Réflexions exploratoires sur le métier de directeur de bibliothèque

Le cas des bibliothèques municipales

Jean-Luc Gautier-Gentès

Les directeurs de bibliothèques municipales sont des fonctionnaires, tenus d'obéir à l'autorité municipale. Mais ils ont par ailleurs des obligations envers le public qui incluent, notamment dans le domaine des acquisitions, la neutralité. Les garanties dont ils jouissent pour se prémunir contre les pressions des municipalités en la matière sont incertaines ; des pistes sont explorées pour les améliorer. Mais le renforcement nécessaire des droits des directeurs, effectué dans l'intérêt de la collectivité, a pour corollaire la nécessité pour eux de se plier à des règles destinées à protéger la même collectivité contre un possible arbitraire : explicitation de la politique documentaire ; transparence de la gestion et pratique de l'évaluation. Les problèmes sensibles de l'association à la détermination et à la conduite de la politique documentaire des élus d'une part, des usagers d'autre part, font l'objet d'un examen visant à ménager à ceux-ci leur juste place, de même que pour les voies les plus appropriées à la résolution d'éventuels conflits.

The directors of municipal libraries are civil servants, held in obedience to the municipal authority. However, they also have obligations to the public which include, notably in the area of acquisitions, neutrality. The guarantees which they enjoy to protect themselves against pressure from the municipality in such matter are uncertain ; these lines are explored in order to improve them. But the necessary reinforcement of the rights of directors, effected in the interest of the public, has as a corollary the necessity for them to submit to the rules aimed at protecting that same public against possibly arbitrary decisions: an explicit acquisition policy; transparency in management and evaluation practices. The perceptible problems of an association between the determination and drive of the acquisition policy of those responsible on the one hand and users on the other are the object of an examination aimed at making room for each of these in their appropriate place. That is to say, the most appropriate ways to resolve eventual conflicts.

Leiter von Stadtbibliotheken sind Beamte, die der Stadtverwaltung verpflichtet sind. Aber sie haben andererseits auch Verpflichtungen gegenüber ihres Publikums, die sich vor allem im Erwerbungsbereich durch Neutralität bemerkbar machen. Es besteht nur eine geringe Sicherheit um sich in diesem Bereich gegen ausgeübten Druck durch die Stadtverwaltung zu schützen. Um dies zu verbessern wird verschiedenen Pisten nachgegangen. Aber die im Sinne der Gemeinschaft notwendige Verstärkung der Rechte der Bibliotheksleiter, beinhaltet die Notwendigkeit sich Regeln zu beugen, die dazu dienen die gleiche Gemeinschaft gegen Willkür zu schützen: Erläuterung der Dokumentarpolitik; transparente Verwaltung und Evaluierung. Die sensiblen Punkte, die sich aus der Beteiligung der Kommunalpolitiker einerseits und der Benutzer andererseits an der Bestimmung und Durchführung der Dokumentarpolitik ergeben, werden so gehandhabt, dass jeder seinen Platz findet. So werden auch zur Klärung möglicher Konflikte die geeigneten Mittel eingesetzt.

« De même que le marin est l’un des compagnons d’une navigation, de même en est-il à notre avis du citoyen. Et quoique les marins soient différents par leurs fonctions (car l’un est rameur, un autre pilote, un autre timonier, un autre reçoit quelque autre titre de ce genre), il est clair, d’une part, que la définition la plus exacte de l’excellence de chacun lui sera propre, mais que, d’autre part, il y aura aussi une définition commune qui conviendra à tous ».

Aristote, Politique 1

Il sera largement question dans cet article, d’une part, des rapports qu’entretiennent, que pourraient ou devraient entretenir les directeurs de bibliothèque municipale et les municipalités dont ils relèvent, d’autre part, des acquisitions 2.

Cette orientation s’explique par les origines du texte : un exposé sur les « droits et devoirs des directeurs de bibliothèque » présenté le 25 mai 1998 à Aix-en-Provence à la demande du groupe Provence-Alpes-Côte-d’Azur de l’Association des bibliothécaires français (ABF), demande qui se situait elle-même dans un contexte bien particulier. Ce contexte est celui des pressions exercées par des municipalités sur « leurs » bibliothèques dans le domaine des acquisitions, interventions si systématiques que l'on peut sans exagération parler de substitution des élus aux bibliothécaires. Il a paru dans ces conditions plus qu'opportun, indispensable, à ces derniers, de préciser leurs droits par rapport à l'autorité municipale.

C'est volontiers que nous avons accepté de les y aider, tout en considérant que, pour les bibliothécaires, comme pour tout citoyen et tout fonctionnaire, les droits s'accompagnaient de devoirs, et qu'on leur reconnaîtrait d'autant plus volontiers les premiers qu'eux-mêmes définiraient et s'engageraient à remplir les seconds.

Le fait d'avoir mis l'accent, dans cette réflexion, sur les acquisitions, ne nous paraît pas appeler de justification plus circonstanciée. En effet, les collections, que les acquisitions constituent, sont bien la raison d'être des bibliothèques. C'est pour mettre des collections à la disposition du public que les bibliothèques ont été ouvertes et reçoivent des moyens. Et c'est donc notamment sur la nature de ces collections, sur leur qualité, sur leur pertinence par rapport aux buts poursuivis, que les directeurs de bibliothèque ont vocation à être jugés, ce sont les collections qui engagent, dans une large mesure, leur responsabilité.

Par ailleurs, pour avoir mis l'accent sur les rapports des directeurs de bibliothèque et l'autorité municipale, nous n'avons pas oublié le public, les devoirs des directeurs envers lui. Ces devoirs seront même au centre du débat dans la mesure où, comme nous le verrons, ils sont appelés à conditionner la nature des relations entre les directeurs de bibliothèque et l'autorité municipale.

L'exercice consistant à se pencher sur les relations qu'entretiennent, que devraient entretenir, l'administratif et le politique, est probablement aussi ancien, ou presque, que l'administration. Pour diverses raisons, dont l'une est, de l'avis des acteurs, une proximité plus grande que dans l'administration d'État, proximité accentuée par la décentralisation 3, l'autre, dont les effets sont accusés par la première, l'élection de municipalités Front national, cette réflexion a récemment pris un tour particulièrement aigu dans le cas des rapports entre les agents de la fonction publique territoriale et les élus dont ils relèvent 4. De ce point de vue, la réflexion à laquelle nous nous proposons de nous livrer aujourd'hui n'a rien de singulier ; elle doit être re- située dans un débat plus vaste.

Toutefois, au sein de la question des rapports entre les cadres territoriaux et les élus, celle des rapports des directeurs de bibliothèques et des élus paraît bien occuper une place singulière. Cette singularité est à rechercher autour des notions de neutralité et de propagande. Par rapport à l'« administration administrante », la bibliothèque présente en effet une double caractéristique. D'une part, du fait, notamment, qu'elle contribue à former les esprits, dont celui, réputé particulièrement vulnérable, des enfants, la neutralité est perçue, semble-t-il, comme devant y être encore plus scrupuleuse que dans d'autres services publics (l'école exceptée). D'autre part, du fait que la bibliothèque se trouve en situation de manipuler du politique pur, du politique qui s'affiche plus ou moins comme tel, notamment la presse d'actualité, la neutralité y apparaît précisément comme plus fragile, plus menacée que dans ces autres services publics.

Schizophrénie latente et schizophrénie patente

Qu'est-ce qu'un directeur de bibliothèque ? D'une part, c'est un fonctionnaire. Comme tel, il jouit d'un certain nombre de droits garantis principalement par le statut général des fonctionnaires de l'État et des collectivités territoriales 5.

Il a aussi des obligations. Résumons celles-ci à gros traits : chef d'un service municipal, le directeur de la bibliothèque doit exécuter les ordres de ses supérieurs hiérarchiques – en d'autres termes, appliquer la politique déterminée par les autorités municipales 6.

D'autre part, le directeur de bibliothèque est responsable de cet équipement culturel particulier qu'est une bibliothèque. Si sa qualité de fonctionnaire l'oblige à exécuter fidèlement une certaine politique, nécessairement marquée du sceau du ou des partis dont relève la municipalité, sa qualité de responsable d'une bibliothèque l'appelle à des devoirs d'une autre sorte, plus désintéressés, plus amples : en bref, permettre au plus grand nombre d'avoir accès à la culture (au sens large du terme) à travers les collections, avec ce que cela suppose de pluralité, de qualité, etc. On pourrait dire que le directeur de bibliothèque, comme fonctionnaire, a des devoirs envers le particulier, le local ; et comme responsable d'une bibliothèque, envers le général, l'universel.

Quand la municipalité ne se mêle pas de ce que la bibliothèque acquiert, tout va bien entre le directeur et cette municipalité (du moins sur ce plan). Il y a une sorte de reconnaissance implicite, de la part de la municipalité, que la neutralité de la bibliothèque (nous partons ici du principe que cette neutralité est observée), autrement dit l'indépendance de la bibliothèque, son absence de servilité politique et intellectuelle à son égard à elle, municipalité, font partie du travail du directeur. Que loin d'être en contradiction avec ses devoirs de fonctionnaire, elles en constituent l'essence même, ce pourquoi il a été engagé et reçoit un traitement.

Quand, au contraire, la municipalité entend intervenir dans les acquisitions, que ce soit par des interdictions ou par des prescriptions, le contrat tacite est rompu. Le conflit latent entre la municipalité et la bibliothèque devient manifeste. Et patente la « schizophrénie » sous-jacente du directeur de bibliothèque, à la fois fonctionnaire tenu d'obéir à une assemblée politiquement marquée et à son émanation, le maire, patron des services municipaux, et responsable d'une institution tenue à la neutralité.

Les conflits qui ont opposé, au sujet des acquisitions, les municipalités Front national d'Orange et de Marignane et les directrices des bibliothèques de ces villes, ne sont que la version paroxystique des frictions qui, en cas de désaccord sur la politique d'acquisition, opposent ordinairement directeurs de bibliothèque et municipalités « républicaines ».

