La bibliothèque Anna-Amalia de Weimar endommagée par le feu

Gernot U. Gabel

Dans la nuit du 2 septembre 2004, un incendie s’est déclaré dans les combles de la Bibliothèque de la duchesse Anna-Amalia (HAAB) de Weimar en Thuringe, l’une des plus belles bibliothèques de style rococo d’Europe. Le feu a détruit une grande partie du bâtiment et un nombre considérable d’ouvrages de grande valeur.

Il était environ 20 h 30 quand l’alarme s’est déclenchée. La brigade locale des sapeurs-pompiers est arrivée rapidement sur les lieux du désastre. Alertés par le bruit et la fumée, de nombreux employés de la bibliothèque et des centaines d’habitants de la ville se sont réunis devant le bâtiment historique situé dans le centre de Weimar.

Des douzaines d’entre eux ont formé une chaîne afin de sauver les livres, les statues et les tableaux menacés par les flammes. La mousse carbonique s’avérant inefficace – le bâtiment date du XVIIIe siècle et n’était pas équipé de sprinklers –, les pompiers déversèrent des jets d’eau, inondant ainsi des milliers de volumes. En dépit des énormes efforts déployés par plus de 300 pompiers, le sinistre s’est étendu des combles à l’étage inférieur. Sous l’effet de la chute sur le plancher de morceaux de poutrelles et de charpente carbonisés, le plafond en plâtre de la salle de lecture faillit s’effondrer. Ce n’est qu’après plus de deux heures que l’incendie fut circonscrit. La perte totale est estimée à 50 000 ouvrages, pour la plupart des éditions du XVIe au XVIIIe siècle. 62 000 ouvrages endommagés par l’eau ont été transférés dans des dépôts afin d’être congelés.

La bibliothèque de Goethe

La Bibliothèque Anna-Amalia appartient aujourd’hui à une fondation créée en 1991, la Stiftung Weimarer Klassik, qui veille à préserver le patrimoine de la culture classique allemande. L’histoire de la bibliothèque remonte à 1691 quand fut constituée la collection princière du petit duché de Saxe-Weimar-Eisenach. Située au départ dans un petit palais ducal, elle n’était accessible qu’à la suite du duc. En 1756, Anna-Amalia, fille du duc de Brunswick et nièce du roi de Prusse Frédéric II, épousa le duc de Saxe-Weimar-Eisenach. Deux ans après, à la mort de son mari, elle devint la tutrice de son fils, futur duc. Sous son autorité bienveillante, Weimar devint un centre d’activités littéraires et musicales, qui attira un certain nombre de personnalités comme Herder et Wieland. La duchesse y fit venir Goethe, qui résida à Weimar et fut secrétaire du duc en 1775. Passionnée des arts, Anna-Amalia créa un salon littéraire qu’elle dénomma « Cour des Muses ». Lorsqu’elle transmit le pouvoir à son fils, la réputation du duché en avait fait le centre culturel du Siècle des Lumières.

La collection d’ouvrages augmentant sans cesse, Anna-Amalia fit réaménager, dans les années 1761-1766, le Château vert datant du XVIe siècle. Lorsque Goethe s’installa au duché, il reçut également la charge de la bibliothèque. En 1798, il rédigea les premiers règlements concernant la bibliothèque, qui donnaient accès à la collection princière à tous les habitants du duché. Durant les trente-cinq années que dura sa charge, Goethe acquit de nombreux ouvrages, doublant ainsi la collection qui, en 1830, s’élevait à environ 120 000 volumes.

La salle de lecture ovale, de style rococo, considérée comme le joyau de la bibliothèque, est située au centre du bâtiment. Toute en bois, cette salle s’élève sur trois étages et diffuse une atmosphère envoûtante. La collection en augmentation permanente s’étant trouvée à l’étroit, Goethe reçut l’autorisation d’intégrer au bâtiment une vieille tour qui appartenait aux anciens remparts de la ville. De 1821 à 1825, cette tour fut reconstruite en vue de servir à la bibliothèque. L’escalier intérieur en spirale fut sculpté dans le tronc d’un seul chêne.

