La bibliothèque publique et le disque

Jacqueline Chassé

L'apparition du « microsillon » et les divers perfectionnement apportés, depuis une dizaine d'années, à la technique d'enregistrement, ont fait du disque et du livre, sinon des frères ennemis, du moins des concurrents. Les libraires semblent avoir redouté cette concurrence puisque nombre d'entre eux annoncent à leur devanture l'ouverture d'un « rayon de disques ». D'autre part certaines maisons d'édition se sont mises à enregistrer des œuvres éducatives ou littéraires tandis qu'à côté des traditionnels clubs du livre sont apparus des clubs du disque.

Les bibliothèques n'ont pas suivi, du moins en France, ce mouvement et demeurent avant tout le domaine du livre. Mais, dans divers pays, le disque y a également trouvé asile depuis longtemps. Dès 1914, en effet, la bibliothèque de Saint-Paul, aux États-Unis, mettait à la disposition des écoles et des clubs une collection de disques de musique classique. En Allemagne la première discothèque fut créée à Cologne en 1930 et, en 1935, le Middlesex anglais s'engageait dans cette voie 1.

L'existence des bibliothèques musicales publiques est désormais solidement établie. Elles sont groupées en association nationale, telle la Music library association aux États-Unis, ou même internationale puisqu'en 1951 a été créée une Association internationale des bibliothèques musicales 2. Elles ont d'ailleurs eu leur place au Congrès international des bibliothèques et des centres de documentation, tenu à Bruxelles en 1955 3.

Sans doute le terme de « bibliothèques musicales » s'applique-t-il à des organismes assez différents puisqu'il désigne les départements spécialisés des grandes bibliothèques, les phonothèques musicales, les bibliothèques de la radiodiffusion, enfin les bibliothèques musicales publiques. Ces dernières, rarement autonomes, dépendent habituellement soit d'un conservatoire, soit d'une école ou d'une société de musique ou bien constituent une section d'une bibliothèque publique. Dans ce cas cette section peut ne posséder que des ouvrages de musicologie, des œuvres musicales et des partitions mais, elle peut aussi être complétée par une discothèque.

Les résultats de l'Enquête sur l'activité musicale des bibliothèques municipales françaises (faite à la demande du groupe français de l'Association internationale des bibliothèques musicales), qui avaient été publiés dans le Bulletin d'informations de la Direction des bibliothèques de France 4, ont montré que si de nombreuses bibliothèques municipales possèdent des fonds musicaux, les discothèques sont pratiquement inexistantes. Plusieurs raisons ont été données : insuffisance des locaux, manque de personnel, de crédits. Toutefois la création d'une discothèque figure au premier plan des préoccupations d'un certain nombre de bibliothécaires. Le plus souvent on n'envisage, au début, que des réalisations modestes : auditions commentées dans le cadre de la bibliothèque municipale, comme à Périgueux 5, ou constitution d'un petit fonds de disques à l'intention des enfants de l'Heure joyeuse. Rappelons aussi que le dépôt de disques pour les bibliothèques centrales de prêt avait fait l'objet d'un débat animé lors des journées d'étude de la lecture publique rurale 6.

Il semble donc que, peu à peu, on en vienne à considérer la discothèque comme le complément normal de la bibliothèque. Mais la constitution d'une discothèque soulève d'assez nombreuses difficultés. Le choix, le traitement, la conservation, la communication et, dans certains cas, le prêt des disques, autant de questions souvent traitées dans les pays où la discothèque est devenue partie intégrante de la bibliothèque. C'est donc en nous référant à l'expérience de ces pays que nous essayerons de dégager quelques-uns des principes qui doivent guider le bibliothécaire désireux de constituer une discothèque.

Le choix des disques jette souvent le simple amateur dans une grande perplexité. Que choisir dans cette production chaque jour plus abondante? Et parmi les multiples versions d'une même œuvre, qui pourra nous guider? Il conviendra donc d'établir un programme d'acquisitions avec d'autant plus de soin que le prix des disques microsillons est relativement élevé.

La composition d'une discothèque pose des problèmes que nous ne tenterons d'ailleurs pas de résoudre. Néanmoins il paraît utile de signaler certaines tendances constatées à l'étranger. En général une place prépondérante est accordée à la musique classique. La discothèque en effet rassemble en premier lieu les principales œuvres des grands musiciens et toutes les périodes de l'histoire de la musique doivent s'y trouver ordinairement représentées. Le bibliothécaire aura ensuite tout le loisir de rechercher les enregistrements d'œuvres mal connues, de musiciens joués peu fréquemment, bref de s'adonner à la discophilie.

Rares sont les bibliothèques qui collectionnent les disques de jazz ou de musique légère et ceci pour deux raisons : l'une est le caractère parfois éphémère de ce genre de musique; d'autre part on note qu'un morceau de jazz ou de musique légère n'occupe guère plus d'une face de disque. Peut-être pourrait-on formuler quelques réserves sur l'exclusion systématique de la musique de jazz. Mais il existe dans cette catégorie de nombreux disques 33 ou 45 tours de petit format (17 cm) et d'un prix abordable. Il est donc plus facile à un amateur de se les procurer 7. C'est ainsi qu'en Angleterre sur 42 bibliothèques publiques possédant une collection de disques, 3 seulement y intègrent le jazz et la musique de danse 8. Une autre raison paraît aussi s'imposer. La bibliothèque, en annexant le disque, n'a pas perdu pour autant son caractère éducatif. M. Louis Cros, dans un article de l'Almanach du disque 9, disait : « Le disque est pour l'enseignement littéraire, linguistique et musical, un outil pédagogique remarquable. » Or, de toute évidence, l'accent a été mis dans les collections réunies en Angleterre et aux États-Unis sur « l'outil pédagogique ». C'est pourquoi à côté d'enregistrements de musique classique ou de grandes collections plus spécialement destinées à l'enseignement de l'histoire de la musique (par exemple, l'Anthologie sonore), on trouvera des cours de langues étrangères, du type Linguaphone ou Assimil, des pièces de théâtre, des poésies, des disques pour enfants. Une place importante est réservée également aux disques de folklore qui viennent ainsi constituer un « fonds local » d'un genre nouveau.

Mais il ne suffit pas de se fixer un programme d'achats. Encore faut-il choisir. Pour se tenir au courant de la production phonographique, le bibliothécaire peut sans doute avoir recours aux catalogues des maisons d'enregistrement. Malheureusement ils sont peu précis et ne lui permettent pas de se faire une idée de la qualité de l'enregistrement. Tout au plus pourra-t-il se fier au renom du chef d'orchestre, des solistes ou des interprètes. Or, de même qu'il existe des bibliographies pour nous aider à repérer l'essentiel dans la masse des imprimés, une nouvelle source d'information s'est créée : la discographie. Elle s'est d'ailleurs modelée sur sa devancière : elle est soit rétrospective, soit « courante », elle signale simplement les disques mis dans le commerce ou bien donne pour chacun d'eux une appréciation sur l'interprétation et la technique de l'enregistrement.