Pourquoi paroxystique ? Parce que les interventions de ces municipalités « extrémistes » se sont signalées par leur caractère particulièrement systématique et violent 7. Et parce que là où un directeur, dans le cas de municipalités tenues grosso modo pour démocrates, aura la tentation de composer, de ne réagir que faiblement aux pressions, en considération du fait qu'elles relèvent de formations qui ne menacent pas les valeurs de la République, les directrices des bibliothèques d'Orange et de Marignane ont cru devoir résister vigoureusement. A proportion du danger que l'idéologie dont on prétendait leur imposer la représentation ou la surreprésentation leur paraissait comporter.

D'un côté, les devoirs du directeur envers la municipalité. De l'autre, ses devoirs envers le public, la totalité du public, qu'il soit ou non en accord avec la municipalité. Comment concilier les deux ?

Vraies et fausses garanties

Remarquons tout d'abord que, à l'heure actuelle, la balance n'est pas égale. De quelles garanties les bibliothécaires jouissent-ils pour remplir leurs devoirs envers le public ? Nous laisserons de côté la protection qui leur est accordée en tant que fonctionnaires, bien qu'elle ne soit pas négligeable, pour nous attacher aux garanties dont ils bénéficient pour constituer des collections diverses, plurielles. Il en est au moins deux.

Première garantie. Les statuts respectifs des conservateurs de l'État, des conservateurs territoriaux et ceux des bibliothécaires territoriaux disposent qu'ils ont vocation à constituer les collections 8 (à participer à cette constitution pour les derniers : restriction qui vise le cas où conservateurs et bibliothécaires coexistent dans le même établissement et non celui où un bibliothécaire dirige un établissement ; la responsabilité de ce bibliothécaire à l'égard des acquisitions est alors entière). Et il convient d'ajouter sur ce point que, selon une jurisprudence constante, le droit des maires à prendre des « mesures d'ordre intérieur », autrement dit le droit à organiser le service, a pour limites les prérogatives attachées au statut des agents.

Deuxième garantie. Il s'agit de l'article bien connu R 341-6 du Code des communes (article 6 du décret du 9 novembre 1988 sur le contrôle technique), selon lequel le contrôle exercé par l'État sur les bibliothèques des communes porte notamment « sur la qualité des collections, leur renouvellement, leur caractère pluraliste et diversifié ».

Deux garanties, donc. Mais leurs limites sont évidentes et ont été, à ce titre, déjà souvent soulignées.

Les limites de la garantie offerte par les statuts sont les suivantes.

1. La vocation des conservateurs et des bibliothécaires à constituer les collections s'inscrit dans le respect des compétences du conseil municipal en la matière. C'est du conseil municipal, en effet, que relève la politique de la bibliothèque, y compris sa politique d'acquisitions documentaires. Et c'est par une délégation du conseil, soit explicite soit implicite, que le directeur, conservateur ou bibliothécaire, remplit la mission que son statut lui assigne : en l'occurrence, constituer les collections. Il en résulte semble-t-il que le maire ne peut pas, de sa seule autorité, interdire ou ordonner des acquisitions 9. Il est non moins vrai qu'on voit mal le conseil, autrement dit la majorité dont procède le maire, se désolidariser de sa politique.

2. La distinction est parfois difficile à établir entre de véritables mesures d'ordre intérieur et une décision qui fait grief à un fonctionnaire.

3. Tous les directeurs de bibliothèque ne sont pas conservateurs ou bibliothécaires. Or, les statuts des autres cadres d'emploi, obéissant à leur logique propre, logique hiérarchique et non fonctionnelle, sont muets quant aux responsabilités des agents en matière d'acquisition. Notamment parce que, à l'exception du statut des assistants qualifiés, ils n'envisagent tout simplement pas que ces autres agents puissent diriger des établissements.

4. Une municipalité dispose de toutes sortes de moyens pour imposer, le cas échéant, son point de vue au directeur de la bibliothèque.

Elle peut, pour ainsi dire, le « prolétariser » ou le « bibliothécariser », c'est-à-dire diminuer sa marge de manœuvre en le poussant vers le bas, en confiant la réalité du pouvoir à quelqu'un d'autre. L'exemple des bibliothèques départementales de prêt nous l'enseigne : cela peut être fait de diverses façons.

C'est l'instant de rappeler que si les statuts des conservateurs, des conservateurs territoriaux, des bibliothécaires territoriaux et des assistants qualifiés disposent qu'ils ont vocation à diriger les bibliothèques, ils ne leur réservent pas l'exclusivité de la direction. A l'inverse, un décret paru en 1994 se propose manifestement d'élargir les compétences des attachés territoriaux au-delà de la pure administration : à la direction de « bureaux » vient s'ajouter celle de « services » ; et parmi les politiques à la « conception », à l'« élaboration » et à la « mise en œuvre » desquelles ils ont vocation à « participer », figurent explicitement, les domaines d'intervention étant désormais déclinés, les politiques culturelles 10.

La municipalité peut aussi amputer les moyens de la bibliothèque, qu'il s'agisse des locaux, du budget, des effectifs ou des équipements. Il lui serait même loisible de procéder à sa suppression, puisque les bibliothèques municipales ne font pas partie des services obligatoires pour les communes.

Nous ne nous étendrons pas sur les limites, déjà maintes fois soulignées, de la seconde garantie, à savoir l'article R 341-6 du Code des communes : dispositions excédant dans une certaine mesure le pouvoir réglementaire, ne faisant de surcroît l'objet que d'une obligation implicite et dont la définition, enfin, reste à préciser.

Pistes

Comment remédier à la situation ? Comment faire en sorte que, s'agissant des acquisitions, l'universel l'emporte sur le local, pour reprendre la terminologie que nous avons risquée ?

L'exercice est délicat. Il consiste en effet à autonomiser sensiblement les bibliothécaires par rapport à des conseils municipaux et à des maires élus démocratiquement, en somme, à déroger, dans une certaine mesure, au nom d'une sorte d'intérêt supérieur du peuple, au principe démocratique de respect, à travers les élus, de la volonté populaire.

Plusieurs possibilités peuvent être envisagées. La liste qui suit, exploratoire, n'est pas exhaustive. Les possibilités évoquées sont complémentaires.

1. Empêcher les municipalités de supprimer les bibliothèques municipales en faisant de celles-ci des services obligatoires. Si souhaitable que puisse apparaître, sur un plan général, une telle mesure, on ne l'évoque ici que pour mémoire, le risque, en cas de conflit entre un directeur de bibliothèque et une municipalité, paraissant être plutôt celui du dépérissement du service (par privation de moyens et/ou transfert de ses missions à une autre structure) que de la suppression.

2. Reconnaître l'existence d'une fonction spécifique de direction d'une bibliothèque municipale, que celui qui l'assume porte ou non le titre de directeur 11. En effet, alors que cette fonction, déclinée de façon relativement circonstanciée, apparaît dans les textes qui régissent les bibliothèques universitaires 12, elle est absente de ceux qui régissent les bibliothèques municipales. La responsabilité de la politique documentaire serait attachée à cette fonction.

Nous avons pris soin de préciser, au seuil de cette énumération, que les hypothèses évoquées n'étaient pas exclusives mais complémentaires. C'est particulièrement vrai pour celle-ci et celle qui suit (formation spécialisée). En effet, reconnaître l'existence d'une fonction spécifique de direction, à laquelle serait attachée la responsabilité de la politique documentaire, sans que le titulaire ait été formé à cet effet, irait à l'encontre du but poursuivi, à savoir, une qualité maximale du service public bibliothèque.

3. Lier le droit de diriger les établissements à une compétence scientifique et technique. Autrement dit, le subordonner à la possession ou, du moins, à l'obtention d'une formation spécialisée.

Il y aurait beaucoup à dire sur le contenu de cette formation et sur la façon dont le directeur – spécialement le directeur – doit ensuite la mettre en œuvre. Paradoxalement, ce qu'un directeur doit savoir et faire n'a pas fait l'objet de tout l'approfondissement que l'on pourrait imaginer. En 1995, un « premier recensement des métiers des bibliothèques » (en fait un descriptif des fonctions, plusieurs d'entre elles étant accomplies, le cas échéant, par les mêmes agents) était établi à l'initiative de la Direction de l'information scientifique et technique et des bibliothèques 13. Les « activités » du « directeur de bibliothèque ou de service à vocation documentaire et culturelle » y sont déclinées ; et parmi celles-ci figure bien la « conception et la mise en œuvre de la politique de la bibliothèque et des réseaux documentaires (collections, services, etc.) », ainsi que l'« évaluation (environnement, activités, collections, besoins des publics) des compétences mises en œuvre ». En revanche, une sorte de contre-épreuve, à savoir le dépouillement de l'« index des compétences » placé à la fin du volume et qui renvoie aux « fiches-métiers », rappelle ou révèle que les compétences suivantes sont curieusement absentes de celles qu'on attache à la fonction directoriale : autoformation ; connaissance des publics ; droit ; statistiques.

Ici encore, on se bornera, à titre de pierre d'attente, à deux remarques. Primo, les bibliothécaires (au sens générique du terme) auront d'autant plus de chances d'être évincés, en droit ou en fait, de la direction des établissements, par des agents de la filière administrative, qu'ils ne feront pas preuve d'une compétence minimale en matière administrative. Secundo, déléguer à ses collaborateurs le soin non seulement de choisir l'essentiel des titres acquis, ce qui est inévitable, mais de définir de facto la teneur de la politique documentaire, n'est pas le plus sûr moyen pour un directeur d'affirmer sa compétence et partant sa responsabilité, son autonomie, en matière d'acquisitions, vis-à-vis d'une municipalité 14.

Au chapitre des qualités dont tout agent devrait faire preuve, mais particulièrement les directeurs, parce que leur rôle est déterminant et leurs fonctions plus exposées, on pourrait ajouter notamment des plaidoyers en faveur de la mobilité 15 et d'une formation permanente soutenue 16. En outre, la « scientificité » que leur statut attache aux fonctions des conservateurs généraux et des conservateurs de l'État (ils constituent, et eux seuls, le « personnel scientifique des bibliothèques »), et que les conservateurs territoriaux, non sans raison, s'étonnent de ne pas voir attacher aux leurs, suppose une activité minimale de recherche ou de réflexion théorique, au moins sur le domaine professionnel.

