Les collections des bibliothèques à Paris

Mieux les connaître, mieux les partager

Annie Le Saux

Ce colloque du 6 décembre 2001 sur « Les collections des bibliothèques à Paris : mieux les connaître, mieux les partager » 1 est le troisième du genre organisé par l’Observatoire permanent de la lecture publique à Paris (OPLPP), structure de coopération regroupant une dizaine d’institutions concernées par la lecture et les bibliothèques à Paris. 2

L’un des objectifs de l’OPLPP est de mutualiser les réflexions des institutions membres et de les rendre publiques, par le biais de rencontres et, ce qui est une nouveauté, de publications. Deux petits guides thématiques, préludes à une longue série, sont venus, en 2001, illustrer cette volonté de rendre visibles les ressources documentaires parisiennes, l’un dans le domaine de la musique, l’autre dans celui de l’entreprise et de la gestion. 3

Un paysage documentaire en pleine mutation

L’appartenance à un même territoire géographique est ce qui unit les bibliothèques au centre de l’intérêt de l’OPLPP. Mais, à côté de ce point commun, ce qui caractérise le paysage documentaire parisien, ce sont, comme l’ont fait remarquer tant Claude Jolly, sous-directeur des bibliothèques et de la documentation, que Dominique Arot, secrétaire général du Conseil supérieur des bibliothèques, les oppositions et les paradoxes.

En regard de la richesse réelle et de la diversité des collections, on observe une nette insuffisance des services, un déficit de places assises, des collections mal mises en valeur… L’abondance des collections se heurte à une faible visibilité, qui ne favorise guère l’utilisation de cette accumulation de ressources. Les multiples tutelles auxquelles appartiennent les bibliothèques parisiennes – et ce fait complexifie encore un peu plus la situation – ayant de plus en plus conscience que le premier pas pour réduire ces lacunes est de mieux connaître les collections des différents partenaires et de les partager, s’investissent dans des programmes de coopération.

Ainsi en va-t-il de la ville de Paris, qui souhaite créer des grandes médiathèques qui seront, selon les propos de Philippe Moras, de la Direction des affaires culturelles de la ville de Paris, des « chambres d’écho de la vie culturelle », chargées de développer des synergies avec les autres institutions culturelles de la capitale. À côté de ces médiathèques, la ville de Paris compte développer et moderniser le réseau des bibliothèques de proximité situées, en général, dans des petites structures. Entretenir des liens avec la couronne parisienne fait également partie des projets de la ville de Paris, qui poursuit le chantier de réinformatisation, qui, après avoir concerné le prêt, va porter sur les bibliothèques patrimoniales.

Dans le domaine des bibliothèques universitaires et, par incidence, des autres bibliothèques franciliennes, le plus grand changement sera apporté par les réalisations du programme Université du troisième millénaire, plus connu sous le sigle U3M, présenté par Daniel Renoult, président du Comité stratégique des bibliothèques d’Ile-de-France au sein de la mission interacadémique U3M. Ce programme devrait transformer, dans les années à venir – jusqu’en 2006 pour le premier plan – le paysage documentaire francilien 4. Les constructions et rénovations de bibliothèques prévues dans le contrat de plan État-Région sont les pôles forts de ces opérations structurantes.

Cette volonté de rendre plus cohérentes les offres documentaires se concrétise aussi dans le rapprochement des collections de plusieurs bibliothèques, et leur regroupement en un seul établissement, comme l’Institut national d’histoire de l’art, rue de Richelieu, ou le futur Pôle langues et civilisations du monde, sur la Zac (zone d’aménagement concerté) rive gauche. L’appartenance des bibliothèques concernées par ces regroupements à une même administration favorise cette coopération, l’objectif final étant cependant d’élargir le partenariat à des établissements relevant de tutelles différentes. Pour parvenir à la constitution d’un réseau et à l’harmonisation de la carte documentaire francilienne, souligne Claude Jolly, chaque bibliothèque doit d’abord passer par la formalisation de sa propre politique documentaire. Sans une mise en cohérence interne de la politique documentaire de chaque établissement, il ne peut y avoir ni dialogue, ni coopération.

Des chartes documentaires

C’est ce à quoi s’appliquent actuellement la Bibliothèque publique d’information (BPI) et la Bibliothèque nationale de France (BnF), en préparant l’élaboration de leurs chartes documentaires. Les missions de la politique documentaire de ces deux établissements, définies par décret, subissent des inflexions liées au développement des documents électroniques et à l’évolution du paysage documentaire parisien.