Les discographies sont nombreuses dans les pays anglo-saxons. Pour les États-Unis, une liste commentée en a été publiée dans le Library Journal 10. Quant à la Grande-Bretagne, elle dispose depuis 1952 d'une discographie rétrospective internationale grâce à l'important ouvrage de Francis Clough et Geoffrey Cuming : World's encyclopaedia of recorded music publié à Londres 11 et qui doit être mis à jour par des suppléments.

En France, si un très grand nombre de journaux ont une chronique des disques, si certains périodiques même (Musica, par exemple) joignent à chacun de leur numéro une discographie généralement critique mais restreinte, il n'existe, à notre connaissance, qu'une seule revue qui soit véritablement une discographie courante : la revue Disques, 78, 45, 33 tours, publiée depuis 1947 sous la direction d'Armand Panigel avec l'équipe bien connue des auditeurs de l'émission radiophonique « La Tribune des critiques de disques » : José Bruyr, Antoine Goléa, Dorel Handman, Claude Rostand, etc... La production française y est signalée et analysée mais, en ce qui concerne les éditions étrangères, cette revue ne retient que les disques disponibles et d'un intérêt certain.

Cette publication est complétée par le Guide français du disque qui regroupe en diverses sections (musique classique, liste des récitals, concerts, collections diverses, variétés, etc...) tous les disques disponibles en France avec analyses ou bien renvoi aux analyses publiées dans Disques et des index des éditeurs et des diverses marques, des principaux disquaires, des interprètes. Une première édition recensait la production depuis la fin de l'année 1945 jusqu'au mois d'avril 1952. Une mise à jour en a été faite au 1er septembre 1954 12.

Il convient encore de signaler l'Almanach du disque, édité sous le patronage de l'Académie du disque français et qui paraît depuis 1951. Une série d'articles rédigés par diverses personnalités y recense les meilleurs enregistrements de l'année par genre.

Le traitement des disques n'a fait l'objet jusqu'à présent que d'études partielles 13. Il est certain qu'à la réception d'une commande, le bibliothécaire accomplit les opérations traditionnelles en usage pour les documents imprimés : vérification de la commande, enregistrement, cotation, catalogage et classement des disques. Mais ces opérations sont rendues plus délicates par la nature, la forme, le contenu des documents phonographiques.

C. David Overton 14 insiste tout particulièrement sur la nécessité d'établir des fiches de commande aussi détaillées que possible qui pourront servir de base aux travaux de catalogage et faciliteront grandement la vérification. De même que pour les livres, cette vérification porte sur l'identité et l'intégrité du disque. C'est pourquoi il est indispensable, au moment de la livraison, d'auditionner intégralement les disques afin de s'assurer qu'ils ne présentent aucune malfaçon : rayures, fêlures, mauvais pressage.

On établit, bien entendu, soit un registre, soit un fichier d'entrée inventaire. Malheureusement nous ne disposons pas actuellement de registres normalisés pour l'inscription des disques. On pourra cependant s'inspirer du modèle utilisé pour les ouvrages et pour chaque disque on portera les indications suivantes : numéro d'entrée, date d'entrée, description du disque (nom du ou des compositeurs, du ou des auteurs, titre, nom des interprètes), maison d'édition, et numéro d'enregistrement, éventuellement nombre de disques, vitesse de rotation et diamètre, origine (vendeur, donateur...), prix, cote.

Si les disques sont destinés à de simples auditions commentées dans les locaux de la bibliothèque, il suffira de les insérer dans des pochettes de papier fort (papier Kraft épais sans rugosité) avec rabat où sera apposé le timbre de la bibliothèque. L'étiquette portant la cote sera collée sur ces enveloppes, toujours au même endroit. Si le prêt est consenti soit à des collectivités, soit à des particuliers, sur chaque disque doit être portée une marque de propriété, c'est-à-dire le nom de la bibliothèque, et la cote. En Grande-Bretagne et aux États-Unis, on utilise un stylet, dont la pointe chauffée par le courant électrique grave ces indications dans la marge comprise entre l'étiquette du fabricant et les derniers sillons de l'enregistrement. Il est évident qu'une pareille opération exige le plus grand soin et par conséquent est assez longue. C'est pourquoi on se contente parfois d'encre indélébile ou d'une étiquette collée sur l'étiquette même du fabricant, en évitant toutefois de masquer les renseignements qui s'y trouvent.

On a utilisé pour le classement des disques quatre systèmes : classement numérique par ordre d'entrée, par genre, par ordre alphabétique des noms de compositeurs, par maisons d'édition. Cette dernière méthode est notamment appliquée dans les discothèques de la Radiodiffusion française et de la B. B. C. Miss Valentine Britten, gramophone librarian à la British Broadcasting Corporation 15, affirme l'excellence de ce classement et du sous-classement par numéro d'enregistrement ; chaque maison d'enregistrement ayant une méthode scientifique de numérotation, composée de préfixes et de chiffres, il lui paraît inutile d'y rien changer. D'autre part, la plupart des emprunteurs étant familiarisés avec les catalogues commerciaux, on peut craindre qu'un autre système ne jette la confusion dans leurs esprits. Toutefois ce classement qui fut essayé par plusieurs bibliothèques américaines ne semble pas avoir donné satisfaction et a été abandonné. En Grande-Bretagne 18 bibliothèques sur 42 continuent à l'utiliser 16.

Le classement par genre : musique orchestrale, musique de chambre, musique dramatique, musique sacrée, etc... a souvent rencontré la faveur des bibliothécaires. Il est surtout utilisé dans les bibliothèques où les emprunteurs ont libre accès aux rayons. Le classement par ordre alphabétique des noms d'auteurs ou de compositeurs a été notamment adopté par « the LaHache music library » (New-Orléans). La bibliothécaire fait remarquer 17 que ce système présente des difficultés de sous-classement. Mais, là encore, le public choisissant directement les disques sur les rayons, il lui est commode de savoir immédiatement quelles œuvres la bibliothèque possède de tel ou tel compositeur. D'autre part la collection n'étant pas très considérable, les déplacements exigés par l'insertion de nouvelles acquisitions peuvent être facilement effectués.

C'est là en effet l'écueil du classement alphabétique et aussi du classement par genre. Les disques ne peuvent être, comme les livres, continuellement maniés, déménagés, reclassés. Il faut au contraire réduire au strict minimum leur mouvement. C'est pourquoi dès que nous avons affaire à une importante collection, ouverte au public, un seul classement s'impose : le classement par ordre d'entrée 18, après avoir, bien entendu, établi une répartition préliminaire par vitesse de rotation et « format ». Ce classement exclut, il est vrai, l'accès aux rayons. Il nécessite, en outre, l'établissement de catalogues parfaitement rédigés, mais il prolonge à coup sûr la vie des disques.