Au milieu du XIXe siècle, lorsque Weimar devint un lieu de pèlerinage pour les passionnés de littérature, la « bibliothèque de Goethe » se transforma en attraction touristique. Des visites guidées du bâtiment furent organisées et faillirent transformer les collections de la bibliothèque en pièces de musée. La collection ne fut accessible à tout public qu’en 1918, lorsque l’Allemagne devint une République. La bibliothèque a miraculeusement traversé les années de guerre sans aucun dommage, bien que la ville de Weimar ait été bombardée durant les dernières semaines de la Seconde Guerre mondiale. En 1953, sous le régime communiste, la bibliothèque, tout comme les autres monuments historiques de Weimar, fut rattachée aux « Centres et monuments nationaux de recherche sur le classicisme allemand ». Rebaptisée en 1969 « Bibliothèque centrale du classicisme allemand », elle eut pour mission de collecter toute la littérature concernant la période allant de 1750 à 1850. En 1991, elle prit le nom de sa première mécène, la duchesse Anna-Amalia. Aujourd’hui, la bibliothèque abrite une collection de près d’un million d’ouvrages. Outre 2 000 manuscrits médiévaux, des Bibles, des cartes historiques et des partitions musicales, elle possède la plus grande collection au monde du Faust de Goethe.

Un tragique fait du hasard

Par manque de place, la plus grande partie du fonds avait été temporairement répartie dans plusieurs dépôts à travers la ville. En 2001 a commencé la construction d’une réserve en sous-sol, qui devrait augmenter la surface utile de la bibliothèque de 6 300 m2. La fin de ces travaux, d’un coût d’environ 24 millions d’euros, est prévue pour le début 2005. Depuis 1998, la bibliothèque est inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco.

C’est par un tragique fait du hasard que le feu s’est déclaré à peine cinq semaines avant le début du déménagement de ces fonds historiques dans le nouveau local. À cet effet, les 120 000 ouvrages du Château vert avaient déjà été recotés. Après le déménagement, il était prévu de rénover le bâtiment de fond en comble, et d’y installer un système de protection contre l’incendie. L’incendie, vraisemblablement provoqué, d’après ce que les membres du bureau fédéral de la police criminelle ont pu découvrir, par un court-circuit dans les combles, a jeté une ombre noire sur ces plans. Heureusement, le plafond de la salle de lecture, malgré les cendres et le poids des décombres, ne s’est pas effondré et pourra être restauré. Les murs, détrempés, devront être séchés et débarrassés de toute moisissure. Afin de protéger le bâtiment des intempéries, on a immédiatement installé une bâche de fortune.

Il n’y a pas que les livres à avoir été détruits par l’incendie, des tableaux ont également été réduits en cendres et des bustes de poètes endommagés. Il est actuellement impossible d’évaluer ce qui pourra être restauré. On estime à plus de 10 millions les dégâts concernant le seul bâtiment. Le gouvernement fédéral allemand a promis 4 millions d’euros pour couvrir les réparations et restaurations urgentes. Lorsque la nouvelle du désastre s’est répandue à travers l’Allemagne, une vague de solidarité a balayé tout le pays. Un appel aux donateurs a été lancé par des personnages en vue. Des entreprises, des associations ont proposé de distribuer des cartes postales et des prospectus, appelant eux aussi à faire des dons ; des musiciens et des orchestres ont donné des concerts afin de recueillir des fonds ; un quotidien a publié un calendrier illustré de douze photos des chefs-d’œuvre disparus et le président de l’État allemand a offert de mener la campagne en faveur d’un fonds pour la restauration de ce trésor littéraire de Weimar.

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La Bibliothèque Anna-Amalia avant l’incendie. © DR