« La fin des journaux »

par Yves Alix

Vincent Giret

Bernard Poulet

Le Débat, no 148, janvier-février 2008
ISSN 0246-2346 : 16,50 € le numéro

La mort de la presse ?

Dans son Histoire de la presse écrite en France au xxe siècle publiée en 2006 1, Laurent Martin, sans méconnaître la réalité inquiétante des évolutions les plus récentes du secteur, invitait cependant à prendre un peu de distance, à raisonner dans le temps long de l’historien pour remettre en perspective et relativiser les constats de plus en plus pessimistes faits par les observateurs sur l’avenir de la presse papier. Mais devant la déferlante ininterrompue de mauvaises nouvelles et de prédictions catastrophiques déversées dans les médias depuis, comment conserver ce sang-froid ? Et si l’on est lecteur de journaux, comment se préparer à leur mort prochaine ou, s’ils ne meurent pas tout à fait, comment se résigner à devenir membres de la toute petite niche des derniers chiens lecteurs, dans un coin du florissant jardin internet sans papier – sans rien en fait –, juste virtuel ?

Ainsi de l’article percutant de Vincent Giret et Bernard Poulet, « La fin des journaux », publié par la revue Le Débat dans son premier numéro de l’année 2008 2. Le constat est effrayant et, semble-t-il, sans appel : si les deux auteurs prennent la précaution d’avertir leurs lecteurs qu’ils ne sauraient faire sérieusement la moindre prédiction, même à cinq ans, on sent pourtant que, pour eux, la messe est dite. Ce qui va tuer la presse ? la révolution du marché publicitaire, canalisé par des médias électroniques fondés sur les services, qui vont en détourner la majeure partie (les annonceurs n’ont plus besoin de l’information) ; la fin des mass media au sens où nous les connaissons ; la culture du gratuit (demain, les journaux payants, s’ils survivent, seront gratuits, ils ne vivront que de la pub) ; le désintérêt des jeunes générations pour l’information (il est vrai que depuis le paléolithique, pour ne remonter que jusque-là, c’est quand même un peu toujours la même chose…) ; l’impératif de la rentabilité maximum, etc.

Parmi les scénarios qui circulent, Giret et Poulet évoquent deux théories divergentes, celle du trapèze (le journal imprimé va mourir au profit du virtuel, il y aura un moment où on devra lâcher le premier trapèze pour saisir l’autre en vol), et celle de l’évolution, qui verra converger les deux univers (le virtuel et le nomade) dans l’édition sur papier électronique. On retrouve ces deux théories dans un des derniers chapitres du livre d’Emmanuel Schwartzenberg, Spéciale dernière, qui dresse, pour la presse quotidienne française, un état des lieux non moins dramatique et empreint d’un pessimisme à peu près total. L’ouvrage, très polémique, est une attaque en règle contre tous ceux qui, aux yeux de l’auteur, se sont faits, par aveuglement, corporatisme ou impéritie, les fossoyeurs de la presse quotidienne : patrons avares et à courte vue, journalistes frileux, lâches ou complaisants, pouvoirs publics, État, publicitaires voraces, à peu près tout le monde a une responsabilité dans le lent écroulement des journaux, au terme d’années de folle prodigalité et de gaspillages de toute sorte. E. Schwartzenberg, comme on pouvait s’y attendre car c’est une figure obligée des discours sur la crise de la presse, réserve ses plus belles flèches aux ouvriers de la Fédération du livre, abrités derrière le monopole d’embauche que la loi leur a consenti à la Libération. C’est de bonne guerre, et c’est déjà de l’Histoire de toute façon ; regrettons seulement ici un discours à sens unique, qui ne veut jamais entendre les raisons de l’action des syndicalistes les plus coriaces de l’industrie française. Mais au-delà de ces querelles, la description de la complexité décourageante de l’ensemble du système, de ses déséquilibres jamais corrigés, de ses défauts de structure, criants en particulier dans la distribution – une des pires faiblesses de l’organisation de la presse quotidienne française – est claire, bien informée, présentée avec une clarté appréciable. On comprend mieux comment on en est arrivé là, quels que soient les responsables. Mais on n’est guère plus avancé au bout du compte : comment en sortir, comment sauver la presse quotidienne ? Le veut-on, d’ailleurs ? Et le faut-il ? En tout cas, ce pamphlet qui n’esquive aucune question a au moins le mérite de les poser toutes sur la table.

Je le rappelais en préambule : le recul historique reste indispensable pour comprendre la situation actuelle, dont la complexité, l’évolution extrêmement rapide et confuse, rendent l’observateur perplexe. Dans le dossier sur « La presse du xxe siècle » proposé par la Revue de la Bibliothèque nationale de France, deux articles font ainsi retour sur la presse de la Libération et les journaux des associations de déportés, un autre sur la Révolution portugaise de 1974 vue par la presse française. Pour les bibliothécaires, cet ensemble propose aussi une description des collections de presse de la BnF, et présente les projets de numérisation en cours.

Un des paradoxes de la situation française est que si les quotidiens sont à la peine, les magazines n’ont jamais été si florissants : les Français, qui en sont friands, les plébiscitent. Certes, ils subissent eux aussi les conséquences de la révolution du marché publicitaire, et rien ne dit qu’ils ne subiront pas, un jour ou l’autre, celles de l’évolution des comportements de lecture. En attendant, leur succès est un des rares réconforts des professionnels. Dans le Guide de la presse française, publié par la revue Presse news 3 et dont l’édition 2008 vient de paraître, ils occupent une place de choix. Ce répertoire utile est disponible sur papier et sur cédérom. Il présente les principaux groupes de presse, puis, classée par thèmes, une sélection de titres retenus pour leur large diffusion et l’importance de leur contenu rédactionnel (les journaux d’annonces et certains gratuits sont écartés). Fiches signalétiques donnant tous les renseignements utiles (périodicité, public visé, coordonnées, prix, diffusion) avec un bref descriptif du contenu. Index alphabétique à la fin.

Je nous y ai cherchés. Hélas, entre Bubblemag et Burda, pas de BBF, rien que le Bulletin des élus locaux. On est peu de chose.