Certes le catalogage des disques représente un travail considérable. Car, en traduisant quelque peu librement une phrase de Robert L. Collison, rien ne ressemble plus à un disque qu'un autre disque et si l'on veut éviter des recherches longues pour le personnel et néfastes pour les documents, il est indispensable d'avoir des catalogues aussi détaillés que possible.

Mais si le catalogage de la musique a été depuis le début de ce siècle souvent étudié, voici seulement une quinzaine d'années qu'on se préoccupe du catalogage des disques. Dès 1933 cependant un « Report by the Joint committee of the American library association and the Music library association » contenait des conclusions intéressantes sur cette question 19. En 1942, la Music library association publiait son Code for cataloging music où des instructions étaient données pour les disques. En 1946, cette même association et la Division of cataloging and classification de l'American library association formèrent un Joint committee on music cataloging chargé de la révision du code. Enfin la Library of congress, s'appuyant sur les études précédentes, entreprit à son tour la rédaction d'un code et publia en 1952 les Rules for descriptive cataloging in the Library of Congress. Phonorecords. Un examen approfondi des règles de catalogage dépasserait les limites de cet article. Aussi nous bornerons-nous à signaler quelques-unes des tendances suivies pour le catalogage des disques.

Si nombreuses que soient les difficultés que présente le catalogage des livres, la page de titre fournit dans bien des cas les renseignements essentiels. Il suffit parfois de feuilleter l'ouvrage pour déceler ses lacunes. Rien de comparable pour un disque; l'étiquette centrale porte souvent des indications succinctes, d'une exactitude peu rigoureuse. Un complément d'information peut être fourni par la pochette imprimée qui protège les disques microsillons ou bien encore (lorsqu'il s'agit d'albums ou de disques isolés édités notamment par des clubs de disques) par des brochures plus ou moins détaillées qui s'y trouvent insérées. Encore faudra-t-il généralement avoir recours aux ouvrages de référence et même écouter les enregistrements musicaux, partition en main, afin de les identifier, ce qui, hâtons-nous de le dire, n'est pas très fréquent.

D'autre part l'avènement du microsillon n'a pu que compliquer la tâche du catalographe puisqu'une face d'un disque 33 tours (30 cm) peut contenir six courts enregistrements. Or chaque œuvre étant considérée comme une unité, douze fiches principales devront être établies pour un seul disque. Or en 1949, à l'époque où le disque microsillon n'avait pas encore supplanté les 78 tours, un bibliothécaire américain 20 constatait qu'un album de disques nécessitait jusqu'à 53 fiches. Aussi l'expérience ayant démontré qu'un catalogue extrêmement détaillé devenait vite impraticable, les méthodes de catalogage tendent de plus en plus vers la simplification. Lovell 21 constatait avec stupéfaction que la plupart des discothèques anglaises n'avaient qu'un catalogue alphabétique des noms de compositeurs. Certains bibliothécaires affirment d'ailleurs que, pour une collection destinée au prêt, ce catalogue est bien suffisant 22. Sans tomber d'un excès dans un autre, il convient cependant de mettre en garde les bibliothécaires contre la multiplication inconsidérée des fiches de catalogue.

Margaret Dean-Smith 23 préconisait, après Miss Valentine Britten 24, l'établissement de trois catalogues alphabétiques distincts : catalogues des noms d'auteurs ou de compositeurs - des noms d'artistes - des titres. Mais l'étude des méthodes adoptées dans diverses discothèques étrangères permet de constater que l'on suit généralement pour le catalogage des disques les mêmes règles que pour les livres : fiche principale au nom du compositeur ou de l'auteur, au titre de l'œuvre anonyme, fiches secondaires au nom des solistes, chanteurs, comédiens, chefs d'orchestre, au besoin, orchestres, auteurs d'arrangement, librettistes... le tout constituant un seul catalogue auteurs-anonymes. On y joint, dans certaines bibliothèques, un fichier par genre groupant les enregistrements par grandes catégories : musique de chambre, musique symphonique, disques pour enfants, folklore, poésies, pièces de théâtre, etc.

La rédaction de la fiche principale appelle quelques remarques. Elle comprend : la vedette, le titre de l'œuvre enregistrée, la description de l'enregistrement, l'adresse bibliographique, la collation, sans oublier la cote. Si les éléments constitutifs de la fiche sont toujours les mêmes, qu'il s'agisse de disques littéraires ou de disques musicaux, les difficultés présentées par le catalogage des seconds nous obligent à établir une distinction.

D'une manière générale, lorsque la vedette est un nom de compositeur, on a pris l'habitude de joindre à ses prénoms 25, les dates de sa naissance et de sa mort. Mais la principale particularité du catalogage des disques musicaux est l'utilisation de titres conventionnels. Ainsi le « Concerto pour violon et orchestre op. 64 en mi mineur » de Mendelssohn pourra être intitulé suivant le cas : « Concerto pour violon en mi mineur op. 64 » ou bien « Concerto en mi mineur op. 64 pour violon et orchestre ». De même la « Sonate n° 9 en la majeur » de Beethoven figurera aussi bien, sur l'étiquette du disque, sous le nom plus courant de « Sonate à Kreutzer ». C'est pourquoi il appartient au bibliothécaire d'adopter un titre « normalisé » une fois pour toutes.

D'autre part, le titre est transcrit si possible dans la langue de l'œuvre originale (Ein Sommernachtsraum et non « Le songe d'une nuit d'été »). Une exception est faite toutefois pour les langues peu connues. Enfin quand nous avons à cataloguer un fragment d'une œuvre, c'est le titre de l'œuvre complète qui est indiqué en premier lieu suivi du titre particulier de l'extrait (« Damnation de Faust. Marche hongroise » et non « Marche hongroise »). En somme le titre conventionnel a pour unique but de faciliter le classement des fiches en permettant de rassembler toutes les interprétations, toutes les versions, ou tous les fragments d'une même œuvre. Bien entendu les titres rejetés feront l'objet de fiches de renvoi.

Le titre est éventuellement suivi de l'instrument pour lequel l'œuvre a été écrite, du numéro de l'œuvre, de l'opus et de la clé. A la suite figure ordinairement la description, c'est-à-dire les noms des solistes, des accompagnateurs, de l'orchestre, du chef d'orchestre. Notons toutefois que la Bibliothèque du Congrès rejette ces indications en note. L'adresse comprend le nom de la maison d'édition et le numéro d'enregistrement. La date d'édition et à plus forte raison la date de l'enregistrement n'y figurent que lorsqu'on a pu les établir avec certitude. Enfin la collation comportera le nombre de faces enregistrées, le cas échéant, le nombre d'albums, le diamètre du disque, la vitesse de rotation, parfois la durée d'audition.

