L'avenir des idées

le sort des biens communs à l'heure des réseaux numériques

par Jean-Philippe Accart

Lawrence Lessig

traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Soufron et Alain Bony ; avant-propos de Christian Paul ; préf. de Jean-Claude Guédon. Lyon : Presses universitaires de Lyon, 2005. – V-414 p. ; 21 cm. ISBN 2-7297-0772-7 : 25 €

Enfin traduit en français 1, l’ouvrage de Lawrence Lessig arrive à un moment critique du développement d’Internet : la philosophie qui a présidé à la mise en place du réseau et à son succès est battue en brèche par l’arrivée en force de règles et de contraintes diverses d’ordre juridique (droit d’auteur, copyright…) qui rendent la diffusion de l’information de plus en plus complexe. La situation française, avec le projet de loi DADVSI (droit de l’auteur et droits voisins dans la société de l’information), est significative à cet égard. Lawrence Lessig, professeur de droit à l’université de Stanford et spécialiste du droit de l’informatique, combat au travers de son action et de ses écrits 2 pour une certaine idée de la liberté sur Internet. Il est à l’origine du mouvement Creative Commons 3 qui propose gratuitement des contrats flexibles de droit d’auteur pour la diffusion de créations (en matière audiovisuelle, d’images ou de textes).

La notion de bien commun

D’entrée de jeu, Lawrence Lessig pose deux questions : « Pourquoi vouloir encombrer le processus créatif avec des règles qui semblent n’avoir aucun lien avec l’innovation ou la créativité ? La réglementation est-elle la meilleure solution possible ? » Pour y répondre, il nous propose de suivre sa démonstration en trois étapes : la première partie, « Dot.communs : les biens communs et l’innovation », explique la notion de bien commun de manière générale, puis appliquée à Internet. L’argument principal qui soutient tout l’ouvrage est que « les ressources détenues en commun sont sources de bienfait commun », Internet en particulier étant vu comme « un bien commun de l’innovation ». Depuis son commencement, Internet comprend des zones libres et des zones réglementées – toute l’information n’étant pas accessible –, mais l’innovation a cependant été rendue possible. Comment et pourquoi ?

L’histoire du développement des réseaux avec les conflits entre, d’une part, gratuité, intérêts privés et intérêts publics, et, d’autre part, centralisation de la créativité (avec l’exemple du réseau de télécommunications américain AT&T) ou sa décentralisation (avec Internet), est révélatrice des enjeux passés ou actuels. Le fait que certaines entreprises s’approprient le travail collectif de chercheurs ou d’informaticiens sans le redistribuer (en matière de codes-sources par exemple) a créé différents mouvements de résistance : la Free Software Foundation fut à l’origine de la licence « code libre » (Open Code) et plus généralement de la General Public Licence (GPL), celle-ci fixant les conditions d’utilisation des logiciels libres 4. Le mouvement Open Source est un autre exemple de mise à disposition de logiciels libres 5.

Cependant, les contraintes juridiques semblent s’étendre sur la Toile, surtout par rapport au droit d’auteur. Pour L. Lessig, ce n’est pas tellement le fait d’instaurer ces contraintes qui est blâmable, mais les conséquences de celles-ci.

Le contrôle des câbles, des câblés et des fils

La deuxième partie, « Dot.contrastes : les différents types de créativité », distingue le monde matériel et celui du cyberespace avec deux représentations de la réalité. Le premier exemple est pris dans le domaine des arts avec les adaptations cinématographiques d’œuvres littéraires, la télévision ou la presse écrite : la situation décrite est bien évidemment celle des États-Unis, mais la comparaison peut être faite avec la France ou l’Europe. De même en matière de commerce : Internet a véritablement fait exploser l’offre commerciale. L’innovation sur Internet est visible tous les jours : elle concerne les livres HTML (produits pour le web), le MP3, les films, les serveurs musicaux et les bases de données culturelles. Les circuits de distribution type Napster correspondent à une demande nouvelle, de même que le phénomène peer-to-peer  6.

La troisième partie, « Dot.contrôles : Internet et réglementation », tend à démontrer que les changements menacent ceux qui détiennent actuellement le pouvoir. Les efforts de ces derniers pour se protéger passent en premier lieu par le contrôle des câbles, en second lieu par celui des câblés et enfin par celui des fils : l’accès libre à la musique, aux livres, à la télévision se voit contré par le copyright ou les brevets et aboutit à un « anti-bien commun ». Afin de lutter efficacement contre ces -contrôles parfois abusifs, l’auteur émet un certain nombre de propositions pour dépoussiérer le droit d’auteur notamment.

Étayé de nombreux exemples, de cas pratiques et par l’expérience personnelle de l’auteur, cet ouvrage donne sérieusement à réfléchir sur le développement actuel du Net. Bien que la situation du droit ne soit pas la même ici et aux États-Unis, des cas similaires existent qui aboutissent à une limitation des libertés. La question que pose un tel ouvrage est donc de savoir jusqu’à quelle extrémité – juridique – iront ceux qui donnent l’accès à l’information sous toutes ses formes.