Livre et petite enfance en Val-de-Seine

Février 1997-février 1999

Anne Victorri

Dans le cadre d'une politique culturelle menée par le Syndicat intercommunal du contrat de ville du Val-de-Seine, une action lecture en direction de la petite enfance est conduite depuis 1997 avec un double objectif : prévenir l'illettrisme et favoriser le développement de la personnalité par l'accès aux livres et aux récits dès le plus jeune âge ; structurer un territoire marqué par un retard en matière de lecture publique en développant un réseau et en mobilisant des professionnels de champs différents autour de la médiathèque des Mureaux amenée à devenir un pôle de ressources intercommunal. Cette action, menée avec l'association ACCES, a fédéré près de deux cents personnes par le biais de dotations en livres à toutes les structures concernées, de stages, de rencontres, et d'un travail d'animation qui s'étend progressivement, a eu des répercussions sur l'ensemble du réseau de lecture publique du Val-de-Seine.

Within the framework of a cultural policy managed by the Syndicat intercommunal du contrat de ville de Val-de-Seine, a reading programme aimed at infants has been conducted since 1997 with a double objective: the prevention of illiteracy and the favouring of personality development through access to books and writings from the earliest age; to structure a territory marked by a retardation in the area of public literacy, in the development of a network and in mobilizing professionals in different fields, around the médiathèque des Mureaux directed so as to become a centre for inter-communal resources. This action, managed with the association ACCES, has brought in close to two hundred people through its bias towards book donations to all the structures concerned, to placements, to meetings and to presentational work which has been progressively extended, to produce results throughout the whole network of public literacy in Val-de-Seine.

Im Rahmen der vom Syndicat intercommunal du contrat de ville du Val-de-Seine (interkommunaler Zusammenschluss der Gemeinden im Val-de-Seine) durchgeführten Kulturpolitik, wird seit 1997 eine Leseaktion für Kleinkinder mit einer doppelten Zielsetzung durchgeführt: dem Analphabetentum vorbeugen und die Persönlichkeitsentwicklung durch den frühen Zugang zu Büchern und Geschichten fördern; ein durch einen Rückstand geprägtes Gebiet gliedern, indem man ein Bibliotheksnetz ausbaut und das Fachpersonal um die Mediathek von Les Mureaux mobilisiert, die ein interkommunales Zentrum werden soll. Die mit der Vereinigung ACCES durchgeführte Aktion hat fast 200 Personen zusammengebracht, durch Buchgeschenke an alle angesprochenen Strukturen, Praktika, Begegnungen, und einem Animationsprogramm, das sich schrittweise ausdehnt. Dies hatte Auswirkungen auf das gesamte Netz der öffentlichen Bibliotheken des Val-de-Seine.

Il était une fois… six communes du Val-de-Seine 1 qui acceptèrent de se lancer dans l’aventure de l’intercommunalité pour signer avec l’État un des 214 contrats de ville passés en 1994. Tout les séparait : elles n’étaient pas mitoyennes, sauf deux d’entre elles, de part et d’autre du fleuve.

L’une, « joli village d’Ile-de-France », pouvait s’enorgueillir de se voir signalée sur l’autoroute par un de ces panonceaux marron qui valent presque une étoile dans le Michelin. L’autre défrayait plutôt la chronique par les « incivilités » qui s’y commettaient. La troisième se remettait mal de n’être plus ce bourg paisible du bord de l’eau qu’avaient connu tant de générations précédentes. Une autre, qui devait elle aussi son peuplement à une usine de renommée mondiale sise tout à côté, voyait perpétués d’anciens clivages désormais profondément inscrits dans les modes de vie. Certaines communes étaient pauvres, d’autres pas. Nombre d’habitants dormaient ici, travaillaient là – souvent à 50 km, à Paris, où ils avaient leurs habitudes ; d’autres dormaient ailleurs, travaillaient ici. Et d’autres encore ne s’éloignaient guère du chemin qui conduisait de la maison à l’école. Avec tout ça, l’extrême droite avait nettement réussi sa percée.

Or ce contrat de ville avait une particularité : celle de comporter un volet culturel significatif faisant lui-même l’objet d’une convention de développement culturel. Par le biais de l’accès à la culture, un « nous » émergerait, espérait-on, de tous ces « je » dont on n’était pas sûr qu’ils le soient.