En note sont indiqués : le titre de l'étiquette ou de l'album s'il diffère du titre adopté, les notes analytiques ou les brochures qui peuvent être insérées dans la pochette de l'enregistrement, les coupures qui ont pu être faites, etc... Il conviendra également de signaler brièvement les autres œuvres qui ont pu être enregistrées sur la même face ou sur le revers d'un même disque, des fiches étant établies pour chacune des œuvres enregistrées 26.

Les disques « parlés » seront sans doute plus familiers aux bibliothécaires entraînés au catalogage des livres : pièces de théâtre, poésies, textes littéraires discours politiques sont catalogués au nom de leur auteur avec fiches secondaires, s'il y a lieu, au nom des interprètes. Les « voix célèbres » (Colette vous parle, François Mauriac vous parle... dans la série « Leur œuvre et leur voix » des éditions Festival ou bien encore Textes et poèmes d'André Maurois, Georges Bernanos dans la série « Auteurs du xxe siècle » de chez Philips) suscitent souvent un intérêt particulier et peuvent faire l'objet d'un fichier distinct. Pour les documents sonores : montage de textes historiques, récits de voyage, reportages, l'attention se porte moins sur l'auteur, le récitant ou le speaker que sur le sujet. Dans ce cas le fichier auteurs-titres sera utilement complété par un fichier alphabétique de matières 27.

Protection et conservation des disques sont les deux soucis majeurs d'un bibliothécaire chargé de l'administration d'une discothèque, soucis qui déterminent d'ailleurs toute l'organisation du service. Un disque endommagé est pratiquement inutilisable; une simple rayure trouble désagréablement l'audition et irrite l'auditeur plus que ne peut le faire, par exemple, un film défectueux.

La gomme laque des anciens 78 tours se brisait facilement et supportait, semble-t-il, un moins grand nombre d'auditions que ne le font les microsillons : on évalue à 30 ou 40 le nombre de prêts que peuvent « supporter » ces disques et à 60 ou 80 celui des microsillons. Leur fragilité toutefois était moindre. Mais la production des 78 tours est aujourd'hui fort ralentie, presque interrompue, et une discothèque naissante ne possédera guère que des microsillons 33 et 45 tours 28. Ils ont l'avantage de permettre l'enregistrement d'œuvres de longue durée sur un nombre réduit de disques (un opéra qui exigeait quarante à soixante faces de 78 tours occupe six à huit faces de 33 tours). D'autre part l'avènement de la « haute fidélité » leur donne une qualité sonore qui est loin d'être négligeable 29. Enfin la vinylite dont ils sont faits est incassable. En revanche le frottement d'un ongle suffit à rayer cette matière, elle attire avec avidité la poussière et se déforme à la chaleur.

Par conséquent les principaux objectifs du bibliothécaire devront être : 1° de réduire au minimum la manipulation des disques; 2° de les protéger efficacement contre la poussière; 3° d'adopter des rayonnages qui ne puissent provoquer leur déformation. Nous avons déjà parlé, à propos du traitement, du classement et du catalogage, des précautions à prendre pour éviter les manipulations inutiles. La communication des disques nous amènera d'ailleurs à reprendre cette question. Quant à la protection des disques contre la poussière, elle est assurée par des enveloppes de papier fort ou de carton souple avec rabats 30 bien que les microsillons, à la différence des 78 tours, soient vendus sous pochettes cartonnées et souvent même insérés dans une seconde pochette de papier transparent. Lorsque le prêt des disques est consenti, il y aura également lieu de recommander aux emprunteurs d'essuyer soigneusement, à l'aide d'une brosse spéciale ou d'un linge non pelucheux et légèrement humide, la surface enregistrée avant et après l'audition, une surface poussiéreuse faisant entendre des crépitements.

Le rangement des disques est effectué soit horizontalement soit verticalement. Le classement horizontal a l'avantage de faire reposer les disques sur une surface plane et d'éviter ainsi toute déformation provoquant un « pleurage » particulièrement gênant. Toutefois, chaque casier contenant 5, 10 ou même 15 disques, il faut, pour en sortir un, déplacer la pile, ce qui ne fait que multiplier les risques d'accident. On peut, il est vrai, remédier à cet inconvénient en utilisant des meubles où chaque disque a son compartiment distinct 31. Néanmoins ce mode de classement n'est utilisé, pour d'importantes collections, que dans les pays où l'on enregistre de brusques changements de température et où l'air ambiant est saturé d'humidité 32.

Aux États-Unis, où il avait été tout d'abord utilisé, et en Grande-Bretagne, on y a substitué le classement vertical. On équipe les discothèques de rayonnages en bois ou en métal divisés en casiers de 32 cm de hauteur, 32 cm de profondeur et 7 à 10 cm de largeur où viennent se loger 25 à 30 disques. Ordinairement cinq casiers trouvent place dans la hauteur du rayonnage. A condition que les casiers soient suffisamment remplis 33, sans que les disques subissent pour autant une pression excessive, ce mode de classement est tout à fait satisfaisant : les recherches s'effectuent rapidement, et la poussière, glissant le long des pochettes, vient s'accumuler sur les tablettes, épargnant dans une certaine mesure les disques.

En France divers meubles de classement sont apparus sur le marché pendant ces dernières années. A côté d'éléments « bibliothèque », les maisons spécialisées se sont mises à fabriquer des éléments « discothèque », utilisant l'une ou l'autre des formules. On trouve également dans le commerce plusieurs types de classeurs. Les uns se composent de tiroirs coulissants en métal, permettant le classement horizontal. D'autres adoptent le dispositif « visi-latéral » utilisé pour le classement des dossiers. Un troisième système (type « Classophone ») a été expérimenté notamment dans certaines stations de radiodiffusion américaine : une série d'alvéoles de carton, de l'épaisseur d'un disque, sont maintenues à leur base par une baguette de métal. Les disques, protégés par leur pochette, sont insérés dans ces alvéoles et classés verticalement. Il suffit de faire pivoter l'alvéole autour de son axe, pour en extraire aisément le disque. Enfin, on a cherché un moyen de conserver horizontalement les disques et de les consulter verticalement (type « Discobox »). Des tiroirs de métal contenant chacun 25 disques, sont montés sur un roulement à billes. Quand on les tire, ils se rabattent à la verticale, facilitant ainsi les recherches.

Mais ces quelques solutions apportées au classement des disques sont coûteuses et ne peuvent convenir qu'à une petite collection. D'autre part les deux derniers systèmes étudiés ci-dessus ne sont pas sans inconvénient. Dans le premier cas, la moitié seulement du disque est solidement maintenue par les feuilles de carton et l'autre partie risque de se déformer. De plus, s'il existe un modèle spécial pour les microsillons qui peuvent être conservés sous pochette d'origine, les 78 tours sont insérés sous une simple enveloppe de papier cristal. Dans le second cas, le maniement continuel des tiroirs peut provoquer l'enrayage du mécanisme. Il semble bien, par conséquent, que de simples rayonnages à casiers où les disques sont classés verticalement soit encore la meilleure formule.

