne, trois grosses poutres soutenant la carène lambrissée, comparable à celles de la cathédrale de Lincoln et des collèges de Merton et de Corpus Christi à Oxford. Les rayonnages à livres, qui datent du début du XIXe siècle, renferment encore une partie de la bibliothèque du Chapitre.
A Rouen, tous les visiteurs de la cathédrale connaissent l'admirable « escalier de la Librairie », au fond du croisillon nord, construit par Guillaume Pontifs en 1479 pour donner accès à la bibliothèque du Chapitre en bordure du cloître, entre son aile orientale et la cour qui précède le portail nord du transept. Le bâtiment ne mesure pas moins de 35 mètres de long sur 8 de large. Il est éclairé par deux fenêtres au nord et à l'est par cinq baies exceptionnellement hautes et larges, divisées chacune par deux meneaux verticaux et séparées par des contreforts ornés de gâbles. Il ne reste aucune trace des dispositions intérieures anciennes.
A Beauvais, le cloître a été surélevé sur une partie de la galerie occidentale, dans la première moitié du XVIe siècle, sans doute pour abriter la bibliothèque du Chapitre. L'escalier est placé au fond du croisillon nord, comme à Rouen, et les fenêtres de la salle du premier étage sont orientées à l'ouest.
Les exemples que nous avons examinés jusqu'ici sont tirés d'abbayes ou de cathédrales. Il est donc naturel que la bibliothèque soit, en quelque sorte, intégrée au cloître. Mais le terme de comparaison auquel nous arrivons maintenant, intéressant par suite de la similitude de date, n'est plus une bibliothèque monastique ou capitulaire, c'est une bibliothèque que l'on pourrait dire universitaire, la bibliothèque du Collège de Navarre. L'on dispose de ressources matérielles considérables et la bibliothèque sera beaucoup plus vaste qu'à Noyon. C'est le célèbre chancelier Raulin qui a commencé les travaux; Charles VIII accorde, en 1496, 2.400 livres pour les poursuivre et ils se terminent en 1506. La statue du roi ornera le pignon oriental et la statue de la reine de Navarre, fondatrice du collège en 1304, le pignon occidental de la bibliothèque.
Bien loin d'innover dans cet opulent collège, les architectes ordonnent leurs constructions autour d'un cloître 16 : au nord la chapelle, à l'est le bâtiment destiné aux étudiants, au sud la bibliothèque, qui n'est pas exactement adossée au cloître, mais séparée de celui-ci par une cour intérieure. Là aussi, elle occupe le premier étage. Elle mesure 36 mètres sur 10 et est éclairée, au nord et au sud, par une série de 19 baies très rapprochées. Les linteaux de pierre qui séparaient ces fenêtres étant étroits, on devait jouir, à l'intérieur, d'un éclairage excellent, nécessaire puisque le mobilier ne comportait pas moins de 28 de ces « pupitres » sur lesquels nous reviendrons tout à l'heure.
La bibliothèque du Collège de Navarre, démolie en 1875, nous est connue par des photographies 17. Celle des Cordeliers de Troyes, qui date de la seconde moitié du xve siècle et qui disparut en 1835, peut être étudiée d'une manière presque aussi sûre grâce à des documents inocographiques qui ont figuré, en 1951, à l'exposition du tricentenaire de la Bibliothèque municipale de Troyes 3.
Celle-ci, en effet, a pour origine la donation du troyen Jacques Hennequin, professeur de théologie à la Sorbonne, qui légua aux Cordeliers les 3.987 ouvrages de sa collection, sous réserve d'admettre le public à les consulter, trois jours par semaine. Sur un plan daté de 1769 18, figure le bâtiment de la bibliothèque, perpendiculairement au cloître. Le rez-de-chaussée est occupé par une chapelle éclairée par de larges baies au remplage flamboyant. Le premier étage, mesurant 26 mètres sur 6, constituait la bibliothèque, divisée en cinq travées et éclairée par dix fenêtres de chaque côté, deux croisées de forme carrée par travée, sauf à la travée centrale où les fenêtres étaient en arc brisé et séparées par une croix ornée.