La lecture publique était bien mal servie 2, malgré la présence dans la commune la plus importante d’une médiathèque (tout juste aux normes cependant), dont on pensait que, l’informatique aidant, elle pourvoirait à tous les besoins du territoire nouvellement défini. Le recrutement d’une bibliothécaire, affectée un quart de temps ici, un quart de temps là, permettrait en outre une « mise en réseau » qui restait à imaginer.

De sa conception…

C’est en fait, au bout de quelque temps, à une chargée de mission lecture recrutée au sein de la MOUC (maîtrise d’œuvre urbaine et culturelle) 3 que fut confiée cette tâche : donner forme à ce réseau à constituer, dans une démarche à long terme, essentiellement structurelle et reposant sur l’idée qu’il fallait organiser et former avant d’agir. Cela réclamait une illustration, une action en quelque sorte modélisante, qui donne le ton, qui montre qu’au-delà des disparités, un projet commun pouvait rassembler des acteurs nouveaux et mobiliser des relais. Par ailleurs, les orientations données par le contrat de ville impliquaient qu’on s’adressât en priorité, bien que sans exclusive, à ceux qui sont le plus éloignés de l’écrit.

Dans cette double perspective, après que d’autres actions eurent échoué à faire apparaître ces relais, une action « Livre petite enfance » fut proposée au début de l’année 1997, dont les attendus étaient les suivants :

– il s’agissait de travailler dans une optique de prévention et de créer très tôt chez l’enfant un lien positif avec la langue, le livre, le récit, qui lui faciliterait, le moment venu, l’accès à l’écrit et à la maîtrise de la langue, fondement de l’exercice de la citoyenneté ;

– cela rendait indispensable l’établissement d’un partenariat très étendu aussi bien entre les équipes concernées qu’au niveau institutionnel, jetant les bases d’un développement ultérieur global, et formant le premier noyau d’un réseau local, inexistant jusqu’alors ;

– cela interrogeait les représentations traditionnelles de la lecture, opposant lecture scolaire et lecture de loisir par exemple, en mettant en avant des pratiques nouvelles par rapport à l’idée que la seule mission des bibliothèques serait de proposer une offre documentaire plus ou moins bien adaptée au public ;

– toucher un public de tout-petits obligeait à toucher aussi les parents et les professionnels, et c’était un point de départ pour étendre ces collaborations aux tranches d’âge supérieur ;

– enfin, la possibilité de s’appuyer sur une association partenaire éprouvée, ACCES (Actions culturelles contre les exclusions et les ségrégations), permettrait de bénéficier ainsi d’expériences déjà accumulées, favoriserait les indispensables échanges avec l’extérieur, pallierait dans un premier temps le manque criant de professionnels, et inscrirait l’action dans la durée.

… à sa réalisation…

Une fois l’action validée par le Syndicat intercommunal et son financement voté, il fallait procéder par étapes. Une phase préparatoire a permis une large sensibilisation des professionnels de la petite enfance, toutes catégories confondues. La méthode éprouvée de l’état des lieux 4 permit de mettre à jour les carences pressenties en matière de livre et de lecture en même temps que la réceptivité des personnels par rapport à une action à venir.

Elle fut l’occasion de rencontrer les responsables ou les équipes de chaque structure concernée (soit une trentaine de lieux : crèches collectives et familiales, relais assistantes maternelles, centres de loisirs maternels, centres de protection maternelle et infantile (PMI), accueil parents enfants, puis, dans un second temps, des classes de petite section des écoles maternelles) pour leur expliquer la participation qu’ils auraient à prendre dans ce projet, s’ils le souhaitaient, faute de quoi tout cela resterait lettre morte.

Des rencontres ville par ville rassemblant des acteurs ne se rencontrant pas habituellement, ou en tout cas pas pour travailler ensemble, l’implication ici d’un élu, là d’une responsable du service enfance, ailleurs d’une directrice de crèche, le repérage de personnes très vite convaincues de l’importance des enjeux et prêtes à jouer pleinement le rôle de relais, ont été dans cette phase des facteurs déterminants. Au bout de trois mois, la première journée intercommunale rassemblait quatre-vingts personnes à la médiathèque des Mureaux – succès inespéré pour ce « territoire sans qualités » 5 de 65 000 habitants.

