Le livre électronique dans l'enseignement supérieur

Annie Le Saux

Le renouveau d’intérêt pour les livres électroniques, après une fortune plus qu’éphémère faisant suite à la promesse d’un avenir radieux – on se souvient du pôle attractif que fut le village e-book du Salon du livre 2000 –, a attiré un public fort nombreux à la journée organisée par le consortium Couperin, le 4 mars dernier à la Sorbonne. Les organisateurs de cette journée intitulée « Le livre électronique dans l’enseignement supérieur » avaient également invité une représentante d’une bibliothèque municipale. L’offre éditoriale électronique fut développée, pour les aspects positifs, cela va de soi, par des éditeurs et des « agrégateurs de contenus 1 » (alias distributeurs en ligne) français et étrangers, et tempérée par les interventions de bibliothécaires et documentalistes.

Les accès

L’offre de livres électroniques, si elle n’est encore qu’un frémissement en France – alors que le succès des périodiques électroniques n’est plus à démontrer –, se développe à plus grande vitesse à l’étranger. Qu’entend-on exactement par livre électronique ? Parle-t-on du contenu, du support nomade permettant de télécharger une œuvre numérisée, ou des deux à la fois ? La terminologie est encore loin d’être fixée : livres électroniques, livres numérisés, livres numériques, e-books s’emploient indifféremment pour désigner ce que Catherine Forestier (service commun de la documentation de l’Institut national polytechnique de Toulouse et responsable du Pôle livres électroniques du consortium Couperin) définit par trois composantes essentielles : « un contenu (fichier informatique), un support de lecture standard (ordinateur) ou dédié (Palm, Pocket PC, Personal Digital Assistant, autrement dit, en français, assistant numérique personnel…) et un programme (navigateur web, ou logiciels de lecture dédiés) ».

Les choses ne se simplifient pas lorsque l’on s’intéresse aux accès : selon les éditeurs ou distributeurs, ceux-ci peuvent être limités ou illimités, par abonnement, par nombre d’accès simultanés… Le plus souvent, tous les postes d’un même campus ou toutes les localisations d’une même université offrent un accès par le biais de l’intranet, selon le principe de la reconnaissance IP du site de la bibliothèque (Nicolas Espèche de CRC Press, et Sébastien Bogaert du SCD de l’Université de Nancy I), à laquelle peut venir s’ajouter un numéro de reconnaissance du logiciel de lecture lorsqu’il y a déchargement depuis chez soi, ou encore selon le système des logins et mots de passe. Le prêt électronique de livres téléchargés depuis son domicile à partir d’une bibliothèque en ligne est ce que propose Numilog (Denis Zwirn) 2. Dans ce cas de librairie électronique en ligne, partenaire de la BM de Boulogne-Billancourt, du service commun de documentation de Paris VIII et de la Bibliothèque publique d’information, la bibliothèque choisit les livres qui l’intéressent, le nombre d’accès et la durée des prêts aux lecteurs – la durée d’ouverture d’un livre pouvant être paramétrée, durée au bout de laquelle le livre s’autodétruit, la technologie apportant, selon les éditeurs, une assurance contre les détournements possibles.

L’offre

À quoi a-t-on accès ? Une fois encore, les possibilités sont variées : certains éditeurs proposent un abonnement à une collection de titres prédéterminés d’une discipline donnée – CRC Press 3 pour des ouvrages scientifiques ou juridiques –, d’autres donnent à la bibliothèque le choix des ouvrages (Numilog).

L’offre actuelle se fait surtout en langue anglaise, ce qui, suivant les niveaux et les domaines d’étude est plus ou moins apprécié. André Lohisse (SCD Paris-Dauphine), parlant de l’offre E-thèque 4, spécialiste en livres et articles en économie-gestion existant uniquement sous forme électronique, constate que, pour les étudiants de 1er et 2e cycles, l’offre exclusive en anglais est un handicap, au contraire de Régine Belliard (Institut national des Télécommunications, Évry), pour qui l’offre de Safari 5, qui regroupe plusieurs éditeurs spécialisés en informatique, convient parfaitement aux étudiants anglophones de son école de télécoms. Avantage pour certains, mais obstacle pour beaucoup, le fait que l’offre soit prépondérante en anglais a été majoritairement regretté par les bibliothécaires, qui attendent des éditeurs français qu’ils comblent leur retard et fassent émerger une offre francophone un peu plus substantielle.

Parmi les autres reproches avancés par les professionnels des bibliothèques, les statistiques, que les éditeurs disent effectives et présentent comme un atout, mais qui s’avèrent, pour certaines, insuffisantes ou peu significatives, quand elles ne sont pas difficiles à obtenir. Lorsqu’on aborde le sujet des coûts, on est confronté, avec le livre électronique, aux mêmes conflits entre bibliothécaires et éditeurs qu’avec les périodiques électroniques : le doublement de l’offre impliquant trop automatiquement le doublement des prix.

Par-delà ces critiques, les bibliothécaires approuvent les fonctionnalités multiples que permet la documentation électronique, certaines rappelant celles du livre papier et d’autres, que tout le monde connaît désormais, s’y ajoutant : on peut rechercher noms et mots, copier-coller, surligner, naviguer sur des liens Internet, intégrer de l’audio ou de la vidéo, et grossir les caractères – fonction particulièrement utile au public malvoyant. Le livre électronique est accessible 24 h sur 24, 7 jours sur 7, dans certains cas à domicile – le récit que Corinne Aribaud a fait de la collaboration menée à la BM de Boulogne-Billancourt avec des associations d’enfants et d’adultes handicapés moteurs et avec la société Mobipocket 6 a été particulièrement apprécié par la salle. Enfin, les livres électroniques règlent le problème du nombre d’exemplaires, fréquent chez les 1ers et 2es cycles, celui de la place, récurrent en bibliothèque ; en outre, ces ouvrages ne se détériorent pas, ne se volent pas, et ils présentent la dernière version disponible sur le marché.

Alors, pourquoi l’offre francophone – et plus spécialement en sciences humaines et sociales (François Gèze, La Découverte) – est-elle si faible ? L’offre majoritaire en anglais ne va-t-elle pas réduire encore plus la place du français dans le milieu universitaire ? L’avenir des livres électroniques – outre l’usage prometteur qui peut en être fait par les personnes handicapées (visuelles ou moteur) – semble pourtant lié à un développement d’une offre de contenus vers un public étudiant déjà ouvert à la lecture des périodiques électroniques.