Cette bibliothèque est donc absolument conforme par son implantation, par son élévation, par ses dimensions, par l'écartement et le nombre de ses ouvertures, à ce que nous appellerions aujourd'hui les « normes » de la construction d'une bibliothèque à la fin du Moyen âge. Nous verrons tout à l'heure que son mobilier y répond également. Mais ces règles auxquelles obéissent la plupart des bibliothèques que nous connaissons n'étaient pas absolues. La place dont on disposait et la configuration des bâtiments voisins pouvaient, à titre exceptionnel, les modifier. C'est ainsi qu'à Troyes même, le Chapitre de la cathédrale construisit, de 1477 à 1479, une salle au rez-de-chaussée, presque carrée, de 9 mètres sur 8, dont les voûtes retombaient sur un pilier central 19. A Bourges 20, on peut encore visiter la bibliothèque, construite par l'archevêque Jean Cœur (1446-1483), fils du célèbre argentier, au-dessus de la sacristie, sur le flanc nord de la cathédrale. Voûtée de deux croisées d'ogives, elle mesure environ 7 mètres sur 10. Elle est éclairée à l'est et à l'ouest par deux fenêtres, au nord par un très large fenestrage. Les dimensions étant insuffisantes au XVIIIe siècle, à la suite de donations importantes, les livres du Chapitre furent transférés à l'Archevêché.
Après le plan et l'élévation, examinons le matériau employé. Selon Clark « This library (Noyon) is, so far as 1 know, an unique specimen of a library built wholly of wood, supported on wooden pillars » 21. Le bois a été choisi sans doute parce qu'il était facile et économique de « le tirer de nos forêts » comme le dit le texte précédemment cité. Mais la région de Noyon n'est pas la seule région boisée de France. La Normandie, elle aussi, avait de grandes forêts, aujourd'hui domaine de l'État et jadis richesses des abbayes et cathédrales. Aussi n'est-il pas surprenant que les chanoines de la cathédrale de Rouen aient eu la même idée - trente ans plus tôt - que ceux de Noyon. En 1477, ils décidèrent d'employer « bona et grossa... ligna » dans la bibliothèque qu'ils devaient construire. En fait, c'est la pierre qui fut adoptée.
Une enquête plus approfondie permettrait sans doute de trouver d'autres exemples de bibliothèques en bois à cette époque. Citons au moins celle du Chapitre de Senlis, devant le croisillon nord de la cathédrale (c'est-à-dire sur le même emplacement qu'à Noyon) et qui fut élevée en 1528 par les soins du chanoine Desprez 22. C'est un modeste édifice en colombage, moins élégant que celui de Noyon. Il ne reste rien, à l'intérieur, des dispositions primitives du premier étage qui abritait jadis d'admirables manuscrits, notamment le Sacramentaire de Saint-Grégoire, aujourd'hui conservé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève.
On accédait primitivement à la bibliothèque de Noyon par l'extrêmité sud du bâtiment, c'est-à-dire vers la cathédrale. Jusqu'à 1875, la bibliothèque se prolongeait de ce côté par un petit corps de bâtiment 23 assurant la jonction avec la Salle du Trésor, à l'extrémité du croisillon nord de la cathédrale. Rappelons, s'il en est besoin, que la cathédrale de Noyon a un plan tréflé et que le croisillon nord se termine par un chevet arrondi. Le portail, au lieu d'être situé au fond du croisillon, s'ouvre sur son flanc est. Le croisillon nord est enrobé par la sacristie et par le Trésor que prolonge la bibliothèque, une petite cour intérieure séparant celle-ci de la sacristie. Le maître d'œuvre de 1506, qui a eu le soin d'élever la bibliothèque sur piliers, s'est bien gardé de l'exposer à l'humidité de l'ouest et il n'a percé aucune ouverture sur la petite cour de ce côté, les neuf fenêtres prenant jour sur l'est, ce qui est sans inconvénient pour l'éclairage puisque la largeur ne dépasse pas cinq mètres.
Les Archives des monuments historiques possèdent un plan daté du 1er juin 1875, dressé par l'architecte Selmersheim, accompagné d'un projet de restauration du pignon sud qui, heureusement, n'a pas été exécuté, car il eût entraîné la mutilation de la première travée de l'édifice de ce côté, un pignon en pierres de taille, avec cheminée, dans un style renouvelé de Viollet-le-Duc, se substituant au colombage ancien.
Si ce pignon pseudo-gothique n'a pas été exécuté, le pignon opposé, du côté nord, avait été antérieurement transformé vers la fin du XVIIe siècle. Le colombage de cette façade, en bordure sur la rue menant à la porte Corbault, a été remplacé par la pierre de taille. La porte et deux petites fenêtres au premier étage, de part et d'autre d'une niche, sont de style classique. La porte ouvre sur un escalier qui communique avec la salle du premier étage, dont il est l'unique accès aujourd'hui.
