Le livre pour la jeunesse

Patrimoine et conservation répartie

Isabelle Masse

Depuis plusieurs années, l’intérêt des chercheurs, du public et des professionnels pour la littérature d’enfance et de jeunesse et son histoire est manifeste. Les études historiques sur le sujet se renouvellent 1, la demande de documentation est de plus en plus importante, et les bibliothèques sont confrontées aux difficultés posées par le manque de place, le signalement, le repérage et la conservation des ouvrages.

La mise en place d’une politique de conservation partagée 2 – création de grands pôles de lecture, répartition des tâches, plan de numérisation systématique des collections… – fut donc le thème principal d’une journée d’étude 3, intitulée Le livre pour la jeunesse : patrimoine et conservation répartie, et accueillie le 5 octobre 2000 dans le petit auditorium de la Bibliothèque nationale de France (BnF).

Les fonds jeunesse à l’étranger

La littérature pour la jeunesse à l’étranger – en Espagne, en Allemagne et dans le monde anglo-saxon – fut le thème d’une première table ronde, animée par Jean Perrot, de l’Institut international Charles Perrault.

Venue de Barcelone, Teresa Duran, spécialiste du livre pour enfants, rappela l’importance de la présence et du poids de la littérature d’enfance et de jeunesse dans la mémoire collective et individuelle. Elle signala à ce propos qu’en Espagne, à l’heure actuelle, la littérature de jeunesse éditée sous le régime franquiste, pourtant témoin d’un moment de l’histoire de ce pays, était peu à peu éliminée. Les dons ont eu un rôle important dans la constitution du fonds de la Bibliothèque internationale pour la jeunesse de Munich 4 (Andreas Bode). En font partie aujourd’hui trois collections dont les caractéristiques propres ont été préservées : les ouvrages – notables par leur rareté – rassemblées depuis 1928 par le Bureau international de l’éducation de la Société des nations de Genève ; les nombreuses éditions historiques de robinsonnades, fables, contes, légendes… léguées par le Dr Karlheinz Schulz ; enfin, un autre collectionneur, M. Mischke, a fait don de nombreux livres remarquables par la qualité de leurs illustrations.

Les pays anglo-saxons ont une place importante dans le monde du livre de jeunesse (Jean Perrot). À Toronto, la bibliothèque publique héberge la collection Osborne, un don de 2000 livres anciens du bibliothécaire anglais Edgar Osborne. Exploitée et élargie, elle offre le meilleur catalogue d’ouvrages anciens pour enfants. L’université de Colombie britannique, à Vancouver, propose une maîtrise en littérature de jeunesse. Dans l’Ohio, intégrée dans les locaux de l’institution, la Columbus Collection of Art and Design conserve 15000 albums pour enfants. Le Bethnal Green Museum of Childhood, en Angleterre, héberge la plus grande collection de livres pour enfants, donnée au Victoria and Albert Museum en 1970 5.

La coopération régionale

La coopération existe-t-elle déjà ? Et si oui, sous quelle forme ? Tel était le thème de la seconde table ronde, animée par Anne Marinet, de la bibliothèque municipale de Toulouse.

Dans les deux régions qui composent la Normandie, la coopération en est à ses balbutiements : une réunion récente a réuni quinze bibliothèques de Basse et Haute-Normandie, le groupe régional de l’Association des bibliothécaires français (ABF), et deux structures de niveau national : le musée national de l’Éducation et l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (Imec). En région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca), un groupe de coopération jeunesse fait le point sur les possibilités de conservation répartie : treize bibliothèques municipales (BM) pourraient être des pôles d’excellence thématiques, la bibliothèque municipale à vocation régionale (BMVR) de Marseille et son centre de ressources sur la littérature pour la jeunesse « L’Ile aux livres » en étant le noyau central (Annie Poggioli-Barry).