4. Pour tenir compte des personnels de bibliothèque qui dirigent des bibliothèques sans être conservateurs ni bibliothécaires, leur attribuer, quand ils sont en situation de direction, les responsabilités que leurs statuts confèrent aux conservateurs et aux bibliothécaires en matière de constitution des collections. La définition, évoquée plus haut, d'une fonction de directeur de bibliothèque, constituée pour partie par la responsabilité des acquisitions, permettrait d'atteindre ce résultat, sans qu'il soit besoin de toucher aux statuts des agents concernés, opération lourde et, surtout, pour diverses raisons dans le détail desquelles on n'entrera pas ici, délicate.

Encore faut-il que ces agents possèdent une véritable compétence en la matière, ce qui pose le problème, selon les cas, de leur formation initiale, ou d'une formation continue adaptée. Par ailleurs, qu'en sera-t-il d'un assistant de conservation ou d'un agent qualifié du patrimoine qui, s'étant vu reconnaître une responsabilité et donc une compétence en matière d'acquisitions parce qu'il était directeur, viendrait à cesser de l'être ? Sa compétence sera-t-elle réputée disparaître en même temps que sa responsabilité ?

Ne méconnaissons pas, par ailleurs, un risque. Dès lors que tout directeur, par une sorte de grâce d'état, se verrait reconnaître une responsabilité en matière d'acquisitions, fût-il assistant de conservation ou agent du patrimoine, des villes, se hâtant de conclure, parce qu'elles y voient le moyen de faire fonctionner leur bibliothèque à moindres frais, de la responsabilité à la compétence, n'en tireront-elles pas argument pour recruter des agents d'un niveau hiérarchique insuffisant ?

5. Fournir aux directeurs, pour résister au local par opposition à l'universel, un texte d'une portée juridique incontestable. En faisant passer du domaine réglementaire (décret de 1988 codifié dans le Code des communes) au domaine législatif, et du stade de l'obligation implicite à celui de l'explicite, le principe de neutralité des collections, une loi sur les bibliothèques répondrait notamment à ce besoin.

A la lumière des événements récents, une sixième mesure a pu être évoquée : l'instauration, au profit des bibliothécaires, d'une « clause de conscience », leur permettant de se soustraire à des instructions ou à des pressions dont ils estimeraient qu'elles mettent gravement en cause les missions fondamentales de la bibliothèque.

Le directeur de la bibliothèque devant, comme tout fonctionnaire, ainsi que nous l'avons rappelé plus haut, « se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique » 17, et d'autre part, ne pas faire connaître urbi et orbi, le cas échéant, son désaccord avec la politique qu'on lui demande d'exécuter (c'est le fameux « devoir de réserve » 18), la clause de conscience constituerait pour lui une échappatoire, le pendant naturel, en termes de droit, du devoir d'obéir sans protester.

Sans se prononcer, à ce stade, sur le fond de cette revendication, il faut mettre en relief combien elle est étrangère à la philosophie qui préside au fonctionnement actuel de la fonction publique en France. Selon le statut général des fonctionnaires, qui intègre sur ce point une jurisprudence dégagée antérieurement par le Conseil d'État, le fonctionnaire n'est pas tenu d'obéir si « l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ». Dans certains cas, ce droit de désobéir peut être un véritable devoir. Mais cette possibilité ou cette obligation, c'est selon, se présente comme une simple limitation du principe hiérarchique, qui demeure le pilier du système. Et la preuve en est que les conditions permettant de s'en prévaloir sont définies rien moins que libéralement par les décisions jurisprudentielles 19.

Le recours à une « clause de conscience » serait d'un tout autre ordre. En effet, il ne consisterait pas à tenter de se soustraire à l'exécution d'un ordre illégal. Mais à l'exécution d'un ordre qui, pour des raisons à préciser, heurterait la conscience (au sens large, il pourrait s'agir de l'idée qu'il se fait de l'intérêt collectif) du fonctionnaire. Il y a là, sur le plan des principes, une contradiction évidente avec le fait que la loi s'applique à tous, a fortiori à ceux qui sont chargés de la traduire dans les faits.

Encore faut-il savoir de quoi l'on parle. Plusieurs types de clauses de conscience peuvent être envisagés.

Un premier type de clause de conscience ne serait pas propre aux directeurs de bibliothèque. Il s'agirait du droit de quitter son poste en bénéficiant d'un certain nombre de garanties, telles que des indemnités 20. La mise en place d'un tel mécanisme comporte des implications politiques, administratives, financières et statutaires qui excèdent la compétence du ministère de la Culture 21.

Un second type de clause de conscience serait particulier aux directeurs de bibliothèque. Il s'agirait du droit de ne pas appliquer des décisions jugées contraires aux missions fondamentales de la bibliothèque. Ces missions fondamentales, nous en voyons au moins deux : accès de tous les publics sans distinction de sexe, de race, de religion, etc. ; neutralité.

Réflexion faite, nous sommes réservé à l'égard de l'instauration d'une telle clause de conscience. En effet, conçue dans un contexte particulier, destinée à permettre à des bibliothécaires de se soustraire à l'acquisition de publications plus ou moins racistes, une telle clause, nous l'avons déjà souligné ailleurs, est susceptible, entre les mains de certains bibliothécaires, de devenir un instrument de censure politique ou morale. Par exemple, tel jugera « pornographique » et refusera donc d'acquérir un ouvrage considéré par d'autres comme relevant d'un érotisme anodin. L'histoire de la censure le montre, censure émanant des pouvoirs politiques ou religieux ou des particuliers : on est toujours l'extrémiste de quelqu'un, le pornographe de quelqu'un 22.

A l'instauration d'une telle clause, on préférera donc, là encore, un texte de loi définissant les missions fondamentales de la bibliothèque et s'imposant à tous, élus et bibliothécaires.

Autonomie et responsabilité

Il est intéressant de le remarquer : la revendication d'autonomie accrue par rapport au politique qui émane des bibliothécaires s'inscrit dans un mouvement plus large. Outre les bibliothécaires, un certain nombre de professions demandent que soit reconnu ou conforté leur droit d'exercer en toute indépendance : enseignants-chercheurs et chercheurs des universités, journalistes, juges.

Les pouvoirs dont les uns et les autres demandent à être protégés prioritairement ne portent pas toujours le même nom, mêmes s'ils entretiennent, le cas échéant, des liens étroits. Selon les cas, il s'agira d'abord du gouvernement (les juges), ou de groupes de pression industriels et commerciaux (les journalistes), etc. Dans le cas des bibliothécaires, il s'agit essentiellement, aujourd'hui, des municipalités et des partis.

Mais si elles s'expriment contre des pouvoirs différents, toutes ces demandes procèdent d'une même démarche. Constatant que des pressions sont exercées, ou sont susceptibles d'être exercées, sur leurs pratiques, au profit d'intérêts particuliers, elles entendent donner à ceux qui les formulent les moyens de servir l'intérêt général, des valeurs telles que, selon les cas, la justice, la vérité, etc.

Cette demande d'autonomie est donc un réflexe de légitime défense de la part de certains des acteurs de la démocratie, de certains de ses garants. Elle tend à maintenir, voire à étendre le territoire de celle-ci contre les tentatives naturelles de tout pouvoir de le réduire à son profit.

Mais elle comporte un risque, souligné, notamment, à propos des juges. D'une part, des membres de ces professions sont eux aussi susceptibles de faire preuve de partialité. D'autre part, à la différence des gouvernants dont ils se plaignent, et que le corps social peut sanctionner en ne les réélisant pas, ils ne sont pas élus mais nommés. Les placer hors d'atteinte des gouvernants, c'est donc risquer de créer des zones d'arbitraire encore plus incontrôlables, encore plus imparables, que les éventuelles pressions de ces gouvernants.

Il en est ainsi des bibliothécaires. Aussi, de même que nous avons recherché comment les placer hors d'atteinte de l'arbitraire, convient-il maintenant de rechercher les moyens de protéger les citoyens de l'arbitraire dont eux, bibliothécaires, pourraient faire preuve. Ne pas s'opposer à la recherche de ces moyens mais y participer, plus, prendre la tête de cette recherche, mettre en œuvre sans réticence les pratiques proposées, c'est, pour les bibliothécaires, la meilleure façon de prouver qu'en demandant plus d'autonomie, ils ne cherchent pas à préserver les privilèges d'une corporation, qu'ils sont bien, à la différence de ceux dont ils veulent se protéger, des démocrates.

Des textes déontologiques ont été publiés, en France, à l'initiative de telle ou telle association de professionnels des bibliothèques et de la documentation. Leur portée est restée limitée. En 1992, une journée d'étude était organisée sur ce thème par l'Interassociation ABCD 23. Mais le code commun à tous les professionnels des bibliothèques et de la documentation que l'Interassociation se proposait de publier n'a pas vu le jour, faute d'accord de tous les partenaires sur les dispositions à adopter et même sur l'opportunité d'une telle initiative. La nécessité pour les bibliothécaires de se doter d'un code déontologique, qui, en affirmant et en se proposant de préserver les droits des usagers, rendrait d'autant plus légitime la revendication de responsabilité voire d'autonomie des bibliothécaires, et contribuerait à les garantir contre les pressions partisanes, réémerge aujourd'hui, à la faveur des interventions du Front national sur les acquisitions 24. On peut considérer les lignes qui suivent comme une contribution à la réflexion conduite sur ce point 25.

On parlera pour faire bref des « bibliothécaires ». Il s'agira en fait essentiellement, en raison des responsabilités qui sont les leurs, des directeurs ; aussi ne serons-nous pas hors sujet.

1. Assurer la publicité des choix

Les bibliothèques municipales sont tenues à l'encyclopédisme. Soit. Mais encyclopédisme ne signifie pas exhaustivité. Toute politique documentaire est choix. Ce choix peut consister à privilégier des domaines, ou des genres, ou des thèmes, ou des auteurs, en fonction de l'histoire de la bibliothèque et de ses fonds patrimoniaux, de son environnement documentaire, culturel, scientifique ou géographique, des objectifs culturels et sociaux de la politique dans laquelle s'inscrit son action, etc. Il peut aussi consister à ne pas acquérir certains types de publications.