Il importe enfin de conserver les disques dans une pièce maintenue à une température constante (environ 14°),les brusques changements de température étant, pour les disques comme pour les livres, particulièrement redoutables.

Les règles adoptées pour la communication et le prêt des disques contribuent aussi soit à prolonger, soit à abréger la vie des disques. Beaucoup de bibliothèques, à l'origine, ont créé une discothèque ou bien pour en faire un service « d'extension », chargé d'organiser des concerts ou des cours d'initiation musicale et jouant un rôle quelque peu publicitaire, ou bien pour prêter des disques à quelques organismes privilégiés : écoles, groupements éducatifs, sociétés musicales etc... qui avaient préalablement payé un cautionnement.

Mais en 1949 le « Committee of the London and Home counties branch » 34 affirmait dans un rapport que rien ne justifiait la limitation du prêt aux collectivités et que le prêt aux simples particuliers devait être autorisé. Cependant en 1954, L. G. Lovell constatait que sur les 43 discothèques anglaises qui avaient répondu à son enquête, 39 prêtaient aux sociétés et 27 aux particuliers 35. Par conséquent 16 collections seraient uniquement réservées aux groupements.

Les bibliothèques des États-Unis ont d'ailleurs appliqué cette politique au début du xxe siècle, elles qui n'hésitent pas à appliquer le libre accès à leurs collections de disques. Pareille audace passera, aux yeux de bien des Européens, pour de la légèreté. Ajoutons que, dès 1933, l'American library association et la Music library association s'étaient émues et s'étaient efforcées de restreindre cette libéralité 36.

Et pourtant, si surprenant que cela puisse paraître, les bibliothécaires sont unanimes à déclarer que la proportion des disques endommagés est relativement faible, même lorsque le prêt est consenti aux particuliers. Bien mieux, au Canada, la London public library and art museum n'adopta le libre accès qu'en 1952. Or, après deux ans d'expérience, les principaux inconvénients signalés ne sont pas l'usure plus rapide des disques, malgré l'augmentation immédiate du nombre des prêts, mais la nécessité de surveiller constamment l'ordre sur les rayons et de réparer les enveloppes 37.

La composition même des collections qui, nous l'avons vu, ne laisse place qu'aux œuvres de qualité, exclut les emprunteurs simplement curieux. La seconde raison en est le règlement assez rigoureux appliqué dans la plupart des discothèques et le contrôle minutieux auquel sont soumis les disques à leur sortie et à leur retour. Ce sont donc les diverses opérations du prêt que nous allons examiner maintenant.

Signalons tout d'abord que certaines bibliothèques ont utilisé un système de cartes 38 délivrées à l'emprunteur et donnant droit à un nombre déterminé de disques. Mais L. G. Lovell insiste avec juste raison sur l'opportunité d'unifier les systèmes de prêts et d'appliquer aux disques les méthodes employées pour les livres. Aussi l'équipement des disques pour le prêt est-il, assez généralement, semblable à celui des livres. Sur la pochette du disque, on colle une feuille de rentrée portant le nom de la bibliothèque, au besoin, un extrait du règlement et sur laquelle on note la date limite du prêt. D'autre part une carte de disque, où se trouvent indiqués la cote, le nom du compositeur et le titre de l'œuvre, est établie pour chaque disque ou chaque album. C'est, on le voit, l'application pure et simple du système de Newark.

Quelles sont les formalités exigées des emprunteurs désireux d'utiliser les ressources de la discothèque? La procédure varie de bibliothèque à bibliothèque. En certains endroits, elle est identique pour les livres et les disques : une simple formule à remplir. Ailleurs l'emprunteur doit rédiger une demande contresignée par deux garants et payer un cautionnement annuel ou une somme déterminée pour chaque disque emprunté. Dans tous les cas l'emprunteur doit être résidant, contribuable ou inscrit sur les listes électorales. Pour les collectivités, la formule sera remplie et signée par des représentants qui seront tenus pour responsables par la bibliothèque.

Il n'existe pas non plus de règles fixes en ce qui concerne le nombre de disques prêtés et la durée du prêt. L. G. Lovell 39 parle de 6 à 12 disques pour les groupements et de 3 à 6 disques pour les particuliers ou 1 à 3 disques de longue durée. Bien entendu les « intégrales » sont prêtées en bloc. Signalons en outre que les cours de langues étrangères posent un problème délicat puisqu'il faut assurer à chaque emprunteur le prêt régulier des disques correspondant à toute la série des cours. Quant à la durée du prêt, elle est généralement plus courte que celle des livres et varie d'une semaine à 15 jours, période qui peut d'ailleurs être renouvelée. Comme pour les livres, des amendes sont perçues en cas de retard.

Tout emprunteur est responsable des dommages survenus aux disques pendant la durée du prêt. Ils sont donc soumis à un minutieux examen au moment du prêt et à leur retour. A cet effet une grande table, recevant un puissant éclairage, est prévue dans toute discothèque. Lorsqu'un disque a été détérioré, l'emprunteur doit dédommager la bibliothèque. Un barême est généralement fixé tenant compte de la valeur du disque et de l'importance de la détérioration.

Ajoutons que la bibliothèque se réserve parfois le droit de contrôler les appareils employés par l'emprunteur. Les règlements en usage 40 donnent d'ailleurs des recommandations sur le matériel à utiliser, la manipulation et le nettoyage des disques. Il convient notamment d'insister auprès des emprunteurs sur la nécessité de poser sur les microsillons un bras de pick-up léger et un saphir en parfait état. Un saphir usé risque en effet de détériorer les disques d'une façon irrémédiable. On substitue d'ailleurs avantageusement à la pointe de saphir un diamant convenablement taillé dont la durée est pour ainsi dire illimitée.

Pendant la durée du prêt les disques doivent être conservés dans les enveloppes fournies par la bibliothèque. Celle-ci met également à la disposition des emprunteurs des boîtes de carton ou de métal munies de courroies, de petites valises ou des sacs de toile destinés au transport des disques. Certaines bibliothèques distribuent des brochures ou des dépliants donnant aux nouveaux emprunteurs les consignes essentielles.