À Angoulême, le Centre national de la bande dessinée et de l’image (CNBDI) 6, créé en 1990 et chargé de la conservation, du traitement et de la présentation au public de la bande dessinée française, est pôle associé à la BnF (Claire Jerrethie). Dans cette région de Poitou-Charentes, la conservation partagée des périodiques a été mise en place : la bibliothèque qui désherbe un titre l’envoie à la bibliothèque désignée pour le conserver.

La bibliothèque de l’Institut national de la recherche pédagogique (INRP) 7 a pour vocation la collecte de toute la production relative à l’enseignement (Christophe Pavlidès). Parmi les fonds qu’elle contient, se trouvent le fonds ancien relatif à l’éducation ; un fonds de manuels scolaires ; un fonds de livres pour enfants, notamment de livres de prix, constitué de très beaux cartonnages d’éditeurs du XIX e siècle. Fait important pour le signalement des collections, la bibliothèque est centre d’acquisition et de diffusion en information scientifique et technique (Cadist) pour la recherche en éducation depuis 1991. Elle est également pôle associé à la BnF et participe au système universitaire de documentation (SU).

Ateliers

Les cinq ateliers de l’après-midi donnèrent aux participants l’occasion de développer les thèmes abordés durant la matinée : désherbage, numérisation, politique documentaire, presse et périodiques, coopération.

Un premier atelier s’était fixé pour but de réfléchir sur le désherbage. Y furent évoquées les multiples difficultés posées par le repérage des fonds existants et des thématiques spécifiques à chaque bibliothèque, et bien sûr, par le choix des critères de désherbage – l’état d’usure, les exemplaires multiples, les contenus, etc. Quant au manque de personnel, mis en évidence par l’investissement nécessaire et l’ampleur de la tâche, il serait possible d’y remédier par la mise en place de structures intermédiaires (par exemple, les agences de coopération), et en collaborant au niveau local ou régional plutôt que par une structure nationale unique.

L’atelier numérisation fut l’occasion d’une mise en garde et du rappel des points importants préalables à toute prise de décision dans ce domaine : l’appel à un prestataire extérieur, la rédaction d’un cahier des charges précis et l’exigence d’un contrôle de qualité. Mais le recours à la numérisation ne règle pas le problème de la conservation : le cédérom n’est pas un support stable. De plus, il n’est possible de ne numériser que des ouvrages libres de droit. Le choix des dates pour un fonds de conservation, les types d’utilisateurs, les outils pour la recherche furent les trois points abordés lors de l’atelier Politique documentaire.

Le quatrième atelier était consacré à la presse et aux périodiques, dont la perception évolue peu à peu : l’université est de plus en plus ouverte à l’étude de ces supports, la demande de consultation s’est développée ; quelques bibliothèques en conservent d’importantes collections : le CNBDI pour les bandes dessinées, les bibliothèques municipales de Marseille et de Metz, l’Heure joyeuse… Les répertoires nationaux, tel le Catalogue collectif national des publications en série (CCNPS), permettent de localiser les titres ; les libraires spécialisés et la vente aux enchères permettant de compléter les collections, qu’il faut bien sûr trouver le temps et les moyens financiers de traiter : le manque de place et la conservation relèvent du cauchemar, et le recours à la numérisation est problématique, faute de moyens.

Comment participer à une politique de conservation partagée ? Comment fédérer les fonds ? Comment organiser les travaux régionaux – identification, recensement, mesure des besoins des professionnels, élimination – à l’échelon national ? Telles furent quelques-unes des nombreuses questions posées durant l’atelier Coopération régionale. Ce dernier émit le souhait que soit réalisé un vademecum qui, pour y répondre, reprendrait les méthodes à suivre pour l’établissement d’un plan de conservation partagée.

Cette journée d’information, de défrichage, de mise en commun des difficultés, et de prises de contact, aura mis en route un mouvement de réflexion aux niveaux national et régional, et sera suivie de rencontres annuelles, qui permettront de faire régulièrement le point sur son évolution.