L'honnêteté veut que le lecteur soit informé de ces options 26. Il s'agit de lui donner les moyens d'apprécier en quoi la collection de la bibliothèque est représentative et en quoi elle ne l'est pas. Et par là de lui permettre, soit de demander l'acquisition, ou à tout le moins la fourniture (prêt entre bibliothèques) des publications absentes, soit de se les procurer par d'autres voies.

La non-exhaustivité de la bibliothèque ne doit pas être dissimulée, mais, au contraire, assumée, l'essentiel étant, insistons sur ce point, de faire en sorte que le lecteur ne prenne pas la collection de la bibliothèque considérée pour une sorte d'abrégé parfait de tout ce qui a été publié, pas plus que tel jardin botanique ou zoologique ne contient toute la flore ou toute la faune universelle.

Pour diverses raisons, parmi lesquelles, dans la mémoire collective, le souvenir d'une quantité notable de guerres civiles et autres luttes fratricides particulièrement sanglantes, notre société n'aime pas les conflits. Cette aversion la conduit parfois à esquiver les débats. Une sorte de débat permanent, le cas échéant vif, avec les usagers, au sujet de la politique documentaire qu'ils conduisent, au lieu d'être redouté, comme souvent, par les bibliothécaires, devrait être intégré dans leur pratique quotidienne. Il n'implique pas de donner systématiquement raison aux usagers. Si les choix des bibliothécaires sont justifiables, qu'ils les justifient.

Nous entendons leur objection : pour soutenir la discussion avec les usagers, refuser, le cas échéant, de leur donner satisfaction si leur demande nous paraît inopportune, il faut que notre position soit assurée, autrement dit, que les élus ne donnent pas systématiquement raison aux protestataires pour des raisons électorales. Cette objection ne saurait être ignorée. Elle renvoie à la nécessité, précédemment évoquée, d'autonomiser dans une certaine mesure la fonction d'acquérir par rapport au pouvoir politique, pour peu que des précautions soient prises, des garde-fous mis en place.

En ce qui concerne les choix opérés par les bibliothécaires, il convient de noter que leur opacité est moins prononcée qu'on ne le dit. Après tout, ces choix se manifestent de la façon la plus patente selon au moins deux modes : les collections exposées et les catalogues. A l'inverse, certaines chartes documentaires, censées porter à la connaissance du public les orientations de la politique d'achat, expriment leurs objectifs en des termes si généraux qu'elles évoquent plutôt le voile qui séparait le commun des fidèles du Saint des Saints.

Toutefois, la juste appréciation de ces révélateurs des choix effectués que sont les collections exposées et les catalogues nécessite un savoir-faire qui ne saurait être le fait de tous les usagers. Juger de la représentativité (disciplinaire, idéologique, etc.) d'une collection suppose une bonne connaissance des référents d'après lesquels cette représentativité pourra être appréhendée : production éditoriale, courants idéologiques, écoles méthodologiques, etc. Sans parler de la maîtrise des modes de signalement (catalogues) et d'exposition (classifications).

Aussi les orientations de la politique d'achat doivent-elles être formalisées dans un document qui manquerait son but s'il n'était, d'une part, offert, d'une façon ou d'une autre, au regard de tous les lecteurs, d'autre part, suffisamment précis, en particulier quant aux publications rejetées. Nous ne nous étendons par sur ce point, pour renvoyer à l'ouvrage bien connu de Bertrand Calenge ; le document que nous appelons de nos vœux correspond au premier des trois dont il préconise la rédaction relativement à la politique documentaire, la « charte des collections » 27.

2. Le problème de l'association aux acquisitions du public et des élus

Faut-il aller plus loin ? Faut-il associer aux acquisitions les élus d'une part, le public d'autre part, et dans quelle mesure ?

Les élus

Commençons par les élus. Un consensus paraît s'établir parmi les milieux professionnels sur le point suivant : si les élus n'ont pas, en tant que tels, à se substituer aux bibliothécaires pour choisir des titres à acquérir 28, ils sont fondés à demander que la politique envisagée leur soit présentée pour validation 29.

Toutefois, selon les mêmes milieux professionnels, il ne saurait être question pour les élus de toucher à ce qui définit la bibliothèque en tant que service public : desserte de tous les publics (pas de catégories exclues) et droit des usagers à y bénéficier de collections représentatives (encyclopédisme, neutralité).

A quoi bon, dans ces conditions, soumettre une politique documentaire au conseil municipal ? La seule liberté qui lui est laissée, est-elle la liberté d'approuver ? Et s'il est opportun qu'une marge d'intervention lui soit laissée, où se situe-t-elle ? Il serait intéressant d'y réfléchir plus précisément qu'il n'a été fait jusqu'à présent 30.

Par exemple, jusqu'à quel point un conseil municipal peut-il décider de faire des efforts particuliers en faveur de certains citoyens, de développer un domaine, dans la mesure où ces priorités introduisent une distorsion dans les principes d'encyclopédisme et de desserte de tous les publics et impliquent que les autres publics, les autres domaines, soient sinon oubliés, du moins un peu moins bien traités ?

Il nous semble que dénier toute compétence en la matière aux municipalités, leur refuser, en somme, le droit d'inscrire la politique documentaire de la bibliothèque dans leur stratégie culturelle et sociale globale, serait, de la part des bibliothécaires, une erreur. En effet, ceux-ci ne sont pas, en l'occurrence, en position de force ; refuser de concéder aux municipalités une partie du terrain, c'est risquer de les voir, comme elles l'ont déjà fait ici et là, se l'approprier tout entier 31.

Nous sommes typiquement ici dans ce qu'on a pu appeler, à propos du « management territorial », la « zone grise » : ce territoire aux frontières indéterminées où se rejoignent, théoriquement séparées, pour décider et pour agir, la compétence technique du fonctionnaire territorial et la légitimité politique de l'élu. Une zone où il est nécessaire, à la fois, de clarifier les responsabilités de chacun, et de ne pas disloquer un tandem politicotechnique sur la collaboration duquel repose l'efficacité de l'administration territoriale 32.

Le même auteur auquel est due l'expression de « zone grise » reprend, à propos des cadres territoriaux et des élus locaux, le binôme bien connu : les premiers se situent dans une « logique de métier » ; les seconds, dans une « logique de mission ». On peut essayer de traduire ce binôme en termes de bibliothèque. La logique de métier des bibliothécaires implique, par exemple, que les collections des bibliothèques municipales soient encyclopédiques. La logique de mission des élus peut impliquer des acquisitions plus nourries dans tel ou tel domaine. Il s'agira dans ce cas de déterminer le point à partir duquel le fait de privilégier tel secteur reviendrait à manquer à l'encyclopédisme, le point à partir duquel la logique de mission distordrait la logique de métier au point de l'obliger à ne plus mériter son nom.

Autre exemple. La logique de mission, entendue comme projet pour la ville et volonté de trouver les moyens de mettre ce projet en œuvre, peut conduire les élus à instaurer, à étendre ou à augmenter la tarification de tel ou tel service de la bibliothèque. Elle rencontrera alors la logique de métier, au nom de laquelle le bibliothécaire sera fondé à faire observer que faire payer telle ou telle prestation conduira certains usagers à se l'interdire, résultat contradictoire avec ce pour quoi la bibliothèque a été créée : mettre des collections et des informations à la disposition du plus grand nombre à des fins de culture, d'éducation, de promotion sociale, etc.

Nous avons opposé logique de métier et logique de mission. En fait, elles ne sont pas nécessairement contradictoires. Ne se réclament-elles pas toutes deux, au bout du compte, de l'intérêt collectif, tel qu'une démocratie, la nôtre, se propose de le servir ?

Au dialogue nécessaire entre les tenants respectifs des deux logiques, une loi sur les bibliothèques, confirmant clairement les bibliothèques dans leur statut de service public, et surtout explicitant ce que signifie cette expression, offrirait le socle commun, le « texte constitutionnel spécialisé » qui servirait de référent, de garde-fou, au dialogue entre la mission des élus et le métier des bibliothécaires.

Un consensus pourrait s'établir entre les bibliothécaires et les élus, selon lequel l'intervention de ceux-ci se situe exclusivement au moment de la définition de la « charte des collections ». Mais cela ne résout pas le problème de l'ampleur de leur intervention.

Le public

Passons au public. Faut-il l'associer aux acquisitions, et si oui, dans quelle mesure ?

Il existe une façon minimale d'associer le public à la bonne marche de la bibliothèque. Elle consiste à recueillir ses doléances et ses demandes, soit oralement, soit par écrit. Nous considérons comme acquis que ce mode d'association minimal va de soi, qu'il convient bel et bien non seulement d'entendre doléances et demandes, mais de les susciter, de les prendre en considération, d'y faire droit quand il y a lieu, d'y répondre dans tous les cas.

Mais dans ce mode d'association du public à la marche de la bibliothèque, le public est cantonné au plus petit rôle possible. Quel que soit son nom, doléance ou suggestion, sa prise de parole tient peu ou prou de la supplique. L'usager propose, le bibliothécaire dispose. La question est de savoir s'il convient d'attribuer au public un rôle plus important, plus décisif.

Et par exemple, faut-il réinstaurer des « comités consultatifs » ? Avant de tenter de répondre à cette question, il est nécessaire de préciser l'état du droit en la matière. Les « comités consultatifs » des bibliothèques municipales étaient régis par les articles R. 341-7 à R. 341-11 du Code des communes (1977) ; ces articles codifiaient le décret n° 61-1003 du 1er septembre 1961, abrogé simultanément à la parution du Code. Or, les articles R. 341-7 à R. 341-11 du Code des communes ont été abrogés par le décret n° 84-508 du 22 juin 1984. Cette abrogation se situe dans la logique des lois de décentralisation, l'obligation faite aux communes (en fait, seulement aux plus importantes d'entre elles) de créer un comité consultatif apparaissant désormais comme contraire au principe de leur libre administration. On peut résumer la situation actuelle en disant que les comités consultatifs ne sont ni obligatoires, ni interdits.

Par rapport aux « comités d'inspection et d'achat des livres » auxquels ils avaient été substitués par le décret précité du 1er décembre 1961, et conformément à une évolution historique déjà souvent mise en relief, les comités consultatifs constituaient un pas important vers une autonomie accrue des bibliothécaires. Outre que, comme nous l'avons rappelé, ils n'étaient plus obligatoires que dans les communes les plus importantes 33, il était insisté sur leur caractère purement consultatif.