A une date que l'on ne saurait préciser, le préau du rez-de-chaussée a été coupé dans toute sa longueur par un mur de soutènement, épais d'environ 80 centimètres, destiné à consolider le plancher du premier étage, les piliers primitifs étant trop frêles (fig. 2). Chose curieuse, ce mur de 20 mètres sur toute la longueur nord-sud, n'est pas construit au milieu, mais aux deux-tiers de la largeur, sans doute pour soulager le point précis où l'on avait constaté un fléchissement des poutres.
Les piliers du rez-de-chaussée, qui ont retrouvé aujourd'hui toute leur élégance, ont subi au cours du XIXe siècle une bien fâcheuse altération qu'ont enregistrée les premières photographies de l'édifice (fig. 3) : « Par mesure de sécurité et de décence publique - déclare le président du Comité archéologique et historique de Noyon dans une communication du 19 mai 1886 - l'entre-deux des piliers en charpente a dû être muré. » Ce vandalisme pudique (que craignait-on sous les piliers de notre vieille bibliothèque?) était tout simplement désastreux et les dommages, d'ailleurs légers, subis pendant la guerre de 1914 donnèrent l'occasion d'y remédier. Il fallut en même temps consolider le pignon nord et refaire la toiture. On lui garda sa ligne si pure, mais on réduisit le nombre des lucarnes de moitié, alors que, primitivement, elles correspondaient exactement aux fenêtres du premier étage.
A l'intérieur de la bibliothèque du Chapitre de Noyon, on trouve aujourd'hui des rayonnages muraux du XVIIe siècle. Tout différent était l'aspect primitif.
Lorsque le maître d'œuvre de Noyon « exhiba », en 1506, aux chanoines le « pourtrait ou patron » de la future bibliothèque, comme un architecte de nos jours présente ses plans à notre service technique, il s'inspirait, de toute évidence, de ce que nous appellerions aujourd'hui un « programme ». Quels étaient les besoins prévisibles, à l'aube du XVIe siècle, pour une bibliothèque de chanoines? Nous comptons maintenant en dizaines ou en centaines de milliers de volumes. Au début du XVIe siècle, il ne s'agissait pas de loger des milliers de volumes, mais quelques centaines, parfois moins de cent volumes.
Le premier catalogue de la bibliothèque de Noyon, conservé aux Archives de l'Oise, peut être daté de 1220 environ. Il énumère très exactement 19 ouvrages en 45 volumes dont les deux plus anciens ont été offerts respectivement en 997 et en 1098 24.
Au cours des deux siècles suivants, au XIVe et au xve siècles, l'entrée d'un nouveau manuscrit sur les rayons d'une bibliothèque est un événement considérable que les Chroniques ou les Annales, fort précises pour le Noyon du Moyen âge, enregistrent avec soin. Les principales donations furent en 1417 les six volumes constituant la bibliothèque du chanoine Guillaume de Camba, évalués à la somme énorme de 200 F. En 1422, l'évêque Raoul de Coucy offre un cours de droit civil en cinq volumes, à charge (selon les Annales de Levasseur) de faire construire une bibliothèque de la cathédrale. Dans la seconde moitié du xve siècle, on trouve encore mention d'une Bible manuscrite offerte par l'évêque Jean de Mailly.
En dehors des manuscrits, la bibliothèque de Noyon devait posséder, en 1506, des livres imprimés, mais en moins grand nombre qu'on ne pourrait l'imaginer au premier abord. Une bibliothèque de chapitre n'avait pas de crédits d'achat de livres et elle se contentait de dons. L'enrichissement des bibliothèques de collectivité était donc en corrélation étroite avec la composition des bibliothèques privées. Or la récente enquête de M. Doucet 25 portant sur 194 inventaires de bibliothèques, de 1493 à 1560, établit que c'est seulement à partir de 1520 que la « concurrence des imprimés » se fait sentir dans les bibliothèques privées et que le nombre des imprimés dépasse celui des manuscrits. Les livres imprimés coûtaient d'ailleurs fort cher au xve siècle et leur entrée dans une bibliothèque était enregistrée comme un événement important 26.
