Comment les CFCB sont devenus indispensables à la profession

Christophe Pavlidès

Les centres de formation aux carrières des bibliothèques sont un des beaux paradoxes de la vie des bibliothèques françaises : ils ont déjà passé les deux tiers de leurs vingt ans d’existence à survivre à leur première raison d’être, et alors qu’ils étaient déjà une exception dans le paysage bibliothéconomique international, ils ont aussi été l’illustration d’une reconversion aussi rapide que réussie qui leur a valu les qualificatifs de souplesse, pragmatisme, réactivité, que la profession et ses autorités aiment (dans les bons jours) leur accorder.

La jeunesse des CFCB : apogée et chute du CAFB (1987-1994)

Les douze centres régionaux de formation aux carrières des bibliothèques, du livre et de la documentation (CFCB) ont été créés par un appel d’offres lancé en janvier 1986 par Denis Varloot, directeur des bibliothèques, des musées et de l’information scientifique et technique (DBMIST) et Jean Gattegno, directeur du livre et de la lecture (DLL). L’objectif des deux administrations (enseignement supérieur et culture) était multiple :

  • remplacer la vingtaine de centres officieux, presque tous implantés dans des bibliothèques, qui préparaient aux formations dites « moyennes » destinées au personnel technique : le concours de bibliothécaire adjoint pour l’État et surtout le certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB) 1 servant aux recrutements sur titres en lecture publique ; en réduisant le nombre de centres, il s’agissait aussi de concentrer les moyens ;
  • légitimer ces formations, jusque-là très corporatives, en leur donnant un cadre clairement universitaire : la création de ces futurs centres avait vocation à s’adosser à des formations universitaires professionnelles à bac + 2 : soit des diplômes universitaires de technologie (DUT), soit des diplômes d’études universitaires scientifiques et techniques (Deust). On note que ces changements intervenaient dans le double contexte du développement des formations professionnelles à l’université (loi Savary, 1984) et de décentralisation (lois Defferre 1982 et 1983) concernant aussi les personnels.

La mise en place intervint en 1987 et 1988 selon les centres 2, dans un paysage très vite bouleversé :

  • la réforme du CAFB, qui était dans toutes les têtes au moins depuis le rapport Seguin 3, est adoptée en 1989 4 : les options sont refondues et subdivisées en spécialisations, la scolarité et le stage sont allongés (respectivement 420 et 160 heures), sans aller toutefois jusqu’au passage à deux ans ;
  • la négociation de la filière culturelle de la fonction publique territoriale, aboutie en septembre 1991 5, intègre la création de techniciens supérieurs à bac + 2 (DUT ou Deust) pour le recrutement en bibliothèque ; à cette exception près la filière culturelle n’exige pas, pour les bibliothèques, de prérequis de formation ;
  • jugeant désormais le CAFB inutile, la tutelle décide sa suppression à échéance de trois ans, le temps qu’il permette le reclassement des personnels dans les nouveaux statuts d’assistant territorial qualifié et de bibliothécaire adjoint spécialisé.

Les années 1991-1994 sont donc pour les CFCB celles d’une activité particulièrement intense, dans le cadre du compte à rebours des nouveaux statuts, et celles d’un désarroi non moins intense quant à leur devenir. Ajoutons que, pour le plus important d’entre eux, Médiadix, s’ajoute l’incertitude sur son implantation de Massy vouée à disparaître, du fait du déménagement à Villeurbanne de l’Institut de formation des bibliothécaires qui en était le principal occupant.

Notons cependant que la disparition du CAFB aura en quelque sorte stimulé la créativité des centres, plusieurs d’entre eux choisissant alors soit de s’investir fortement dans les formations universitaires initiales qui les entourent (instituts universitaires de technologie et instituts universitaires professionnalisés, IUT et IUP notamment, mais aussi Deust, licences…), soit de mettre en place des diplômes d’université plus ou moins inspirés de l’ancien certificat : c’est le cas, pour Médiadix, du DU « Techniques documentaires et médiation culturelle » créé en 1995.

Le CFCB sauvé par les stages ?

Fort heureusement, le retardement de la disparition du CAFB a laissé tout loisir aux tutelles pour préparer la reconversion des CFCB. Dès lors que ceux-ci étaient accompagnateurs (et souvent pilotes) de la mise en place des nouvelles formations initiales dans le cadre universitaire, la décision qui s’est très vite imposée était de les centrer désormais sur la formation continue, dans un contexte d’évolution des métiers que tous les acteurs s’accordaient à reconnaître. Il faut noter d’ailleurs que certains CFCB, et au premier chef Médiadix, avaient commencé à organiser des stages de formation continue dès leurs premières années d’existence.

