L'image et le son en bibliothèque à l'heure du virtuel

Françoise Aubert

Quelle est la place de l’institution « bibliothèque » dans un univers où l’internaute peut télécharger à domicile musiques et films en ligne ? Pour pouvoir répondre, Dominique Lahary (bibliothèque départementale du Val-d’Oise, vice-président de l’ADBDP), introduisant la journée du 6 avril, pose d’emblée la nécessité de bien appréhender les évolutions socioculturelles, techniques, économiques et juridiques liées à la dématérialisation des supports. Jean-Samuel Beuscart (sociologue, Institut des sciences sociales du politique de l’ENS de Cachan) souligne l’ impact des nouveaux outils sur les usages. Depuis les années 1960, on constate une croissance continue de la consommation musicale au fil des générations, une désacralisation du principe d’écoute – autrefois réservée aux publics des concerts –, une tendance à un éclectisme des goûts musicaux. Le consommateur achète (légalement depuis 2005) des musiques en ligne, ou bien les télécharge gratuitement par le peer to peer. C’est parfois l’occasion de découvrir des talents cachés souvent inédits en CD.

Passé l’enthousiasme de la découverte, l’internaute exploite les possibilités interactionnelles du logiciel et rejoint des communautés virtuelles d’amateurs éclairés – Pro’Am – voire de prescripteurs – et devient même radiodiffuseur grâce aux web-radio, blog-cast ou radio-blog. Les mêmes usages sont constatés parmi les cinéphiles.

Sur l’impact des usages sur les marchés de la musique et des films,  André Nicolas, directeur de l’Observatoire de la musique à la Cité de la Musique, fait un constat analogue. L’offre de musiques sur Internet a doublé en deux ans. Les grandes surfaces dématérialisent une partie de leur offre. On constate l’émergence d’une économie de titre où le téléchargement se développe au détriment du CD single. Le CD audio durera probablement encore une dizaine d’années. Le top des ventes « en ligne » suit le palmarès des ventes physiques dominé par les quatre majors du disque. Les bibliothécaires ont un rôle à jouer pour la promotion des labels indépendants, souvent négligés par les majors et le maintien de la diversité de leur offre.

Frédéric Turcant, chef de projet chez France Télécom, invite ensuite à découvrir la VoD (Video on Demand) : l’internaute peut visionner et louer instantanément un film choisi dans un catalogue (sur téléviseur avec décodeur, PC, baladeur vidéo ou mobile). La télévision à la carte (programme des 7 derniers jours) et les offres d’abonnement (S_VOD) concurrencent la télévision traditionnelle. Un nouveau modèle économique est à construire aussi bien pour les distributeurs que pour les ayants droit.

Commentant la loi relative aux droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (Dadvsi), Yves Alix constate les difficultés d’adaptation du cadre juridique à ces nouveaux contextes techniques et économiques. Le projet de loi adopté le 21 mars dernier par l’Assemblée nationale refuse de légaliser le téléchargement. Mais les mesures techniques de protection auront du mal à être efficaces et risquent de pénaliser les usages licites. La difficulté d’adaptation du droit d’auteur est liée à l’évolution des supports, des modes d’exploitation, à la multiplicité des ayants droit. La dématérialisation du mode de distribution rend inopérants les concepts classiques d’original et de copie. Cependant, l’espace public a été entendu puisque le projet de loi autorise les bibliothèques à réaliser des copies pour leurs « besoins spécifiques ». Mais des lacunes subsistent : seuls les auteurs sont pris en compte, les producteurs de vidéogrammes sont oubliés. Et la notion de besoin spécifique d’une bibliothèque reste floue. Sachant qu’il est peu probable que la loi soit adaptée, il reste aux bibliothèques à concevoir une offre qui s’inscrive dans le cadre fixé par la loi.

Une table ronde animée par Gilles Pierret, directeur de la Médiathèque musicale de Paris et Emmanuel Aziza (président de l’association Images en bibliothèques), avec Danièle Plouzennec, Nicolas Blondeau et Louis Burle des bibliothèques de Côtes-d’Armor, de Dole et de l’Agglomération troyenne, proposait ensuite à la salle des retours d’expérience de bibliothèques pionnières, qui ont déjà pris le virage virtuel et en tirent les premiers enseignements.

Pour développer un service d’offre musicale en ligne (qui évite manipulation et usure des supports), la bibliothèque doit assurer une assistance à ses usagers, l’hébergement des ressources et des équipements, la fourniture d’accès en ligne. Le métier de bibliothécaire évolue de plus en plus vers le conseil, la médiation, la diffusion de la culture. Malgré de nouveaux services créés pour les médiathèques (catalogues multimédias en ligne, avec possibilité d’écoute en streaming ou en téléchargement sur fichiers chronodégradables, comme le service Ithèque de Troyes proposé par la société Tonality ou le catalogue Naxos), l’offre reste insuffisante et ne progressera que sous la pression de la demande des bibliothèques publiques. Les CD et les DVD sont encore nécessaires pour combler les manques de l’offre en ligne, et satisfaire les usagers qui ne sont pas forcément équipés à domicile.

L’après-midi, les interventions successives de Sophie Danis et Laurent Hugou (BPI), Marie-Hélène Serra (médiathèque de la Cité de La Musique), Christine Angoujard (INA Atlantique Rennes) et Gaël Naizet (Cinémathèque de Bretagne) ont présenté un éventail de nouveaux services conçus pour les médiathèques.

La Bpi propose un « package » de 1 350 films numérisés diffusables publiquement. Des négociations sont en cours pour pouvoir élargir cette offre par celle d’autres fournisseurs VoD. La majorité des concerts produits par la Cité de la Musique sont documentés et écoutables (et « visionnables ») en ligne. Un projet éducatif est en cours d’élaboration. La Cinémathèque de Bretagne et l’Institut national de l’audiovisuel Atlantique ouvrent l’accès en ligne à leurs fonds audiovisuels.

Face à toutes ces mutations, les bibliothèques doivent se repositionner. Le métier de bibliothécaire doit suivre. Mais les fonctions essentielles de sélection, de prescription et de traitement documentaire (signalement, catalogage, dépouillement), demeurent pour guider l’usager dans les méandres du virtuel.