Si l'étude des problèmes posés par le prêt des disques a permis de constater que la technique et certains points du règlement demeuraient assez semblables à ceux habituellement en vigueur pour les livres, il faut signaler toutefois l'usage très répandu d'un tableau d'affichage (« indicator »), tout à fait particulier à ce genre de service. En effet dans les discothèques où le public n'a pas accès libre aux collections, les disques sont communiqués à l'emprunteur par l'intermédiaire du personnel. Aussi, pour éviter des recherches inutiles, on a pris l'habitude de tenir à jour un tableau qui permet à l'emprunteur de savoir immédiatement quels disques sont actuellement disponibles. Trois systèmes différents sont utilisés 41, le plus simple consistant en une sorte de catalogue à volets mobiles. Sur chaque volet des bandes de carton souple portent le nom du compositeur ou de l'auteur, le titre, la cote et à l'extrémité, les mentions « in » et « out ». Un index de métal mobile masque l'une ou l'autre de ces mentions suivant que le disque est ou non sur les rayons 42. Les deux autres systèmes emploient des pochettes de papier Kraft portant la description du disque et contenant une carte de couleur servant au besoin de carte de prêt. Dans ce dernier cas, les emprunteurs tiennent eux-mêmes le tableau d'affichage à jour, puisqu'ils retirent la carte du disque qu'ils désirent emprunter et la présentent au bureau de prêt.

Il nous reste à ajouter quelques mots sur l'équipement des discothèques. Nous avons déjà parlé des rayonnages, de la table nécessaire à l'examen des disques empruntés et du tableau d'affichage. La salle de prêt abrite souvent non seulement les catalogues de la discothèque mais aussi des ouvrages de musicologie et de référence susceptibles d'orienter l'amateur dans ses recherches : fichiers et rayonnages d'usuels sont prévus à cet effet. Le bureau de prêt devra évidemment se trouver à proximité des magasins où sont entreposés les disques. Un électrophone semble, en outre, avoir une place tout indiquée dans une discothèque, ne serait-ce que pour auditionner les disques, à la réception des commandes, comme nous l'avons dit plus haut. Cette remarque, qui peut paraître superflue, doit cependant être faite puisqu'en Grande-Bretagne 9 discothèques sur 43 sont dotées d'un électrophone. Enfin certaines bibliothèques anglaises ou américaines ont fait installer des cabines d'audition insonorisées particulièrement utiles lorsque le prêt n'est pas autorisé.

A la suite de l'article de L. G. Lovell, plusieurs fois cité ici, qui parut dans le Library association record de juillet 1954, un assistant à la Romford branch (Essex county library) écrivit à peu près en ces termes : la discothèque après tout ne sera jamais qu'une activité secondaire de la bibliothèque; la suppression des bibliothèques serait une véritable calamité publique tandis que la suppression des discothèques ne serait qu'un simple inconvénient : enfin l'argent qui leur est consacré serait plus utilement employé à combler les graves déficiences que l'on peut constater dans des services plus essentiels.

Si surprenant que cela puisse paraître de la part d'un peuple qu'une classification arbitraire range parmi les « flegmatiques », l'insertion de cette lettre fut suivie d'une correspondance passionnée qui se poursuivit de septembre 1954 à février 1955. On qualifia son auteur de réactionnaire et même de « jazz-fan » sous prétexte qu'à son avis, les collections composées en grande partie de musique classique n'étaient accessibles qu'à une petite minorité.

D'autres correspondants, il est vrai, se montrèrent plus modérés et l'un d'entre eux fit remarquer fort justement qu'une collection de disques n'était pas limitée exclusivement à la musique mais qu'on y trouvait aussi bien les enregistrements « Linguaphone » à côté de disques de poésie ou de pièces de théâtre. Et il citait des enregistrements de Henri V et de Hamlet faits par Sir Laurence Olivier.

Il est certain que de très nombreux bibliothécaires, profondément attachés au livre qu'ils considèrent avec raison comme l'élément fondamental d'une bibliothèque pourront, au seul mot de disque, élever des protestations. Et pourtant quelques-uns d'entre eux n'ont pas hésité à apporter leur concours à l'Encyclopédie sonore en réunissant et en présentant des textes littéraires ou historiques enregistrés à l'intention de l'enseignement secondaire et supérieur. Car si les recueils de poésie, les pièces de théâtre et les ouvrages d'histoire trouvent place dans toute bibliothèque, en vertu de quel principe rejeter des Fables de La Fontaine interprétées par Jacques Charon ou le très bel enregistrement de l'École des Femmes par la troupe de Louis Jouvet?

Dans les villes de province où trop souvent, hélas, on est privé de bon théâtre, quelle ressource précieuse qu'un pareil enregistrement où les réactions du public américain, également gravées 43, peuvent guider l'imagination du simple auditeur. Car, comme le note M. Robert Kemp à propos du rire des spectateurs « quand les paroles le suscitent, ce rire anime l'audition, souligne à propos les effets et donne à l'ensemble un supplément de vitalité » 44. Quant au rôle du disque dans l'enseignement il a été déjà étudié à plusieurs reprises 45. Comment un lycéen, quelque peu intéressé par la littérature, écouterait-il sans émotion cet extrait de Si le grain ne meurt intitulé La Bille et interprété par André Gide lui-même ? Ce souvenir de jeunesse évoqué par une voix cassée et voilée par l'âge devient pour ainsi dire le symbole d'une œuvre et d'une vie. Il est des cas en effet où l'audition d'un disque vaut mieux qu'une longue explication de texte.

Est-il enfin besoin de dire l'importance du disque dans l'éducation musicale? A combien d'écoliers a-t-on infligé des années de solfège, imposé des leçons d'histoire de la musique sans leur faire entendre une seule œuvre musicale? On imagine difficilement un livre d'art sans illustration. De même des ouvrages de musicologie sans disque sont dépourvus de tout intérêt pour les non initiés.

Les membres de l'enseignement ont vite compris l'aide souvent précieuse que leur apportait un bon disque. Une Commission du disque d'enseignement a été d'ailleurs créée au Centre national de documentation pédagogique. Divisée en trois sous-commissions chargées respectivement d'examiner les disques de musique classique, les disques parlés et les disques de langues vivantes, cette commission a pour but selon les termes mêmes de M. L. Cros :
1° d'établir l'inventaire des besoins en disques d'enseignement...
2° de s'assurer de la valeur pédagogique des disques existants...
3° de publier le catalogue général des disques existants... 46

Les disques examinés par la Commission sont répartis en quatre catégories (recommandés - utilisables - neutres - déconseillés) et, les meilleurs d'entre eux, signalés dans l'Education nationale. Elle joue donc également un rôle de conseiller pédagogique. D'autre part, grâce à des contacts constants avec les éditeurs, elle suscite le lancement de collections destinées à l'enseignement. En outre une discothèque comprenant actuellement 4.000 disques environ a été organisée au Centre national de documentation pédagogique et la création de discothèques régionales est envisagée.