Première étape

Pendant ces premiers mois furent largement diffusées les idées mises en avant par l’association ACCES, à qui l’on doit le cadre théorique de ces projets « Livre petite enfance » qui n’étonnent plus maintenant, mais dont on aurait tort aussi de penser – comme on l’entend dire parfois – que c’est une panacée actuellement largement dispensée, ou encore que c’est une mode parmi tant d’autres. Depuis plus de quinze ans, ACCES, s’appuyant d’une part sur des travaux de recherche tels que ceux d’Emilia Ferrero ou de François Bresson, d’autre part sur l’analyse des actions qu’elle a mises en place de façon expérimentale, suivies de très près en particulier par René Diatkine (1917-1997) et Marie Bonnafé 6, préconise de proposer aux tout-petits des albums de qualité. Ceci se fait en présence de leurs parents, dans leurs lieux de vie habituels et donc sans démarche volontaire de la part des familles (pour ceux qui font ces démarches, on peut penser que la partie est déjà gagnée), dans une liberté et une gratuité totale et toujours dans une relation individuelle avec l’enfant, tout ceci sans déranger les services dans lesquels interviennent les animatrices. On a là un certain nombre de propositions qui se heurtent sinon au sens commun, du moins aux représentations habituelles que professionnels de tous bords se font d’une « activité lecture ».

De plus, il ne s’agit en aucun cas d’un apprentissage précoce, dont seraient friands les parents ou les pédagogues qui pensent que, pour le plus grand bien des enfants, « le plus tôt sera le mieux » : il s’agit avant tout de mettre en place dans de bonnes conditions des moments partagés d’échange et de plaisir, dont disposent dans leur univers familial les enfants qui, le moment venu, aborderont l’écrit sans difficulté 7, pour tous ceux qui n’en bénéficient pas naturellement. Nous avons rappelé avec insistance dans ces rencontres préalables qu’il s’agissait avant tout d’une action de prévention (non de gavage), prévention aussi bien de l’échec scolaire qui, inutile de le rappeler, pèse lourdement dans ces communes, que de la désinsertion sociale qui l’accompagne.

Deuxième étape

La deuxième étape fut celle de la dotation en livres 8, pour remédier à l’extrême pauvreté constatée. Là aussi, nous nous sommes inspirés d’autres expériences 9, convaincus que « donner des livres » de façon parachutée était peine perdue – argent perdu aussi.

Une liste d’environ trois cents titres, reprenant ceux des nombreuses et excellentes bibliographies parues, fut établie cependant qu’étaient organisées des séances de formation à cette littérature pour tout-petits, tenues à la médiathèque avec des intervenants spécialisés en littérature jeunesse, et ouvertes à tous les professionnels travaillant au contact des jeunes enfants, y compris les enseignants de maternelle 10.

Puis, avant l’été, furent programmées des séances de travail au cours desquelles les mêmes personnes vinrent établir leur propre commande d’après les livres consultables sur place. Elles découvraient ainsi non sans étonnement une des facettes du métier de bibliothécaire. A la rentrée suivante arrivèrent dans chaque structure petite enfance une cinquantaine de livres, préparés à la médiathèque et définitivement déposés dans les structures pour y constituer un fonds de base. L’opération fut renouvelée en décembre, formation et travail de commande compris, puis l’année suivante, ce qui a quintuplé le nombre de livres à disposition des jeunes enfants.

Mais l’évaluation de cet apport en livres se traduisit bien autrement que par des chiffres : au cours de la phase ultérieure – la mise en place des temps d’animation –, cela a favorisé de façon décisive la rencontre avec le livre de jeunesse et sa circulation, cela a fait naître des goûts et des passions nouvelles, cela a apporté un souffle et des parfums inconnus, cela s’est révélé être un puissant facteur de rassemblement. Une partie des objectifs étaient atteints.

Des lieux d’échange

C’est aussi durant cette phase de sensibilisation et de préparation que furent choisis, en concertation avec tous les partenaires et ville par ville, les lieux où interviendraient les animatrices d’ACCES, avec qui une convention fut passée, englobant temps d’animation, stages de formation, et suivi général du projet. Les critères de choix étaient les suivants : on interviendrait dans les lieux où l’on était susceptible de toucher les familles qui en avaient le plus besoin (c’était incontestablement les centres de consultations PMI), dans les structures dont le personnel était le plus motivé, et dans celles où les relais seraient assurés le plus rapidement.

Car s’engager dans une telle action, c’est s’engager sur la durée, la seule garantie de cette pérennité étant l’appropriation complète tant des idées énoncées plus haut que de leur mise en actes, qui suppose un certain nombre de changements : certains services, très demandeurs, ne sont pas prêts pour toutes sortes de raisons, internes comme externes, à se réorganiser de manière à prendre en charge ces temps passés avec le livre, et cela vaut également pour les bibliothèques.