C’est donc en 1993-1994 qu’a été mise en place une politique nationale favorisant, dans toutes les bibliothèques universitaires, l’émergence de correspondants formation ayant pour mission d’élaborer un plan de formation annuel. Ce plan, adressé à la tutelle mais aussi à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib) et au CFCB dont relève géographiquement l’université, permet à celui-ci de construire une offre de formation fondée sur les besoins exprimés et validés par chaque établissement.

Le système très souple ainsi mis en place a fait rapidement ses preuves : les universités découvrent que leurs bibliothécaires peuvent suivre de nombreuses formations adaptées à leurs besoins, non payantes car pré-financées par la tutelle qui subventionne les CFCB, au lieu de saupoudrer les crédits de la formation sur les établissements ; en outre, les CFCB ont gagné, avec les correspondants formation, de remarquables relais au sein des établissements, véritables « passeurs » entre les personnels et le centre de formation. S’il fallait à tout prix nuancer ce tableau idyllique, tout juste pourrait-on noter le mélange de classicisme (traitement du document) et d’utilitarisme immédiat (amélioration de l’accueil) des demandes exprimées dans les plans ; et s’inquiéter de la pérennité de financement d’un système qui reste extérieur aux contrats pluriannuels entre État et universités.

Le tableau est plus contrasté du côté de la lecture publique : alors que la DLL avait été, avec la DBMIST, à l’origine de la création des centres, elle s’est progressivement effacée dans un double mouvement de déconcentration, à travers les directions régionales des affaires culturelles (Drac), désormais signataires des conventions liant les centres aux deux ministères, et de décentralisation : le CNFPT est statutairement l’opérateur de formation des personnels territoriaux, et ses relations avec le CFCB local vont, selon les régions, de la co-organisation la plus harmonieuse à l’évitement le plus dédaigneux, en passant par une collaboration dans laquelle le CFCB est considéré, code des marchés publics oblige, comme un prestataire et non comme le partenaire qu’il aspire à être. La Drac joue alors, généralement, un rôle subsidiaire permettant au CFCB de compléter de façon autonome l’offre pour la lecture publique, mais dans des conditions rarement aussi avantageuses pour les établissements que celles offertes à l’enseignement supérieur ; or les bibliothèques municipales n’ont souvent pas les moyens de se doter d’une politique structurée de formation – ceci est heureusement moins vrai dans le cadre très prometteur des réseaux intercommunaux.

Le poids des concours

Paradoxalement, alors qu’elle avait été prévue dès les premières conventions, la préparation des concours aura relativement peu pesé sur les premières années d’existence des centres : après 1991, le concours de bibliothécaire adjoint n’est plus organisé pour de nombreuses années, et les autres concours de l’État (catégories A et C) ne portent pas sur les connaissances professionnelles et intéressent peu la plupart des centres. En revanche, à partir de 1995, les CFCB doivent faire face à la multiplication et à la professionnalisation des concours à l’État :

  • cette année-là, a lieu pour la première fois le concours de recrutement de bibliothécaire adjoint spécialisé prévu par le statut de 1992. Même si le concours externe s’adresse aux titulaires du DUT ou de formations équivalentes, le poids du programme et la technicité des épreuves sont tels qu’ils justifient une préparation particulièrement lourde.
  • à partir de l’année suivante, les trois corps de personnel de magasinage (inspecteur de magasinage en catégorie B, magasinier en chef et magasinier spécialisé en catégorie C) sont recrutés par un concours sur épreuves professionnelles avec programme bibliothéconomique, y compris pour leur concours interne, et ce sans aucun prérequis de formation ou de diplôme 6. La préparation éventuelle du concours devient donc un prérequis officieux quasi indispensable, au moins pour les candidats au concours externe. Ces concours, qui ont lieu désormais pratiquement tous les ans 7, apportent un surcroît d’activité considérable à tous les CFCB, qui ont à faire face à une demande très importante.
  • en 1998 est organisé un concours de bibliothécaire adjoint, qui connaît un succès remarquable (dans la mesure où aucun recrutement n’avait eu lieu depuis 1991 dans ce corps), alors même que la réflexion est déjà amorcée sur la disparition prochaine de ce corps.