Les comités consultatifs n'en ont pas moins laissé de mauvais souvenirs aux bibliothécaires. Il est de fait que, même redéfinis, ils présentaient maints défauts. Par exemple, présidés par le maire, en fait composés par lui puisque c'est lui qui proposait des noms au préfet, autorité investie du pouvoir de nomination, les comités pouvaient s'avérer être des instruments de pression de la majorité municipale ou des groupes professionnels, associatifs, etc. situés dans la mouvance de son idéologie.

Plus généralement, la critique de l'intervention des usagers sur le fonctionnement de la bibliothèque, notamment sur les acquisitions, n'est plus à faire. Tout usager, ou groupe d'usagers, constate des trous dans les collections, et présente des suggestions pour les réparer, en fonction de ses préoccupations propres. Or, les satisfaire n'est pas nécessairement compatible avec l'équilibre des collections, tel que le directeur de la bibliothèque, qui connaît l'ensemble du fond, est à même, lui, de l'apprécier.

D'un autre côté, la bibliothèque n'est-elle pas susceptible de tirer profit de la participation régulière, organisée, des usagers à la définition et à l'exécution de la politique documentaire ? Par ailleurs, s'il est vrai que son fonctionnement, comme celui de tout organisme public, doit être transparent, une instance représentative des usagers ne fait-elle pas partie des façons appropriées d'assurer cette transparence ? 34 Et si les bibliothécaires sont si peu pressés de voir des conseils consultatifs refleurir à leur côté, n'est-ce pas aussi – osons dire ce que chacun sait bien – parce que, comme tout groupe professionnel, ils n'éprouvent aucun plaisir à l'idée que l'on empiète sur leur champ de compétence, autrement dit, sur le territoire où s'exerce leur pouvoir propre, réel et symbolique ? 35

Utilité et légitimité d'un échange permanent et régulier – et donc institutionnalisé – entre la bibliothèque et ses usagers : si l'on adhère à ces postulats, le problème n'est pas de savoir s'il faut ou non créer des comités d'usagers, la réponse ne pouvant être que positive. Il est plutôt que les règles régissant la composition et le fonctionnement de ces comités soient telles qu'elles parent aux éventuels effets négatifs de ceux-ci.

Cette question appelle une réflexion approfondie. Aussi ne saurait-on la conduire intégralement ici. A titre de pierre d'attente, nous nous contenterons de proposer l'adoption de trois principes. Primo, un comité d'usagers ne saurait revêtir qu'un caractère consultatif et non délibératif. Ceci suppose que ce caractère purement consultatif ne soit pas seulement affirmé en droit mais aussi en fait, ce qui exclut, notamment, que le comité soit présidé par le maire ou même par un représentant de la municipalité. Le président le plus approprié est le directeur de la bibliothèque lui-même, comme garant de l'équilibre des collections. En second lieu, la représentation des sensibilités de tout ordre doit y être véritablement pluraliste, ce qui implique notamment, si les courants politiques en tant que tels y sont représentés (cela ne va pas de soi, la question mérite d'être étudiée), la présence de la ou des oppositions municipales. En troisième lieu, le comité n’a pas vocation à déposséder le personnel de la bibliothèque de ses responsabilités, fût-ce par le biais d’avis ou de propositions. Ainsi, s’agissant des acquisitions, il donnera son sentiment sur les objectifs, leur application et leur éventuelle réorientation, mais ne se verra pas soumettre les listes de titres dont l’achat est envisagé. On ne saurait interdire aux membres du comité de proposer, le cas échéant, l’acquisition de titres précis, le directeur peut même, à sa discrétion, les inviter à présenter des suggestions ; il lui reviendra, après discussion générale, d’arrêter la décision. Par ailleurs, il est loisible au directeur de saisir pour avis le comité d’un projet d’acquisition posant problème à un titre ou un autre : coût élevé, contenu, etc.

Risques et avantages des comités consultatifs

Un comité consultatif est susceptible de présenter au moins deux dangers. Le premier est de servir de tribune à un groupe agissant pour le compte d'une idéologie (au sens large du terme) et qui se servira de lui pour tenter d'infléchir la politique d'acquisition conformément à cette idéologie. C'est à ce danger qu'une composition véritablement plurielle est destinée à parer, les pressions des différents groupes présents étant susceptibles de se neutraliser les unes les autres.

Plus insidieux, mais non moins réel, est l'autre danger : celui que les difficultés soulevées par une de ces acquisitions problématiques que nous évoquions plus haut se résolvent par l'abstention, autrement dit, dans une sorte de « consensus mou », cette abstention pouvant d'ailleurs revenir, dans certains cas, à céder aux exigences d'un groupe de pression. Prenons un exemple. Le désir de ne pas choquer une éventuelle communauté musulmane locale, ne conduirait-elle pas le comité à préconiser de ne pas acquérir Les Versets sataniques de Salman Rushdie ? Il n'est pas question de nier la réalité de ce danger. On rappellera toutefois que le comité serait, nous avons insisté sur ce point, consultatif, et que la décision finale reviendrait donc au directeur de la bibliothèque. Pour conforter la position de celui-ci, pour l'aider à faire le choix du professionnalisme, c'est-à-dire, dans certains cas, du courage, il serait bon que des personnalités indépendantes, dotées d'une solide culture et d'un esprit ouvert, d'autres directeurs de bibliothèque ou les directeurs d'autres institutions culturelles, fassent partie du comité, si comité il y a.

Si les risques que présente un comité consultatif sont réels – répétons qu'il n'est pas question de les nier ni de les minorer –, il est également susceptible, si les conditions précitées sont remplies, de présenter des avantages. Ainsi, il peut aider le directeur de la bibliothèque à faire face aux pressions d'une municipalité trop insistante. Ou encore, dans le cas, déjà évoqué, de documents dont l'éventuelle acquisition peut poser problème, quelle que soit la nature de ce problème, il peut être le lieu d'un débat utile et qui ne se conclura pas nécessairement par le choix de la solution la plus malheureuse. Il peut enfin appuyer les demandes de moyens présentées par la bibliothèque.

La sensibilité des bibliothécaires est telle sur cette question des comités d'usagers qu'il leur aura paru que nous venons de présenter un vibrant plaidoyer en faveur de ceux-ci. Il n'en est rien. Nous avons seulement cherché à appeler leur attention sur le fait qu'entre le tout et le rien en la matière, entre des comités tout puissants, réduisant le bibliothécaire à l'état d'agent d'exécution, et une pratique solitaire du métier, il est vraisemblablement possible de trouver un juste milieu, profitable à tous.

Évoquant le comportement des municipalités d'extrême droite, Anne-Marie Bertrand conclut par la phrase suivante l'ouvrage qu'elle a consacré aux bibliothèques françaises : « Les bibliothèques ont aussi besoin, pour rester des lieux de liberté, que les citoyens les défendent » 36. En effet, et c'est même probablement là, si certaines conditions sont remplies (nombre significatif, pluralité, détermination), celle des parades qui est la plus susceptible de donner à réfléchir aux municipalités abusives. Or, il est contradictoire de déplorer que le public, quand les bibliothèques sont attaquées ou négligées, ne laisse pas d'y être indifférent, et de considérer sa participation au fonctionnement comme indiscrète quand elles ne le sont pas.

3. Les recours

Qu'importe-t-il de protéger d'abord, dans le cas qui nous occupe ? Les bibliothécaires en tant que tels, ou la neutralité qui doit présider à la constitution des collections et, à travers elle, la faculté des usagers de se forger librement une opinion ? S'il est vrai que l'objectif à atteindre est le second, les bibliothécaires ne sauraient se placer a priori hors d'atteinte d'un système visant à vérifier que la neutralité est respectée. En premier lieu, ce serait maladroit de leur part ; en effet, cette prétention accréditerait l'idée qu'ils cherchent moins à préserver l'intérêt commun que leur pouvoir propre. En second lieu et surtout, des entorses à la neutralité sont bel et bien susceptibles d'être commises par des bibliothécaires ; et une procédure visant à y mettre fin serait d'autant plus indispensable, que les directeurs de bibliothèques auraient été officiellement soustraits aux pressions des élus en matière de constitution des collections.

Parfois allégué, à leur avantage, par les bibliothécaires, l'exemple des enseignants-chercheurs, enseignants et chercheurs des universités et autres établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel doit faire ici l'objet d'un rappel complet. La loi garantit à ces personnels « une pleine indépendance » et « une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche » 37. Mais d'une part la loi ajoute : « Sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions de la présente loi, les principes de tolérance et d'objectivité » 38. D'autre part, leur indépendance ne signifie pas que ces personnels sont au-dessus de toute sanction, la loi se contentant de les préserver de l'arbitraire politique en confiant l'exercice en premier ressort du pouvoir disciplinaire à leurs pairs au sein de l'établissement dont ils font partie 39.

Au demeurant, les milieux professionnels semblent bien avoir pris conscience des risques que présenterait la sacralisation du métier de bibliothécaire. Nous faisons allusion à la « motion sur la censure » adoptée par l’assemblée générale de l'ABF en 1998, motion qui, tout en demandant aux élus de donner « pleine délégation » aux bibliothécaires pour constituer les collections, leur recommande « d'en appeler au contrôle technique de l'État » si les choix effectués par les bibliothécaires leur paraissent contestables 40 ; c'est reconnaître qu'ils peuvent l'être.

Le respect de la neutralité non seulement par les élus mais par les bibliothécaires est d'ores et déjà susceptible d'être contrôlé à l'initiative de l'État dans le cadre du contrôle exercé par celui-ci, via l'Inspection générale des bibliothèques, sur les bibliothèques municipales.

Ainsi que le rappelle la motion précitée, rien n'empêche aujourd'hui une municipalité qui estimerait qu'un directeur de bibliothèque prend des libertés avec la neutralité de saisir le ministre de la Culture pour qu'il déclenche une inspection. Il en va de même de tout citoyen. Il s'agirait de transformer cette possibilité en droit et de formaliser la procédure.