Si la toute petite collection de livres 27 des chanoines de Noyon avait été placée dans des rayonnages muraux, tels que ceux que nous voyons aujourd'hui, à peine ces ouvrages auraient-ils garni deux ou trois travées. Mais il est démontré qu'en 1506 l'idée de ranger ainsi les livres ne pouvait encore venir à l'esprit. Il fallut le développement de l'imprimerie au milieu du XVIe siècle pour gonfler les collections et imposer la nécessité d'une telle formule, dont le premier exemple, à l'Escorial, date de 1563.
Au début du XVIe siècle, on plaçait les livres d'une bibliothèque sur des pupitres, comme on le voit encore aujourd'hui dans certaines bibliothèques anglaises ou italiennes, par exemple à Trinity Hall, à la cathédrale de Lincoln, à Cesena et à la Laurentienne de Florence. Ce n'est pas le livre que l'on déplaçait, mais le lecteur qui se déplaçait pour venir s'asseoir devant le livre. Ce type de mobilier de bibliothèques a été baptisé par Clark le « lectern system », par opposition au « stall system » (rayonnages en épi) et au « wall system » (rayonnages muraux).
Dans le « lectern system », le mobilier d'une bibliothèque se compose de pupitres inclinés, à double face, rangés perpendiculairement au mur, avec une ou deux étagères pour placer les livres à plat sous le pupitre. Ce meuble est flanqué, de part et d'autre, par des bancs où peuvent s'asseoir les lecteurs de chaque côté.
Que les bibliothèques françaises au xve et au début du XVIe siècle aient été équipées du même mobilier, on le savait de longue date par les descriptions anciennes, relevées par Franklin, et longuement commentées par Clark et par Streeter, en ce qui concerne notamment deux bibliothèques contemporaines de Noyon, celles de Clairvaux et des Augustins de Saint-Victor, à Paris. Mais si l'on veut en administrer une preuve matérielle, encore tangible aujourd'hui, c'est en Normandie, à Bayeux, ville restée intacte au milieu des bombardements de la dernière guerre, qu'il faut aller la chercher. Elle a été découverte par un excellent érudit, le chanoine Deslandes, rédacteur du Catalogue des manuscrits du Chapitre 28, et auteur d'une importante publication sur la cathédrale, publiée postérieurement au livre de Clark, et qui a échappé à Streeter :
« Au xve siècle, le mobilier répondait à l'architecture de la bibliothèque. Il se composait de pupitres, servant à la fois de rayons et de tables de travail, disposés, à droite et à gauche de la pièce, dans le sens de la largeur, de manière à laisser, dans le milieu, une allée donnant accès aux différents pupitres. Un des bouts de chaque pupitre donnait sur cette allée, l'autre s'appuyait contre le mur, entre les fenêtres « incipiendo versus parietem », dit l'inventaire de 1476, pour indiquer l'ordre suivi dans l'énumération des ouvrages. Sur les murs, on voit encore, à 1 m 80 de hauteur environ, les cartouches peints où était écrit le numéro du pupitre qui y correspondait. Il y avait, en 1436, cinq pupitres de chaque côté, et sept, quarante-quatre ans après, lors de l'inventaire de 1480.
« Les manuscrits étaient disposés, dans chaque pupitre, sur deux rayons, l'un plus élevé, l'autre plus bas, que l'inventaire de 1480 appelle les côtés du pupitre, « in latere superiori », « in latere inferiori ». Les volumes étaient enchaînés; les commissaires de 1436 nous avertissent que leur catalogue suit l'ordre des chaînes « designantur secundum ordinem catenarum »; un des bouts de la chaîne était fixé à une tringle transversale et l'autre retenu par une ferrure rivée dans la reliure du manuscrit; ces chaînes étaient assez longues pour que l'on pût retirer le volume de son rayon et l'étendre sur la tablette du pupitre, quand on voulait le consulter. Les commissaires trouvèrent, en 1480, deux manuscrits ainsi sortis de leur rayon, qu'ils décrivent de la manière suivante : « Item in dicto pulpito, in virga inferiori, super mensa ejusdem pulpiti, reposita sunt alia duo volumina magna, in papiro, fratris Rainerii de Pisis, ordinis Predicatorum, que intitulantur Pantheologia, in quibus proceditur secundum ordinem alphabeti. »
« Les indications ne sont pas assez précises pour que nous nous fassions une idée exacte du genre de pupitre adopté à Bayeux; nous voyons que, même en 1436, ils étaient composés de deux rayons, le premier pupitre ne comprenait alors que 13 volumes, alors que les autres en recevaient de 20 à 30. Les commissaires nous font entendre qu'ils étaient tous dans le rayon du haut, « in pulpito primo superiori ».Mais ces rayons n'étaient probablement pas superposés, l'inventaire de 1480 remplace une fois le mot superior par anterior, soit que le rayon plus élevé fût plus près du lecteur et l'inférieur plus enfoncé, afin que les livres ne soient pas froissés par les pieds, soit que l'un fût devant le pupitre, en face du lecteur, l'autre sous le pupitre. Ces deux types paraissent avoir été en usage 29. »
Cette numérotation des pupitres, reportée sur le mur, qui constitue la particularité tout à fait remarquable, et peut-être unique aujourd'hui, de Bayeux est celle qui figure sur les inventaires de bibliothèques du Moyen âge. Si les cartouches de la bibliothèque de Bayeux ont échappé à toutes les causes de destruction et aux badigeonnages qui les ont sans doute fait disparaître ailleurs, c'est qu'ils sont protégés par les boiseries des rayonnages muraux. On les découvre dans de faux placards derrière les étagères à livres.