Il fallait aussi adapter l’action à la situation de chaque commune, non seulement pour qu’elle se déroule le mieux possible, mais en mettant en perspective les répercussions qu’elle aurait, à terme, sur l’ensemble du réseau et du développement espéré de la lecture publique dans son ensemble. On en a rapidement constaté les effets, comme on le verra plus loin.

Sur une trentaine de lieux ayant reçu des livres, six seulement purent, dans cette deuxième phase (année scolaire 1997-1998), bénéficier des interventions d’ACCES : trois centres de PMI, une crèche collective, une crèche familiale, un relais d’assistantes maternelles. Dans ces deux derniers lieux, il s’agit de formation d’assistantes maternelles accompagnées des enfants dont elles s’occupent : la moitié de la séance se déroule en présence des enfants, qui sont alors de précieux alliés tant ils démontrent que, même tout petits, le livre et le récit qu’on leur en fait les captivent, les retiennent souvent mieux que les jouets, présents aussi comme à l’accoutumée, la deuxième partie de la séance étant consacrée à un retour « à chaud » entre formatrice et assistantes maternelles.

Pour donner tout leur sens à ces animations, sans les laisser s’installer dans une routine, et pour qu’elles aient le retentissement souhaité sur l’ensemble du territoire, des stages d’approfondissement de trois jours furent organisés au rythme de deux par an, à destination des professionnels impliqués dans ces animations, tous secteurs confondus, et de ceux qui souhaitaient initier un projet dans leur structure (les enseignants furent dès le début très demandeurs, ainsi que, ce qui est plus étonnant, le personnel de l’espace territorial médico-social). La richesse des échanges est à chaque fois surprenante, sur ce territoire difficile où bien des professionnels se sentent dans des impasses, démunis devant l’urgence des situations.

Tous soulignent l’intérêt de rencontrer d’autres professionnels, remplissant d’autres missions, exerçant d’autres métiers, mais travaillant avec les mêmes enfants, les mêmes familles. Et c’est la rencontre autour des livres, dans l’espace intérieur qu’ils ménagent, qui illumine ces journées. Le réinvestissement de ces stages est suivi lors de rencontres régulières, en début d’après-midi, quand la sieste des petits permet aux équipes plus de souplesse.

Isabelle Sauer, formatrice, animatrice d’ACCES, psychologue de formation et par ailleurs conteuse, assure, avec la chargée de mission, cette supervision qui a été un support décisif pour accompagner les projets : soutien des professionnels découragés au retour de stage devant le scepticisme du personnel, à qui l’on propose alors une place dans le stage suivant (il y a toujours eu deux fois plus de candidatures que de places dans les stages, et ces places ont été attribuées avec le plus grand soin pour renforcer ou permettre les actions) ; retour sur certaines difficultés (d’organisation ou autres), et recherche en commun de solutions ; émerveillement contagieux devant les attitudes des enfants (auxquelles on ne croit jamais vraiment avant de les avoir vues de ses propres yeux : raison pour laquelle les formations uniquement théoriques sont de peu de poids) ; préparation, parfois longue et réitérée, d’actions nouvelles. C’est là que se forment, peu à peu, de formidables médiateurs(trices) du livre, qui communiqueront leur enthousiasme à d’autres, d’abord dans le secteur de la petite enfance, puis au-delà, au fur et à mesure que l’impact se déplace vers les plus grands.

Car c’est un des points capitaux de cette action Petite enfance : retrouver chez les plus grands, passées les réticences imputables, disons pour aller vite, au statut de l’écrit, les comportements qu’on observe si spontanément chez les plus petits. La liberté de choisir sans regard extérieur ou préjugés (« C’est un livre de bébé ! »), le plaisir devant des images fortes et des mots inconnus, le besoin d’une relation individuelle, privilégiée, dans laquelle le livre ouvre des portes ; la nécessité de (re)vivre les épisodes précédents, manqués ou survolés, dans ce chemin qui fait de chacun un lecteur…

Toutes ces observations faites au contact des bébés ont été retrouvées dans les bibliothèques de rue, dans les projets autour du livre menés avec des classes de Section d’enseignement général et de pré-apprentissage (SEGPA), qui ont remplacé les sections d’enseignement spécialisé et d’adaptation. On les retrouve aussi dans des centres de loisirs primaires ou des lieux d’aide aux devoirs, quand, le temps passant et différents types de formation touchant à présent d’autres personnels, cet accès au livre s’est étendu peu à peu, bien qu’encore très insuffisamment, à d’autres tranches d’âge.