Reste à déterminer, au-delà du constat, des moyens de mettre fin, le cas échéant, aux entorses constatées. Cette question dépasse le sujet de cet exposé. Elle ne saurait être traitée que dans le cadre général de la question de la répression des atteintes à la neutralité, que les auteurs en soient les bibliothécaires ou les autorités dont ils dépendent. Du point de vue du sujet qui est le nôtre ici, celui des droits et devoirs des bibliothécaires, nous nous contenterons de plaider, en la matière, pour l'application d'un double principe :

– Apprécier la conformité ou la non-conformité des collections à la neutralité est une question complexe, qui nécessite une compétence technique. Aussi les bibliothécaires sont-ils fondés à demander que leurs juges possèdent cette compétence, ou soient éclairés par des personnes qui la possèdent.

– L'application du principe de neutralité n'est pas seulement une question de technique bibliothéconomique. Elle renvoie à l'idée que la société – en l'occurrence, et même si elle pourrait être de ce point de vue améliorée, une société démocratique – se fait de ses objectifs, de ceux de la bibliothèque en tant que service public, des conditions dans lesquelles les idées doivent y être accueillies et présentées. Aussi serait-il opportun que ladite société, en cas de litige relativement à cette application, soit invitée à donner directement son sentiment, à travers un échantillon représentatif de métiers et de sensibilités. Il serait normal que des élus fassent partie de cet échantillon.

S'il faut traduire en termes institutionnels ce double principe, seraient écartées, dans le cas des bibliothécaires, des instances qui impliqueraient qu'ils ne soient jugés que par leurs pairs, comme celle qui a été évoquée plus haut pour les enseignants-chercheurs des universités ou un « ordre » du type de l'Ordre des médecins. Au profit d'instances paritaires (bibliothécaires et élus, sur le modèle des conseils de prud'hommes, où siègent côte à côte, comme on sait, représentants des employés et représentants des employeurs) ou mieux encore, plus largement « plurielle » (un Conseil supérieur des bibliothèques à la composition et aux compétences élargies).

4. Pratiquer et permettre l'évaluation

Les propositions ci-dessus reviennent pour les bibliothécaires, selon les cas, à se mettre d'accord avec l'autorité municipale sur des objectifs, à afficher ces objectifs, ou à associer le public à leur poursuite. Pour achever de faire des acquisitions un processus véritablement démocratique, il faut ajouter à cette association des partenaires de la bibliothèque à sa politique un volet : celui du contrôle et de l'évaluation. Les élus, les instances de contrôle, dont l'Inspection générale des bibliothèques, en tant que représentants de la collectivité, le public lui-même s'il le souhaite, doivent être en mesure de porter un jugement sur la façon dont la politique décidée et affichée est mise en œuvre. Ceci suppose notamment la production régulière de rapports d'activités (quelque nom qu'on leur donne) plus circonstanciés que la simple réponse à l'enquête annuelle du ministère de la Culture.

Il ne suffit pas qu'un rapport d'activité existe. Il faut aussi qu'il réponde à son objet, autrement dit, que des indicateurs statistiques pertinents et fiables et des éléments qualitatifs permettent de se rendre véritablement compte des prestations et des résultats. Par ailleurs, prestations et résultats de l'année ne prendront tout leur sens que rapportés, sur une période suffisamment significative, à ceux des années antérieures. Il n'est pas besoin de souligner l'intérêt que peuvent présenter de surcroît, si l'on en dispose, des points de comparaison extra-municipaux.

Certains pourront avoir l'impression que l'on enfonce ici des portes ouvertes. En fait, l'Inspection générale des bibliothèques est bien placée pour savoir que les bibliothèques qui établissent des rapports d'activités sont l'exception ; et plus rares encore les rapports d'activités qui méritent véritablement ce nom. Il importe de souligner combien cette absence est susceptible de nuire aux directeurs concernés, notamment auprès des élus, alors que, dans la plupart des cas, leur travail et celui de leurs collaborateurs mériteraient d'être mis en relief.

Il n'est pas non plus besoin d'insister sur les services que rendraient aux bibliothécaires eux-mêmes les documents que nous appelons de nos vœux, en leur fournissant des éléments pour orienter leur action future et pour demander les moyens correspondants.

La rareté des rapports d'activités dignes de ce nom n'est pas un phénomène particulier aux bibliothèques. Elle renvoie à une mentalité qu'on pourrait qualifier de « prédémocratique », selon laquelle rendre compte à la collectivité des activités d'intérêt général qu'elle lui a confiées est encore souvent pour un agent public au pire une demande injurieuse, au mieux une perte de temps. Modifier cette mentalité est un des objectifs les plus légitimes que puisse s'assigner une société démocratique. Pour la modifier dans les bibliothèques, l'Inspection générale des bibliothèques, dont l'évaluation est le métier, a son rôle à jouer, qui sera d'autant plus persuasif qu'il empruntera plutôt, selon la tradition de l'Inspection, le mode du conseil, que celui de l'intimation.

Il importe de souligner que dans l'évaluation du fonctionnement de l'ensemble de la bibliothèque réside une des spécificités de la fonction de directeur. Il n'est pas attendu des directeurs, en effet, qu'ils possèdent de la totalité des techniques mises en œuvre dans leur établissement la même maîtrise que chacun de leurs collaborateurs spécialisés (tant mieux si c'est le cas) ; leurs collaborateurs sont précisément là pour ce faire. Ils sont seuls en revanche à pouvoir, à devoir réfléchir en permanence sur la pertinence des objectifs et l'adéquation des moyens et du savoir-faire mis en œuvre par tous pour les atteindre ; à pouvoir, à devoir, rendre des comptes, proposer des voies nouvelles.

D'un point de vue plus technique, la production des documents permettant l'évaluation suppose un équipement informatique adapté, notamment, dans le cas des acquisitions, des logiciels permettant de les appréhender par divers biais (domaines, publics, niveaux, etc.) 41.

Conclusion

Résumons notre position ainsi. C'est au nom du droit du public à disposer de collections de qualité et plurielles, en un mot de la démocratie, que les bibliothécaires demandent plus d'autonomie par rapport au politique. Il est de l'intérêt commun que cette revendication soit entendue. Mais la même protection des droits du public, la même préoccupation démocratique exigent que les bibliothécaires ne s'exemptent pas d'être attentifs à l'attente de la collectivité et de se soumettre à son contrôle.