D'autres organismes se sont efforcés de mettre des disques à la disposition des écoles et notamment les Fédérations des œuvres laïques de l'enseignement qui, sous l'égide de l'Union française des œuvres laïques d'éducation artistique, ont fondé des discothèques souvent importantes notamment dans l'Allier, le Nord, le Calvados etc... Le disque occupe également une place importante dans les stages organisés par la Direction générale de la jeunesse et des sports à l'intention des instructeurs chargés de l'éducation populaire 47.

S'il est vrai que la bibliothèque est en quelque sorte le prolongement de l'école, il ne peut, semble-t-il, y avoir d'objection de principe à la présence du disque dans les collections. On pourra, avec plus de raison, opposer des considérations matérielles : manque de crédits, de personnel, de temps.

Sans même parler de l'équipement de la discothèque, la constitution du stock initial est assez coûteuse. C. D. Overton estime qu'une collection de 1.000 disques peut permettre au début le fonctionnement d'un service dans une ville de 100.000 habitants. Mais L. G. Lovell cite l'exemple d'une discothèque comportant 1.000 disques, dans une importante localité, qui fut entièrement mise à sac le jour même de l'ouverture. Aussi suggère-t-il un minimum de 1.500 disques. D'autre part il convient de prévoir, chaque année, non seulement les crédits nécessaires à l'accroissement normal du fonds, mais aussi une somme déterminée pour le remplacement des disques usés ou endommagés. Suivant l'activité de la discothèque, les crédits de remplacement représentent environ 15 à 20 % de la dépense initiale (50 % même pour les anciens 78 tours).

Le temps n'est pas non plus un élément négligeable pour le bon fonctionnement d'une discothèque. Le catalogue, la communication des disques demandés, leur vérification au départ et au retour, éventuellement la mise à jour d'un tableau d'affichage, autant d'opérations longues et délicates. Elles exigent en outre un personnel qualifié, musicologue, si la musique occupe une place importante dans la collection, et pourvu de quelques connaissances techniques.

On sera peut-être effrayé devant un tel programme. Mais bien des bibliothèques étrangères ont limité leur ambition : elles utilisent le disque pour animer l'Heure du conte ou se contentent d'organiser des séances, à la fois éducatives et récréatives, où se côtoient musique et littérature et qui sont une excellente publicité pour la bibliothèque 48. Ces réalisations plus modestes séduiront davantage de nombreux bibliothécaires et on peut penser qu'il ne s'agit pas là d'une simple utopie puisque des expériences ont déjà été faites et qu'elles sont peut-être un prélude à une action plus vaste.