Et les partenariats obligatoirement noués pour conduire cette action Petite enfance font tache d’huile, suscitent les demandes, obligent à penser l’avenir. Le réseau établi se renforce (au bout de deux ans, ce sont cent cinquante à deux cents personnes qui sont touchées de près par cette action). Un exemple : le comité de lecture jeunesse mis en place au bout d’un an à la médiathèque, fréquenté d’abord massivement par les professionnels de la petite enfance, s’enrichit au fur et à mesure de la présence de ceux qui travaillent avec les plus grands.

Troisième étape

La troisième étape, entamée en septembre 1998, soit dix-huit mois après l’état des lieux, marque un tournant. On atteint alors une autre vitesse de croisière avec le recrutement d’une coordinatrice/animatrice chargée exclusivement de ce projet, d’abord à mi-temps, puis très vite à temps plein. ACCES continue le suivi et les formations, mais les actions de terrain sont reprises et multipliées, dépassant rapidement la vingtaine.

La collaboration avec l’Éducation nationale s’intensifie par la mise en place d’animations préparées de longue date : d’abord une école de la ZEP (zone d’éducation prioritaire), puis deux, trois, quatre, cinq, six… Le réseau d’acteurs s’étoffe peu à peu : pendant l’été 1998, l’arrivée de trois médiateurs du livre (emplois-jeunes) à la médiathèque des Mureaux a permis de mettre en place des bibliothèques de rue dans cinq quartiers, accompagnés dans ces actions par Isabelle Sauer, qui fait le lien, et par des bibliothécaires. Ils seront vite à même de s’adresser également aux tout-petits. Deux autres médiateurs arrivent dans d’autres communes, immédiatement accueillis dans les formations 11, et très vite opérationnels parce qu’également encadrés le temps nécessaire, et intégrés au réseau.

En février 1999, un Mois de la petite enfance 12 offre l’occasion de rassembler tous les acteurs de ce projet en un collectif où chacun propose ses services pour animer à la médiathèque une exposition/mise en espace accueillant près d’un millier de tout-petits : plus de vingt personnes (toutes préalablement formées) proposent des moments d’animations, sur leur temps personnel ou de travail (ou les deux). Ce temps fort, programmé au terme de deux ans de travail de fond, permet de le faire connaître de tous et ouvre le réseau aux parents, bientôt accueillis dans les formations.

De multiples effets induits

Du fait de cette action, la question de la bibliothèque se pose en termes nouveaux, à la fois quant à la nécessité d’équipements de proximité sur le territoire, et quant à leurs missions. La collaboration entre la MOUC et la médiathèque prend forme au fur et à mesure de l’avancée du projet, qui ouvre la voie à d’autres 13. C’est la définition d’une politique de lecture publique adaptée aux besoins de la population qui est en jeu, proposée aux élus dans un modèle de développement intercommunal qui, s’ils le valident, devrait déboucher sur un contrat ville lecture intercommunal.

En attendant, dans cinq communes, l’action Livre petite enfance se déroule par défaut hors bibliothèque, en l’absence d’équipement digne de ce nom et de personnel 14. Du coup, cette absence devient problématique, et les choses se mettent à changer. N’en donnons qu’un exemple, le plus spectaculaire à ce jour : celui d’une ville de 8 500 habitants particulièrement déficitaire 15, le projet intercommunal Livre petite enfance a conduit en droite ligne à l’ouverture prochaine d’un espace lecture de 100 m2, doté de 5 000 livres neufs, réservé aux enfants de 0 à 12 ans ; un jeune bibliothécaire en prépare l’ouverture en conduisant des projets avec les structures de la ville (halte-garderie, crèche familiale, centre de loisirs, mais aussi écoles maternelles et primaires), en lien avec des enseignants et des aides-éducateurs, en lien aussi avec la médiathèque et la MOUC.