À ces préparations, toutes très bibliothéconomiques, s’ajoutent les préparations aux deux concours de catégorie A, celui de conservateur et celui de bibliothécaire : bien que leurs épreuves les rapprochent plus des concours administratifs que de ceux de la filière bibliothèque, les CFCB offrent également très régulièrement des préparations, compte tenu de la très forte demande de la profession et de la fréquence de ces concours (annuel pour l’un, biennal pour l’autre).

Les préparations de concours sont donc un indéniable facteur de stabilité dans l’histoire des missions des CFCB : la préparation du concours de bibliothécaire adjoint a été remplacée par d’autres, dont le nombre et l’importance pèsent sensiblement plus lourd que ce qui était prévu en 1987. Ainsi, en 1998, des concours ont eu lieu pour les sept corps de recrutement de la filière ! Aujourd’hui, après la création en 2001 du corps des assistants des bibliothèques qui regroupe anciens inspecteurs de magasinage et anciens bibliothécaires adjoints, et après la fusion en 2007 des deux corps de magasiniers, il reste encore cinq corps avec chacun ses concours externe et interne. Pour chaque CFCB, la préparation à ces concours est une mission prioritaire et reconnue comme telle, qui prend des formes différentes selon la taille des centres : préparation spécifique ou commune à plusieurs concours, conférences, travaux dirigés, etc. Le degré d’ouverture de ces préparations est très variable également : si plusieurs centres offrent ces préparations à un public extérieur, Médiadix a dû se résoudre très tôt, face à l’ampleur de la demande, à n’offrir les siennes qu’aux candidats issus des bibliothèques (qu’ils soient internes ou « faux externes 8 »), avec une exception récente pour les étudiants des filières initiales dispensées sur place dans le cadre de l’IUT et des autres cursus du Pôle métiers du livre de Paris-X.

Pour les concours territoriaux, la situation est plus contrastée : face à une demande non moins forte 9, les centres n’offrent pas toujours une préparation à la totalité des épreuves, qui sont plus généralistes en B et C qu’à l’État ; Médiadix, pour sa part, n’a pas pu offrir jusqu’ici de préparation à ces concours. En ce qui concerne la catégorie A, la situation est assez différente, puisque les épreuves sont les mêmes pour conservateur d’État et territorial.

L’inégalité de l’offre des centres, et quelquefois leur absence, ou plutôt leur trop grand éloignement géographique quand ils ont un territoire particulièrement étendu à desservir, posent évidemment problème pour des concours nationaux comme le sont encore ceux de l’État. Médiadix, qui avait hérité de Massy une mission et une compétence en formation à distance, a longtemps été, par défaut, le centre de préparation à distance pour les personnels n’ayant pas de CFCB dans leur proximité géographique (Montpellier, Reims, etc.) – ce qui n’a pas toujours été sans effets pervers. Le passage par internet a permis de pallier ces effets en faisant travailler les douze centres en réseau sur une plate-forme commune, appelée sans doute à de grands développements 10.

Une mission nationale

Entre-temps, les centres se seront vu reconnaître une mission nationale (même si elle a été déléguée à peu d’entre eux) : lors de la fusion en 2001 du corps des inspecteurs de magasinage avec celui des bibliothécaires adjoints pour former celui des assistants des bibliothèques 11, il a été décidé que les nouveaux assistants recrutés par concours bénéficieraient d’une formation post-recrutement, d’une durée de 150 heures, durant leur année de stage ; et cette formation a été confiée aux CFCB 12, en l’occurrence à quatre d’entre eux : Médiadix, Médiaquitaine, Médial et le CRFCB de Marseille ; la faible taille des promotions a d’ailleurs conduit, à partir de 2003, à ce que seul Médiadix, de fait, organise cette formation.

Les intérêts de cette formation, une vraie nouveauté pour les CFCB, sont multiples :

  • le fait d’assurer, pour un même corps (et quelquefois les mêmes agents), une préparation pré-recrutement et une formation post-recrutement, permet d’appréhender la nécessaire distance sur le fond et sur la forme entre la formation d’un futur professionnel et celle d’un agent en situation ;
  • l’élaboration du programme national des 150 heures a réellement permis une évolution du socle commun de compétences bibliothéconomiques, au sens où l’objectif était en quelque sorte de cerner tout ce que doit ou peut faire un agent de catégorie B en bibliothèque… sauf le catalogage, théoriquement réservé aux bibliothécaires adjoints spécialisés ;
  • la révision de l’arrêté en 2004 a permis d’affiner encore la cohérence de cette formation face aux besoins de la profession.