Dans son étude très minutieuse qui complète celle de Clark, Streeter a relevé les dimensions des pupitres et remarqué qu'ils venaient le plus souvent se placer entre deux fenêtres. La caractéristique des constructions faites en fonction de ce mobilier est l'espacement régulier des fenêtres, la distance du centre de l'une au centre de l'autre, correspondant à cet entre-axe, étant d'un peu plus de 7 pieds (soit 2,50 m) à Queen's College de Cambridge et dans trois collèges d'Oxford, New College, Trinity et Balliol. Or la bibliothèque du Chapitre de Noyon qui mesure 23 m de long compte 9 fenêtres, ce qui fait presque exactement 2,50 m du centre de l'une au centre de l'autre. Les proportions étaient les mêmes, nous l'avons vu, aux Cordeliers de Troyes, où il y avait un pupitre numéroté par fenêtre 30.
La nécessité de loger un nombre de livres plus grand fit abandonner ce système à Noyon lors de la « restauration » de 1675. Du moins le nouveau mobilier, composé de rayonnages muraux, a-t-il beaucoup de noblesse dans sa simplicité.
Notre figure 4 rend inutile une longue description. Ajoutons cependant quelques indications et des « cotes » que nous devons à l'extrême obligeance de M. Vincant, bibliothécaire de Noyon.
Le rythme de la salle est déterminé par les énormes poutres qui la divisent en travées, mesurant très exactement, d'axe en axe des poutres, 2,54 m. Chacune des travées se compose au centre d'une fenêtre dont la partie ouvrante mesure 1,41 m de haut sur 1,01 m de large (avec le bâti, 1,57 m sur 1,21 m) et de rayonnages latéraux dont la portée est de 0,43 m. Les rayonnages sont fixes et ajustés dans de robustes montants.
La hauteur des rayonnages est de 0,48 m pour les in-folios du bas, dont la rangée se poursuit sous la fenêtre, de 0,29 m pour le second rayon, à hauteur d'appui de la fenêtre, de 0,19 m pour les six rangs supérieurs. L'épaisseur des tablettes est de 0,022 m.
Conformément à nos prescriptions actuelles, les rayonnages ne reposent pas directement sur le sol, mais ils en sont séparés par une plinthe de 0,21 m. La hauteur totale, plinthe comprise, est de 2,30 m, très proche des normes de l'AFNOR. La particularité la plus remarquable est qu'au niveau de l'appui des fenêtres, une tablette court sur toute la longueur de la salle 31. Elle forme une saillie de 0,21 m au bas des rayonnages, suffisante pour déposer des livres lors des manipulations, et de 0,54 m sous les fenêtres. La saillie de la tablette constitue ainsi, devant la fenêtre, une sorte de table de travail de 0,54 m de profondeur sur 1,40 m de largeur et 0,71 m de hauteur. Dans cette disposition originale et si heureuse (dont nous aurions intérêt à faire usage dans le mobilier des salles de lecture), nous sera-t-il permis de voir une survivance des habitudes prises par les chanoines, lorsqu'ils travaillaient sur les pupitres de l'installation primitive, devant les fenêtres, les livres à portée de la main?
Les guerres et la Révolution passèrent sur le fragile édifice de bois et ses livres sans trop les altérer, mais, danger plus redoutable peut-être pour la décoration intérieure comme pour les collections, la vieille bibliothèque du Chapitre fut érigée par le XIXe siècle en Bibliothèque municipale. Par bonheur, le rythme des acquisitions fut des plus modérés et l'ordonnance de la vieille « librairie » ne fut pas modifiée.