C’est dans ces effets induits que cette action en direction de la petite enfance, au-delà de son impact décisif sur les publics concernés, prend tout son sens :

– en déteignant sur les pratiques avec les plus grands et non l’inverse. La bibliothèque doit être, et rester, le lieu par excellence où l’accueil est individualisé, le parcours de chacun, quel que soit son âge, respecté, l’accès au livre facilité par ce médiateur que devrait être chaque bibliothécaire. Le danger existe de voir des groupes d’enfants de dix-huit mois à qui on administre avec la meilleure volonté du monde une « heure du conte » obligatoire, quitte à induire un peu plus tôt encore les réticences évoquées ;

– en prenant sa place dans une démarche globale visant tous les publics, a fortiori les plus en difficulté vis-à-vis de l’écrit ;

– en rendant impossible, par les rassemblements de professionnels d’horizons différents, par les concertations permanentes, par le regard porté sur son évolution, l’inscription dans la routine qui ôte souvent du sens à certaines actions du même type ;

– en interdisant le retour en arrière : quelle que ce soit l’évolution future du développement de la lecture en Val-de-Seine et les difficultés rencontrées, quelque chose d’irréversible s’est produit dans ces multiples rencontres avec les livres, sur lequel on ne pourra pas simplement… tourner la page.

Février 1999

  1. (retour)↑  Il s’agit des villes d’Aubergenville (12 000 habitants), Bouafle (2 000 habitants), Chapet (1 000 habitants), Ecquevilly, (5 000 habitants), Les Mureaux (33 000 habitants), Meulan (8 500 habitants).
  2. (retour)↑  Comme l’indiquent les chiffres, inférieurs de moitié à la moyenne nationale pour les six communes considérées dans leur ensemble, que ce soit quant aux locaux, aux imprimés, au personnel, celui-ci étant en outre très peu qualifié. Ce retard s’étend à tout l’arrondissement de Mantes.
  3. (retour)↑  Maîtrise d’œuvre urbaine et culturelle du Syndicat intercommunal du contrat de ville, par référence à la MOUS, maîtrise d’œuvre urbaine et sociale.
  4. (retour)↑  Par la passation d’un questionnaire détaillé, présenté oralement dans la mesure du possible.
  5. (retour)↑  Selon l’expression de Jacques Bonniel.
  6. (retour)↑  Tous deux psychiatres et psychanalystes, engagés avec la création d’ACCES, dès le début des années 80, dans une démarche culturelle.
  7. (retour)↑  Dans leur très grande majorité. Sur les difficultés d’apprentissage de la lecture, voir Les Enfants hors du lire / sous la dir. de Christiane Préneron, et al., Paris, Bayard Éditions, 1994.
  8. (retour)↑  Pour une somme totale de 250 000 F sur deux ans, dont la moitié était financée par le Centre national du livre.
  9. (retour)↑  En particulier, celle des boîtes à livres du conseil général de la Seine-Saint-Denis.
  10. (retour)↑  Ce qui fut l’amorce, au plan institutionnel, d’une collaboration avec les trois inspections départementales concernées.
  11. (retour)↑  Un certain nombre de formations intercommunales ou communales sont organisées peu à peu, toujours intercatégo-rielles : formation d’une semaine à destination des aides-éducateurs de l’Éducation nationale, des emplois jeunes « médiateurs du livre » et des animateurs de centres de loisirs ; formation conjointe Éducation nationale/Ville des Mureaux ; formation ouverte à tous les personnels travaillant avec l’enfance à Aubergenville…
  12. (retour)↑  Avec la réalisation d’une bibliographie d’une cinquantaine de titres particulièrement appréciés des petits lors des animations. Renseignements à la médiathèque des Mureaux.
  13. (retour)↑  La ville des Mureaux commence à réfléchir à un plan lecture dès la fin 1997 sous l’impulsion de la directrice de la médiathèque, Leslie Thomas. À Aubergenville, en l’absence d’un projet à court terme remédiant à l’exiguïté de la bibliothèque municipale et aux carences de son fonctionnement, un espace lecture prend place à l’intérieur de la nouvelle « Maison de Tous », des projets avec des écoles, des centres de loisirs, prennent corps à l’issue des formations, etc.
  14. (retour)↑  En 1997, les locaux en question ont une superficie de 30 à 60 m2 pour les communes de 1 000 à 8 500 habitants et de 180 m2 pour celle de 12 000 habitants et sont tenus, à une exception près (une salariée titulaire d’un diplôme ABF-Association des bibliothécaires français), par des bénévoles sans formation aucune.
  15. (retour)↑  Bibliothèque de 60 m2, 5 000 livres dont les trois quarts à éliminer, 6 heures de permanence hebdomadaire tenue tant bien que mal, un budget d’acquisition quasi inexistant et une absence de projet municipal, « faute de moyens ».