Janvier 1999

  1. (retour)↑  Aristote, Les Politiques, III, 4, §§ 1-2, traduction de Pierre Pellegrin, Paris, Flammarion, 2e éd. rev. et corr., 1993 (Coll. « GF »), p. 215.
  2. (retour)↑  Je remercie Anne-Marie Bertrand d'avoir accepté de lire le manuscrit de cet article ; je lui dois d'utiles suggestions. Il va de soi que les opinions exprimées n'engagent que moi. Ceci est vrai notamment à l'égard de l'inspection générale des bibliothèques. Je m'exprime ici à titre personnel, et mes réflexions ne sauraient avoir de valeur normative.
  3. (retour)↑  Il s'agit bien là de la thèse que soutiennent les cadres territoriaux ou du moins bon nombre d'entre eux, mais aussi des élus locaux. Pour certains historiens et observateurs de la chose politique, cette thèse procède d'une perception qui ne correspond pas à la réalité. Peut-être ces derniers ont-ils raison : peut-être est-il exact que les fonctionnaires territoriaux ne sont pas plus proches des élus depuis la décentralisation qu'avant. Il n'en est pas moins patent, nous semble-t-il, que l'accroissement des pouvoirs des élus locaux qui résulte de la décentralisation rend plus nourrie et plus sensible leur collaboration avec les fonctionnaires qui constituent leur « bras séculier ». A défaut d'une différence de nature, il paraît difficile de ne pas constater une différence de degré.
  4. (retour)↑  Il est significatif que le dossier que la revue Pouvoirs locaux a récemment consacré à la fonction publique territoriale (n° 37, 2e trim. 1998) tourne dans une large mesure autour de cette question.
  5. (retour)↑  Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires. Rappelons notamment parmi les droits des fonctionnaires : – la liberté d'opinion : « Aucune distinction ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses » (article 6) et « Il ne peut être fait état dans le dossier d'un fonctionnaire, de même que dans tout document administratif, des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques de l'intéressé » (article 18) ; – la transparence pour chacun d'eux de l'appréciation portée par l'administration sur son travail et de la façon dont elle gère sa carrière : « Les notes et appréciations générales attribuées aux fonctionnaires et exprimant leur valeur professionnelle leur sont communiquées » (article 17) ; « Tout fonctionnaire a accès à son dossier individuel [...] » (article 18), notamment en cas de procédure disciplinaire (article 19) ; la formation permanente (articles 21 et 22).
  6. (retour)↑  Tout fonctionnaire « doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique [...] » (statut général, article 28). Le fameux « devoir de réserve » s'ajoute à cette obligation. Il implique notamment que le fonctionnaire ne fasse pas connaître publiquement, le cas échéant, son désaccord avec la politique qu'il lui est demandé d'appliquer. Le devoir de réserve ne figure pas, comme on sait, parmi les obligations faites à tous les fonctionnaires par le statut général. Seules quelques catégories de personnels sont tenues à ce devoir par des textes normatifs les régissant (militaires, policiers, magistrats, membres du Conseil d'État, personnels civils de coopération culturelle, scientifique et technique auprès d'États étrangers). Il s'agit pour les autres d'une construction jurisprudentielle qui découle à la fois de la soumission du fonctionnaire au principe hiérarchique et du principe de neutralité du service public. Les manquements s'apprécient au cas par cas. On ne confondra pas le devoir de réserve avec l'obligation de secret professionnel et celle de discrétion professionnelle, présentes, elles, dans le statut général (article 26). Sur les obligations des fonctionnaires, notamment le devoir de réserve, on peut consulter par exemple Pierre Bandet, Les Obligations des fonctionnaires des trois fonctions publiques, Paris, Berger-Levrault, 1996 ; Serge Salon et Jean-Charles Savignac, Fonctions publiques et fonctionnaires : organisation et statuts, carrière, garanties, déontologie et responsabilité, Paris, A. Colin, 1997 ; Direction générale de l'administration et de la fonction publique, La Discipline dans la fonction publique de l'État, Paris, La Documentation française, 1998.
  7. (retour)↑  D'autant plus systématique que la diffusion des idées de l'extrême droite par les bibliothèques s'inscrit, comme on sait, dans une stratégie visant pour celle-ci à accéder au pouvoir, puis à le conserver en disposant les esprits à cette fin. Outre les idées de l'extrême droite et les doutes qu'appelle, à la lumière de l'histoire, son consentement à la réversibilité de son éventuelle accession au pouvoir, l'existence de cette stratégie nationale distingue les interventions des municipalités d'extrême droite sur les bibliothèques des interventions – qu'il n'est pas question de nier – des municipalités relevant de partis démocratiques. Entre leurs interventions respectives, la différence n'est pas seulement de degré, mais de nature.
  8. (retour)↑  Décret n° 91-841 du 2 septembre 1991 portant statut particulier du cadre d'emplois des conservateurs territoriaux de bibliothèques, article 2 ; décret n° 91-845 du 2 septembre 1991 portant statut particulier du cadre d'emplois des bibliothécaires territoriaux, article 2.
  9. (retour)↑  Nous suivons ici les conclusions de Pierre Soler-Couteaux dans son étude réalisée en 1997 à la demande de l'ABF sur « les règles juridiques applicables à la détermination de la politique d'achat des bibliothèques municipales ».
  10. (retour)↑  Le statut particulier du cadre d'emplois des attachés territoriaux est régi par le décret n° 87-1099 du 30 décembre 1987 modifié. Il est modifié dans le sens indiqué par le décret n° 94-1157 du 28 décembre 1994 portant modification de certaines dispositions relatives à la fonction publique territoriale. Ce décret modifie dans le même sens le statut du cadre d'emplois des administrateurs territoriaux (décret n° 87-1097 du 30 décembre 1987 modifié), qui exercent leurs fonctions principalement dans les communes de plus de 100 000 habitants : appelés à « diriger ou à coordonner les activités de plusieurs bureaux, d'un service ou d'un groupe de services », leurs champs d'interventions sont désormais déclinés et parmi ceux-ci figure le « développement culturel ». En 1997, le tribunal administratif de Toulouse, saisi par le préfet du Lot, a annulé la nomination d'une attachée territoriale en qualité de directrice de la bibliothèque départementale de prêt de ce département. Mais il s'est fondé pour ce faire sur la version du statut des attachés territoriaux en vigueur au moment des faits, à savoir la version antérieure à la modification qui leur donnait explicitement compétence dans le domaine culturel.
  11. (retour)↑  Les directeurs qui sont des conservateurs d'État directeurs de bibliothèque municipale classée (BMC) constituent un cas particulier traité dans le rapport de l'inspection générale des bibliothèques pour 1996, p. 49-54. A la suite, notamment, de divers conflits, il est question de clarifier la situation des conservateurs d'État mis à la disposition des communes (en fait jusqu'à présent affectés dans les BMC) par la passation de conventions entre l'État et les villes concernées.
  12. (retour)↑  Principalement : décret n° 85-694 du 4 juillet 1985 (organisation des services communs de la documentation des établissements d'enseignement supérieur relevant du ministère de l'Éducation nationale), articles 3, 4, 9, 10, 11, 15, 16.
  13. (retour)↑  Premier recensement des métiers des bibliothèques, Paris, Université de Paris X-Médiadix, 1995.
  14. (retour)↑  Il revient au directeur d'assumer la responsabilité des choix effectués, quelle que soit la part qu'il y aura effectivement prise. Il ne s'agit évidemment pas pour autant de lui remettre le soin d'effectuer la totalité de ces choix (il n'en aurait ni le temps ni la compétence). La présidente de l'ABF met opportunément l'accent sur la nécessité de recourir à des procédures collectives, impliquant la confrontation des points de vue de tous les cadres d'un établissement (La Gazette des communes, des départements, des régions, 7 septembre 1998, p. 77). La question du degré d'implication des directeurs dans les acquisitions demande à être replacée dans le cadre plus large de la compétence des bibliothécaires en la matière et notamment des instruments bibliographiques qu'ils utilisent pour constituer les collections. Le recours à Livres Hebdo, auquel est en passe de s'ajouter le catalogue de la société Biblioteca, laisse-t-il suffisamment de place à d'autres méthodes, à d'autres sources ? Sur le rôle intellectuel des bibliothécaires, qui se manifeste d'abord dans la constitution des collections, la façon dont ils ont souvent été conduits à le délaisser au profit d'autres tâches et doivent le réinvestir, les conclusions qu'il convient d'en tirer en matière de formation initiale et continue, nous renvoyons aux chapitres VIII et IX du rapport du Conseil supérieur des bibliothèques pour 1996-1997, p. 28-38, et au numéro précité de La Gazette des communes, des départements, des régions, p. 76-81, qui fait écho au rapport du Conseil supérieur des bibliothèques.
  15. (retour)↑  Il est juste de rappeler que la mobilité des bibliothécaires, singulièrement les directeurs, ne dépend pas que d'eux. Une série d'obstacles, de nature différente, demandent à être levés pour faciliter cette mobilité : absence de cadre d'emplois de conservateurs généraux dans la fonction publique territoriale ; réserves des organisations syndicales représentant les personnels d'État à l'égard des détachements de personnels territoriaux dans la fonction publique d'État, etc.
  16. (retour)↑  Il est à noter que la formation est perçue par les étudiants en documentation comme une obligation déontologique (Anne Kupiec, exposé sur « Déontologie et formation », université d'été de la Fédération française de coopération entre bibliothèques, août 1998, cf. aussi article dans ce numéro, p. 8-12).
  17. (retour)↑  Voir la note 6.
  18. (retour)↑  Nous retenons ici la définition stricte du « devoir de réserve ». Jean-François Flauss rappelle à juste titre, en se référant à la thèse de Pierre Soler-Couteaux (La Liberté de conscience, Strasbourg, 1980), qu'il s'agit d'une notion « attrape-tout », qui est « à l'occasion, en doctrine mais aussi en jurisprudence, utilisée (par abus ou facilité de langage) pour désigner le respect dû par le fonctionnaire aux obligations de neutralité, de discrétion, d'obéissance hiérarchique » (« Convention européenne des droits de l'homme et répression disciplinaire dans la fonction publique française », Revue trimestrielle des droits de l'homme, n° 22, 1er avril 1995, p. 201-228).
  19. (retour)↑  Voir sur ce thème Bernard Chérigny, « Ordre illégal et devoir de désobéissance dans le contentieux disciplinaire de la fonction publique civile », Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger, t. XCI, n° 4 (juillet-août 1975), p. 867-936. Outre les ouvrages généraux cités à la note 6, on peut consulter plus spécifiquement sur les notions de « devoir de réserve » et de « clause de conscience », liées sous le signe d'un éventuel conflit entre le devoir d'obéir d'une part, la morale ou l'intérêt collectif d'autre part : L. R., « De l'obligation de réserve. A propos d'un arrêt du Conseil d'État du 28 juillet 1993 », Les Petites affiches, 3 août 1994, p. 31-34 ; Alexandre Bonduelle, « La Clause de conscience et le fonctionnaire (propos dubitatifs sur une singulière revendication) », Les Petites affiches, 27 septembre 1996, p. 16-22. Importante bibliographie dans Geneviève Koubi, « A la recherche d'une définition spécifique de “l'obligation de neutralité” des fonctionnaires et agents publics », Les Petites affiches, 26 juin 1991, p. 21-25.
  20. (retour)↑  L'instauration d'une clause de conscience au bénéfice des cadres administratifs territoriaux a été notamment évoquée par plusieurs d'entre eux dans La Lettre du cadre territorial (mars 1997, dossier « Mairies FN : désobéir, partir ou collaborer ? » ; avril 1998, J. Marsaud dans la tribune libre). Un des coordinateurs d'un « comité de vigilance pour le respect de la liberté, de l'égalité et de la fraternité », créé à l'initiative de cadres territoriaux, résume ainsi les termes du problème selon ce comité : « l'obligation de réserve s'arrête là où sont violés les principes républicains, quelles que soient les collectivités » (Le Monde du 22 mai 1998, en écho à La Lettre du cadre territorial du 15).