S’adressant à de multiples destinataires – autorités de tutelle, partenaires, personnel, usagers… –, la future charte de la BnF se déclinera en plusieurs versions. Le document, conçu pour être mis à jour en fonction des évolutions, se divisera en deux parties, précise Suzanne Jouguelet. L’une, générale, formalisera les orientations communes, et l’autre sera plus spécifique à chaque département.

La rédaction de la future charte de la BPI, bibliothèque publique encyclopédique à vocation nationale, prévue pour la fin 2002, s’appuie sur une réflexion à la fois sur la politique générale documentaire de l’établissement et sur les pratiques particulières de chaque acquéreur. Isabelle Dussert-Carbone a mentionné quelques difficultés auxquelles est confrontée la bibliothèque, liées au fait que la BPI doit entre autres conjuguer les missions souvent problématiques dans un même établissement de bibliothèque encyclopédique et de bibliothèque de référence, qu’elle ne doit pas oublier qu’elle a aussi le devoir de vulgariser, et qu’elle doit représenter la pluralité des opinions politiques, au risque de heurter certaines sensibilités… Car, et on l’a entendu par la suite, des tensions existent entre l’offre documentaire et la demande des usagers. « Des tensions nécessaires, estime Jacqueline Sanson, directeur des collections à la BnF, qui prouvent que la bibliothèque vit. » Les bibliothèques doivent assumer ces tensions et même les mettre en avant, redira, en conclusion du colloque, Bertrand Calenge, responsable de la communication interne et de l’évaluation à la bibliothèque municipale de Lyon : « Il faut oser dire : Oui, on fait des choix. »

Panorama de l’offre documentaire

Qu’en est-il à l’étranger ? Une comparaison avec les politiques documentaires des bibliothèques de grandes villes étrangères a fait l’objet d’une enquête menée par l’Intamel (International Association of Metropolitan Libraries) 5 auprès de ses membres et dont Aline Girard-Billon, responsable du Service technique des bibliothèques de la ville de Paris, a présenté les résultats. 6

Établir un panorama de l’offre documentaire, même dans des domaines apparemment bien identifiés, n’est pas simple. Les principaux obstacles résident dans le caractère disparate des collections à recenser, dans la diversité de l’offre – collections en consultation ou en prêt, libre accès ou magasins, collections encyclopédiques ou spécialisées –, dans la disparité des accès – accès tous publics et accès réservés –, et dans la variété des pratiques… Gilles Pierret, directeur de la Médiathèque musicale de Paris, a illustré cette complexité en donnant l’exemple de l’offre en musique à Paris 7. La difficulté pour le lecteur à s’orienter dans ce labyrinthe documentaire a été également soulignée par Françoise Yon-Cassat, responsable du Pôle de ressources et d’information sur le monde de l’entreprise (Prisme) à la BnF, qui doit faire face à une demande en forte progression, reflet de l’intérêt actuel de la société pour le domaine économique. D’où l’importance, pour elle comme pour Martine Camber, responsable de la médiathèque municipale des Ulis, de connaître l’existant, de repérer les sources, afin de réorienter le lecteur.

Avec Internet, l’offre s’est démultipliée et les politiques d’acquisition doivent en tenir compte. Même si le document électronique n’est pas encore un substitut au document papier, il est, de l’avis d’Isabelle Sabatier, directrice du service commun de la documentation de l’université de Paris IX - Dauphine, « un outil qui facilite l’élargissement et l’ouverture des collections ». Les établissements doivent s’adapter à ces nouvelles offres pour lesquelles certains modèles de partage documentaire se profilent.

Diversité des collections, variété des publics sont deux des aspects qu’ont à prendre en compte les membres de l’OPLPP désireux de tisser un réseau documentaire parisien le plus efficace possible, et de transcender les frontières institutionnelles. Un programme qu’on espère voir un jour aboutir, même si l’abandon, pour l’instant, du projet de carte unique de bibliothèque à Paris, en modère l’espoir.

« N’est-ce pas finalement une chance que d’avoir une offre aussi démultipliée ? », conclut Bertrand Calenge. Oui mais, et on l’a bien vu tout au long de cette journée, à condition que cette offre soit connue, visible et donc utilisée. Véronique Chatenay-Dolto, de la Direction du livre et de la lecture, avait souligné, en introduction au colloque, qu’il était important de développer des outils de repérage, car, si l’offre structure la demande, encore faut-il que cette offre soit connue et qu’on sache comment y accéder. Les deux guides thématiques parus en 2001 ne font qu’ouvrir un chemin encore long.