  1. (retour)↑  C. F. Overton (C. David). - The Gramophone record library. - London, Grafton, 1951. - 21, 5 cm, XII-123 p.
  2. (retour)↑  Rappelons que cette association publie depuis 1954 une revue intitulée : Fontes artis musicae.
  3. (retour)↑  Voir : Vol. I. Rapports préliminaires, pp. 149-187.
    Vol. II B. Communications. Quatrième congrès international des bibliothèques musicales. Vingt-deuxième conférence internationale de documentation, pp. 3-65, de la publication suivante :
    Congrès International des bibliothèques et des centres de documentation (Bruxelles, 11-18 septembre 1955). - Congrès international des bibliothèques et des centres de documentation. - La Haye, Martinus Nijhoff, 1955. (Fédération internationale des associations de bibliothécaires. Fédération internationale de documentation. Association internationale des bibliothèques musicales.)
  4. (retour)↑  N° 9, Septembre 1955, pp. 263-274.
  5. (retour)↑  Voir : B. Bibl. France. 1re année, n° 2, février 1956, p. 129.
  6. (retour)↑  Voir : FRANCE. Bibliothèques (Direction). - Cahiers des bibliothèques de France. II. Lecture publique rurale et urbaine 1954.-Paris, 1956. - 21 cm, pp. 198-212.
    Rappelons que l'Association départementale de Meurthe-et-Moselle pratique depuis 1953 le prêt de disques aux écoles. Elle possède actuellement 2.348 disques et 188 communes sur 415 reçoivent à chaque tournée du bibliobus un dépôt de 8 disques.
  7. (retour)↑  Voir : Overton, op. cit., p. 19-20.
  8. (retour)↑  Lovell (L. G.). - Gramophone record provision in public libraries (In : Library association record. Vol. 56, n° 7, July 1954, pp. 251-259).
  9. (retour)↑  Cros (Louis). - Le disque dans l'enseignement... (In : Almanach du disque, 1954. - Paris, Pierre Horay [1953]. pp. 175-183).
  10. (retour)↑  Voir : Housing and processing phonograph records [by] Celia Moore (In : Library Journal. Vol. 76, n° 19, September 1, 1951, pp. 1179-1780).
    Voir aussi dans Overton (C. David), op. cit., p. 71 : « Appendix I. Periodicals containing record reviews », liste de revues anglaises et américaines mais sans adresse bibliographique.
  11. (retour)↑  Les auteurs de la World's encyclopaedia ont longuement exposé les difficultés auxquelles ils se sont heurtés pour mener à bien leur entreprise dans une communication faite au Congrès de Bruxelles (op. cit., Vol. II B. Problems of an international gramophone record catalogue, pp. 24-37). Ils se sont inspirés, pour le plan général de leur travail, du Gramophone shop encyclopedia of recorded music (New-York, Simon and Schuster, 1948) qui est classé par liste alphabétique de compositeurs avec index des exécutants et liste des collections.
  12. (retour)↑  La même maison d'édition (Société d'éditions et de publications d'ouvrages sur la musique enregistrée, 59-61, rue de Lafayette, Paris 11e) publie également un catalogue trimestriel indiquant toutes les éditions françaises se trouvant dans le commerce au moment de sa publication. Ce catalogue, qui paraît depuis la fin de 1953, porte le titre suivant : Disques de longue durée 45 et 33 tours.
  13. (retour)↑  Citons notamment :
    FRANCE. Bibliothèques (Direction). - Instructions sommaires pour l'organisation et le fonctionnement des bibliothèques publiques. II. Traitement des livres et documents. - Paris, Centre national de documentation pédagogique, 1954. - 21 cm, p. 42.
    Collison (Robert). - The treatment of special material in libraries. - London, Aslib, 1953. - 19 cm, pp. 41-51.
    Library Trends. Vol. 4, n° 2, October 1955. - Special materials and services. Andrew H. Horn, issue editor, pp. 164-173.
  14. (retour)↑  Op. cit., pp. 28-29.
  15. (retour)↑  Britten (Valentine). - Formation and administration of a gramophone library (In : Library association record. Vol. 49, n° 1, January 1947, pp. 9-11.)
  16. (retour)↑  Les « Instructions sommaires » publiées en 1954 par la Direction des bibliothèques de France préconisaient ce classement qui semble parfaitement convenir aux grandes discothèques des postes de radiodiffusion. Mais l'expérience d'un certain nombre de bibliothèques tendrait à prouver qu'il n'est guère souhaitable pour des collections publiques.
  17. (retour)↑  Housing and processing phonograph records [by] Moore (Celia)... A paper presented before the New-Orleans High school libranan's conterence (In : Library Journal. Vol. 76, n° 19, September 1, 1951, pp. 1781-1785).
  18. (retour)↑  Robert L. Collison est formel sur ce point : op. cit., p. 48.
  19. (retour)↑  Overton (C. David), op. cit., pp. 117-118 (Appendix IV).
  20. (retour)↑  Cf. Library journal. Vol. 74, n° 6, March 15, 1949.
  21. (retour)↑  Lovell (L. G.), op. cit., p. 256.
  22. (retour)↑  Callander (T. E.). - Gramophone record collections. A symposium. III Lambeth (In : Library association record. Vol. 51, n° 7, July 1949).
  23. (retour)↑  Dean-Smith (Margaret). - Proposals towards the cataloging of gramophone records in a library of national scope (In : The Journal of documentation. Vol. 8, n° 3, September 1952, pp. 141-163).
  24. (retour)↑  Britten (Valentine), op. cit.
  25. (retour)↑  Il est à peine besoin de rappeler qu'on se reportera pour la rédaction de la vedette, à des dictionnaires spécialisés tels que :
    Riemann (Hugo). - Dictionnaire de musique... 3e éd. - Paris, Payot, 1931., ou bien :
    Grove's dictionary of music and musicians 4th ed... - London, Macmillan, 1940.
  26. (retour)↑  La nécessité d'inscrire sur les fiches un grand nombre de renseignements a amené la B. B. C. à adopter des fiches d'un format plus grand que celui habituellement utilisé pour les catalogues.
  27. (retour)↑  On trouvera d'utiles conseils pour le catalogage des disques dans les ouvrages et articles suivants :
    Collison (Robert L.), op. cit., pp. 41-48.
    Dean Smith (Margaret), op. cit.
    Library of Congress. Washington. - Rules for descriptive cataloging in the Library of Congress. Phonorecords. Preliminary ed. - Washington, Library of Congress, 1952. - 25 cm, IV-10 p.
    Overton (C. David), op. cit., pp. 45-51.
  28. (retour)↑  Cf. Long Playing records and the gramophone library by E. T. Bryant. (In : Library association record. Vol. 53, n° 3, mars 1951, pp. 76-78.)
  29. (retour)↑  Cf. A propos de la haute fidélité par Jean-Marie Grénier (In : Almanach du disque 1956. - Paris, P. Horay, 1956, pp. 230-233).
    What is high fidelity? [by] William J. Quinly (In : Library Journal. Vol. 80, n° 7, April 1, 1955, pp. 724-728).
  30. (retour)↑  Voir p. 254.
  31. (retour)↑  Voir le classeur utilisé pour la discothèque de la Fédération des œuvres laïques de l'Allier. In : Pédagogie du disque. Numéro spécial de l'Ufolea... 87-88, mai 1955... - [Paris], Ligue française de l'enseignement.
  32. (retour)↑  Notamment en Amérique du Sud. Voir à ce sujet Cosme (Luis). - Manual de classifiçao e catologação de discos musicais... - Rio-de-Janeiro, Departemento de imprensa nacional, 1949. - 23 cm, 87 p. (Ministerio da educação e saude. Instituto nacional do livro.)
  33. (retour)↑  Lorsqu'un certain nombre de disques sont sortis des casiers on peut combler les vides au moyen de feuilles de carton.
  34. (retour)↑  Gramophone record libraries. A report adopted by the Committee of the London and Home counties branch, April 1949 (In : Library association record. Vol. 51, n° 7, July 1949, pp. 215-217).
  35. (retour)↑  Lovell (L. G.), op. cit., p. 252.
  36. (retour)↑  Voir dans l'ouvrage de Overton (C. David) : Report by the Joint Committee of the American library association and the Music library association (Appendix IV, pp. 117-118).
  37. (retour)↑  Curry (Doreen). - Building a record collection (In : Ontario library review. Vol. 38, August 1954, pp. 252-255).
  38. (retour)↑  Voir l'exposé de ce système dans l'article suivant : Caul (R.). - Gramophone record collections. A symposium I. Burnley... (In : Library association record. Vol. 51, n° 7, July 1949).
  39. (retour)↑  Lovell (L. G.), op. cit., pp. 254-255.
  40. (retour)↑  Le Library association record a publié un projet de règlement applicable dans une bibliothèque publique qui contient des articles très précis concernant la discothèque et peut servir de modèle (Régulations for public libraries. In : Library association record. Vol. 55, n° 8, August 1953, pp. 256-258).
  41. (retour)↑  Voir la description détaillée de ces systèmes dans : Overton (C. David), op. cit., pp. 34-37.
  42. (retour)↑  Cf. A visible index for the gramophone record libraries (In : Library association record. Vol. 51, n° 1, January 1949, pp. 14-15) et : Planning the library, a guide to those considering problems of library design, book storage and shelving. - London, Ronéo [1950]. - 22 cm, pp. 85-86.
  43. (retour)↑  Rappelons que cet enregistrement fut réalisé au cours d'une représentation donnée par Louis Jouvet et sa troupe au Colonial Theatre de Boston le 16 mars 1951.
  44. (retour)↑  Les Disques parlés par Robert Kemp (In : Almanach du disque 1956, pp. 141-142).
  45. (retour)↑  L'Éducation musicale par le disque... par M. Georges Favre, ... - Ce que le disque apporte à l'enseignement. Limites de son emploi... par M. Clarac (In : Bulletin de la société française de pédagogie. N° 110, 1955, pp. 23-56).
    Le disque dans l'enseignement par Louis Cros (In : Almanach du disque 1954, pp. 175-183. Pédagogie du disque. Numéro spécial de l'Ufoléa... 87-88, mai 1955... - Paris, Ligue de l'enseignement.
  46. (retour)↑  Ce catalogue a été publié en 1955 sous le titre : Répertoire de disques d'enseignement. - Paris, Centre national de documentation pédagogique, 1955. - 21 cm, 135 p.
  47. (retour)↑  On pourra se reporter aux deux publications suivantes :
    FRANCE. Jeunesse et des sports (Direction générale). - Le Disque et la culture musicale. Quelques conseils pratiques, bibliographie, discographie... - Paris, Direction générale de la jeunesse et des sports, 1951. - 27 cm, 31 p.
    FRANCE. Jeunesse et sports (Direction générale). - Initiation musicale. Le disque au service de la culture. La discothèque et quelques conseils pratiques. - Paris, (Impr. nationale), 1955. - 27 cm, 36 p.
  48. (retour)↑  Voir : Music to Queens'taste (by) William Shank (In : A.L.A. Bulletin. Vol. 49, n° 1, January 1955, pp. 16-17, 35).