  21. (retour)↑  L'expression « clause de conscience » n'est pas moins équivoque que celle de « devoir de réserve ». Sous la plume des cadres administratifs territoriaux qui en revendiquent l'institution à leur profit, elle semble en fait recouvrir des champs d'application sensiblement différents. Il s'agit dans un cas du « droit de retrait volontaire (improprement appelé clause de conscience) lorsque les conditions normales d'exercice [des] fonctions ne sont plus remplies » (acception limitée), soit la possibilité pour les intéressés de quitter leurs fonctions « en cas de changement notable dans les orientations politiques de la collectivité susceptible de créer une situation de nature à porter atteinte à leur honneur, à leur réputation ou à leur conscience » (acception large). Nos citations sont extraites des articles publiés par Francis Mallol, juge administratif (porte-parole de l'acception large), et Jean-Paul Chevailler, président du syndicat national des secrétaires généraux et directeurs généraux des collectivités territoriales (acception limitée et mise en cause de la pertinence de l'expression), dans le numéro précité de la revue Pouvoirs locaux.
  22. (retour)↑  Élargissons le débat. L'instauration d'une clause de conscience est actuellement imaginée comme un moyen pour des fonctionnaires territoriaux « démocrates » de se soustraire à l'application de la politique de municipalités Front national. A l'inverse, la même clause de conscience ne permettrait-elle pas dans certains cas à des fonctionnaires favorables à l'extrême droite de se soustraire aux ordres de municipalités démocrates ?
  23. (retour)↑  Actes publiés en 1994 par l'ADBS sous le titre Une déontologie : pourquoi ? Ce volume présente l'intérêt de donner, outre le texte des communications et une synthèse des débats, un « recueil de textes déontologiques » français et étrangers, dont ceux de l'ABF (1984) et de l'ADBS (1991). Un code de déontologie des bibliothécaires genevois a été publié depuis dans le Bulletin d'informations de l'ABF, n° 179 (2e trim. 1998), p. 81-83.
  24. (retour)↑  Voir notamment Dominique Arot, « Pour une déontologie des bibliothécaires », Les Bibliothèques en France, 1991-1997, Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 1998, p. 254-256 ; et les deux chapitres précités du rapport du Conseil supérieur des bibliothèques pour 1996-1997. Le 29 septembre 1997 s'est tenue à Orléans, à l'initiative du groupe Centre de l'ABF, une journée professionnelle sur « la déontologie en bibliothèque » (bref compte rendu dans le bulletin du groupe, n° 40, janvier 1998 ; nous en devons la communication à l'obligeance de la présidente de ce dernier, Élisabeth Dousset). Nous avons déjà mentionné à la note 16 l'exposé présenté par Anne Kupiec lors de l'université d'été que la Fédération française de coopération entre bibliothèques a organisée en août 1998 sur le thème « Les bibliothèques et la culture face aux pressions politiques » (nous la remercions de nous avoir communiqué le texte de cet exposé). Elle y souligne notamment que, sauf exception, la déontologie n'est abordée qu'incidemment dans les enseignements de formation initiale et continue. Cette discrétion des formateurs fait contraste avec l'intérêt que les étudiants portent à cette question, la conscience qu'ils manifestent de leurs responsabilités envers les usagers et leur souci d'assumer celles-ci avec pertinence et probité.
  25. (retour)↑  L'élaboration de codes déontologiques, conçus à la fois comme un répertoire d'obligations à respecter et un texte opposable à l'arbitraire, est également à l'ordre du jour chez les cadres administratifs territoriaux, si nous en croyons le numéro précité de la revue Pouvoirs locaux (p. 63, 91, 93). Nous devons à l'obligeance de Jean-Paul Chevailler, président du Syndicat national des secrétaires généraux et directeurs généraux des collectivités territoriales, la communication d'une « charte de la déontologie du directeur général de collectivités territoriales et de leurs établissements publics » adoptée en 1997. Ce texte, qui met l'accent sur le « devoir de loyauté » des intéressés envers l'exécutif, représentant élu de la collectivité, n'en rapporte pas moins leur action aux « principes de la République française fondée sur les valeurs fondamentales de Liberté, d'Égalité et de Fraternité » ; il décline en outre un « devoir de service public » incluant « la mise en œuvre des élémentaires solidarités qu'imposent les exclusions générées par la société » et un concours apporté « à l'égalité d'accès au service public, à sa neutralité et à son impartialité ».
  26. (retour)↑  Sauf erreur, cette préoccupation est absente notamment du texte déontologique précité de l'ABF, ainsi que des textes belge (1987) et québécois. L'ADBS paraît pressentir le problème en stipulant dans le sien que le documentaliste indique à l'usager « l'extension et la limite des sources utilisées » pour répondre à sa demande. Est de même absente des textes précités, à tout le moins explicitement, la nécessité d'évaluer les services rendus (la pratiquer et la permettre), qui constitue notre point 4.
  27. (retour)↑  Les Politiques d'acquisition, constituer une collection dans une bibliothèque, Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 1994. Bertrand Calenge vient de publier sur ce sujet un second ouvrage (Conduire une politique documentaire, Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 1999) paru trop tard pour qu'il nous soit possible d'en prendre connaissance avant d'envoyer cet article à la rédaction du bbf.
  28. (retour)↑  Nous précisons « en tant que tels » parce qu'on ne saurait interdire aux élus de suggérer des acquisitions à titre privé, comme citoyens. Dans ce cas, leurs suggestions seront traitées comme celles de n'importe quel autre usager. On trouvera dans un article de Laurence Tarin une typologie des élus en charge de la lecture, dont deux sur quatre plus interventionnistes que d'autres en matière d'acquisitions (« Des lecteurs aux élus : des représentations de la lecture… aux politiques de lecture », Bulletin d'informations de l'ABF, n° 179, 2e trim. 1998, p. 56-65). Il convient de préciser que cette typologie se fonde sur un échantillon limité au département de la Gironde, et n'inclut pas d'élu du Front national.
  29. (retour)↑  Bertrand Calenge, op. cit., II, 3 ; Pierre Gaillard, alors directeur de la BMC d'Avignon ; Claudine Belayche, directrice de la BMC d'Angers et présidente de l'ABF ; Martine Pringuet, directrice de la BM de Cavaillon, dans La Gazette des communes, des départements, des régions, 3 février 1997, p. 20.
  30. (retour)↑  Outre l’approbation des budgets annuels, il est, dans les relations qui unissent les directeurs des SCD et les présidents d’université, au moins un moment « institutionnel » où un dialogue plus ou moins nourri s’instaure entre eux au sujet des objectifs du SCD : la préparation des demandes présentées au ministère au titre des contrats quadriennaux et la négociation de ceux-ci. Sauf exception (bibliothèques municipales concernées par un contrat de ville ou une convention de développement culturel, voire par un contrat État-région, en attendant les contrats de pays et les contrats d’agglomération), ce moment à périodicité régulière n’a pas son équivalent dans la vie des BM. Il l’aurait si l’État conférait un caractère contractuel à tout ou partie de l’aide qu’il attribue aux villes pour le fonctionnement des BM (première part du concours particulier).
  31. (retour)↑  Simon Cane, directeur de la bibliothèque municipale de Mâcon : « A partir du moment où la bibliothèque est une “boîte noire” pour les élus, ces derniers peuvent lui couper les vivres sans sourciller ou imposer des choix » (La Gazette des communes, des départements, des régions, 3 février 1997, p. 20).
  32. (retour)↑  L'expression de « zone grise » est due à Denys Lamarzelle, dont on consultera d'une part la thèse (Le Management territorial, une clarification des rôles entres élus et cadres territoriaux, Montreuil, Éd. du Papyrus, 1997), d'autre part l'article paru dans le numéro précité de la revue Pouvoirs locaux sous le titre « Cadres et élus : la “zone grise” du management territorial » (p. 68-74). Sur le partage des responsabilités entre les élus et les cadres placés sous leur autorité, voir la charte déontologique précitée du directeur général de collectivités territoriales. Tout en mettant l'accent sur la légitimité démocratique de l'élu, d'où découle le devoir d'obéissance du directeur, ce texte précise que celui-ci dispose pour sa part, comme « spécialiste » de sa partie, « d'une légitimité professionnelle qui doit lui être reconnue par les élus et les institutions » et rapporte son action à divers principes républicains qui transcendent les politiques locales.
  33. (retour)↑  La liste de ces bibliothèques, environ 250, avait été établie par l'arrêté du 27 décembre 1961 et complétée par celui du 5 décembre 1963 (d'après Henri Comte, Les Bibliothèques publiques en France, Lyon, Presses de l'École nationale supérieure de bibliothèques, 1977, p. 118).
  34. (retour)↑  Il convient ici d'établir une distinction sans équivoque entre l'éventuel comité, instance consultative dont la présence participe de la transparence du service public, et que la bibliothèque informe en s'enrichissant de ses avis, et l'autorité municipale, de laquelle la bibliothèque dépend et à laquelle celle-ci doit des comptes.
  35. (retour)↑  Le rapport du Conseil supérieur des bibliothèques pour 1996-1997 rappelle que la maîtrise des acquisitions est habituellement considérée comme ayant fait l'objet d'une difficile conquête de la part des bibliothécaires depuis la Révolution, conquête permise par l'amélioration de leur formation (p. 31). Ce constat relève pour partie de l'héroïsation des bibliothécaires, par une histoire des bibliothèques dont ils se trouvent être les principaux auteurs. Mais il importe précisément ici qu'ils adhèrent à ce schéma. De ce fait, un accroissement du rôle des usagers en matière d'acquisitions sera bien vécu par eux non seulement comme une limitation de leur pouvoir, mais comme une mise en cause de leur compétence.
  36. (retour)↑  Anne-Marie Bertrand, Les Bibliothèques, Paris, La Découverte, 1998 aj(Repères ; 247).
  37. (retour)↑  Loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 modifiée sur l'enseignement supérieur, article 57. Par ailleurs, saisi par des parlementaires à propos de la même loi, le Conseil constitutionnel a, dans une décision fameuse du 20 janvier 1984, considéré d'une part que « par leur nature même, les fonctions d'enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l'intérêt même du service, que la libre expression et l'indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables », en constatant que l'article 57 précité fait droit à cette exigence ; d'autre part, « qu'en ce qui concerne les professeurs [...], la garantie de l'indépendance résulte en outre d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République ». (Texte, commentaire et bibliographie dans Louis Favoreu et Loïc Philip, Les Grandes décisions du Conseil constitutionnel, 9e éd., Paris, Dalloz, 1997, p. 564-582.) Cette affirmation de la valeur constitutionnelle des principes de liberté d'expression et d'indépendance des enseignants-chercheurs, l'indépendance des professeurs, au sens statutaire du terme, étant tenue pour encore plus garantie que celle des autres personnels, a été réitérée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 28 juillet 1993 (décision n° 93-322 DC, dans Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, 1993).
  38. (retour)↑  Un exemple d'enseignant-chercheur sanctionné pour avoir manqué aux principes de tolérance et d'objectivité est offert par le cas de Bernard Notin ; ce maître de conférences à l'université de Lyon 3 est l'auteur d'un article qui, paru en 1990, a été jugé « contribuer à la campagne négationniste » et soutenir « avec véhémence des thèses racistes et antisémites » (C. E., 28.09.1998, Notin, n° 159236 : confirmation en cassation par le Conseil d'État d'une décision du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche statuant en appel).
  39. (retour)↑  Id., articles 29, 29-1 et 29-2.
  40. (retour)↑  Motion adoptée à l'unanimité le 17 mai 1998.
  41. (retour)↑  L'évaluation (indicateurs pertinents, pour qui et pour quoi faire) est un sujet en soi qu'il ne saurait être question de développer ici. Contentons-nous de renvoyer au programme CAMILE (Concerted Action on Management Information for Libraries in Europe) financé par la Commission européenne (réalisation de modèles et d'outils afin d'aider à la prise de décision dans les bibliothèques) et à la publication en octobre 1998 par l'AFNOR de la norme ISO 11620 : « Indicateurs de performance dans les bibliothèques », présentée par Pierre Carbone dans le Bulletin des bibliothèques de France, t. 43, 1998, n° 6, p. 40-45.