« Elevations 2007 » : la bibliothèque en réseau

17e Conférence « Halmstad » des bibliothèques scandinaves

Corinne de Munain

Du 10 au 12 juin 2007 a eu lieu à Aarhus, au Danemark, la 17e Conférence « Halmstad » des bibliothèques scandinaves 1.

« Elevations » selon Jens Thorhauge, directeur de l’agence danoise pour les bibliothèques, ou comment les bibliothèques publiques peuvent faire la différence, à l’heure où la démocratie locale et la formation tout au long de la vie sont des enjeux majeurs pour nos sociétés multiculturelles et nomades, où les décideurs politiques privilégient les opérations à forte visiblilité, demandent aux bibliothèques toujours plus d’heures d’ouverture et plus de présence dans le monde numérique, en même temps qu’une insertion accrue dans la vie associative locale, tout cela à budgets constants.

Dépasser son « splendide isolement »

Cette 17e édition, qui a réuni plus de 300 participants de 13 pays technologiquement « avancés », voulait marquer son optimisme dans la « société 2.0 », vécue comme une chance et non comme une menace par les bibliothèques, idéalement placées dans la société de la connaissance.

Un architecte, trois chercheurs, deux spécialistes en technologies de l’information, un consultant, six directeurs de bibliothèques, coordonnateurs ou chefs de projet issus des pays scandinaves, du Royaume-Uni, d’Australie ou des États-Unis ont présenté leurs visions des évolutions actuelles pour les bibliothèques.

Andrew Cranfield, directeur d’Eblida et grand témoin de la conférence les a résumées de la façon suivante : « L’innovation technologique ne se surimpose pas artificiellement à une organisation antérieure à elle, elle se fond dans une stratégie globale de valorisation de l’innovation humaine et organisationnelle pour un service avéré à l’usager. » Il s’agit de passer d’un « splendide isolement » aux partenariats maîtrisés et spécifiques avec les entreprises privées (par exemple pour l’ingénierie de projets, la formation continue, l’analyse organisationnelle, ou la gestion informatisée des transactions) ; à la participation de la société civile locale dans la définition des missions des bibliothèques et leur accompagnement ; à la généralisation de la démarche par projets intégrant une évaluation quantitative et qualitative rapide de l’utilité pour l’usager, principal levier pour convaincre les décideurs politiques de financer ultérieurement de nouveaux projets 2.

Côté professionnels, les ressources humaines sont la clé de la qualité du service, et il convient d’encourager la solidarité entre membres d’une équipe, notamment pour la formation, rendue nécessaire par l’explosion des technologies actuelles. On ne peut tout savoir sur tout, d’où la nécessité de constituer un réseau d’échanges de compétences complémentaires à une échelle adaptée 3.

« Penser global, agir local »

« Penser global, agir local  4 » : renouant avec la tradition de l’agora grecque, la bibliothèque est un espace virtuel mais aussi réel : une place de marché, d’échanges humains. La flexibilité des fonctions est encouragée, entre sport et culture par exemple 5. Les concepts de « convergence » et de « transparence » ne s’appliquent pas qu’aux supports ou aux espaces, mais guident la collaboration entre professionnels et usagers pour définir un service adapté, flexible. La société civile via les associations de proximité a un rôle à jouer, comme en témoignent l’expérience nord-américaine de Salt Lake City 6, ou les campagnes de promotion de la lecture en Angleterre 7, très médiatisées par la BBC et les grands auteurs nationaux.

Pour autant, certaines idées reçues ont été battues en brèche. Les lieux bibliothèques et les imprimés, supports traditionnels, ne sont pas amenés à disparaître, au contraire. Les technologies permettent de les faire vivre partout où se trouvent les usagers dans leur diversité, qui s’approprient les lieux, le concept, les ressources documentaires sur place ou à distance 8.

Les professionnels, même s’ils ont fait évoluer leurs compétences, ne sont pas « devenus des informaticiens » au cours de cette adaptation, n’ont pas abandonné la maîtrise de leur profession au secteur privé pas plus qu’ils n’ont eu le sentiment de se vendre aux sirènes de la démagogie de la proximité si chère aux politiciens. Leur démarche expérimentale et pragmatique leur a permis de renforcer leur crédibilité dans la société par les services. L’adhésion des décideurs politiques et donc des financeurs s’obtiendrait avant tout par la lisibilité à moyen terme des projets citoyens de la bibliothèque, intégrés dans la démarche globale du service à l’usager, comme en témoigne l’expérience du bibliothécaire Rolf Hapel, directeur et concepteur du nouveau service des bibliothèques et des services aux citoyens de la ville d’Aarhus 9. Partage, maîtrise, mesures, tels ont été les maîtres mots d’une conférence remarquablement homogène dans le choix des expériences concrètes au service de ces principes.

  1. (retour)↑  Le site de la conférence : www.aakb.dk/sw4009.asp
  2. (retour)↑  Passer « de l’anecdote à la preuve » : au Danemark, les nouveaux projets émanent toujours des bibliothèques elles-mêmes, très jalouses de leur indépendance et de leur connaissance des enjeux et besoins des publics locaux. Ils ont une durée de vie de six mois à deux ans, après quoi la bibliothèque fait un bilan quantitatif et qualitatif, peut les conserver pour les intégrer à de nouvelles expérimentations ou y renoncer.
  3. (retour)↑  Christine McKenzie, directrice de la bibliothèque régionale Yarra Plenty (Australie) a présenté dans cet esprit le programme « Formation 2.0 » d’encouragement à l’apprentissage des nouvelles technologies par les professionnels via un blog de formation interne alimenté par tous les membres de l’équipe aux compétences complémentaires : www.yprl.vic.gov.au/Learning_2.0
  4. (retour)↑  Selon l’expression de Karen Calhoun, bibliothécaire de la Cornell University.
  5. (retour)↑  La construction d’une piscine et d’une bibliothèque dans un même centre a accru d’un tiers la fréquentation des deux équipements dans une ville danoise : www.loa-fonden.dk/template/t02.php?menuId=43
  6. (retour)↑  Les associations locales ont été étroitement associées par les professionnels au projet de construction de la bibliothèque nord-américaine de Salt Lake City, inaugurée en 2003, et ont pesé sur les décideurs locaux pour obtenir le financement d’équipements souhaités par les professionnels.
  7. (retour)↑  Menées par la Société anglaise des directeurs de bibliothèques : www.goscl.com
  8. (retour)↑  La bibliothèque municipale d’Helsinki, par exemple, favorise les pratiques amateurs, avec son espace Library 10 : www.lib.hel.fi/en-GB/kirjasto10
  9. (retour)↑  Dont le nouvel équipement, dénommé non plus bibliothèque ou médiathèque mais « Maison du multimédia », ouvrira ses portes en 2012. Le service a été créé en 2006 suite à la loi réduisant le nombre de communautés urbaines et donc de bibliothèques publiques : www.aakb.dk