Cette articulation pré-/post-formation incite bien entendu à développer encore les liens entre les CFCB et l’Enssib, qui forme bibliothécaires et conservateurs que les CFCB ont préparés à réussir les concours. Comme l’Enssib, les CFCB sont à la croisée des différents types de bibliothèques (d’État, territoriales, etc.) et, si l’on ose, des différents types de bibliothécaires ; comme l’Enssib, il nous faut réfléchir sur la meilleure formation à apporter à la profession : doit-on former de super-techniciens, des « ingénieurs bibliothéconomistes » ? des médiateurs avant tout ? des gestionnaires ? La distinction entre formation initiale et formation continue a-t-elle un sens à l’heure du LMD (Licence, master, doctorat) et de la VAE (validation des acquis de l’expérience) 13 ?

Un seul exemple qui mériterait à lui seul tout un développement : faut-il privilégier le recrutement de collègues ayant une formation homogène dans les métiers du livre (DUT, licence professionnelle, IUP ou master professionnel), ou au contraire des collègues ayant avant tout une formation classique dans telle ou telle discipline plus académique, et qui se tournent un beau jour vers notre beau métier ? Les centres de formation ne sont pas le pire endroit pour se convaincre que la profession a réellement besoin des uns comme des autres pour fonctionner efficacement, et que chacun de ces profils correspondra à des besoins ultérieurs en formation continue très différents, très complémentaires, et très indispensables.

Toutes ces questions appellent évidemment des demi-réponses, des nuances et bien sûr de nouvelles questions : c’est à cela aussi que sert la formation continue, parce qu’elle allie souplesse et expérimentation, et les CFCB, à leur niveau, ne sont pas peu fiers d’y contribuer.

  1. (retour)↑  Christophe Pavlidès, « Entre représentation identitaire et mythologie d’une profession : le CAFB », Bibliothécaire : quel métier ?, sous la direction de Bertrand Calenge, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, coll. Bibliothèques, 2004, p. 151-161.
  2. (retour)↑  Voir notamment Annie Béthery, « À propos de Médiadix », Livres Hebdo, no 14, 4 avril 1988, p. VI.
  3. (retour)↑  Jean-Pierre Seguin, « Réforme des enseignements permettant l’accès des personnels techniques et scientifiques aux bibliothèques-services d’information et de documentation », BBF, 1985, no 2, p. 152-163.
  4. (retour)↑  Arrêté du 5 mai 1989, JO du 13 mai 1989.
  5. (retour)↑  La réforme parallèle des corps de l’État est publiée en janvier 1992.
  6. (retour)↑  Ces trois corps recrutent, à l’externe, des candidats titulaires du baccalauréat (inspecteurs), du brevet des collèges (magasinier en chef), voire sans diplôme s’ils ont effectué une classe de quatrième (magasinier spécialisé) ; en interne, comme pour toute la fonction publique, seules des conditions d’ancienneté sont exigées.
  7. (retour)↑  Le concours d’inspecteur de magasinage a lieu pour la dernière fois en 1998. Celui de magasinier spécialisé a lieu pour la dernière fois en 2000 et est remplacé, de 2002 à 2006, par des recrutements directs au titre de la loi 2001-2 du 3 janvier 2001 dite loi Sapin.
  8. (retour)↑  Les faux externes sont les candidats travaillant déjà en bibliothèque mais ne remplissant pas (encore) les conditions de statut et/ou d’ancienneté requises pour passer les concours internes. Du fait de l’accroissement du niveau des études et de l’étroitesse des recrutements, il s’agit d’un phénomène très significatif souligné par tous les jurys de concours.
  9. (retour)↑  Le nombre de places offertes est souvent très élevé pour les concours territoriaux, mais ces places sur une liste de lauréats, rappelons-le, ne sont pas une garantie de recrutement : le lauréat doit postuler ensuite à un poste vacant.
  10. (retour)↑  Brigitte Renouf, Karin Moëllon, Margarita Shala, « Formations à distance à la préparation de concours », BBF, 2006, no 3, p. 99-100.
  11. (retour)↑  Décret no 2001-326 du 13 avril 2001, JO du 15 avril 2001.
  12. (retour)↑  Arrêté du 4 février 2002 (JO du 23 février 2002) modifié par l’arrêté du 29 juin 2004 (JO du 21 juillet 2004).
  13. (retour)↑  Christophe Pavlidès, « Bibliothécaires et LMD : harmonisation européenne des diplômes ou exception française ? », Bibliothèque(s), octobre 2005, no 22, p 35-38.