En fait, la bibliothèque n'était guère fréquentée que par les membres du Comité archéologique et historique de Noyon, aussi timorés que savants, à telle enseigne que leur président, M. Bécu, prononça - un peu prématurément, en 1886 - l'oraison funèbre du vieil édifice, en des termes qui méritent d'être transcrits textuellement :
« On se demandera peut-être à quoi bon cette description d'un modeste édifice, bien connu de tous nos compatriotes, et dont l'antiquité fait, à peu de chose près, tout le mérite. Sa raison d'être, si elle en a une, est dans la possibilité, on peut même dire dans la probabilité de la disparition de la vieille librairie dans un avenir qui pourrait n'être point fort éloigné. Si comme on peut le craindre, elle vient à fléchir sous le poids des ans, et à menacer ruine, les administrations seront-elles disposées à faire les frais de sa restauration? Ne seront-elles pas plutôt portées à la laisser disparaître, d'une part parce qu'il sera facile de trouver un autre emplacement pour y déposer les livres, de l'autre parce que sa suppression en dégageant la façade de la sacristie et le pignon du grand bâtiment de la porte Corbault donnerait à la place de l'abside un cachet beaucoup plus artistique et plus monumental. »
Malgré le défaitisme des érudits du XIXe siècle et leur amour des perspectives bien dégagées, on n'osa pas toucher à l'œuvre du maître de 1506 et, lorsque sur l'initiative du colonel Granthomme, maire de Noyon, la Direction des bibliothèques fut invitée, il y a quelques années, à proposer un programme, les solutions suivantes ont été adoptées :
La partie vivante de la Bibliothèque municipale est transférée au rez-de-chaussée de l'hôtel-de-ville et installée avec un modernisme de bon aloi (classement décimal, éclairage fluorescent, mobilier de chêne clair). La partie ancienne de la Bibliothèque municipale est stabilisée selon le classement de jadis. La vieille « librairie » redevient ce qu'elle était originairement, mais elle ouvre ses portes aux amateurs qui viendront des divers points de l'horizon. Ce seront - soyons ambitieux - ceux qui visitent le musée Plantin-Moretus ou la Laurentienne. La visite de la « librairie » complètera celle de la cathédrale et tous les amis des arts savent que celle-ci occupe une place éminente dans notre patrimoine national, moins peut-être pour la pureté de son style et la beauté de son chevet tréflé, que parce qu'elle a gardé toutes ses dépendances, comme une cathédrale espagnole : son cloître, sa salle capitulaire, son trésor, avec les coffres du Moyen âge où l'on renfermait les pièces les plus précieuses, enfin, ce qui est le plus rare aujourd'hui, sa bibliothèque.
Il restait à résoudre un point fort délicat : la bibliothèque du Chapitre s'est enrichie au XIXe siècle d'une relique insigne, le célèbre évangéliaire carolingien de l'abbaye, toute voisine, de Morienval. Ce manuscrit qui appartient à la ville et qui était anciennement conservé à la bibliothèque du Chapitre, comme l'atteste l'inventaire des Monuments historiques, a été, à une époque récente, déposé dans la sacristie de la cathédrale, par suite de l'état de délabrement de la bibliothèque.
Grâce à l'esprit de compréhension dont ont fait preuve nos collègues des Monuments historiques, MM. Jean Verrier et Jacques Dupont, ainsi que M. l'archiprêtre de la cathédrale, l'Évangéliaire est aujourd'hui la pièce maîtresse présentée aux visiteurs, dans une vitrine protégée par un coffre-fort 32, seule note moderne dans une restauration profondément respectueuse du passé.
On ne saurait, en effet, prendre assez de précautions pour sauvegarder cet ensemble unique, qui abrite d'austères boiseries du XVIIe siècle à l'intérieur d'un bâtiment imprégné de la charmante fantaisie du Moyen âge finissant. Nous saisissons sur le vif l'instant où les bibliothèques sortent du cloître tout en gardant les volumes d'une construction monastique (comparez nos fig. 1 et 2). A une époque où l'architecture des bibliothèques risque d'être submergée sous la masse des livres et le nombre des lecteurs, n'oublions pas la leçon de mesure et de goût que nous donnèrent les chanoines de Noyon, il y a quatre cent cinquante ans.